A propos de saint Olaf

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Claude le Liseur
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Re:

Message par Claude le Liseur »

Stephanopoulos a écrit :Merci à vous deux pour vos réponses!

Dans ce cas, la connaissance dont j'ai parlé faisait certainement mention du roi Olaf 1er Tryggvesson de Norvège (995-1000) selon le Larousse.

Est-ce donc vrai que cet Olaf là a commis des attrocités qui ont fait dire à Anne Geneviève que ce souverain était un "royal meurtrier"?

Si tel est le cas, comment se fait-il que notre Eglise ait pu le reconnaître comme un saint?

Est-il déjà arrivé, dans l'histoire de l'Eglise, qu'un saint perde rétroactivement son titre de "saint"?
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En relisant ce fil, je me rends compte qu'il y a confusion entre trois Olaf, dont deux ont été canonisés: un saint Olaf, roitelet et martyr en Suède, et deux rois de Norvège dont un seul a connu les honneurs des autels.

Olaf Ier (Óláfr Tryggvason), qui avait en effet commencé la christianisation de la Norvège par de rudes moyens, et qui avait obtenu le vote du parlement islandais (l'Althing) décidant du passage de l'île au christianisme en l'an Mil après avoir convaincu Leif Ericson (le fils d'Eric le Rouge, découvreur du Groenland, et lui-même découvreur du continent nord-américain), est mort à la bataille de Svolder en septembre 1000 sur son légendaire bateau le Long Serpent, mais n'a jamais été canonisé.

Saint Olaf II (Óláfr Haraldsson), lui aussi mort pour le Christ à la bataille de Stiklestad le 29 juillet 1030, a fait l'objet d'une vénération très rapide en tant que saint patron du peuple norvégien. Contrairement à la plupart des saints d'Europe occidentale des dernières décennies ayant précédé le schisme définitif entre la Papauté de Rome et l'Eglise du Christ, la vénération de saint Olaf dans l'Orthodoxie est très ancienne. En effet, il y avait une église dédiée à saint Olaf à Constantinople.... dès le deuxième quart du XIIe siècle.
En effet, depuis l'an 988, l'empereur de Constantinople disposait d'une guarde dite "varangienne", à l'origine constituée de sujets du grand-prince de Kiev (donc Slaves et Varègues, c'est-à-dire Suédois plus ou moins slavisés), mais par la suite de plus en plus constituée de Scandinaves et de Britanniques. On sait qu'après la conquête normande de l'Angleterre en 1066, beaucoup de Saxons qui refusaient la conquête se sont réfugiés à Constantinople et se sont engagés dans la garde varangienne. Le recrutement en Scandinavie a duré jusqu'à la fin du XIIe siècle. Lors de l'assaut donné à Constantinople par les Croisés en 1204, une partie des défenseurs de la ville étaient des Scandinaves et des Anglais, fait expressément signalé par Villehardouin dans sa Conquête de Constantinople. Cela tend à souligner le fait que, dans certaines régions où la Papauté avait plus de mal à faire sentir son influence (Scandinavie, Hongrie, îles Britanniques), une partie de la population est restée orthodoxe jusqu'au troisième quart du XIIe siècle (fait que démontre aussi la croisade anglo-normande bénie par le Pape contre la chrétienté d'Irlande en 1171).
Le recrutement dans les îles Britanniques a repris après la reconquête de Constantinople en 1261 et des gardes varangiens d'origine anglaise sont mentionnés pour la dernière fois en 1404, mais ceux-là n'étaient plus d'origine orthodoxe.
Toujours est-il qu'après la victoire remportée par l'empereur Jean Comnène sur les Petchenègues à Eski Zagra en 1122 grâce à l'intervention décisive des Anglais et des Scandinaves de la garde varangienne, une église fut construite à Constantinople en l'honneur de la garde varangienne, église dédiée à saint Olaf, roi de Norvège (cf. Raffaele D'Amato, The Varangian Guard 988-1453, Osprey Men-at-Arms n° 459, Oxford 2012, p. 24).
fred
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Re:

Message par fred »

Stephanopoulos a écrit :Est-il déjà arrivé, dans l'histoire de l'Eglise, qu'un saint perde rétroactivement son titre de "saint"?
Oui, dans l'Église russe : Anne de Kachine (environ 1280-1368)

Fille de Dimitri Borissovitch de Rostov, elle épousa en 1299 le prince Alexandre Mikhaïlovitch de Tver et eut cinq enfants. Après une vie exemplaire, elle entra au monastère vers la fin de sa vie et mourut.
En 1611, elle apparut en songe à un habitant de Kachine pendant que les Polono-Lituaniens assiégeaient la ville. On sortit ses reliques et de nombreux miracles eurent lieu en son nom. Elle redonna courage aux habitants, qui repoussèrent l'envahisseur. L'Église russe la canonisa en 1650.
Puis survint le raskol. Les vieux-croyants commencèrent à utiliser les reliques d'Anne de Kachine pour justifier leur bon droit. La main droite de la sainte s'était, par rigidité cadavérique, figée dans la position du signe de croix à deux doigts, et les vieux-croyants y voyaient un argument en faveur de leur bonne façon de faire. Pour passer outre la vénération populaire, L'Église russe la décanonisa en 1677.

Sous le tsar Nicolas II, en vue d'une normalisation des relations avec les vieux-croyants, Anne de Kachine fut recanonisée en 1909.

On honore sa mémoire le 12 juin.

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Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

fred a écrit :
Stephanopoulos a écrit :Est-il déjà arrivé, dans l'histoire de l'Eglise, qu'un saint perde rétroactivement son titre de "saint"?
Oui, dans l'Église russe : Anne de Kachine (environ 1280-1368)

Fille de Dimitri Borissovitch de Rostov, elle épousa en 1299 le prince Alexandre Mikhaïlovitch de Tver et eut cinq enfants. Après une vie exemplaire, elle entra au monastère vers la fin de sa vie et mourut.
En 1611, elle apparut en songe à un habitant de Kachine pendant que les Polono-Lituaniens assiégeaient la ville. On sortit ses reliques et de nombreux miracles eurent lieu en son nom. Elle redonna courage aux habitants, qui repoussèrent l'envahisseur. L'Église russe la canonisa en 1650.
Puis survint le raskol. Les vieux-croyants commencèrent à utiliser les reliques d'Anne de Kachine pour justifier leur bon droit. La main droite de la sainte s'était, par rigidité cadavérique, figée dans la position du signe de croix à deux doigts, et les vieux-croyants y voyaient un argument en faveur de leur bonne façon de faire. Pour passer outre la vénération populaire, L'Église russe la décanonisa en 1677.

Sous le tsar Nicolas II, en vue d'une normalisation des relations avec les vieux-croyants, Anne de Kachine fut recanonisée en 1909.

On honore sa mémoire le 12 juin.

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Merci d'avoir rappelé ce fait que Pierre Pascal évoque aussi dans Avvakoum et les débuts du Raskol (Mouton, La Haye 1965) que les Vieux-Croyants eux-mêmes considèrent comme une source si sérieuse qu'ils en vendent la traduction russe dans leur librairie du cimetière de Rogojskoïé à Moscou.
Précisément, au cimetière de Rogojskoïé, lorsque le visiteur tourne le dos à la cathédrale des Vieux-Croyants et se dirge vers le cimetière, il passe d'abord devant une église qui semble comme enchâssée dans l'enceinte du cimetière. Si la piété ou la curiosité le pousse à rentrer dans cette église, il aura comme première surprise de voir au comptoir des cierges et des livres tous les signes extérieurs possibles indiquant que cette église relève du patriarcat de Moscou et non de la hiérarchie de la Blanche-Fontaine, y compris la photo de l'actuel patriarche Cyrille. Rentrant plus avant dans l'église, le visiteur sera surpris de constater, dans une église dont le style indique une construction au XIXe siècle, une insistance de l'iconographie sur sainte Anne de Kachine. Une fresque représentant sainte Anne de Kachine dans une église orthodoxe "nikonienne" du XIXe siècle? Le visiteur aura tout de suite compris qu'il s'agit d'une église des Edinovertsy (единоверцы), ces Vieux-Croyants qui avaient réintégré le sein de l'Eglise russe au début du XIXe siècle tout en conservant le rit pré-nikonien. Et, en effet, en retournant vers le comptoir des cierges, le visiteur remarquera une inscription sur un pilier, à laquelle il n'avait pas fait attention en entrant dans l'église, une inscription indiquant que cette église fut bien construite par les edinovertsy. Mais le visiteur n'aura pas pour autant retrouvé la trace de ces fameux edinovertsy si évoqués dans les histoires de la Russie du XIXe siècle et dont les effectifs semblent avoir fondu comme neige au soleil: une conversation avec le gardien qui tient le comptoir des cierges lui apprendra que si, à l'origine, l'église dans laquelle il se trouve desservait une communauté d'edinovertsy, mais qu'il s'agit maintenant d'une paroisse orthodoxe comme les autres, sans particularités liturgiques. Du passé ne reste que cette iconographie relative à sainte Anne de Kachine, bien surprenante pour une église russe du XIXe siècle...
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Claude le Liseur a écrit : sam. 22 sept. 2012 16:21
Saint Olaf II (Óláfr Haraldsson), lui aussi mort pour le Christ à la bataille de Stiklestad le 29 juillet 1030, a fait l'objet d'une vénération très rapide en tant que saint patron du peuple norvégien. Contrairement à la plupart des saints d'Europe occidentale des dernières décennies ayant précédé le schisme définitif entre la Papauté de Rome et l'Eglise du Christ, la vénération de saint Olaf dans l'Orthodoxie est très ancienne. En effet, il y avait une église dédiée à saint Olaf à Constantinople.... dès le deuxième quart du XIIe siècle.
En effet, depuis l'an 988, l'empereur de Constantinople disposait d'une guarde dite "varangienne", à l'origine constituée de sujets du grand-prince de Kiev (donc Slaves et Varègues, c'est-à-dire Suédois plus ou moins slavisés), mais par la suite de plus en plus constituée de Scandinaves et de Britanniques. On sait qu'après la conquête normande de l'Angleterre en 1066, beaucoup de Saxons qui refusaient la conquête se sont réfugiés à Constantinople et se sont engagés dans la garde varangienne. Le recrutement en Scandinavie a duré jusqu'à la fin du XIIe siècle. Lors de l'assaut donné à Constantinople par les Croisés en 1204, une partie des défenseurs de la ville étaient des Scandinaves et des Anglais, fait expressément signalé par Villehardouin dans sa Conquête de Constantinople. Cela tend à souligner le fait que, dans certaines régions où la Papauté avait plus de mal à faire sentir son influence (Scandinavie, Hongrie, îles Britanniques), une partie de la population est restée orthodoxe jusqu'au troisième quart du XIIe siècle (fait que démontre aussi la croisade anglo-normande bénie par le Pape contre la chrétienté d'Irlande en 1171).
Le recrutement dans les îles Britanniques a repris après la reconquête de Constantinople en 1261 et des gardes varangiens d'origine anglaise sont mentionnés pour la dernière fois en 1404, mais ceux-là n'étaient plus d'origine orthodoxe.
Toujours est-il qu'après la victoire remportée par l'empereur Jean Comnène sur les Petchenègues à Eski Zagra en 1122 grâce à l'intervention décisive des Anglais et des Scandinaves de la garde varangienne, une église fut construite à Constantinople en l'honneur de la garde varangienne, église dédiée à saint Olaf, roi de Norvège (cf. Raffaele D'Amato, The Varangian Guard 988-1453, Osprey Men-at-Arms n° 459, Oxford 2012, p. 24).
Voici ce qu'écrit Ivar Ekeland (d'origine norvégienne si j'en juge par le prénom et le nom de famille qui en fait le presque homonyme d'un camarade de jeu de l'oligarque Dmitry Rybolovlev...), professeur de mathématiques à l'université de Paris-Dauphine, dans un très intéressant ouvrage consacré au calcul des probabilités, Au hasard, Point Sciences n° 136, Le Seuil, Paris 1991 à propos du culte de saint Olaf Haraldsson (pp. 195 sq.):
La bataille eut lieu ce jour-là, à Stiklestad, le 29 juillet 1030, et le roi Olav y périt avec la majeure partie de son armée. Après sa mort, commença son véritable destin. Le peuple et les barons dont la coalition l'avait écrasé ne tardèrent pas à se repentir d'avoir inconsidérément abandonné la Norvège entre les mains du roi de Danemark. Ils transférèrent le corps d'Olav Haraldssøn en grande pompe dans la cathédrale de Nidaros, et allèrent chercher son fils Magnus dans son exil russe de Novgorod pour le couronner. Sa réputation de sainteté s'étendit rapidement à travers tout les pays nordiques, et son tombeau devint un des pèlerinages les plus populaires du Moyen Age. La cathédrale fut en grande partie détruite lors de la Réforme, et nul ne sait plus aujourd'hui où reposent les restes de sain Olav.
Tormod le scalde combattit sous l'enseigne du roi Olav et fut grièvement blessé à ses côtés. Il mourut ce soir-là en arrachant lui-même la flèche qui l'avait frappé. Snorri Sturlasson raconte que les barbes de la pointe ramenèrent au jour des fibres cardiaques, blanches et rouges et que Tormod dit: "Le roi nous a trop bien nourris. Les racines de mon coeur sont enrobées de graisse."
Les hommes meurent, seul l'art survit. Les thèmes du vieux cantique, le labeur quotidien et le combat singulier, la pesante habitude du présent et l'inquiète espérance de l'avenir, résonnent encore aujourd'hui. Au-dessus de la mêlée, par-delà le bruit et la fureur, s'élève comme un appel à l'harmonie du monde. C'est parce qu'ils entendent cet appel que les hommes d'Olav Haraldsson acceptent de le suivre dans un combat sans espoir.
Je ne peux que vous recommander la lecture de ce livre du professeur Ekeland, dont vous aurez pu apprécier, à la lecture du court extrait que j'ai recopié ci-dessus, avec quelle maîtrise il sait allier rigueur scientifique et style poétique et entraînant qui trouve ses racines dans la nuit des temps.
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