Canonicité territoriale

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Antoine
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Canonicité territoriale

Message par Antoine »

A la rubrique "Martinique" Girogos écrit:
Dans le fond de ce phénomène, de tout l'espectacle de ces brigands et de toutes ces « églises », il y a une seule "justification" et un seul origine: l’ecclésiologie augustinienne et papiste.
Encore une raison de plus pour la répudier!
Peut-on vraiment affirmer que l'augustinisme et le papisme sont à l'origine de tous ces schismes et création d'ecclésioles diverses? Les compromissions de l'Eglise russe avec le pouvoir par exemple ne sont elles pas plus prépondérantes dans les scissions que connaît l'Ukraine?
Que le Vatican renforce encore l'uniatisme par la transplantation du siège de son diocèse uniate à Kiev est une chose évidente, (elle montre ainsi que la notion de capitale est très importante et devrait alors se souvenir du rôle crucial qu’ a eue la transplantation de la capitale de Rome à Constantinople sous l’empire …) Mais l'orthodoxie et ses nationalismes ne devrait elle pas s'interroger sur les racines de ses maux avant d'en rejeter la responsabilité sur des idéologies qui lui sont extérieures?
Il suffit par exemple de lire les modifications que Moscou a introduites dans les statuts de l’Eglise russe. (cf. le site Internet du patriarcat de Moscou.- Une version anglaise y est également donnée)

Москва, 13 - 16 августа 2000 года
УСТАВ РУССКОЙ ПРАВОСЛАВНОЙ ЦЕРКВИ
3. Юрисдикция Русской Православной Церкви простирается на лиц православного исповедания, проживающих на канонической территории Русской Православной Церкви: в России, Украине, Белоруссии, Молдавии, Азербайджане, Казахстане, Киргизии, Латвии, Литве, Таджикистане, Туркмении, Узбекистане, Эстонии, а также на добровольно входящих в нее православных, проживающих в других странах.
. . . .
Traduit du Russe :
Moscou, les 13 au 16 août 2000
STATUTS DE L'EGLISE ORTHODOXE RUSSE
3. La juridiction de l'Eglise Orthodoxe Russe s'étend aux personnes de confession orthodoxe résidant sur le territoire canonique de l'Eglise Orthodoxe Russe, en Russie, Ukraine, Bélarus, Moldova, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Kirguizie, Létonie, Lituanie, Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan, Estonie, ainsi qu'aux orthodoxes résidant dans d'autres pays et entrant de plein gré dans cette juridiction.


Ainsi toute paroisse se trouvant en dehors du territoire canonique de l’Eglise russe pourra rejoindre cette juridiction si elle le souhaite "volontairement". (Pourquoi pas "à l'insu de son plein gré" ?) Ceci est la fin de la notion canonique d’un évêque pour un territoire donné. L’Evêque n’est plus l’évêque d’un lieu mais d’une population. L’orthodoxie locale est bafouée. Est-ce vraiment Augustin qu'il faut inculper?
Qui pourra reprocher à un patriarche de Kiev de s’autoproclamer en dehors de toute Tradition lorsque l’Eglise russe elle-même ne se réfère plus à cette Tradition et ré-invente sa propre canonicité ?
Comment Moscou pourrait-elle maintenant reprocher à une Eglise quelconque de violer son territoire canonique puisqu'elle même a détruit cette notion de canonicité territoriale?
La boite de pandore est ouverte. La canonicité n’est plus l’expression de la Tradition de l’Eglise: elle est réduite à un simple juridisme statutaire modifiable selon des critères d'assemblée. Chacun pourra établir sa propre canonicité en toute légalité. Peut-on lutter contre l'hérésie et le schisme par une autre hérésie?
Glicherie
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Message par Glicherie »

Ce qui semble sur, c'est que ces groupes, "contrefaçons" d'orthodoxie, profitent de la période de lente construction des églises locales en Occident, et des problèmes nationaux dans les nouvelles républiques slaves aspirant à l'autocéphalie, utilisent le créneau et s'inventent ainsi des raisons d'être.

Je crois que l'augustinisme et le "papisme" sont visés dans la doctrine hétérodoxe et mécaniste qu'ils donnent de la succession apostolique, ce qui permet à ces fameux "évêques vagants" de s'imaginer et se revendiquer hierarques. Les occidentaux, non familier de la théologie ortodox, se laissent pièger et peuvent ainsi croirent être dans l'Eglise Ortodoxe alors qu'ils vivent hors de tout canon, ne sont pas en communion avec les Eglises Ortodoxes, et finalement parfois ne confessent même pas la vraie foi.

Cette situation n'est pas sans liens, comme l'indique Antoine, avec le désordre canonique actuel causé par les diaspora, la multiplicité des juridictions et le non-respect de la territorialité.
Mais aussi avec une forme d'oecuménisme inhibant toute initiative d'Eglise locale pour ne pas froisser Rome, et provoque d'apparentes compromissions: nous retrouvons là surement l'une des raisons d'être du schisme vieux-calenderiste, ainsi que le refus probable par les "vco" de voir l'Eglise engloutie par la société de consomation qui s'étend désormais dangereusement à l'Est, dont le résultat sera des pays laïcs et relativistes, indifférent à l'Orthodoxie qui appartiendra "à la sphère privée".

Néanmoins, ces groupes et communautés pseudo-orthodoxes (non les vco sont de foi ortodox), malgré souvent leur caractère anecdotique, ralentissent encore je crois le processus d'établissement de l'Eglise locale, en jouant le rôle d'épouvantails par les scandales, les déviances ou l'intégrisme qu'ils véhiculent la plupart du temps. Ne négligeons pas d'informer sur le fait qu'ils ne sont pas dans l'Eglise Orthodoxe.

Ils n'en sont pas moins porteur pour nous de sens, et nous servent de miroir de nos insuffisances, d'une certaine manière.
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Antoine a écrit :Ainsi toute paroisse se trouvant en dehors du territoire canonique de l’Eglise russe pourra rejoindre cette juridiction si elle le souhaite "volontairement". (Pourquoi pas "à l'insu de son plein gré" ?) Ceci est la fin de la notion canonique d’un évêque pour un territoire donné. L’Evêque n’est plus l’évêque d’un lieu mais d’une population. L’orthodoxie locale est bafouée.
La question n'est pas entièrement nouvelle. Elle s'est posée pour l'Eglise celtique (pas l'ecclésiole actuelle, celle d'Irlande, Britannia et Scotia avant sa destruction par Rome) à deux reprises. La première, lors de l'évangélisation de l'Irlande dont la population, semi-nomade, n'avait de "villes" que les points de rassemblement saisonnier et de "fixe" que les hivernages familiaux. La solution trouvée était astucieuse, même si elle a fait hurler les sédentaires de l'empire : des monastères fixés avec des abbés-évêques, et des évêques itinérants accompagnant leur peuple. Résultat, les monastères ont attiré des paysans et des artisans, et sont devenus le germe des villes irlandaises ultérieures (enfin, des plus anciennes). Mais la population de l'Irlande, prise comme un tout, était culturellement homogène.
Cette question s'est reposée aux VIe-VIIe siècles lorsque l'Irlande forte de son rayonnement chrétien a envoyé des missionnaires dans l'ancien empire d'occident devenu un patchwork de royaumes germaniques. Elle a été résolue, là encore, avec finesse: les moines gardaient leurs usages, les évêques itinérants allaient convertir les païens des campagnes, mais en respectant toujours l'autorité de l'évêque du lieu. Et, là encore, il a fini par se produire une sédentarisation de ces missionnaires, d'où la fondation de nouveaux diocèses.
C'est intéressant dans la mesure où les évêques dits "de diaspora" chez nous sont presque dans la situation des Irlandais d'époque, sauf... sauf qu'ils ne pensent pas être là pour convertir les autochtones et c'est là que le bât blesse. Ils suivent leur peuple en nomadisation, pardon en migration, sans autre perspective. A ce sujet, la reprise d'un flux migratoire économique en provenance de Russie, d'Ukraine, de Roumanie, etc., n'arrange rien et surtout pas la question linguistique.
Quant à la tentation, pour des clercs en bisbille avec leur évêque, de passer chez le voisin, elle n'est pas d'hier sinon il n'y aurait pas eu tant de canons interdisant de les accueillir ! Presque à tous les conciles, non ? Mais il est sûr que la glissade juridictionnelle est facilitée quand on n'a qu'un quart d'heure de métro pour aller voir un autre évêque (ou même une heure de voiture, le téléphone et une poste qui marche).
L'augustinisme n'a pas grand chose à voir dans tout ça. Il suffit qu'un petit synode soit trop content de récupérer une mitre ou même une paroisse qui fera toujours quelques généreux donateurs de plus, et passez muscade.
Par contre les interférences de la politique, la géopolitique tout court, même pas ecclésiastique, sont redoutables dans ces affaires. C'est tout le sens, à mon avis, de la proposition russe d'omophore en forme de parasol extensible. J'ai lu aujourd'hui sur le site de l'agence Tass que Moscou se propose comme fournisseur pour l'Europe d'un parapluie de missiles à moyenne portée. La réponse de l'UE n'est pas encore disponible mais si Tass publie, c'est qu'il y a eu des oreilles pour entendre et qu'un débat est en cours.
Aujourd'hui, les USA soutiennent d'une main le gouvernement turc pour affaiblir l'Europe et de l'autre le Phanar contre la Russie. Et le Phanar a hélas besoin de ce soutien pour survivre dans une Turquie de plus en plus islamisante. En miroir, le patriarcat de Moscou soutient Poutine. Et Poutine a compris qu'une alliance avec la Chine seule serait insuffisante, raménerait seulement la guerre froide et peut-être chaude, d'où sa campagne de charme envers l'Europe.
Malheureusement, ces enjeux géopolitiques se répercutent là où ils n'auraient rien à faire : dans l'Eglise. Ce n'est pas non plus une nouveauté absolue d'un point de vue historique.
Il n'y a rien de plus à faire que de rappeler les canons.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Antoine
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Message par Antoine »

Il n'y a rien de plus à faire que de rappeler les canons
Oui, les canons sur la territorialité par exemple...[/quote]
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

ben, c'est bien à ceux là que je pensais...
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GIORGOS
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Message par GIORGOS »

Antoine écrit :
Citation de Giorgos :
Dans le fond de ce phénomène, de tout l'espectacle de ces brigands et de toutes ces « églises », il y a une seule "justification" et un seul origine: l’ecclésiologie augustinienne et papiste.
Encore une raison de plus pour la répudier!
Antoine écrit:
Peut-on vraiment affirmer que l'augustinisme et le papisme sont à l'origine de tous ces schismes et création d'ecclésioles diverses?
Mais oui ! Glicherie l’a compris très bien et l’a exprimé bien meilleur que moi. Merci.


Je ne crois pas qu’il faut faire de l’amalgame des ecclésioles et des vagantes, avec des diocèses nationaux de l’ Eglise Orthodoxe (au delà de ses conduites douteuses et de sa dogmatique flou).
Le neo-papisme moscovite et phanariote n’a pas son origine dans la théologie augustinienne ni (dans un sens strict) dans l’ecclesiologie papiste.
Ce neo-papisme semble être plus proche de l’imitation des politiques du prince du Vatican. C'est à dire la recherche du prestige et du pouvoir. Et là, je vois bien les conclusions de Anne-Geneviève.
Dernière modification par GIORGOS le jeu. 01 sept. 2005 2:52, modifié 1 fois.
Giorgos
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Antoine
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Message par Antoine »

La situation de l'Eglise Russe est-elle comparable à celle de l'Eglise celtique dont parle Géneviève. La modification philéthiste des statuts de Moscou a-t-elle pour finalité un accompagnement d'un peuple nomade? En quoi les russes immigrés depuis la révolution sont-ils des nomades. Un nomade n'est pas quelqu'un qui change de sédentarisation il me semble.
Les nouveaux statuts permettent à n'importe quelle paroisse de n'importe quelle juridiction de se rattacher à Moscou "volontairement" fût-elle déjà rattachée à un autre patriarcat. Cela ne concerne pas que des paroisses d'origine russe.
Si la question n'est pas nouvelle comme l'écrit Gèneviève, la situation créée, elle, l'est complètement. Pourquoi modifier ses statuts jusqu'à les rendre anti canoniques, si c'est pour régler une situation simplement provisoire. La modification récente des statuts était-elle une nécéssité absolue pour faire face à la situation actuelle de l'orthodoxie en occident? Ne pouvait -on pas conserver la notion de canonicité territoriale tout en résorbant petit à petit les conséquences d'une émigration historique? La solution n'est-elle pas la création de l' Eglise Locale telle que prévue par les canons?
Il y a un détournement statutaire des canons, ratifié par l'ensemble des évêques russes réunis en assemblée et cela n'a rien non plus de néo-papiste, ni dans la forme ni dans le contenu. Il s'agit bel et bien d'une hérésie ecclésiologique qui touche toute une Eglise patriarcale et non pas seulement la personne unique d'un patriarche.
Giorgos, la conclusion de Géneviève était : <<Il n'y a rien de plus à faire que de rappeler les canons>> Ce à quoi j'ai répondu: "
<<Oui, les canons sur la territorialité par exemple...>>
Et elle a acquiescé: <<ben, c'est bien à ceux là que je pensais...>>
Si toutes les Eglises orthodoxes suivent la même voie anti canonique alors l'éclatement de l'orthodoxie sera pire que ce qu'il n'a jamais été. Ces nouveaux statuts permettent tous les schismes: la foi sans l'Eglise n'existe pas.
Antoine
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Message par Antoine »

Glicherie a écrit :Je crois que l'augustinisme et le "papisme" sont visés dans la doctrine hétérodoxe et mécaniste qu'ils donnent de la succession apostolique, ce qui permet à ces fameux "évêques vagants" de s'imaginer et se revendiquer hierarques.
Alors quand l'Eglise orthodoxe a-t-elle récusé à Rome sa succession apostolique? Quand l'Eglise orthodoxe a-t-elle refusé de reconnaître aux évêques latins leurs prérogatives épiscopales?

Pour mémoire:

Principes fondamentaux régissant les relations
de l'Église orthodoxe russe avec l'hétérodoxie

Document de l'Assemblée extraordinaire jubilaire de l'Église orthodoxe russe sur le dialogue oecuménique

Sur convocation du Patriarche Alexis II, les 148 évêques, avec le responsable de l'Église autonome du Japon, se sont retrouvés à Moscou, du 13 au 16 août 2000, pour un Synode exceptionnel de l'Église orthodoxe russe.

Et voici en entier le paragraphe des annexes qui détaillent le type de relations à établir selon le type d'hétérodoxie:

Relations avec l'Église catholique romaine

Le dialogue avec l'Église catholique romaine s'est fondé et doit rester fondé à l'avenir en tenant compte du fait qu'elle est une Église dans laquelle s'est maintenue la succession apostolique des ordinations. En même temps il apparaît indispensable de prendre en considération le caractère du développement des bases doctrinales et de l'ethos de l'Église catholique romaine qui va assez souvent à l'encontre de la Tradition et de l'expérience spirituelle de l'Église Ancienne.
La dialogue théologique avec l'Église catholique romaine doit se poursuivre parallèlement avec l'examen des problèmes les plus considérables affectant les relations bilatérales. Le sujet le plus important aujourd'hui demeure celui des Uniates et du prosélytisme.
À l'heure actuelle et dans le futur proche, une des formes de collaboration les plus prometteuses avec l'Église catholique romaine est l'affermissement des liens régionaux existants avec les diocèses et les paroisses catholiques. Une autre forme de collaboration pourrait être de créer ou de développer les liens existant déjà avec les Conférences épiscopales catholiques.


Vous avez dit doctrine hétérodoxe et mécaniste de la succession??
Qui a signé??
Autre question : Une succession apostolique réelle peut-elle être concommittante à une invalidité sacramentelle?
J'en perds mon slavon! Comme dit Géneviève: On ne peut que rappeler les canons n'est-ce pas...En attendant on nous fait prendre nos vessies pour des encensoirs.
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

J'ai apporté des compléments à la première édition de mon message. Voir ci-dessous.
Dernière modification par Jean-Louis Palierne le mer. 31 août 2005 11:54, modifié 1 fois.
Jean-Louis Palierne
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Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Après relecture j'ai apporté quelques compléments à la première édition de mon message.

Si la présence d’un évêque est au cœur de la vie ecclésiale, ce n’est pas parce que les chrétiens des premiers temps ont inventé cette solution pour s’organiser, c’est parce que l’Église a reçu de son Fondateur le saint Mystère de l’ordination épiscopale qui est à la fois le centre (le président) de l’assemblée eucharistique locale et membre d’un synode provincial . Sous ces deux aspects le ministère de l’évêque a nécessairement une dimension spatiale, et l’Église, par ses canons, a toujours affirmé la nécessité de cette organisation à deux degrés : l’évêque président de l’Église d’un territoire donné, et membre du synode d’une circonscription bien déterminée. C’est dans le cadre de l’Église locale, placée sous la présidence d’un évêque, que l’on peut trouver la totalité des charismes de l’Église, les prêtres et les diacres, le peuple royal et les moines..

Lier la “juridiction” épiscopale à l’appartenance à une ethnie est en soi une trahison de la Tradition canonique de l’Église. La superposition de plusieurs “juridictions” épiscopales sur un même territoire est une absurdité formellement et fermement prohibée dans les canons ; cette interdiction a été renouvelée au sulet du schisme bulgare, et la théorie de “l’ethnophylétisme” condamnée. Cependant peu de temps après cette condamnation, la pratique de la superposition prit une ampleur sans précedent au sein de l'Église orthodoxe.

On peut remarquer que la pratique de la superposition des “juridictions” épiscopales sur un même territoire a été inaugurée par l’Église latine lorsque, au cours des Croisades, elle a créé des Églises latines dans les principautés latines d’Orient, c’est-à-dire les territoires qui venaient d’être conquis par les Croisés, où existaient des Églises locales de tradition grecque (dont les Croisés ne niaient pas l’existence). Formellement, c’est la juxtaposition de “rites” différents qui était considérée comme la justification de cette juxtaposition aberrante. (en réalité les considérations stratégiques et la haine “des Grecs” l’emportaient largement, comme le prouve le bain de sang, le massacre de la foule des chrétiens locaux réfugiés dans la Basilique de la Résurrection, devant le tombeau du Seigneur, massacre perpétré par les Croisés latins lorsqu’ils prirent Jérusalem).

De semblables juxtapositions avaient déjà existé dans l’Antiquité, chaque fois qu’une hérésie prenait suffisamment d’importance pour éprouver le besoin d’organiser des diocèses sur un territoire où existaient déjà des diocèses orthodoxes. Par exemple les Ariens, puis les Donatistes. Lorsque l’Église d’Afrique s’efforça de rallier les donatistes, elle dut affronter le difficile de la coexistence de deux hiérarchies. Les décrets du Concile provincial de Carthage témoignent des grandes difficultés qu’elle dut alors surmonter (ils sont intégrés dans le Recueil officiel des canons de l’Église orthodoxe).

La pratique de la juxtaposition de communautés chrétiennes distinctes sur un même territoire a été reprise et étendue lorsque se sont fondées des communautés réformées dissidentes. C’est alors qu’est apparue la pratique (elle aussi anti-canonique) de donner des qualificatifs aux Églises : Église vaudoise, Église réformée, Église luthérienne, Église anglicane etc, à côté de l’Église catholique).

Enfin avec l’apparition des États-nations au XIXème siècle sont apparues au sein de l’Église orthodoxe des Églises-nations, tellement liées aux Nations correspondantes qu’elles qu’elles se mirent à considérer qu’elles devaient considérer les émigrés comme une “diaspora” relevant toujours de l’Église-Mère. Ce sont ces mêmes Églises-Nations qui ont également adopté le principe de se doter de “chartes statutaires” destinées dans leur esprit à remplacer la Tradition canonique de l’Église universelle, pour mieux affirmer l’indépendance de chaque “Église-Nation”. Deux de ces Églises-Nations au moins ont inscrit noir sur blanc dans leurs statuts le principe selon lequel la “diaspora” continuerait à faire partie de l’Église-mère : ce sont l’Église de Chypre et celle de Russie, comme Antoine vient de le rappeler.

La Tradition canonique de l’Église orthodoxe est tout autre : les chrétiens orthodoxes issus de diverses nations de tradition orthodoxe, mais émigrés dans un territoire quel qu'il soit, doivent former une Église orthodoxe locale unique (supra-ethnique bien sûr), et de telles Églises dans diverses régions proches doivent former une métropole orthodoxe pour pouvoir accéder à l’autonomie qui est le statut canonique normal des Églises locales orthodoxes (supra-ethniques également). Ce fut la pratique de l'Église orthodoxe dix-huit siècles durant. Elle a été bafouée du fait à la fois de l'apparition des États-Nations nés de la fragmentation des Empires, et aussi des migrations de populations engendrées au XXème siècle par les bouleversements politiques et économiques.

Nous sommes apparemment très loin aujourd'hui des canons de la Tradition orthodoxe, ce qui veut dire que la situation canonique de l’Orthodoxie (universelle) est bien triste. Mais nous ne devons pas désespérer, car la Grâce divine est bien plus puissantes que les idéologies humaines, si aberrantes soient-elles; Nous le chantons chaque année au début des Vigiles de la Résurrection : Que Dieu se lève, et ses ennemis seront dispersés…

C’est la situation canonique aberrante actuelle qui explique la multiplication des ecclésioles fantaistes. Mais il est vrai que cette multiplication est facilitée par la Tradition latine qui veut que les “ordres ecclésiastiques” puissent se répandre par des ordinations fantaisistes. Les évêques "vagans" qui se multiplient dans l'univers occidental admettent en fait sur ce point les théories latines. C’est ici qu’interviennent l’augustinisme et sa vision mécaniste des sacrements.

Il y a cinquante ans les fondateurs d’ecclésioles cherchaient plutôt à “décrocher” des ordinations auprès d’évêques vagabonds de tradition latine. Il y avait une soi-disante succession d’Utrecht, une soi-disante succession des Malabars etc. La mode a évolué (et c’est très révélateur) et maintenant on recherche une tradition d’allure orthodoxe. Maintenant même on cherche à constituer des “synodes” de pacotille. Si farfelus que soient ces synodes, on notera tout de même un progrès, un rapprochement avec l'ordre canonique. On peut bien sûr critiquer ces personnages et leurs ambitions puériles, mais il faut aussi voir l’évolution des modes et ce qu’elle nous apprend sur une évolution beaucoup plus profonde dans la clientèle à laquelle ils s’adressent.

Reste que l'Église orthodoxe (maintenant je parle de la seule et vraie, et canonique) faillit à ses devoirs et à ses exigences canoniques temporelles. Je reçois l’Église orthodoxe telle qu’elle se présente de nos jours, faiblesses comprises. Je ne m’intéresse pas aux ecclésioles, VCO compris (qui sont tout de même un peu autre chose). Je crois aussi que les Églises ethniques des pays de tradition orthodoxe peuvent peu à peu franchir des étapes qui se rapprocheront de la situation canonique.

Encore un point : l’Église orthodoxe n’a jamais déclaré officiellement que l’Église catholique est en situation de schisme. Il y a seulement rupture de communion. Nous pouvons certes penser (personnellement je pense) que l’organisation religieuse qui prétend au titre d’Église catholique-romaine a malheureusement de plus en plus glissé vers le pire, que sa situation s’est donc beaucoup aggravée, que le papisme a accru considérablement son emprise sur ce qui avait longtemps été des Églises nationales (en particulier en écrasant le gallicanisme) et qu’il y a donc maintenant schisme, et même beaucoup plus. Et je vois aussi que l’Église catholique est actuellement en chute libre, ce qui est la conséquence naturelle de ce schisme.

Mais ce n’est qu’une opinion personnelle, et je ne prétends pas me substituer à l’Église universelle. En tout cas je ne vois pas comment il pourrait y avoir une forme de “collaboration fructueuse” entre l’Église orthodoxe et l’Église catholique. Et le fait que l’Église catholique ait conservé des listes de succession épiscopales qui la rattachent à l’antique Église orthodoxe, n’apporte plus rien, tant est profonde l'errance doctrinale de cette "Église". Les termes qu'emploie le Patriarcat de Moscou ne recouvrent en faut qu'une tentative de négociations diplomatiques "au sommet", et l'abandon de tout travail "à la base" (c'est-à-dire de tout travail d'évangélisation des masses d'occident).

Ce qui fait l’originalité du schisme catholique à côté de tant d’autres hérésies qui l’ont précédé, c’est qu’il s’agit d’un processus initié bien avant la rupture formelle du Filioque, qui a vécu en s’élargissant progressivement, et qui a formé toute une civilisation, toute une culture qui se croit alternative à la Tradition de la Vérité, c’est-à-dire la Tradition orthodoxe. Mais il a en fait approfondi sa rupture avec la Vérité. C’est tout un ensemble de cultures qui s’est ainsi formé, un complexe de mentalités, de philosophies, de systèmes juridiques et économiques, qui se présente comme la voie et la voix de la normalité. Mais je crois aussi que la grande crise spirituelle qui couve et qui s’approche, est une bulle qui va éclater. Après le passage du cyclone, comme après le passage de Katrina, on évaluera les dégats.
Jean-Louis Palierne
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Glicherie
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Message par Glicherie »

Jean-Louis, votre analyse me semble vraiment pertinente. Mais ce que j'ai du mal à comprendre, c'est la relation avec l'Eglise catholique romaine: il n'y aurait pas de schisme ? Les russes reconnaitraient la validité des ordres ?

Pourquoi alors, lors d'une conversion, l'on chrisme ou ("re") baptise le catéchumène ?

Les prêtres catholiques devenant ortodoxes ne sont ils pas ("re") ordonnés ? Le père Guetté par exemple ?

Comment la succession apostolique peut-elle validement se transmettre lorsque la confession de la foi est altérée ?

Le pas de l'établissement d'une Eglise Orthodoxe locale en Occident a déja été franchi, et par l'Eglise Russe, aux USA. Comment Rome ne pourrait elle y voir le message que l'Eglise Orthodoxe ne la reconnait pas comme l'Eglise ? Sommes nous là aussi bêtement coincé par le territorialisme canonique: les USA ne sont pas dans la juridiction de Rome établi par les canons, donc on peut y faire une Eglise Ortodoxe ?
Antoine
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Message par Antoine »

Comment la succession apostolique peut-elle validement se transmettre lorsque la confession de la foi est altérée ?
La question est plutôt: comment l'Eglise Russe peut-elle reconnaître une succession apostolique et une validité sacramentelle aux catholiques romains et professer en même temps dans le même document que l'Eglise Orthodoxe est la seule et unique véritable Eglise du Christ?
Et là vous pouvez toujours chercher une réponse dans de l' Augustinisme et du néo papisme, mais il vaudrait mieux que l'orthodoxie se confectionne un gros balai...
Glicherie
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Message par Glicherie »

Là je reconnais être dépassé !

C'est en effet incohérent, et dans ce cas, effectivement, si l'Eglise Russe reconnait les ordres romains, les sacrements catholiques doivent par conséquent être aussi valables...donc l'Eglise Catholique Romaine est Orthodoxe ? Puisque le Christ y est présent dans les sacrements par l'Esprit Saint!

Mais alors pourquoi chrismer les converts romains qui viennent dans l'Eglise Russe ?

Et au fond, comment peut on dire qu'une Eglise ayant modifié tant la foi (filioque, etc...) que l'ecclesiologie (papisme) possède la Grâce ?

Je comprend que vous en perdiez votre slavon.
Jean-Marc
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Message par Jean-Marc »

Il me semble que, dans l'Eglise russe (P. de Moscou), les convertis venant du catholicisme romain sont accueillis par profession de foi solennelle. La rechrismation est de mise dans d'autres patriarcats et le rebaptême dans l'Eglise grecque (Arch. d'Athènes)
Antoine
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Message par Antoine »

Ce n'est pas aussi uniforme que cela mais ça ne change rien à la question.
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