En guise de détente

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Modérateur : Auteurs

Catherine
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Inscription : jeu. 19 juin 2003 14:03
Localisation : Basse-Marche, France

En guise de détente

Message par Catherine »

Je ne sais pas si vous avez remarqué que les oiseaux ne chantent plus Matines depuis quelque temps. Serait-ce dû à la canicule ?
J'aimais tant les entendre, tous les matins, saluer la lumière avant son apparition.
On n'entend plus que le hibou et la tourterelle et encore celle-ci seulement une fois que le jour s'est levé.
K.
Antoine
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Inscription : mer. 18 juin 2003 22:05

Message par Antoine »

C'est très exactement depuis la matinée du 22 juin que les oiseaux ne chantent plus le matin, car les jours raccourcissent depuis cette date du solstice d'été qui a eu lieu le 21 juin à 14h12. Ils ne célèbrent donc plus la lumière qui décline peu à peu jusqu’à la kénose de l’incarnation qui devrait elle se fêter au solstice d’hiver (et non pas le 25 déc) date à partir de laquelle elle re-croîtra jusqu’au solstice d’été.

Ce qui est étonnant c'est que les oiseaux aient ainsi ratifié le nouveau calendrier, désavouant les matthéistes dans leur persistance à refuser toute correction à l'ancien qui n'est plus en accord avec la célébration par le cosmos de l'Economie divine...
Catherine
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Inscription : jeu. 19 juin 2003 14:03
Localisation : Basse-Marche, France

Ah, j'ignorais… !

Message par Catherine »

Cher Antoine, merci pour cette amusante théolornithologie; elle m'a fait bien rire.
K.
Antoine
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Inscription : mer. 18 juin 2003 22:05

Une petite histoire linguistique et estivale pour se reposer

Message par Antoine »

Nicolas Roberti-Serebriakov m'envoie ceci:
Une petite histoire linguistique et estivale pour se reposer...

LE DON AUX LANGUES DE PATELLOS ou
LE VOYAGE INTÉRIEUR D'UN SAINT


Patellos était un saint homme. A vrai dire, sauf son humilité, tout le monde était convaincu que c'était un saint tout court. Et dans ces terres chrétiennes, pieuses et hésychastes, la présence d'un homme rempli de l'Esprit-Saint enflammait l'enthousiasme du peuple et son naturel besoin d'adoration qui tout compte fait ménage un bon côté à la superstition. L'on se pressait par familles entières dans le petit ermitage de l'île de Marmellos se confesser à lui et recevoir en retour sa bénédiction. Les femmes lui ouvraient tout grand leurs rêves meurtris afin qu'il les reconduise à cette infinie puissance de consolation qui caractérise leur nature comme celle de l'homme sanctifié. Les hommes s'asseyaient sans rien dire, déroutés par cette soudaine intimité, ce contact si rapproché entre leur coeur et cet autre si éloigné de leur virilité mais pourtant tellement plus complet. Les enfants aimaient sa seule présence. Et lui aimait leur contentement si simple et si pur. "Laissez venir à moi les petits enfants !"
Son rayonnement était si grand que des pèlerins venus des lointaines terres non pieuses et hézychastes accourraient lui exposer le tissu douloureux de leur âme en recherche. Chose remarquable, fait indubitable, ils parlaient à chacun dans sa langue maternelle et, qui plus est, dans la langue de son coeur. On s'asseyait à ses côtés en silence et quelques instants plus tard sa voix douce s'élevait en levant vos contradictions les plus secrètes. Les esprits forts pouvaient toujours raffiner sur ce soi-disant "don des langues" mais se trouvaient bien embarrassés par cette intelligence du coeur. Quant aux autorités ecclésiastiques qui, même dans les choses de la foi, ont comme saint Thomas, besoin de "preuve", à leur grand étonnement et l'esprit frémissant d'exaltation, en avaient une ici. Ils le convoquèrent.
Fidèle à l'administration du corps du Christ et heureux en tout, Patellos remercia le Seigneur de ce voyage, lui qui n'avait pas fouler d'autre terre que son île depuis son pèlerinage novicial à la grotte de Sainte Eudoxie. Il se mit en route le jour suivant sa convocation, à l'aurore d'une belle matinée du mois de mai. Il partit seul, sans jeune moine ni vieil âne pour l'accompagner. Mais est-on jamais seul lorsque l'on est un Saint? Le soleil l'accompagnait sur les chemins arides. Dans sa besace, un psautier en bois d'olivier réalisé par son fils spirituel bien-aimé, trois olives composant ses trois repas et, à son poignet, un chapelet dont les grains usés comme les noyaux de sa nourriture terrestre allaient rouler sous ses doigts tout au long de la journée de marche qui le séparait de la métropole. Il marchait. L'Esprit de Dieu soufflait. "Que tes oeuvres sont grandes, Seigneur, Tu as tout créé avec sagesse !"
Le soleil de ce monde était tout prêt d'embrasser sa soeur la terre quand il parvint à Phanaton. C'était, comme tous les jours, jour de marché. Les étals des marchands éclairés par les premiers lampions mêlaient dans la chaleur encore diffuse le vol mou des premières phalènes aux saveurs pesantes des épices. Dans ces pays dominés par le soleil, royauté de ces mondes, la vie prend son envol la nuit. En cette première heure du soir tombé, choses, bêtes et hommes sentaient monter la réjouissance de la délivrance proche.
Patellos traversait en silence cette réjouissance de la délivrance, lui qui se trouvait délivré de toute jouissance. Lui qui connaissait la joie. Cette joie qui baignait de douceur son regard et illuminait son esprit. Celle qui ne procède pas d'un manque comblé mais d'un surcroît d'être...
Cela dit, cela dit, durant cette journée, comme à présent qu'il approchait de son but, une interrogation et un pressentiment sans réponse troublaient de loin en loin son esprit. En substance: que voulait-on de lui ? Il avait beau s'abîmer en prière et s'évertuer à ce que l'Esprit l'enseigne - rien ne venait. Dans un pareil cas, d'habitude, il se concentrait sur la prière de Jésus et on n'en parlait plus ; mais là il y avait ce pressentiment. Un pressentiment tenace et déroutant. Certes - il en était certain - il lui était bien inspiré par Dieu, Lui qui a tout créé. Malgré cela Patellos sentait quelque chose de peu hézychaste dans ce trouble de l'âme.
"Bon, - se dit-il, après quelques pensées, en son for intérieur très intime avec le Saint-Esprit - tu me fais des cachotteries pour que le Seigneur puisse éprouver ma foi ! O, âme de mon âme, je m'en réjouis et déjà mon trouble disparaît." Patellos gagna alors en paix la résidence de l'archevêque devant lequel il se présenta à l'heure convenue. "Heureux celui qui ne se rend pas au tribunal des impies !"
Son Eminence, calé dans son fauteuil épiscopal entouré d'évêques auxiliaires, le reçut dans le salon d'apparat avec fort égards. "J'ai beau être son supérieur hiérarchique, - pensait-il - si c'est vraiment un Saint, assurons nos arrières, ou plutôt notre au-delà." Il avait réagi comme beaucoup d'autres de son rang auraient réagi dans ces terres où l'orgueil et la puissance ne l'emportent que rarement sur la foi. Le Saint souriait. Il souriait d'amour. Car, de son côté, le pouvoir d'aimer l'emportait depuis longtemps sur l'indignation vertueuse. On le fit s'asseoir.
On lui proposa fruits, eau vanillée, friandises, mais il déclina l'invitation, ces trois repas l'ayant rassasié. Laissant la grande table aux sucreries, tous s'assirent autour de lui sur les sièges prévus à cet effet. Patellos regardait avec un étonnement confiant la petite assemblée qui l'entourait. Il n'avait jamais vu autant d'évêques réunis dans un même lieu. Il en décomptait onze, plus un curieusement habillé. Curieusement - enfin cela dépend peut-être pour qui : au lieu de porter l'habit noir et la tiare rutilante commune aux évêques hézychastes, celui-ci se montrait vêtu de pourpre avec un fin calot sur la tête. Qui plus est, son nez long à l'arrête fine et nerveuse, l'air sérieux de son visage lisse aux yeux perçants et ses trente kilos de moins ajoutaient au contraste. Les quelques raclements de gorge, destinés à souligner l'importance du sujet au cas où la situation ne l'aurait pas suffisament indiqué, et autres toussotements passés, Son Éminence en vint au sujet.
"Cher Patellos - entama l'Archevêque - je suis très honoré de recevoir celui que tout le peuple de Dieu tient pour Saint. Nous n'ignorons d'ailleurs pas que tu as reçu du Saint Esprit le don des langues. Gloire soit rendue à la sainte Pentecôte de Dieu ! (Repris en choeur mais en sourdine par l'assemblée des évêques.) Cette sainteté nous a conduits à te demander ton aide, cher Patellos. Car nous mettons en toi une grande espérance. Tu vas comprendre dans un instant. Auparavant, laisse-moi te présenter à ma droite Son Éminence le cardinal Volonte de Pouissa venu des terres d'Imperium mandaté par l'évêque de ce lieu. (Patellos, bien que peu au courant des choses de ce monde, connaissait l'existence de cet évêque qui reprenait la filiation du Christ à son compte en se proclamant la tête de l'Église.) Tu n'es pas sans savoir que nous entretenons des relations qui n'ont pas toujours été heureuses avec la chrétienté de ces terres. Tu le sais - n'est-ce pas ? Et pourquoi cela ? Pourquoi cela ? - Je te le demande. Pourquoi cela, parce que nous ne parlons pas le même langage. Hé oui, des siècles que nous tentons de communiquer sans pouvoir nous entendre ! Des siècles passés sans comprendre que nous ne parlions pas la même langue - ce qui explique que nous ne nous sommes jamais entendus bien sûr !. Heureusement, les choses pourraient se résoudre maintenant que nous avons compris d'où venaient nos difficultés. Il suffirait simplement de parler la même langue pour se comprendre et réunir ainsi nos terres respectives. Ah, mon DIeu, quel grand dessein que voilà ! Enfin nous connaîtrions la profonde liesse de célébrer ensemble la gloire de Dieu ! Le corps de l'Eglise enfin restauré dans son unité ! Hosanna ! Hosanna ! "
L'Archevêque s'arrêta après avoir redoublé avec ardeur cette dernière exhortation, laquelle fut reprise en choeur par l'assemblée mais plus du tout en sourdine. La manifestation de piété enthousiaste retombée, le brouhaha se dissipa et fit place à un profond silence, les yeux des évêques braqués avec plus ou moins d'insistance sur Patellos. Celui-ci se sentait un peu gêné. Il avait le sentiment que ses supérieurs, eux-mêmes gênés, attendait quelque chose de lui - or il ne savait pas quoi. Quelques longues secondes pesantes s'écroulèrent encore avant que l'Archevêque ne reprît :
"En fait, Patellos, - comme je te l'ai dit -nous mettons en toi notre espérance. La grande espérance ! Oui - et nous en sommes ici tous persuadés - tu es chargé par le Seigneur Notre Dieu de nous apporter l'aide nécessaire à la réunification de Notre Sainte Eglise divisée ! Ah, Patellos, gloire te soit rendue pour le miracle que tu vas permettre ! La chrétienté entière te rend grâce !... Patellos, Patellos, comprends-tu ce que la Sainte Eglise attend de toi ?"
Patellos à vrai dire n'y comprenait pas grand-chose. Et, vu que la flatterie n'avait aucune prise sur son âme dénuée d'ambition, son trouble ne faisait que croître. Après quelques minutes de méditation où il interrogeait un Esprit-Saint sourd à son invocation, il fut bien obligé de répondre par la négative.
"Patellos, mon fils - reprit l'Archevêque, pénétré d'une affection grave - le sort de l'Eglise est entre tes mains."
A ces mots, Patellos comprit que les choses ne tournaient pas rond parce que l'Église, elle est entre les mains de Dieu. Il osa exprimer sa pensée. Ce à quoi Son Éminence le cardinal Volonte de Pouissia répondit de son accent chantant : "Tou as touta fai raisonne. Tou é oune sancto hommo. Sé qoué te di touou évekou, c'est qué tou doi nou apprendere, nous transmettere lé donne dès languici di Sancti Spiriti". Pour le coup, et pour la première fois depuis la grâce reçue du Saint-Esprit, Patellos eut du mal à comprendre une langue. C'est pourquoi son coeur, ne saisissant rien à ce qui se déroulait depuis quelques minutes dans cette salle, laissa la raison reprendre les commandes de son intelligence. - Étonnante sensation de s'incarner dans un habit trop petit ! Le puzzle de la situation s'en trouva pourtant éclairé : Ils voulaient que lui, serviteur indigne, leur transmît le don du Saint-Esprit ! Sa réponse ne se fit guère attendre : " Tout ce que vous demanderez dans la prière avec foi, vous le recevrez. - répondit-il avec une docilité malicieuse - Moi, je ne peux que prier."
"Si, si, - repris le cardinal, pas dérouté pour un loukoum - si, si, mai n'oublie pa les parolesses dou l'Apotre : "Touti dè seu ki étè deveunou croyantes étè ouni et métè touti en commin. Cé ki sinifi k'il y a forsemente oune moyen dé nou lé comouniké..."
"Et songe aux bienfaits communs qui en ressortira- renchérit l'Archevêque."
"Si, si, tou doi obéire à ta Sainte Mater l'Eglisé."- conclue le cardinal.
Patellos se trouvait bien en peine de trouver une solution. D'un côté, la fidélité ordonnait à sa raison de tout tenter pour favoriser le glorieux dessein dressé par les évêques, de l'autre, la familiarité des choses de Dieu lui montrait l'inanité d'une telle requête. Insoluble dilemme - il était comme crucifié.
Pourtant, il lui fallait décider. Alors qu'en lui l'Esprit s'était absenté, à dessein - se disait-il -, il prit alors une décision qu'il exposa aux évêques. "Si un tel partage est possible selon les Saints Évangiles, et si telle est la volonté de Dieu par la vôtre exprimée, alors je me réjouis de mettre en commun ce qui m'a été donné. Laissez-moi seulement prier pour que l'Esprit descende me dicter la voie à suivre." Le souffle relâché, tous se réjouirent de cette bonne nouvelle.
L'archevêque lui offrit même de se recueillir dans sa propre chapelle privée. Patellos s'y laissa conduire tandis que les évêques demeuraient en place. Deux temps différents commencèrent alors. Une nuit mystique pour le Saint qui se retrouvait en lui-même comme dans une terre désertée au paysage absurde. Comme lorsque, jeune, il cherchait la foi mais ici, pire, en l'ayant. A la recherche de réponses alors qu'il n'y a de vérités que dans l'Esprit.
Quant aux autres, il serait malveillant de dire que l'eau vanillée, les loukoums à la rose et les fruits glacés avaient trouvé preneur, disons seulement que les évêques auxiliaires s'assirent de nouveau autour de la table à sucreries afin de faire passer l'impatience de leur esprit avec celles de leur estomac ; tandis que ces Eminences meublaient la conversation entre elles - l'imperieux anxieux de l'issue de cette affaire et l'hézychaste regrettant de ne pouvoir décemment rejoindre ses auxilliaires.
De nombreux chapelets de psaumes passés, et la table complètement nettoyée, les évêques commençaient à somnoler ferme lorsqu'un grand bruit se fit. Poussant à lui seul les deux lourds battants de la porte en acajou scultpée, un Patellos radieux fit son apparition. Il était comme plus grand, plus fort, plus lumineux - transfiguré, en un mot. Nimbé de cette aura nouvelle, il alla reprendre son siège sous le regard de toutes ces autorités médusées.
Assis comme un noble roi sur son trône, droit mais sans effort, stoïque mais sans rigidité, Patellos balayait de son regard le visage de chacun. Faute de pouvoir sonder les coeurs, allait-il sonder les reins ? Peut-être. Il savait à présent ce qui l'attendait. Il ne ressentait pas d'anxiété. La réponse au sourd pressentiment de la journée que lui avait livré l'Esprit-Saint avait emporté avec lui toute crainte humaine. Restait la crainte originelle en lui, argile spirituelle composée de respect admiratif devant l'infinie grandeur de la création et d'admiration respectueuse devant les plans de Dieu.
Dans le silence attentif, son bras gauche se tendit avec lenteur, paume tournée vers le ciel et doigts légèrement pointés, en direction de ses deux Eminences. Les évêques maintenant bien réveillés retenaient leur souffle - il y avait quelque chose d'étrange dans l'expression du Saint. "Vous, oui, vous deux, archevêque et cardinal, Éminence et Éminence, apprenez que j'ai trouvé le moyen de transmettre le don du Saint-Esprit que j'ai reçu. Sauf que ni l'un ni l'autre de vous deux ne recevra cette grâce. Sortez à présent et fermez la porte, je vais transmettre ce que vous m'avez demandé aux évêques auxiliaires ici présents qui en feront ensuite ce que Dieu voudra. Allez !"
Les deux Eminences, devant cette autorité qui n'admettait nulle réplique, se levèrent en silence et sortirent. La porte close derrière eux, l'archevêque en conclue qu'il était un bien trop grand pécheur pour être jugé digne de recevoir la grâce du Saint-Esprit, l'impérieux, quant à lui, jurait ses grands evêques qu'il ferait une patée de sa sainteté. Hé oui, parfois les choses sont aussi blanches et noires !
Que se passait-il donc à l'intérieur de ce salon de réception transformé en centrale de retraitement spirituel ? - telle était la question qui turlupinait Ses Eminences. L'extraordinaire appelant l'extraordinaire, l'imagination submergeait leur pensée de ses plus beaux atours. Bien que ces derniers fussent pour chacun de facture fort différente. L'un voyait, dans l'atmosphère douce d'une lumière mordorée, les évêques répandus en larmes autour de Patellos confesser leurs faiblesses et autres pêchés envers l'Esprit ; l'autre voyait, dans une lumière intense quasi saturée, un Patellos magistral initier les élus à sa puissance et autres secrets du métier de saint. L'un jubilait à la vue de petits angelots gras au sourire tendre, l'autre s'engouait à la vue d'un Saint Michel l'archange en tenue cuirassée. Et les angelots glorifiaient la descente du Saint qu'une volute d'encens annonçait imminente. Et de l'épée de Saint Michel jaillissait un fracas de tonnerre et d'éclairs rappelant à chacun son indignité devant la toute-puissance qui s'en venait l'investir. Ainsi nos deux éminences connurent-elles par procuration une descente du Saint-Esprit en tout point dissemblable mais également jubilatoire.
Post sanctifium, éminence triste - dit un vieux dicton séminariste : l'Esprit descendu, ils redescendirent à leur tour des montagnes exaltés de l'imagination vers les vallées obscures de la réalité. Or, aucun bruit ne filtrait de la salle. Aucune oraison n'égrenait ses notes légères. Seul le temps dilatait ses instants pesants. Au demeurant, cela faisait bien le temps d'une messe, si ce n'était d'une liturgie, que ces éminences languissaient devant la porte. N'y tenant plus, le cardinal s'empara de la poignée d'un geste décidé mais retint son poignet.
"Ne faites pas cela." - lui conseilla l'Archevêque.
Le cardinal hésitait.
"Ne faites pas cela. Vous vous en repentiriez." - renchérit ce premier.
"Taisez-vous !" constitua la seule réponse du cardinal qui tourna la poignée.
L'archevêque le vit soudainement blêmir alors même que la porte demeurait fermée.
"Que se passe-t-il ?"
Nulle réponse ne sortit de la bouche figée du cardinal qui s'était retourné vers lui.
"Mais que se passe-t-il ?"
Le cardinal restait muet.
Un instant long comme le chapelet de Saint Chronos s'écroula pesamment.
"Parlez !" - s'exclama soudain le cardinal. "Parlez ! Mais parlez donc !" - criait-t-il à l'archevêque confondu.
"Mais, mais. - bredouilla celui-ci - mais quoi."
"Je suis sourd ! - hurla le cardinal, le visage décomposé - je suis sourd, je n'entends plus rien !"
Tout son corps tremblait. Bras, jambes, buste, il tressaillait comme un pommier desséché sous l'électrochoc d'un éclair. Il tournait sur lui-même comme à la recherche d'une hypothétique sortie qui annulerait ce cauchemar.
"Mon frère, ressaisissez-vous - lui enjoignit l'Archevêque en le prenant fraternellement par l'épaule - Dieu a seulement voulu vous rappeler à l'obéissance. Calmez-vous."
Le cardinal braqua son visage mi-apeuré mi-emporté tout contre celui de l'archevêque et d'un rugissement ravalé déclara : "Mais Dieu n'existe pas, espèce d'imbécile superstitieux ! Dieu n'existe pas ! " Et, sur ces derniers mots renouvelés, il dégagea son épaule avant de s'enfuir vers son destin.
Son éminence restante se vit vivement troublée par cet épisode. Rempli de crainte, il décida de ne plus bouger d'un pouce. Il se mit en prière. Les yeux clos, retranché en lui-même, il psalmodiait la prière de Jésus : "Seigneur, Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ! Seigneur, Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ! Seigneur, Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur !"
Lentement, l'inquiétude qui nouait son âme se dissipa. Lentement, il glissa dans un état de grâce où il louait Dieu de sa grande. de sa grande prévenance, des voies infinies de sa bonté et des voies infinies de sa puissance ! Il n'avait plus peur. Au reste, il sentait qu'il n'aurait plus jamais peur. Que toute crainte et affliction procédait d'un éloignement de Dieu. A partir d'aujourd'hui - c'était décidé ! - il ne se laisserait plus retomber dans la somnolence creuse d'un épiscopat mené sans souci. D'ailleurs, il allait partir faire retraite un bon mois dans l'ermitage de Patellos. Si celui-ci voulait bien de lui, bien entendu. Ah, combien ne sera-t-il pas heureux, habillé en simple moine, marchant et priant le long du rivage de l'île de Marmellos ?! A vesprée, dans le sanctuaire encensé de rose et de jasmin de la petite église, il se confessera à Patellos qui lui répondra à lui aussi dans la langue de son coeur. Ah oui ! Quelle béatitude cela sera ! "Ah, Patellos, Patellos, grande est ta sainteté !"
Sur ces entrefaites, sans que rien n'eût semblé les actionner, les deux battants de la porte en acajou sculptée s'ouvrirent en grand. L'archevêque dont les paupières étaient demeurées closes, avait bien perçu leur soyeux glissement. Il hésitait à ouvrir les yeux. N'était-ce pas là ?oeuvre du démon pour l'induire en péché ? Mais même un Archevêque à l'âme pénétrée de desseins pieux reste naturellement curieux. Et puis, l'absence de bruit par son absence même ne laisse pas d'intriguer. Un peu inquiet, il ouvrit les yeux.
"Miracle ! Miracle ! Miracle ! - fusa de sa bouche arrondi. "Seigneur ! Seigneur ! Grand est Ton nom ! - répéta-t-il encore plus ébahi.
D'aucun l'aurait été en effet pour moins. Au milieu de la salle, à proximité de l'endroit où devait se tenir la table des sucreries, une nuée étincelante rayonnait d'une blancheur quasi-insoutenable. Quelle vision ! La salle, un silence pur et un globe de lumière. Le vide absolu et le plein non moins absolu. Plénitude du Saint-Esprit !
"Dieu aime se manifester à travers une nuée" se rappela l'Archevêque. "Grâce Lui soit rendue ainsi qu'à son fidèle serviteur Patellos ! Grâce soit rendue à toute la création, à la toute Sainte Mère de Dieu et à son fils, aux cieux et à la terre, à la lumière et tout ce qu'elle renferme !.."
Sa pensée glissa alors vers ces évêques auxilaires en train d'infuser le Saint Esprit en leur âme. Il s'en réjouit. Et rien que ce sentiment lui valut son paradis.
Mais tandis qu'il se réjouissait de la grandeur de toutes choses, une oraison s'éleva de la nuée. Doux comme le manteau de ciel de la Mère de Dieu, serein et lumineux comme son visage, se déploya un Ave Maria. Un Ave Maria, version hézychaste, coloré en plusieurs langues mais qui toutes de concert parlaient au coeur de l'Archevêque. Il se réjouit de plus belle. De plus belle et de plus belle. A l'image de la Sainte Dame. Beauté d'amour.
Mais tandis que son coeur débordait de félicité, l'éclat de la nuée se fit subitement moins soutenu. Ce qui eu pour effet d'alerter l'attention de notre bon Archevêque qui redescendit à regret de son petit nuage pourtant bien accroché au bleu manteau de la Toute-Sainte. Ses yeux commencèrent à discerner quelques formes. Un ensemble de formes humaines dont les chefs couronnés - et miroitant - ne laissaient planer aucun doute sur leurs identités. La nuée continuait à se dissiper. Brusquement, l'Ave Maria se rendit au silence. Il en conclut que la descente de l'Esprit-Saint devait être consommée. Les habits noirs, les croix, la table des friandises voyaient peu à peu leurs formes se révéler. Il ne distinguait toujours pas Patellos. Les tiares, moins scintillantes, laissaient les visages se présenter à leur tour. De glissement en éclaircissement, la nuée finit de s'évaporer. Sa conscience reprise, il ne put retenir un "Oh!" d'étonnement devant le spectacle qui s'offrait à lui.
Autour de la table, les évêques dormaient d'un sommeil de bienheureux, les paupières reposées sur leur visage rond et rassasié comme des petits bouddhas en pâte. Et sur la table, étalé de tout son long, les os bien nettoyés, le squelette de Patellos trônait en silence. Ils l'avaient mangé !
.Après quelques instants, l'Archevêque referma pensivement les deux lourds battants de la porte en acajou sculpté et tandis qu'un gargouillis égaya son estomac, il se rappela que les voies de Dieu, tout comme sa fin, étaient impénétrables.
Voilà, cher lecteur, l'histoire consommée de Patellos. Mais ce qu'elle ne vous dit pas est que, quelques années plus tard, l'ermite fut canonisé sous le nom de Saint-Patellos de Marmellos. Et qu'en peu de temps son renom atteignit les terres d'Imperium. Sous le doux nom de Saint Paté de Marmelade. Il semblerait que le cardinal Volonte de Pouissa ait joué un certain rôle dans cette singulière traduction...

Nicolas Roberti-Serebriakov
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