Claude le Liseur a écrit :
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Sans même parler du fait que l'immense majorité des prêtres de paroisse en Europe de l'Ouest ont été mariés jusqu'au XIème siècle, il est de toute façon patent que l'on a élevé à l'épiscopat des hommes mariés. Le pape Silvère (+ 537) était le fils du pape Hormisdas.
Saint Grégoire de Nysse, un des Pères de l'Eglise, était un homme marié; sa femme Théosebie est aussi au calendrier des saints.
On pourra toujours faire remarquer que ces évêques pratiquèrent la continence après leur élévation à l'épiscopat. Mais leur mariage ne posa aucun problème quand ils étaient prêtres ou diacres.
Je vous invite à parcourir le calendrier des saints qui se trouve sur ce forum dans la rubrique homonyme: au fil des jours de l'année, vous découvrirez de véritables dynasties sacerdotales dans les Gaules.
4. Ajoutons que le mépris pour les prêtres mariés, bien loin d'être une tradition apostolique ou une sympathique tradition locale des Eglises ibérique et maghrébine, pourrait aussi être une influence de l'hérésie des encratistes. A ce défenseur du célibat sacerdotal qui s'appuie sur le concile d'Elvire et sur celui de Carthage, je pourrais répliquer en citant le concile de Gangres, réuni après le concile oecuménique de Nicée, dont le canon 4 proclame ce qui suit: "Si quelqu'un juge qu'il ne doit pas prendre part à la communion pendant la messe célébrée par un prêtre marié, qu'il soit anathème".
5. Il est patent que, dans l'Eglise d'Arménie, à l'époque où elle faisait encore partie de l'Eglise orthodoxe, une, sainte, catholique-conciliaire et apostolique, et était en communion avec Rome et Constantinople, les descendants de saint Grégoire l'Illuminateur se sont succédé de père en fils sur le siège suprême de la Sainte Etchmiadzine, et ceci de l'an 301 jusqu'à l'an 438.
6. Si l'on me reproche de citer l'exemple d'une Eglise fort "orientale" et exotique, alors je prendrai aussi l'exemple d'une Eglise de rite latin, à savoir celle de Hongrie (qui fut d'ailleurs fondée comme une Eglise autocéphale avec la bénédiction du pape auvergnat Sylvestre II, adversaire des dérives autoritaires de ses prédécesseurs, et ne passa sous la domination papale que fort tard). Les lois du roi Ladislas (1077-1095), prises en application du concile de Szabolcs (1092), se contentent d'interdire la bigamie des prêtres, tandis que l'existence de prêtres légitimement mariés ne posait aucun problème. Le célibat sacerdotal ne fut introduit dans cette Eglise de rite latin qu'au cours du XIIème siècle (cf. Prêtre Prof. Mircea Pacurariu, Istoria Biserici Ortodoxe Române, tome I, Bucarest 1980, p. 202). Curieux pour une tradition apostolique...
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Comme il n'est jamais trop tard pour bien faire, voici, avec des années de retard, les pages pertinentes du prêtre roumain Nicolae Dură, professeur à la faculté de théologie de Bucarest, à propos des évêques mariés - pages écrites directement en français, chapeau bas devant la performance!
Mais quel était le statu civil des évêques de cette époque, participant aux conciles œcuméniques et locaux ? Parmi les évêques participant à ces conciles des premiers siècles, on trouve des évêques mariés. Il suffit de nous rappeler que même les Apôtres furent mariés (l'apôtre Pierre, par exemple), et, en suivant la pratique apostolique, même les premiers évêques furent mariés (par exemple Timothée, Tite, etc...). Les canons apostoliques - rédigés au IVe siècle - en témoignent eux aussi (cf. canon 5ème, 51ème apost.). Cette pratique a duré jusqu'au concile In Trullo (691), lorsque l'Eglise a interdit le mariage des évêques (cf. can. 12ème, 48ème), confirmant ainsi la loi édictée en 531 par l'empereur Justinien (cf. Codex 1,24,8; Nov. 6,1 de 535) qui prévoyait l'obligation du célibat pour les évêques. Mais, à partir du IXe siècle, en Orient, on a pris l'habitude de ne choisir les évêques que parmi les moines. Cette pratique persiste jusqu'à présent dans l'Eglise orthodoxe. De toute façon, les documents de l'époque mentionnent que beaucoup d'évêques participant aux conciles œcuméniques étaient mariés. Il suffit de rappeler quelques exemples d'évêques mariés pour éliminer tout doute sur cette réalité indéniable. Saint Grégoire l'Illuminateur, «Apôtre» de l'Arménie (IIIe-IVe siècles), d'origine cappadocienne, consacré évêque pour l'Arménie en 314 par l'évêque de Césarée de Cappadoce, était marié et père de deux enfants. Selon la coutume imposée, après Saint Grégoire l'Illuminateur, et jusqu'à l'époque du catholicos Sahak (387-438), le primat de l'Eglise d'Arménie (catholicos) fut choisi dans la descendance directe de son prédécesseur. Les primats d'Arménie de cette époque furent toujours consacrés à Césarée de Cappadoce. Il est aussi intéressant de noter qu'Apistakes, fils de Saint Grégoire l'Illuminateur, choisi par un concile d'évêques, convoqué par le roi, comme successeur de son père au siège primatial d'Arménie, a participé au premier concile œcuménique. De même, l'évêque Paulin de Nole (Campania) [NdL: recte Campanie] (355-431), «vir apostolicus» (homme de stature apostolique), fut marié, mais on épouse Therasia «est devenue sa sœur». On se trouve donc déjà à l'époque où les évêques se séparent à l'amiable de leur épouse, qui entre d'habitude dans un monastère. Pourtant, on a encore, au VIe siècle, des évêques mariés, qui ne revendiquaient pas de vivre avec leur femme dans la chasteté [NdL: recte continence], même en Occident. On en trouve aussi parmi les évêques gaulois. «C'est ainsi qu'il n'est pas surprenant de rencontrer à cette époque des évêques dont on dit que leur père fut évêque. C'était le cas de Léonce II de Bordeaux, fils de l'évêque de Paris, Amiel. A son tour, Léonce se maria avant d'être évêque de Bordeaux... Pendant longtemps encore, on aura des episcopissae comme pendant les siècles précédents. Le concile de Tours de 567 y fait allusion, ... »(E. Griffe, L'Episcopat gaulois de 481 à 561. Le choix des évêques, dans Bulletin de Littérature ecclésiastique, n° 4, Toulouse, 1978, p. 297.)
Il est aussi nécessaire de retenir qu'aux conciles œcuméniques du Ier millénaire participèrent non seulement des évêques mariés, mais aussi d'autres clercs, prêtres et diacres, qui représentaient leurs Eglises ou accompagnèrent leurs évêques, mais, dans les deux cas, ils signèrent également les Actes des conciles. Par exemple, parmi les participants au IIIe concile œcuménique, on trouve le «chorévêque César» (au numéro 94) et le «diacre de Carthage, Bessula» (au numéro 154, le dernier). On peut donc en conclure que les conciles épiscopaux eurent en réalité une composition mixte, bien que ce soit les évêques qui prenaient les décisions au nom de leur Eglise ou de l'ensemble de l'Eglise.
(RP Nicolae Dură, Le régime de la synodalité selon la législation canonique conciliaire, œcuménique, du Ier millénaire, Editura Ametist 92, Bucarest 1999, pp. 170-172. Remerciements à l'archiprêtre Danuţ Crăciun, qui parcourut la Roumanie en long, en large et en travers pour réussir à retrouver et à me faire parvenir un exemplaire de ce livre alors que l'éditeur avait déjà fait faillite.)