question importante : les sacres ?

Échangez vos idées librement ici

Modérateur : Auteurs

Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Message par Claude le Liseur »

Chers Eliazar et Madeleine,

Vous pouvez faire commémorer des défunts chrétiens hétérodoxes dans le cadre d'une pannychide. Mais c'est vrai que cela ne marcherait pas dans le cadre d'une parastase (et n'aurait aucun sens, d'ailleurs). Mais je ne vois pas que cela pose problème: avec la pannychide, vous avez bien une prière de l'Eglise pour vos défunts.

Dans beaucoup de paroisses et de communautés orthodoxes en Europe occidentale, on vous fournira les dyptiques pour les morts avec une partie pour les orthodoxes et une partie pour les hétérodoxes.

A ma connaissance, c'est simplement lors de la prothèse que l'on doit faire une distinction entre les défunts orthodoxes et hétérodoxes (et encore tout le monde ne le fait pas).

Je fais célébrer depuis des années des pannychides pour les morts de ma famille, et cela n'a jamais posé de problème.

Quant aux hétérodoxes qui viennent de trépasser, vous savez que les Eglises de Constantinople et de Grèce ont depuis le XIXe siècle un office spécial pour l'enterrement par un prêtre orthodoxe des défunts chrétiens hétérodoxes qui n'ont pas pu ou pas voulu avoir recours à un ministre de leur confession pour leur enterrement. C'est un office moins complet que celui pour l'enterrement d'un orthodoxe, mais qui en reprend les grandes lignes. Il est vrai que, l'oecuménisme au nom trompeur aboutissant à une dégradation constante des relations entre chrétiens séparés, cet office est en train de tomber en désuétude.

Il reste toujours la possibilité de faire dire des prières pour un hétérodoxe qui vient de défunter. Le livre de l'archiprêtre Polsky sur les nouveaux martyrs de Russie (que je n'ai pas sous la main ici) contient un récit émouvant du martyre d'un lecteur d'Eglise, dans le sud de l'Ukraine, assassiné par les communistes parce qu'il avait lu les prières pour le repos de l'âme d'un soldat français qui venait de décéder. (C'était à l'époque, hiver 1918-1919, où il y avait une petite armée française qui avait débarqué à Odessa et que l'on dut évacuer après quelques combats à cause de la trahison d'André Marty et autres prétendus "mutins de la mer Noire".)
Dernière modification par Claude le Liseur le mar. 10 janv. 2006 22:25, modifié 1 fois.
eliazar
Messages : 806
Inscription : jeu. 19 juin 2003 11:02
Localisation : NICE

question importante : les sacres?

Message par eliazar »

Cher Claude,

Comment te remercier ?

Je suis d'autant plus touché que tu cite cette "petite armée française" que mon parrain (qui après la mort de mon père, nous a recueillis, ma mère et moi, et m'a élevé comme le fils qu'il n'avait pas eu) en a fait partie.

L'histoire étant ce qu'elle est, hélas, les survivants (qui durent regagner la France par leurs propres moyens et dans des conditions rocambolesques) arrivèrent en piteux état à Nice pour apprendre qu'ils étaient portés déserteurs - les officiers qui les avaient recrutés dans la caserne où ils attendaient leur feuille de démobilisation, en 1918, et qui s'étaient bien gardés de les accompagner à ce nouveau casse-pipes refusant absolument de le reconnaître.

Mon Parrain, grand gazé, devait mourir dans de grandes et longues souffrances en 1938 : il était toujours classé déserteur, et s'est vu refuser toute mise en disponibilité en cas de guerre ... ceci jusqu'en 1937, six mois avant sa mort ! Il était alité depuis plusieurs années.
< Demeurons dans la Joie. Prions sans cesse. Rendons grâce en tout... N'éteignons pas l'Esprit ! >
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Message par Claude le Liseur »

milano a écrit :Concernant ce "Rev. Anthony Chadwick", il a un parcours particulièrmeent tumultueux comme de trop nombreux "ecclésiastiques" en free lance. Il a revendiqué très longtemps une filiation catholique traditionnaliste (il a été ordonné par un évêque brésilien dont le nom m'échappe).
Il disait ceci sur un autre forum :

Bonjour,

Je viens de m'inscrire au Club. Je suis un prêtre [/i]chrétien en Vendée, d'origine anglaise mais établi depuis longtemps en France. Je me suis éloigné il y a longtemps des milieux intégristes, mais je continue à célébrer la messe latine. En effet, je m'intéresse à l'Orthodoxie sous certaines [/i]conditions.[/i]Je suis chrétien, mais je suis ouvert aux autres philosophies et aux "religions à mystères" qui ont préparé l'avènement du Christ.

Espérant que je puisse porter une contribution positive aux dialogues.

Vous pouvez consulter mon site web en cliquant sur le lien ci-dessus.

Cordialement,

Père Anthony Chadwick


Un peu plus tard, il disait cela :
Merci à celui qui a posté ce message envoyé à un autre forum. J'ai plus de vingt ans des querrels de clocher entre les différentes sortes de catholiques traditionalistes. Je suis un ancien de l'Institut du Christ Roi, comme beaucoup d'autres sociétés cléricales qui puent l'élitisme et l'hypocrisie.

C'est pour cela qu'il faut faire la distinction entre ce qu'il faut garder - la tradition liturgique et les grands dogmes des conciles - et ce qu'il faut laisser pourrir dans son coin: le légalisme, le moralisme et tous les détournements dans la théologie et le rôle du pape surtout depuis 1870, la vraie cause de Vatican II et ce que nous connaissons aujourd'hui.

Je propose les semences d'un nouvel élan de la vie liturgique du rite romain classique:

1. Se débarasser des réformes des années 1950 et le "pastoralisme" qui va avec tout ce qui pue,

2. Trouver la sympathie auprès d'un évêque orthodoxe russe pour nous faire accepter avec notre rite.

S'il y en a qui veulent se lancer dans une nouvelle vision où il y a l'avenir du christianisme sacramentel, n'hésitez pas me contacter.

Site web pour les "moins initiés": http://romanliturgy.net/trad_messe.html

Pour ce qui sont prêts à manger de la viande: http://latinitas-orthodoxa.org/

Un saint temps de la Passion à vous tous.

Père Anthony Chadwick


Cela donne pas mal de renseignements...
Il a été rattaché pendant un temps à l'Eglise orthodoxe ukrainienne autocéphale (dénomination approximative) dont le "représentant" en France est "Monseigneur" Monsolve, en Corrèze. Cette ecclésiole se dit rattaché à un patriarche (absolument pas canonique) en Ukraine et une mission avec quelques évêques aux USA.
On se demande ce qu'un catholique traditionnaliste faisait dans cette galère... pour devenir un peu plus tard anglican traditionnaliste... après être passé par un groupe orthodoxe pas du tout traditionnaliste ! Il va sans dire que le monastère dont il se prévalait en Vendée était habité par ... lui seul !!!
Pour l'instant, il s'installe en Normandie pour une Mission anglicane traditionnelle.
Milano,

Je suis toujours admiratif devant vos connaissances des innombrables ecclésioles ukrainiennes (ou se disant telles) et de leurs membres.
Je confesse m'être totalement trompé à propos du père Anthony. Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa! La page du blog que j'avais parcourue donnait vraiment l'impression d'un prêtre catholique romain et je me disais que cela me réconfortait vraiment des Oustachis virtuels (fussent-ils belges ou québécois) qui se sont succédé sur notre forum pour défendre cette confession d'une manière fort peu convaincante. J'étais donc loin du compte.
Si cet honorable ecclésiastique s'intéresse à l'Orthodoxie seulement "sous certaines conditions", dont je crains qu'elles ne soient celles de Palmer au XIXe siècle, il court le risque d'être déçu. L'Eglise du Christ n'est pas un club et on est avec Lui dans Son Eglise ou pas. En revanche, si sa condition porte seulement sur le maintien du rite latin, ce n'est pas un problème. Le fait que l'existence de paroisses orthodoxes de rite latin (avec au moins suppression du Filioque, insertion de l'épiclèse et communion sous les deux espèces) soit judicieuse ou non est une autre question que celle de leur licéité. Or, sur ce dernier point, l'utilisation du rite tridentin ou anglican traditionnel (sous réserve des corrections que je viens de mentionner) est admise dans l'Orthodoxie depuis plus d'un siècle.
Mais le Révérend Chadwick rencontrerait à l'heure actuelle plus d'écho dans le patriarcat d'Antioche (qui a une expérience continue de paroisses de ce type depuis près de 50 ans) que dans celui de Moscou (qui a abrité des paroisses de rite latin dans les années 1950, mais ne semble plus en avoir aujourd'hui).
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Message par Claude le Liseur »

lecteur Claude a écrit : Il reste toujours la possibilité de faire dire des prières pour un hétérodoxe qui vient de défunter. Le livre de l'archiprêtre Polsky sur les nouveaux martyrs de Russie (que je n'ai pas sous la main ici) contient un récit émouvant du martyre d'un lecteur d'Eglise, dans le sud de l'Ukraine, assassiné par les communistes parce qu'il avait lu les prières pour le repos de l'âme d'un soldat français qui venait de décéder. (C'était à l'époque, hiver 1918-1919, où il y avait une petite armée française qui avait débarqué à Odessa et que l'on dut évacuer après quelques combats à cause de la trahison d'André Marty et autres prétendus "mutins de la mer Noire".)
J'ai, avec quelque difficulté, retrouvé le passage du livre de l'archiprêtre Polsky qui raconte cette histoire.

"Le lecteur d'Eglise de la paroisse de Séletsky, Athanase SMIRNOV, fusillé pour avoir célébré des prières de requiem pour un soldat français décédé."

(Archiprêtre Michel Polsky, Les nouveaux martyrs de la terre russe, traduit et adapté du russe par Marie Ellenberger-Romensky, Editions Resiac, Montsurs 1976, p. 222).

Voilà, un nom tiré de l'oubli, un martyr parmi tant d'autres. On imagine combien il a été difficile d'établir ces listes alors que la persécution continuait. Voici un homme dont personne d'entre nous n'aurait appris le nom sans le livre de l'archiprêtre Polsky, fusillé par les communistes pour avoir dit les prières pour un mort. (Ce qui montre au passage que l'on peut dire les prières de "requiem" - il s'agit sans doute d'une pannychide -pour un hétérodoxe décédé.)

Je reconnais que rien dans le texte n'indique que ce village se trouvait dans le sud de l'Ukraine, mais le martyre du lecteur Athanase est daté d'avant avril 1919 et, à ce moment, je ne vois pas où cela aurait pu se passer ailleurs que dans la région d'Odessa où avait débarqué ce contingent français. (L'autre contingent français, beaucoup plus réduit, se trouvait à Vladivostok, à plusieurs milliers de kilomètres de toute zone de combats.)

N.B.: Pour notre ami Tichon s'il nous lit encore, voilà une autre catégorie du clergé: le martyr Athanase Smirnov était lecteur (en grec αναγνώστης, en russe чтеџ, en roumain citeţ ), le premier degré de la hiérarchie ecclésiastique.
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Message par Claude le Liseur »

Le site Religioscope de notre frère Jean-François Mayer avait publié en octobre 2003 un entretien avec deux universitaires spécialistes de la "Petite Eglise " (les Anticoncordataires, les Blancs, les Purs, les Elus). Je pense que cet entretien fournira un utile contrepoint aux extraits que j'ai cités du roman de l'écrivain rouerguat Jean Boudou, qui décrivait, lui, l'agonie d'un petit groupe d'anticoncordataires dans le Ségala.

Cet entretien me paraît intéressant pour les orthodoxes, à plus d'un titre:
-Pour les deux universitaires, la crise concordataire serait à l'origine du malaise du catholicisme français et belge. Cela pourrait expliquer pourquoi notre forum est attaqué avec tant de violence par des ktos français ou belges, alors que nous n'aurions pas les mêmes problèmes avec leurs coreligionnaires suisses (même francophones), néerlandais ou allemands.
-On notera que la vie religieuse des anticoncordataires, continuation de la spiritualité de l'Eglise gallicane d'avant 1790, présente des similitudes avec celle des orthodoxes d'aujourd'hui: offices en langue vernaculaire et pas dans une langue prétendue sacrée, jeûnes beaucoup plus nombreux que dans l'Eglise concordataire.
- La "Petite Eglise" de France et de Belgique ressemble de manière troublante aux groupes les plus modérés des Vieux-Croyants sans prêtres de Russie, c'est-à-dire ni aux groupes qui recrutaient des prêtres orthodoxes pour leur célébrer leurs offices, ni aux groupes qui ont rétabli une hiérarchie ecclésiastique complète à partir de 1846, ni aux groupes qui sont tombés dans l'illuminisme et les croyances extravagantes. Cela pose l'angoissante question que pose aussi le roman de Boudou: comment survivre sans aucun clergé quand on croit en la nécessité de la succession apostolique? Attention, ces questions ne se sont pas posées qu'à la Petite Eglise ou aux Vieux-Ritualistes de Russie: elles se sont aussi posées à des communautés orthodoxes totalement isolées, soit pour des raisons géographiques, soit pour des raisons politiques, et elles risquent aussi de se poser bientôt à certaines communautés chrétiennes dans les pays musulmans.
-Enfin, on pourra comparer l'attitude de tolérance et de dialogue par laquelle l'Eglise catholique romaine tente de ramener dans son sein les Blancs avec la politique complètement anachronique de censure à outrance et de persécution larvée contre les vieux-calendéristes et autres dissidences de notre Eglise que d'aucuns sont venus prêcher sur ce forum.

Référence de l'entretien: http://religioscope.info/article_231.shtml

Texte de l'entretien (je me suis permis quelques commentaires cum grano salis):

Pérennité du mouvement anticoncordataire: deux siècles plus tard, les fidèles de la "Petite Eglise" persévèrent - Entretien avec Bernard Callebat et Jean-Pierre Chantin

Religioscope
31 Oct 2003

Bernard Callebat est maître de conférences à la Faculté de Droit canonique de Toulouse. Il dirige le CERHMIR (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Histoire Méridionale des Institutions Religieuses). Il a réalisé récemment une étude sur le Concordat de 1801: Contributions statistiques à l’histoire du Concordat de 1801. Une autre réalité de l’opposition des évêques français à la politique religieuse de Pie VII et de Napoléon Ier. Il publiera prochainement un ouvrage intitulé: Le droit de l’Eglise contre le Concordat de 1801. Aux sources de la crise de l’Eglise catholique.

Professeur agrégé, Jean-Pierre Chantin est enseignant dans le secondaire, rattaché à l’Institut d’Histoire du Christianisme de l’Université Lyon III où il travaille sur les groupes en marge du christianisme dans la France contemporaine. Il est notamment l’auteur d’une thèse, Les Amis de l'Œuvre de la Vérité. Jansénisme, miracles et fin du monde au XIXe siècle, publiée aux Presses Universitaire de Lyon en 1998, consacrée aux “Amis de la Vérité” dans la région lyonnaise, dont les groupes anticoncordataires de Lyon ont été l’un des héritiers.




--------------------------------------------------------------------------------


Religioscope - En France et en Belgique existe jusqu'à aujourd'hui un mouvement né en réaction au Concordat conclu en 1801 entre le Saint-Siège et la France napoléonienne pour essayer de résoudre dans la vie ecclésiastique les problèmes issus de la tourmente révolutionnaire. A ce moment, un certain nombre d'hommes d’Eglise s’opposent en effet à ce concordat. Pourriez-vous nous expliquer l’origine de ce mouvement anticoncordataire ?

Bernard Callebat - L’origine de la dissidence anticoncordataire découle de la demande de démission forcée des évêques d’Ancien Régime par le pape Pie VII. Cette opposition a connu une ampleur plus ou moins grande suivant les régions.

Jean-Pierre Chantin - Le texte signé en 1801 entre Bonaparte et le Pape Pie VII réorganisait l’Eglise de France pour mettre fin aux problèmes liés à la Révolution et exigeait effectivement la démission des évêques dans un délai de dix jours, pour placer sur les sièges épiscopaux un nouvel épiscopat, composé à la fois d’anciens évêques et de prêtres ou évêques constitutionnels. On peut donc dire qu’il y a d’abord eu une opposition épiscopale.

A cette première cause, il convient d’ajouter un second texte de 1802, ajouté au Concordat, les Articles Organiques. Ce sont des textes de loi français, établis sans concertation avec Rome et qui précisent des éléments que l’on ne comprend pas dans les paroisses, par exemple la suppression des fêtes de l’Ancien Régime afin de les réduire aux fêtes légales que l’on connaît encore aujourd’hui. Le changement de la Fête Dieu du jeudi vers le dimanche illustre ce propos. Ces transformations rencontrent de fortes résistances dans les paroisses, car certains fidèles ont l’impression que leur religion est arbitrairement bouleversée.

Une dernière cause, peut-être moins liée au Concordat lui-même: aux yeux de nombreux prêtres, le Concordat est sans doute le dernier texte de la Révolution. Pour ces gens qui ont souvent été réfractaires au serment révolutionnaire, qui se sont opposés, au moins depuis 1791, à la politique religieuse de l’Etat français, le Concordat apparaît finalement comme la suite logique de ce passé. Ils ne comprennent pas pourquoi l’on s’est battu pendant une dizaine d’années et que soudain, il faudrait se soumettre à un pouvoir qui n’est qu’un pouvoir révolutionnaire. Cette ambiguïté est également à l’origine des mouvements anticoncordataires en général.

Religioscope - Convient-il de parler alors d’un mouvement de type conservateur ou plaque-t-on ainsi une grille interprétative inadéquate sur le mouvement anticoncordataire ?

Bernard Callebat - Il s’agit d’un mouvement de nature essentiellement conservatrice, en ce sens qu’il n’y a pas d’intention d’innovation théologique ou disciplinaire dans la position des évêques réfractaires. La demande de démission leur apparaît comme une mesure contraire au droit de l’Eglise et à la fonction même de l’épiscopat dans l’Eglise catholique. La stabilité de l’office épiscopal constitue, en effet, l’une des plus anciennes normes du droit de l’Eglise; on en trouve trace dans la Lettre de Clément de Rome à l’Eglise de Corinthe (fin du Ier siècle), dans les ordonnances des conciles de Nicée (325), de Constantinople (381), d’Ephèse (431), de Chalcédoine (451)…. Concrètement, cela signifie que l’opposition des évêques n’a aucun caractère capricieux; elle est d’abord de nature théologique. En outre, d’un point de vue de l’exercice du magistère, l’exigence du pape ne participe pas de l’exercice de l’infaillibilité pontificale.

Religioscope - Il est frappant de constater que les racines du mouvement anticoncordataire ont pu varier régionalement. Il y a, par exemple, dans la région de Lyon un héritage des courants dits jansénistes.

Jean-Pierre Chantin - Dans la région lyonnaise, mais aussi dans le Charolais, dans les Alpes ou dans le Midi, nous observons des groupes qui étaient à l’origine des groupes jansénistes convulsionnaires. A mon sens, cela relève plutôt d’une coïncidence. La Révolution demeure au centre de leur regard. Ce sont des groupes millénaristes qui sentent la fin du monde prochaine puisque, selon leur interprétation, l’Eglise se détruit – le signe de cette déchéance étant la persécution que les jansénistes, "Amis de la vérité", ont eu à subir depuis au moins un siècle. Tous ces groupes ont refusé le Concordat, mais tous n’ont pas rompu avec l’Eglise de France; une partie largement majoritaire des fidèles du diocèse de Lyon ont continué à fréquenter les églises, au prix de refus de sacrements de la part des prêtres concordataires dans les années 1820-1830, et seule une minorité a rompu toute relation avec l’Eglise de France. Ces derniers se reconnaissent d’ailleurs comme membres de l’Eglise universelle et récusent pour cela le qualificatif de "Petite Eglise".

En ce qui concerne les évêques, je me demande si le moteur principal n’était pas un moteur politique, c’est-à-dire notamment la question de la fidélité au roi. J’en veux pour preuve que, après 1815, au moment de la Restauration, et en 1817, avec l’échec d’un nouveau concordat avec Rome, la majorité des évêques subsistants parmi ceux qui avaient refusé le Concordat, se rallièrent à la nouvelle donne monarchique et devinrent évêques concordataires. Dès les années 1820, il ne reste plus que trois évêques anticoncordataires. J’aurais tendance à dire qu’il s’agit là plutôt dans l’ensemble de prélats agissant plutôt par esprit gallican. Ils ne se sont d’ailleurs pas opposés sur une longue durée et n’ont pas créé d’Eglise en ordonnant des prêtres.

Bernard Callebat - En effet, un point important du débat est de savoir si la nature politique de la dissidence a pris le dessus sur la dimension religieuse du débat ? Finalement, Louis XVIII n’aurait-il pas été le père spirituel de la "Petite Eglise"? Certains historiens se sont interrogés sur le point de savoir si le comportement du frère de Louis XVI n’avait pas été de nature à encourager cette dissidence anticoncordataire. C’est fort probable en raison de la nature même du gallicanisme.

Encore faut-il s’entendre sur la définition du gallicanisme. Les controverses sont faciles et nombreuses. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, Mgr Alexandre Lauzières de Thémines, évêque légitime de Blois avant la Révolution, et l’abbé Grégoire qui devient évêque constitutionnel dans le diocèse de Loir-et-Cher, se réclament l’un et l’autre du gallicanisme : pourtant, leurs positions sont radicalement différentes, le premier refusant à la fois la Constitution civile du clergé et le Concordat, à la différence du second.

A la vérité, les évêques anticoncordataires se réclament du gallicanisme tel qu’il fut reçu traditionnellement dans les institutions monarchiques de l’Ancien Régime, à savoir, qu’il s’agit là: d’abord d’une doctrine hexagonale (en ce qu’elle concerne essentiellement l’Eglise de France), doctrine qui réalise l’union de l’Eglise catholique et du roi, représentant la monarchie de droit divin; ensuite, de l’expression française du catholicisme romain marquée par la fidélité à l’honneur et à la juridiction du successeur de Saint Pierre, nonobstant l’indépendance du Roi et la défense des droits de l’Eglise contre les prétentions absolutistes des pontifes romains.

Religioscope - Ces évêques qui s’opposent au Concordat essaient d’exprimer leur opposition dans les Réclamations canoniques de 1803. Pouvez-vous nous expliquer la nature de ces réclamations?

Bertrand Callebat - Les évêques opposants au Concordat et signataires des Réclamations canoniques sont au nombre de trente-huit. Contrairement à une idée largement répandue par l’historiographie des XIXème et XXème siècles, ces évêques furent plus nombreux que les évêques démissionnaires et favorables au traité, lesquels représentaient à peine 29 évêques, soit 36% du corps épiscopal encore en exercice. Entre les deux camps, figurait une masse d’évêques, tantôt démissionnaires, tantôt réfractaires, mais qui avait en commun de rejeter sur le fond le traité.

Il est évident que les origines et les positions des anticoncordataires appellent des nuances, même si les Réclamations constituent un corpus admis par tous. Le contenu de ces Réclamations témoigne de la réaffirmation du pouvoir de juridiction des évêques, comme cela avait été affirmé dans la Déclaration des Quatre Articles de 1682 rédigée à l’instigation de Bossuet. Mais en même temps, il s’agit d’un texte gallican très équilibré où est soutenue la primauté d’honneur et de juridiction du Pontife romain. L’attachement affectueux et sincère à la personne du successeur de saint Pierre est, en partie, la conséquence des relations que les évêques français eurent durant la Révolution avec le pape Pie VI qui soutint en permanence l’épiscopat gallican.

Evidemment, avec le temps, les positions des uns et des autres évolueront plus ou moins, à mesure que le Concordat entrera en application. Il y aura des différences stratégiques et parfois doctrinales dans les engagements du clergé anticoncordataire. L’abbé Blanchard, célèbre polémiste réfugié en Angleterre, ou encore l’abbé René Beaunier de Vendôme adopteront une posture d’opposants irréductibles alors que d’autres, comme l’abbé Lucrès, vicaire général du diocèse de Lombez, se rangeront dans une position plus modérée.

Religioscope - Ces évêques se trouvent en exil, mais en France, des prêtres et des fidèles refusant le Concordat organisent des communautés se réclamant de ces évêques éloignés. Au moment où ces évêques manifestent leur opposition, des communautés anticoncordataires naissent-elles un peu partout en France, ou le mouvement se concentre-t-il dès le début dans certaines régions?

Jean-Pierre Chantin - Il est difficile de détecter toutes les oppositions au Concordat sur le terrain. On estime toutefois qu’il y a eu un peu partout des formes d’opposition au Concordat, dont certaines ont disparu et d’autres ont perduré. Mais il est difficile de détecter tous les signes discrets d’opposition à une mesure prise par le pouvoir. Les prêtres n’ont souvent pas attendu la position des évêques; dans le Lyonnais, par exemple, des conférences entre des prêtres jansénistes ont lieu alors qu’ils ne connaissent pas encore les Réclamations canoniques des évêques. A Lyon, l’archevêque est décédé pendant la Révolution et ses prêtres n’ont plus d’autorité à laquelle se référer. Il existe donc des positions autonomes au niveau des prêtres. Nous estimons que la moitié des diocèses de ces évêques réclamants ne les ont pas suivis et il existe également une grande proportion de diocèses où les prêtres ont été anticoncordataires et où l’évêque ne l’était pas. Bien souvent, il n’y a donc pas corrélation entre les deux. Les paroisses se déterminent souvent derrière leur prêtre réfractaire et on observe même des fidèles s’opposant à leur prêtre concordataire et refusant de participer au culte.

Religioscope - Cela signifie que nous avons affaire à un mouvement qui est largement dirigé sur le terrain par des prêtres ou des laïcs. Au départ, le rôle de l’épiscopat est plutôt lointain même s’il est fondamental sur le principe des Réclamations.

Bernard Callebat - Il est vrai que les motivations des évêques signataires des Réclamations ne sont pas les mêmes. Il y a des prélats particulièrement actifs, qui provoquent assez souvent des résistances dans leurs diocèses (Mgr de Coucy à La Rochelle, Mgr Colbert de Seignelay à Rodez, Mgr Chauvigny de Blot à Lombez…), et d’autres, plus discrets. Statistiquement, environ 50 % des diocèses dont les évêques ont été signataires des Réclamations canoniques voient naître une forte opposition au Concordat. Dans les diocèses dont l’évêque est démissionnaire, on observe dans 40 % des cas, l’émergence d’une dissidence plus ou moins développée. D’une manière générale, la dissidence anticoncordataire a été largement sous-évaluée par les historiens.

Religioscope - Même dans des paroisses où la quasi-totalité des fidèles s’opposent au Concordat; dans un régime concordataire, ils ne peuvent pas conserver le contrôle de l’église paroissiale. Un prêtre concordataire est sans doute envoyé pour remplacer le précédent. Comment s'organise cette dissidence ?

Jean-Pierre Chantin - Sur le terrain, nous observons à nouveau des situations diverses. D’abord précisons que la situation va changer après 1815. Pendant l’Empire, les choses ne sont pas simples. Il existe des villages où des groupes entiers ne participent plus aux cérémonies du culte dans leurs paroisses concordataires et organisent clandestinement des cultes dans divers endroits. Au sein d’autres paroisses, où l’écrasante majorité est anticoncordataire, l’église paroissiale est occupée par ces derniers. Le curé concordataire ne peut parfois même pas pénétrer dans l’église et le préfet doit intervenir. Ce sont les deux cas de figure extrêmes.

Bernard Callebat - L’Etat policier mis en place par Napoléon est parfaitement conscient de la situation puisque dans les Articles Organiques, les rassemblements religieux sont interdits sauf autorisation. Dans les paroisses entièrement anticoncordataires, se réunir devient difficile et périlleux. L’église paroissiale est frappée d’interdit par l’évêque concordataire. En certains endroits, le culte redevient clandestin comme au temps de la Révolution. Il faut attendre la Restauration des Bourbons pour que le climat soit plus favorable aux catholiques anticoncordataires. On envisage alors la construction de lieux de culte, comme à Courlay, après la disparition du dernier prêtre fidèle.

Religioscope - Après la Restauration, trois évêques persévèrent dans l’opposition malgré la disparition du régime honni de Napoléon. A ce moment, de nombreux groupes renoncent à leur opposition tandis que certaines oppositions se durcissent autour de prêtres. Dans quelles régions observe-t-on ces durcissements et quels sont les changements dans la vie de ces groupes après la Restauration?

Jean-Pierre Chantin - Il y a une période de latence entre 1815 et 1817, car on ignore les intentions du nouveau régime. Une renégociation du Concordat est amorcée, mais finalement échoue; beaucoup de personnes estiment que la bonne volonté du régime est d’adoucir le Concordat et/ou de le rectifier dans un sens qui pourrait être accepté. Les opposans plus politiques ou moins religieux vont rejoindre le clergé concordataire et fréquenter ses églises. Après 1817, on peut dire que le mouvement est réellement religieux – en discipline et en théorie. Les grands groupes, tels que ceux des Deux-Sèvres, où des paroisses sont parfois entièrement anticoncordataires, vont poser pendant longtemps encore des problèmes aux préfets, au point que l’on a eu parfois recours, en vain, à l’ancien évêque anticoncordataire du lieu, devenu concordataire en un autre diocèse: c'est ainsi qu'on fait appel à Mgr de Coucy pour lui demander de venir raisonner ses anciens partisans!

Le deuxième grand pôle d’opposition est la région lyonnaise. Les Lyonnais, par leur éducation janséniste, ont un rôle meneur sur le plan théorique et prennent progressivement la tête du mouvement en général. Un troisième groupe réside en Belgique, à l’époque terre française. On trouve également des groupes importants dans le sud du Massif central et dans la région toulousaine.

Bernard Callebat - Tout n’est pas simple comme en témoigne la volonté des Bourbons de renégocier le Concordat de 1801. L’Ami de la Religion, périodique pourtant concordataire, se fait l’écho des doutes éprouvés par certains évêques concordataires sur leur propre légitimité. Ainsi, en 1814, l’évêque concordataire de Vannes, Mgr de Bausset, donne sa démission au motif qu’il ne se considère plus comme l’évêque légitime du diocèse. Il envoie alors une lettre à l’évêque légitime, Mgr Amelot, en l’invitant à reprendre son siège.

Religioscope - Même si certains éléments radicaux contestent l’autorité pontificale, pour la plupart, même en estimant qu’il y a une erreur, il n’existe pas une opposition radicale au reste de l’Eglise romaine. Voit-on des anticoncordataires communier dans des pays voisins, en quelque sorte préservés du Concordat?

Jean-Pierre Chantin - Les anticoncordataires se plaignent de la rupture de la succession apostolique et veulent la rétablir. La nouvelle Eglise de France désignée par le Concordat n’est pas légitime à leurs yeux. Cependant, cela n’empêche pas les anticoncordataires de fréquenter les lieux de culte, même s’ils ne participent pas aux sacrements ou culte de la nouvelle Eglise concordataire. Par exemple, les Lyonnais se rendent en Savoie dont le statut est très particulier, à leur sens non souillé par le Concordat, et dont l’épiscopat demeure toujours dans la succession apostolique.

[NdL:Rappelons qu'à cette époque, la Savoie ne faisait pas partie de la France, mais du royaume de Piémont-Sardaigne. Elle ne sera rattachée à la France qu'en 1860 et ne connaîtra donc le régime concordataire que pendant quarante-cinq ans.]

Bernard Callebat - D’un point de vue disciplinaire, pour les anticoncordataires, le nouvel épiscopat sorti du traité de 1801 est dans la même situation que l’épiscopat constitutionnel. C’est-à-dire qu’ils reconnaissent le caractère valide de l’ordination, mais estiment que leur pouvoir de juridiction est illicite. Cette position ne fut jamais remise en cause puisqu’elle se conformait aux décisions du pape Pie VI prise à l’encontre de l’épiscopat né de la Constitution civile du clergé; et ce n’est pas l’intégration d’une partie de ces évêques constitutionnels – lesquels ne se rétracteront d’ailleurs pas sur leurs engagements passés – dans le nouvel épiscopat concordataire qui pouvait faire douter les catholiques anticoncordataires. Ainsi, le Concordat de 1801 continuait de porter en lui-même le schisme constitutionnel. Quant à la participation aux offices dans les territoires préservés du Concordat, il s’agit d’un processus plus tardif qui prendra forme après la disparition des derniers prêtres.

Religioscope - A quel moment les derniers évêques anticoncordataires disparaissent-ils? A ce moment là, que font les prêtres et les fidèles, sachant qu’il n’y a plus la moindre perspective d’avoir un nouveau clergé?

Jean-Pierre Chantin - L’encadrement épiscopal n’a pas montré toute son efficacité, car après 1815-1817, on peut dire qu’il n’existe plus réellement de direction épiscopale. Il demeure une autorité morale. Le dernier de ces évêques est Mgr de Thémines, décédé en 1829; sa disparition est suivie d'une polémique sur le fait de savoir s'il s'est rétracté sur son lit de mort. Ces évêques n’ont jamais ordonné de prêtre en situation anticoncordataire; ils ne considéraient donc pas que la situation devait être pérennisée. Des vicaires généraux qui les avaient suivis dans leur opposition vont encore maintenir pour un temps une simple autorité morale.

Les fidèles réclamaient pourtant des prêtres: les Lyonnais avaient fondé un séminaire de bon niveau, avec une éducation janséniste pointue, dans le Beaujolais. Les novices étaient prêts à être ordonnés par Mgr de Thémines qui refusa d’ordonner des prêtres qu'il considérait comme dissidents pour une autre raison que l'anticoncordatisme, à savoir leurs orientations jansénistes et convulsionnaires. Ce sont ces fidèles particulièrement bien formés qui vont prendre la tête du mouvement régional, et plus tard national.

Bernard Callebat - Cet exemple permet de mesurer la diversité des réactions; les Lyonnais ont eu un comportement d’anticipation alors que les Vendéens n’ont jamais imaginé – du moins dans un premier temps - qu’il n’y aurait plus de prêtres. En fait, de nombreux évêques réfugiés en Angleterre, en Autriche et en Allemagne maintinrent des relations avec leurs clergés. A leur disparition, les structures furent reprises en main par les prêtres qui associèrent alors les fidèles.

On ne manquera pas de souligner le rôle dominant des femmes dans la clandestinité; elles furent particulièrement actives et nombreuses à faire vivre le culte traditionnel. Plusieurs raisons à cet engagement féminin qui couvre toutes les classes sociales: l’importance de la dévotion féminine tout au long du XVIIIème siècle et la masse d’anciennes religieuses dispersées en 1792. Plus simplement, les femmes propagatrices de la foi par l’éducation, douées du sens des réalités, avaient été les premières à se méfier des innovations de la Révolution; autant par intuition que par spéculation, elles rejetèrent dans les mêmes termes le Concordat. Cette détermination marque avant tout une volonté d’opposition à la "nouvelle religion" du Premier Consul; elle ne s’est jamais mieux et plus fermement exprimée qu’à travers les femmes.

Religioscope - A quel moment les derniers prêtres anticoncordataires disparaissent-ils?

Jean-Pierre Chantin - Dans les années 1830-40, le dernier en 1850. On voit bien la différence de situation entre les Vendéens et les Lyonnais: les premiers ont recours à des prêtres de substitution, lesquels sont dissidents sans vraiment savoir pourquoi – des prêtres en rupture de ban, sans être anticoncordataires d'origine, ce qui valut parfois aux fidèles de tomber sur des aventuriers.

Les Lyonnais ont toujours refusé de le faire. Il est vrai qu'ils voyaient la possibilité de se tourner vers l’Eglise janséniste d’Utrecht, en rupture avec Rome depuis le XVIIIème siècle. Utrecht refusa en déclarant que, si la hiérarchie légitime française n’avait pas voulu pérenniser la situation, l’Eglise d’Utrecht ne le pouvait pas non plus. Ces négociations eurent lieu dans les années 1850.

Bernard Callebat - La situation dans le Midi est tout à fait singulière. Elle est due au fait que l’opposition anticoncordataire avait un caractère religieux et politique très prononcé. Dans les années 1840, un certain nombre de prêtres carlistes espagnols, fuyant l’Espagne, vont s’installer dans le Midi. Il existe manifestement une affinité entre les milieux anticoncordataires, presque exclusivement légitimistes, et les prêtres carlistes, fidèles à la branche aînée des Bourbons d’Espagne. Ces prêtres vont ainsi desservir certaines familles anticoncordataires. A deux reprises: d’abord, après la première guerre carliste vers 1835, puis dans les années 1870-1880, suite à la deuxième guerre carliste. Ainsi observe-t-on une présence sacerdotale dans certaines communautés, après la disparition des derniers prêtres anticoncordataires survenue dans les années 1840.

Religioscope - Au moment de la disparition des derniers prêtres, que sait-on des sentiments des fidèles anticoncordataires, issus d'une tradition dans laquelle le clergé joue un rôle capital ?

Jean-Pierre Chantin - Les Lyonnais prennent l’autorité morale sur l’ensemble des groupes, excepté les Belges. A leurs yeux, l’absence de prêtres est un signe divin: ils sont le petit reste de fidèles persécutés qui doivent subir des épreuves face à la Grande Eglise. Cela les conforte dans leur situation et ils y perçoivent un signe supplémentaire de la justesse de leur cause et de la prochaine fin des temps. En fait, ils attendent qu’un concile œcuménique se prononce sur la question et leur donne raison.

Bernard Callebat - En dehors du particularisme méridional, on fera observer que les catholiques anticoncordataires ont été élevés dans les traditions et usages de l’époque révolutionnaire. Le fait de ne pas avoir recours à des prêtres pour la célébration des offices ne constitue pas un acte contraire à la discipline de l’Eglise puisque la célébration de l’office sans prêtre fait aussi partie du culte de l’Eglise. Ces pieuses célébrations naissent spontanément du dévouement d’un paroissien. Les catholiques anticoncordataires disposent de traductions de l’Ordinaire de la Messe, déjà nombreuses avant 1789 et, pour leur faciliter le déroulement de ces réunions, de Manuels à l’usage des catholiques privés de messe, sortes de rituels réservés aux laïcs.

Jean-Pierre Chantin - Mgr de Marbeuf, archevêque de Lyon mort pendant la Révolution, avait prévu un livre pour répondre à cette situation de communauté sans prêtre.

Bernard Callebat - Comme le précise Jean-Pierre Chantin, c’est en effet au moment du Directoire que certains évêques comme Mgr de Marbeurf, ou encore Mgr Talaru, évêque de Coutances, réglementèrent ces pratiques afin de mieux les contrôler.

Religioscope - Comment s’organise concrètement ce culte entre laïcs ? Comment appelle-t-on ces messes que l’on célèbre sans prêtre ? Ces offices sont-ils célébrés de façon communautaire ou au sein d’un cadre familial ?

Jean-Pierre Chantin - Nous pouvons les appeler des messes sans prêtre, ou plus exactement en l'absence de prêtre – les anticoncordataires n'aiment pas l'expression de "messes blanches". Très concrètement, nous avons une cérémonie du type du XVIIIème siècle, célébrée en français (le latin est introduit en France au XIXème siècle) [NdL: avis à ceux qui se sont séparés de la Papauté après 1969 parce qu'ils voulaient le latin de la "messe de toujours"...], où rien n’est changé, sauf les éléments réservés au seul prêtre. Par conséquent, il n’y a pas de consécration. En revanche, les baptêmes sont possibles, ou encore les mariages qui s’organisent sans la bénédiction du prêtre.

Bernard Callebat - Pour éviter toute confusion sur la terminologie, précisons que l’office sans prêtre célébré par les anticoncordataires n’a pas la même signification que ce que nous appelons aujourd’hui les ADAP, c’est-à-dire les assemblées dominicales en l’absence de prêtre. Chez les catholiques anticoncordataires, la situation est considérée comme transitoire et le prêtre reste le personnage central et indispensable du sacrement. Tout cela est conforme à la tradition de l’Ecole française de spiritualité. Par conséquent, la cérémonie ainsi organisée n’est pas une fin en soi, mais sert de palliatif dans des circonstances d’exception.

Alors que dans la théologie des ADAP, on est en présence d’une pratique de substitution dont les promoteurs imaginent qu’elle pourrait se poursuivre indéfiniment.

Jean-Pierre Chantin - Cependant, pendant une certaine période, certains eurent recours à des subterfuges, tels que des hosties ou l’eau bénite préalablement préparées par les derniers prêtres avant leur disparition.

Bernard Callebat - D’un point de vue pratique, pour bien marquer leur intention, à savoir qu’il n’est pas question de se substituer au prêtre, les catholiques anticoncordataires ont recouru souvent à la présence de plusieurs lecteurs pour éviter de centrer la célébration de l’office sur une seule personne.

Religioscope - Cela signifie néanmoins que certains laïcs commencent à occuper dans la pratique un rôle central, un rôle de pôle de référence.

Jean-Pierre Chantin - La situation de ces laïcs est très diverse selon les groupes, mais avec les traditionnels critères, soi les plus anciens ou les plus instruits, soi les personnes dont le caractère exceptionnel est exemplaire. Pour les Lyonnais, la chose est plus simple: le fameux séminaire évoqué précédemment a été fermé, mais il y a un enseignement qui continue pour les enfants ainsi qu’un enseignement supérieur pour former les dirigeants.

Bernard Callebat - On pourrait même ajouter le caractère familial de la sélection, comme en Vendée où, après le décès du dernier prêtre, - en l’occurrence l’abbé Pierre Texier -, les parents de la famille Texier ont assuré la continuité du culte jusqu’à aujourd’hui. Sur un plan dogmatique, il n’est pas inutile de rappeler que même sans prêtre, l’administration des sacrements du baptême par un laïc, et du mariage en présence des témoins et d’un laïc comme assistant, reste parfaitement valide.

Religioscope - Au début du XXème siècle, le Concordat disparaît, ne subsistant aujourd’hui en France qu’en Alsace-Moselle. Comment réagissent ces groupes anticoncordataires, qui représentent alors vraisemblablement 10.000 à 20.000 personnes en France?

Jean-Pierre Chantin - En 1870, au premier Concile du Vatican, les anticoncordataires demandaient que, soit le pape, soit un concile oecuménique, reconnaisse l’erreur de Pie VII, et rétablisse la hiérarchie légitime. Deux représentants lyonnais y font leur demande au nom de tous les anticoncordataires français –consultés au préalable- en répandant un petit opuscule qui explique la situation, et ils parviennent ainsi à intéresser réellement certains prélats. Ils ont des contacts assez poussés avec plusieurs d’entre eux.

Bernard Callebat - Ces représentants sont pris au sérieux par les évêques. Comme le révèlent les actes des débats du concile Vatican I, ce sont les évêques de la minorité franco-belge avec comme chef de file, Mgr Dupanloup, qui s’opposeront aux prétentions des fidèles de la Petite Eglise. Au contraire, plusieurs évêques de la majorité, comprenant les partisans de l’infaillibilité pontificale, soutiendront la cause des anticoncordataires. Cette situation n’est pas étonnante. Les catholiques anticoncordataires sont perçus d’abord comme des catholiques romains.

Religioscope - A Vatican I, ils ne parviennent pas à faire reconnaître l’erreur de Pie VII?

Jean-Pierre Chantin - Ils reçoivent la promesse d’une lettre. Et ils l'attendent. Lors du concile Vatican II, il a été envisagé de les inviter à nouveau. Les Lyonnais ont répondu qu’ils attendaient toujours la réponse du précédent concile…

Bernard Callebat - Au moment du concile Vatican I, après que les Pères eussent affirmé le principe de l’infaillibilité pontificale, il fut rappelé le principe de la dualité de pouvoir dans l’Eglise, avec un pouvoir de juridiction reconnu aux évêques. Tout cela allait dans le sens de la demande des fidèles anticoncordataires, mais les travaux ayant été interrompus par la guerre, la question ne fut pas traité jusqu’au bout.

Jean Pierre Chantin - La séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 ne pose aucun problème aux anticoncordataires. Le clergé lyonnais a profité de la séparation pour écrire aux gens de la Petite Eglise que le Concordat était mort et qu’ils pouvaient revenir dans les églises. Ces gens très catholiques et ne participant pas aux offices catholiques de la paroisse gênait en effet un peu le clergé! Ce retour en masse de catholiques fervents serait une victoire pour le clergé français. En 1905, ils répondent que la séparation est un acte français et non le fait de Rome. Ce n’est pas la réponse qu’ils attendaient.

Bernard Callebat - J’ajouterai qu’il y a deux éléments qui ne sont pas corrigés par la loi de séparation : d’une part, le nouveau texte ne remet pas en cause l’épiscopat concordataire, d’autre part, les liens de subordination entre l’Eglise et l’Etat ne sont pas supprimés. Le clergé n’est certes plus rémunéré par l’Etat, mais les catholiques anticoncordataires observent que finalement, l’Etat récupère ce qui lui rapporte et restitue ce qui lui coûte. C’est-à-dire que d’un point de vue financier, il se débarrasse de la charge financière représentée par la rémunération du clergé, et d’un point de vue patrimonial, il confisque la propriété des églises et des presbytères, lesquels représentent un capital d’investissement exceptionnel. En outre, le triomphe de la laïcité – que seuls les anticoncordataires avaient dénoncé dès 1801 avec, par exemple, l’institutionnalisation du mariage civil et du divorce – va à l’encontre du projet de restauration de la cité catholique.

Religioscope - En 2003, la résistance anticoncordataire en France existe toujours. Que se passe-t-il au XXème siècle? Observe-t-on un déclin numérique ou les anticoncordataires réussissent-ils, par renouvellement interne, à conserver une stabilité?

Jean-Pierre Chantin - On peut estimer que la grosse perte se fait après la Restauration et les disparitions de prêtres. Depuis les années 1850, les chiffres demeurent stables, car ce sont des familles nombreuses et les mariages ne se font pas nécessairement entre anticoncordataires: des gens intègrent les familles par mariage. Cependant, si les chiffres ne varient plus depuis un siècle et demi, il faut préciser que ce sont des groupes discrets qui ont été très mal perçus au moins au XIXème siècle et mal compris au XXème siècle. Ils n’aiment pas faire parler d’eux.

Religioscope - Ces groupes n’accueillent-ils pas, en dehors de ces mariages, de nouveaux “convertis” au XXème siècle?

Bernard Callebat - Il n’y a pas d’activité apostolique vis-à-vis de l’extérieur, mais des conversions sont possibles à l’occasion de mariages. En définitive, les groupes sont restés quantitativement stables parce que leurs pratiques religieuses et sociales n’ont pas évolué. L’attachement qu’ils portent à l’institution familiale et à ses traditions assure la cohésion et la pérennité des groupes.

Jean-Pierre Chantin - Les groupes les plus importants ont subsisté, mais aussi ceux qui furent les moins touchés par l’exode rural. Les Vendéens ont des groupes où on observe encore une présence assez importante dans les villages. A Lyon, ce sont des groupes urbains qui reçurent dans leurs familles les ruraux venus travailler, les anticoncordataires lyonnais avaient des entreprises importantes. Ils ne subissent pas l’érosion de l’exode rural.

Bernard Callebat - Dans le Midi, jusqu’au milieu du XIXème siècle, les groupes étaient relativement importants mais éclatés en sous-groupes, à Lombez, à Pamiers, à Toulouse ou encore à Mirepoix. Le développement industriel, l’expansion des voies de communication, l’abandon des activités rurales ont fait éclater progressivement l’ensemble, au point de réduire considérablement les effectifs. L’absence d’autorité commune à tous ces groupes n’a pas favorisé la stabilité des modes de vie.

Religioscope - Tout en respectant le légitime désir de discrétion de ces groupes, peut-on effectuer un inventaire géographique de la présence anticoncordataire en France et en Belgique en l'an 2003 ?

Jean-Pierre Chantin - Les Vendéens dominent toujours numériquement, environ 3000 à 4000 personnes. Le deuxième groupe, quelques centaines, est représenté à égalité par les Lyonnais et les Belges - qu'on appelle les stévenistes – ces derniers ont eu un mouvement de retour important dans la grande Eglise après le concile de Vatican II, lorsque Rome a envoyé un ancien évêque missionnaire français qui avait été obligé de quitter la Chine (et ne dépendait donc pas de l’Eglise concordataire).Le groupe du Charolais est difficile à estimer, mais sans doute oscillant entre 200 et 300 personnes. Dans les Hautes-Alpes, il est difficile de savoir quelle elle est la situation, car le groupe est peu aisément identifiable (c'était beaucoup plus facile au XIXème siècle, moins aujourd'hui, car les gens ne vont plus à la messe!).

En Isère, près de Grenoble, il existe encore quelques groupes. En Provence, vers Saint-Maximin, il reste peut être quelques familles liées aux Lyonnais.

[NdL: Pour ce chercheur, il y aurait donc quelque 3'800 à 5'000 anticoncordataires, bien plus que les 3'000 habituellement évoqués.]

Les groupes dans le Massif central (en Auvergne) ont disparu. Les communautés normandes n'existent plus, de même que celles de la région de Blois et Vendôme. Il y a toujours le mythe du "dernier survivant": pour ces groupes aujourd'hui disparus, la fin se situe la plupart du temps dans l'entre-deux-guerres. [NdL: Le livre de Boudou est centré sur le mythe du dernier survivant, lorsque, après le décès de tous les membres de sa famille et l'internement de sa tante en asile psychiatrique, Amans, dernier Enfariné de l'Aveyron, se rend en 1937 ou 1938 dans le Gers pour remettre à la dernière famille des Elus de tout le Sud-Ouest les vases liturgiques pieusement conservés par sa famille depuis la mort du dernier prêtre légitime du Rouergue en 1835.]
Il n'est pas impossible, avec les migrations depuis la fin du XIXe siècle, qu'il y ait aujourd'hui des anticoncordataires à Paris. Le fait que la pratique catholique en France soit si basse rend bien entendu les identifications plus difficiles.

Bernard Callebat - Pour le Midi, on peut évaluer la présence des catholiques anticoncordataires à plusieurs dizaines de familles.

Jean-Pierre Chantin - Ces anticoncordataires s’efforcent de pratiquer leur tradition comme autrefois. Les fêtes chômées en sont un exemple évident. Il leur faut trouver un employeur qui accepte qu’ils chôment des fêtes non officielles. Le jeûne est également une pratique vivante dans ces communautés et ces pratiques permettent la maintenance du groupe, comme la persistance de biens communs à chaque groupe: écoles, bibliothèques, système d’entraide par exemple. [NdL: La persistance de la pratique du jeûne est une forte similitude entre les anticoncordataires et les orthodoxes et une forte différence à l'égard des protestants et des catholiques romains concordataires.]

Bernard Callebat - Il est clair que le jeu des solidarités familiales a largement contribué au maintien de la tradition anticoncordataire. Mais cette explication est insuffisante. Toutes les études historiques, anthropologiques et sociologiques ne pourront jamais rendre compte d’une donnée qui les dépasse: le mystère de la foi.

Religioscope - Tous ces groupes sont donc en lien entre eux, mais n’existe-t-il pas de groupes vivant isolé du reste du mouvement ? Se reconnaissent-ils tous comme appartenant à une même mouvance ?

Jean-Pierre Chantin - Ils se reconnaissent comme appartenant à une même mouvance, mais il existe toutefois des disparités et des ruptures. Un exemple net se trouve chez les Belges stévenistes qui n’ont jamais accepté les Lyonnais jansénistes, jusqu’à aujourd’hui. J'ai vu des lettres des stévenistes dénonçant auprès des Vendéens les Lyonnais pour cette raison.

Il existe également des dissensions sociales, notamment à Lyon où apparaissent des dichotomies entre des familles aisées – qui gèrent les structures du groupe – et des familles plus modestes, même si ces familles se retrouvent au sein du même ensemble.

Religioscope - Existe-t-il encore dans certaines localités françaises des lieux de réunion actifs construit à l’usage des groupes anticoncordataires?

Bernard Callebat - Dans le Midi, le culte étant essentiellement familial, il n’y a pas de lieu de culte particulier. Les fidèles se rassemblent à l’occasion de quelques pèlerinages. En Vendée, la situation est différente. Il s’agit du groupe le plus important; des paroisses entières ont jadis basculé dans l’opposition anticoncordataire. Les lieux de culte y sont donc importants et nombreux, comme à Courlay où se trouve une chapelle pouvant réunir plus de mille fidèles.

Jean-Pierre Chantin - Dans le Lyonnais, l’organisation est aussi familiale et nous trouvons, au mieux, des chapelles dans des demeures importantes. Ils possèdent toutefois d’autres structures: des écoles primaires, des bibliothèques, un système de vignes dans le Beaujolais donné par le dernier prêtre de la Petite Eglise et qui permet d’avoir un revenu autorisant des réseaux d’entraide.

Religioscope - Cela s’organise-t-il sous forme d’association comme structure légale extérieure ou est-ce sur une base totalement privée?

Bernard Callebat - Certaines structures répondent obligatoirement à des impératifs juridiques; d’autres, comme les œuvres charitables, dépendent d’initiatives essentiellement privées.

Religioscope - Ces croyants ne se distinguent probablement pas du reste de la population, excepté peut-être dans les petits villages, où chacun connaît les autres habitants.

Jean-Pierre Chantin - Dans les villages, le nom de famille révèle si l'on est ou non anticoncordataire. Ils ne participent pas non plus en général à la vie de la commune. [NdL: Ce fait est très bien expliqué dans le roman de Boudou dans lequel, en retour, le maire et le garde champêtre se font les persécuteurs de la dernière famille d'Enfarinés.]
En ville, où ils restent très présents dans certains quartiers comme à Lyon, des personnes prétendent que l'on peut reconnaître un anticoncordataire à son habillement strict. Mais je ne le pense pas, même si les tenues excentriques ne sont certainement pas de mise. La tenue sera correcte.

Bernard Callebat - Il est une attitude caractéristique du comportement des catholiques anticoncordataires: la rigueur morale. De fait, elle s’attache aussi au devoir de mémoire, de souvenir, autant de principes qui soutiennent la passion de la fidélité.

Religioscope - Dans un souci de perpétuation, comment s’organise le passage des générations? Assiste-t-on encore à des efforts du côté, soit d’évêques français, soit du Saint-Siège, pour résoudre cette question? Aujourd'hui, à Rome, quelqu'un est-il chargé du dossier anticoncordataire?

Jean-Pierre Chantin - L'aspect de cohésion familiale joue un rôle important pour cette pérennité – si un jeune appartenant au groupe veut prendre son autonomie, il va lui être difficile de maintenir ses relations avec sa famille. Les anticoncordataires demeurent donc plutôt dans une logique familiale. La pérennité du groupe ne les préoccupe pas – sauf en ce qui concerne le groupe local. Ils savent que cette pérennité ne dépend pas d’eux, surtout pour ceux – pas tous - qui s'inscrivent dans une position millénariste et disent qu'ils ne sont pas en mesure d'interpréter le moment de Dieu.

Bernard Callebat - Les catholiques anticoncordataires se sont soudés, au fil des générations, dans une tradition de prières. Et dans ces pratiques immuables depuis deux siècles, ils inscrivent le respect religieux de la foi héritée des ancêtres. Rien ne peut, et ne doit changer car c’est ainsi que la foi a toujours été transmise.

Jean-Pierre Chantin - Au niveau des relations avec l’Eglise catholique romaine, chaque diocèse possédant sur son sol des anticoncordataires le sait et bien souvent les questions se posent au niveau de l’official. Mgr Gerlier, à Lyon, a par exemple fait dresser des listes d’adresses des anticoncordataires afin de pouvoir leur écrire, avant Vatican II. Dans les cas concrets, un anticoncordataire n’a pas à faire de démarche pour assister à la messe, il n’est pas question de lui demander une rétractation. On lui demande certes un acte de baptême, mais un acte de baptême anticoncordataire. On ne lui demandera pas de recevoir le sacrement de confirmation. Si un anticoncordataire demande à se marier à l'église, la question sera traitée au niveau du diocèse. Les diocèses suivent donc ces questions lorsqu’un cas se présente.

Bernard Callebat - On remarque parfois des anomalies institutionnelles datant de l’époque concordataire et révélatrices des rapports de force de l’époque : par exemple, le département des Deux-Sèvres ne possède toujours pas d’évêché alors que d’ordinaire, l’administration ecclésiastique est calquée sur la géographie départementale. Le clergé des Deux-Sèvres relève donc depuis 1801 de la juridiction de l’évêque de Poitiers.

Sur un autre plan, on observe qu’il y a eu des glissements de la part de la “Grande Eglise”, ne serait-ce que dans le vocabulaire. On parlait au début du XIXème siècle de “secte anticoncordataire”, de “schismatiques”; progressivement ces références ont disparu pour laisser place aujourd’hui au vocable de “dissidents”. A leur égard, Il n’est plus question de conversion, d’abjuration, ni de nouvelle profession de foi. [NdL: Certains orthodoxes seraient bien inspirés d'en prendre de la graine dans leur comportement à l'égard des vieux-calendéristes ou des Russes hors frontières.]

D’un point de vue administratif, il n’existe plus de service spécialisé chargé de suivre, au sein des diocèses ou d’une Congrégation romaine, le dossier des catholiques anticoncordataires. Pour autant, la nonciature apostolique à Paris n’ignore pas leur existence.

L’une des dernières démarches entreprises par Rome remonte à l’après-guerre, quand un ancien missionnaire, Monseigneur Derouineau fut envoyé en France auprès des communautés anticoncordataires. A la même époque, il fut demandé aux évêques de faire un rapport d’activités sur leur diocèse. Ni Mgr Gerlier, archevêque de Lyon, ni son suffragant, Mgr Ancel n’évoquèrent l’existence des anticoncordataires dans leur ville. Seul Mgr Vion, évêque de Poitiers, en fit mention. Aujourd’hui, cette question ne semble plus intéresser les hommes d’Eglise alors que le Concordat de 1801 sert toujours de modèle à la diplomatie vaticane.

Jean-Pierre Chantin - Sans dévoiler de secrets, on peut dire cependant que toute occasion d’entrer en contact avec les Vendéens est prise. Dès que survient un événement particulier dans cette région où l’Eglise se trouve mêlée, des contacts sont pris avec la Petite Eglise pour les rendre attentifs à leur situation particulière. La Vendée continue probablement de soulever un problème plus sensible que les autres, et le groupe numériquement plus important est considéré comme plus “accessible” que les irréductibles dirigeants lyonnais.
Dernière modification par Claude le Liseur le mer. 01 mars 2006 10:51, modifié 3 fois.
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Re: Question importante : les sacres ?

Message par Claude le Liseur »

eliazar a écrit :Je viens de découvrir ce fil - et je le dois à une bronchite qui me tient éveillé au milieu de la nuit.

Il est vrai que ces derniers jours je n'ai guère ouvert le Forum que pour me reporter à l'un des (anciens) fils pour lesquels j'avais depuis un certain temps utilisé la fonction qui m'avertit de l'arrivée d'un nouveau message. Ce n'était pas le cas pour ce fil-ci : il a débuté en septembre 2004, une période pendant laquelle j'ai été privé d'ordinateur pendant plusieurs mois.

C'est avec une certaine émotion que j'ai pu y lire, grâce à Claude l'Helvète, ce récit populaire écrit dans une langue si proche du provençal classique. En tout cas, ses quelques particularismes figurent en bonne place dans le Trésor du Félibrige de Frédéric Mistral. Mais plus encore que ce parler qui m'est encore quelque peu familier (même si je ne le pratique pas), c'est le récit de ces choses graves, vécues naguère dans nos régions méridionales (et ailleurs dans ce qui avait été jadis les Gaules) qui m'a surtout bouleversé.

Curieusement, ce récit n'est pas sans une discrète parenté avec les interventions récentes de "Noël" sur notre Forum - à propos de l'étoile à 5 ou à 6 branches, et de l'orientation des édifices sacrés, et généralement de la tradition compagnonnique - et du respect de l'arcane. Des traditions sacrées qui font l'ossature invisible des grands métiers.

Il y a dans l'âme de notre peuple, qui est un peuple de paysans-nobles, un attachement viscéral à tout ce qui est tradition reçue des anciens. Un Frédéric Mistral a pu par exemple initier son beau livre-poème de Mirèio par la profession de foi célèbre où il se revendique "umble escoulan dòu grand Oumèro" (humble écolier du grand Homère) - se reliant, à travers son "métier" de poète narrateur, aux racines grecques qui sont (et qui demeuraient vivantes pour lui ) celles de toute notre culture provençale : celle de l'antique langue d'oc. Et le Félibrige, cette école de lettrés (et parfois, comme c'est le cas par exemple pour un Roumanille, de lettrés populaires, autodidactes) qui s'étaient donné pour idéal de faire revivre la langue de nos ancêtres, source de toute la poésie française (par ses troubadours) et d'une grande partie de la langue de la France moderne - le Félibrige communiait avec son maître Mistral dans ce même culte de la continuité.

On sait que, naïvement, lorsque le gouvernement parisien décida la saisie des biens de l'église de France (lors de la séparation de l'église et de l'état), le vieillard illustre décrocha le fusil de chasse qui était au-dessus de sa cheminée et alla rejoindre les autres anciens élèves du Monastère du Frigoulet, tout proche de Maillane, pour le défendre contre la troupe envoyée par Paris pour en expulser les moines prémontrés.

Ce qui représente pour les Enfarinés dont parle Boudou la continuité de transmission de l'épiscopat (depuis les temps pour lui immémoriaux), c'est immédiatement compréhensible pour un paysan comme pour un petit noble, à travers les réalités fondamentales de leur "métier d'homme". La terre, comme le service du Roi, n'est pas tant une possession qu'elle n'est un héritage, dont nous sommes redevables à ceux qui nous ont précédés - et il n'y a pas davantage de self-made man pour un peuple chrétien qu'il n'y a de récoltes qui tombent du ciel. Pendant ce récent Carême de Noël, nous avons répété chaque jour à l'heure de sexte la belle prière orthodoxe qui demande au Christ de sauver Son peuple et bénir Son héritage. Et de même, comme le psaume 101 nous en avertit au moment des Complies :

Au commencement, Seigneur, tu as fondé la terre, et les cieux sont l'oeuvre de tes mains.
Ils périront mais Toi tu demeures, et tous ils vieilliront comme un vêtement; tu les changeras comme un manteau, et ils seront changés.
Mais Toi, tu restes le même, et tes années ne passeront point.
Les fils de tes serviteurs trouveront un séjour, et pour les siècles leur lignée se poursuivra
.

Cette notion de continuité immuable, qui n'exclut nullement le devoir de perfectionner (en nous comme dans cet héritage qui nous est confié pendant notre vie terrestre) les dons qui nous ont été accordés dès notre naissance et notre Baptême, "à l'image et à la ressemblance" de la Tri-Unité divine - cette notion est exactement l'inverse de l'enseignement moderne qui nous incite à nous imaginer maîtres de notre destin un peu comme l'électeur se croit maître de son choix.

La sagesse ancestrale des fidèles du Dieu-homme nous enseignait le contraire de ce langage démiurgique qui fait déraisonner l'homme actuel, lorsqu'il se prend pour un dieu. Je me souviens encore, dans les quartiers populaires de ma ville natale, du respect que nous, les enfants, devions à tout vieillard quelque fut son rang : depuis le mendiant jusqu'au notable, nous le saluions (comme du reste faisaient nos parents et nos professeurs) du nom de "Mestre", Maître. Maître, il ne l'était certes pas par sa situation sociale ou financière, mais bien plutôt par la dignité de la vie qu'il avait menée en vue de l'accomplissement de sa tâche quotidienne, mais aussi de son propre accomplissement - à cette place que Dieu lui avait assignée dans la longue chaîne des générations.

Les gestes du métier s'apprenaient d'un ancien, et de même les valeurs de la vie. Il y avait à la base de toute l'exéprience humaine une longue chaîne de transmission. De "tradition". Et celui qui avait rempli sa tâche avait bien mérité ce titre de mestre. Qu'il soit riche ou pauvre nous importait peu en regard de cette grande synthèse de la vie humaine dont il était le symbole vivant, et respecté.

Dans cette civilisation-là, on ne pouvait même pas imaginer que l'Évêque ne fut pas le successeur des Apôtres. Et il aura fallu la Révolution, en effet, avec son cortège de nouveaux seigneurs issus de leurs propres oeuvres, ces "bourgeois gentilshommes" que Molière tournait encore en dérision un siècle plus tôt, pour que notre peuple constate de visu cette chose incroyable: qu'un évêque de l'Église du Christ puisse n'être que l'élu d'électeurs dont certains ne reconnaissaient même pas le Christ !

Là en effet où sa hiérarchie véritable avait disparu, visiblement remplacée par une mascarade de "nouveaux évêques" (bien accordés à ces gouvernements de "nouveaux riches"), la fidélité profonde du peuple de Dieu n'a plus d'autre possibilité que de se passer de hiérarchie. On l'a bien vu avec les Chouans, qui ont eu leur correspondance en Provence, dont Jean Giono a parlé magnifiquement - lui qui était pourtant de l'autre bord.

Les Russes ont connu cela, à leur tour, au début du XXème siècle. Cela avait été pour nos gens aussi une "Église du silence". Dieu avait donné, Dieu avait repris, mais la continuité de l'Église, et sa réalité, résidaient dans son peuple - et ce petit peuple de fidèles se sentait viscéralement responsable d'assurer par son propre sacrifice l'immutabilité de sa foi - même si ses prêtres avaient disparu. Même si leur évêque s'était enfui en Angleterre ! Le protestantisme lui-même, en son principe, a été cela - et je ne peux pas imaginer que les générations issues de ce mouvement de fidélité absolue (au risque du martyre) puissent porter le poids, le jour du Jugement, d'une forfaiture contre laquelle ils s'étaient révoltés en leur âme et conscience.

... ...

Mais je vois que c'est bientôt le petit matin, et que Boudou m'a mené bien loin non seulement du sommeil, mais encore de ces certitudes (seulement livresques) que tant de faussaires mitrés avaient réussi à imposer à nos ancêtres - du haut de leur soi-disant "chaire de Pierre". Il y a tant de "preuves" (dans l'ordre juridique ou légal) qu'il devient si facile de fausser lorsqu'on jouit de toute la confiance d'un peuple ! Mais au fond de la conscience des gens droits, lorsqu'ils ouvrent enfin les yeux et voient, elles ne valent plus grand'chose - et c'est ce que rappelle d'un mot le vieux grand-père en se signant devant l'enfant Mançoun.

Serait-ce pour cela que le Christ n'avait pas choisi Ses apôtres parmi les doctes et les lettrés d'Israël, mais parmi de simples pécheurs du lac ?

... ...

Comme l'a si bien défini le saint moine dont ma famille porte le nom, Vincent de Lérins, en face de la ville de Cannes toute proche : La Foi est ce qui a été cru par tous, partout, et toujours.

Pourquoi ce peuple qui a cru de bonne foi des hiérarques imposteurs - ceux qui avaient fait hypocritement dévier son église de la Foi des Apôtres sur quoi elle avait été fondée (et çà, bien avant le schisme de 1054) - devrait-il être jugé pour un forfait qu'il n'aurait jamais supporté s'il avait pu en deviner la tortueuse réalité? J'ai au fond de moi la conviction que cela ne se peut pas.

Pourtant, nous autres qui sommes revenus à l'orthodoxie de nos premiers ancêtres chrétiens de Provence, nous sommes aujourd'hui placés devant un terrible dilemne. Les canons interdisent que nous fassions célébrer des offices pour nos morts - parce qu'ils sont morts catholiques romains. Devrons-nous donc aller demander ces prières aux prêtres d'un pape latin schismatique ?

Devrons-nous donc oublier, dans notre Eglise enfin retrouvée, ceux qui n'ont pas eu la possibilité de retrouver la Foi orthodoxe, et sans qui nous ne serions pas là, cette nuit ? Et pour qui nous avons, nous leurs seuls descendants, le devoir sacré de prier ?

Il va de soi, mon cher Eliazar, que c'est en grande partie en pensant à toi que j'ai publié sur le forum les extraits du livre de Boudou dans le texte original en languedocien, connaissant ton goût pour les langues d'Oc.

Dans le prolongement des précédents messages, je tiens à signaler qu'Alapage et Amazon ne vendent les oeuvres de Boudou que dans la traduction française. Les livres de Boudou dans le texte original en languedocien peuvent être commandés sur Internet auprès d'une librairie de Montpellier et Alès, la librairie Sauramps, dont voici l'adresse sur Internet: www.sauramps.com . Sur la base de mon expérience, je les ai trouvés très fiables et rapides, et cela peut être un moyen de venir à l'aide d'une littérature ignorée par le parisianisme.

Le nom de Boudou, en graphie IEO, se transcrit Bodon.

Je tiens aussi à préciser que Boudou était à des années-lumière du monde religieux et politique des Enfarinés. En effet, Boudou a été, pendant toute sa vie d'adulte, proche du Parti communiste français, malgré un curieux flirt avec les Témoins de Jéhovah vers 1952. C'est donc un signe supplémentaire de son immense talent qu'il ait réussi à écrire un roman aussi poignant, véritable mémorial des Anticoncordataires et hommage à leur fidélité absolue à la Maison de France et à l'Eglise gallicane.

Dans tout le roman, il y a un unique passage où Boudou parle en fait à la place du personnage principal (Amans) et marque son éloignement par rapport aux convictions monarchistes et gallicanes des Enfarinés, et ce à propos de leur morale sexuelle rigoriste (dans le chapitre 36 précisément intitulé La Chasteté).

Texte original de Boudou, page 156:

"Quand me soveni, lo rire que comenci lo gardi talament que me dòl a la junta dels pòts."

Traduction française de Canivenc, page 156:

"Quand j'y pense, le rire qui me prend est tellement rentré qu'il me fait mal aux commissures des lèvres."

C'est tout de même la marque d'un grand talent qu'il n'y ait qu'une phrase dans tout le roman où l'auteur transparaît derrière le sujet. A part cette unique phrase, le lecteur a l'impression que le roman a été écrit par un paysan fidèle de la Petite Eglise, et pas par un instituteur communiste.

Il est vrai, toutefois, que Boudou était un enfant du Ségala, comme les Enfarinés qu'il décrit. Peut-être que la terre permet de surmonter l'idéologie.
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Message par Claude le Liseur »

Le jeudi 13 avril 2006 à 0h03, Théodore a posé une question pertinente sur les Vieux-Croyants, leur origine et leur histoire.

En attendant le jour où je pourrai lui faire une réponse plus détaillée, je me permets de faire remonter ce fil en l'invitant à le lire comme un début de réflexion sur le sujet.

Dans un autre contexte géographique (la France et non la Russie) et religieux (dissidence du romano-catholicisme et non de l'Orthodoxie), la Petite Eglise dont il a été beaucoup question dans le présent fil, surtout à travers le beau roman en languedocien de Jean Boudou, est confrontée depuis 150 ans à un problème qui a été celui des Vieux-Croyants de Russie pendant 180 ans et qui reste non résolu chez une partie d'entre eux. Comment survivre quand on appartient à une communauté religieuse qui professe la nécessité du sacerdoce ministériel et que l'on n'a précisément plus aucun ministre ni aucun espoir d'en avoir? Car les laïcs qui dirigent le culte dans la Petite Eglise ou chez les беспоповцы (bezpopovtsi = les Vieux-Croyants sans prêtres; nesacerdotali, non sacerdotaux, comme on dit joliment en roumain) ne sont pas des pasteurs réformés. Ces laïcs, on les appelle наставникы, instituteurs, chez les Vieux-Croyants de Russie, et Anciens chez les Blancs de France. Parfois, les Anciens de la Petite Eglise - en tout cas dans le Charolais - sont appelés pasteurs, au moins par le public extérieur au monde des anticoncordataires; mais ce terme ne doit pas faire illusion: il n'y a pas d'idée d'un nouveau ministère qui serait en mesure de remplacer le clergé perdu.
La situation est vécue comme une injustice et une souffrance provisoire jusqu'au rétablissement du bon droit. Or, le provisoire dure des générations et des générations.

Ce qui m'a amené à citer de longs extraits du roman de Boudou, c'est qu'en plus de faire le portrait de cette France authentique qu'était la Petite Eglise, il constitue une tentative rare de décrire ce que peut être la psychologie et le vécu de chrétiens qui se trouvent dans cette terrible situation, l'attente qui n'en finit pas du retour d'un épiscopat et d'un clergé.

Cette situation peut se produire dans bien d'autres circonstances et c'est pour cela que je voudrais rendre le lecteur attentif au fait qu'elle n'est pas si anecdotique qu'on pourrait le croire à première vue.

Une telle situation pourrait être celle de l'Eglise copte dans quelques décennies si -ce qu'à Dieu ne plaise - tel ou tel groupe islamiste égyptien arrivait à assassiner l'ensemble de ses évêques: imaginez ce que pourrait être une bombe posée au milieu d'un concile des évêques de cette Eglise, et souvenez-vous qu'un évêque copte (il est vrai pas le plus reluisant) fut assassiné aux côtés du président Sadate par le groupe Takfir wa Hijra en 1981. (Apostasie et Exil, quel nom poétique pour un groupe de "tyrannicides" qui se préparaient à abattre celui qu'ils appelaient "Pharaon" dans le langage toujours fleuri des djihadistes...)

Mais, bien chers lecteurs, pensez que telle est à l'heure actuelle la situation des chrétiens orthodoxes sur le territoire de la République populaire de Chine. Le professeur Baker, dans son livre récent sur l'histoire de l'Orthodoxie en Asie du Nord, indique qu'il resterait à l'heure actuelle 13'000 chrétiens orthodoxes en Chine (concentrés à Harbin, Pékin, Changhaï et dans le Xinjiang). Ils étaient 300'000 en 1945 (environ 100'000 Russes, dont 20'000 à Changhaï et l'essentiel du reste en Mandchourie, et 200'000 convertis chinois). Sur l'effectif actuel, les Russes doivent à peine atteindre le millier; les convertis chinois et leurs descendants représentent l'écrasante majorité de ce petit groupe, soit 12'000 personnes d'après les estimations du professeur Baker.

Or, le gouvernement de la République populaire de Chine semble avoir réalisé, comme le craignait l'ancien ministre socialiste français Arthur Conte dans les pages pénétrantes qu'il consacrait à Deng Xiaoping dans Les Dictateurs du XXe siècle (Robert Laffont, Paris 1984), l'effrayante alliance de l'intolérance athée héritée du communisme, d'une efficacité économique qui ne s'encombre d'aucun obstacle et laisse loin derrière les capitalistes les plus endurcis et de la haute technologie.
Les media ne nous en parlent guère. Forcé par son souci de ménager les Etats-Unis de tolérer catholiques romains et protestants (encore qu'il ait réussi à les diviser), le régime de la RPC s'en donne à coeur joie contre ceux qui n'ont pas de protecteurs terrestres. L'entreprise de destruction du bouddhisme du Vajrayana au Tibet continue de plus belle, avec des méthodes qui furent parfois expérimentées par les Soviétiques contre notre Eglise (les monastères restaurés et peuplés de faux moines que l'on montre aux touristes au Tibet ne sont pas sans évoquer la mémorable fausse liturgie où officiait un tchékiste déguisé en prêtre que l'on organisa pour Edouard Herriot lors de son voyage à Kiev). La secte du Falungong subit une répression féroce. Et les quelques milliers de chrétiens orthodoxes chinois qui subsistent encore, derniers restes d'une Eglise autrefois florissante et dont les évêques furent assassinés lors de la Révolution culturelle, se voient toujours interdire de reprendre une vie sacramentelle normale. Le dernier prêtre orthodoxe chinois est mort en 2004. Quant aux évêques, comme je viens de l'écrire, ils ont disparu depuis 1966.

Les seuls points du monde chinois où l'Eglise orthodoxe peut vivre librement sont Singapour, Taïwan et Hong Kong. Le Patriarcat oecuménique a installé le siège de sa métropole d'Asie du Sud-Est à Hong Kong, et il y a une paroisse orthodoxe à Hong Kong, à Singapour et à Taipei. Il est plus que probable que le gouvernement de Pékin s'opposerait à ce que la métropole déborde des étroites frontières de la Région autonome spéciale de Hong Kong pour ouvrir des paroisses sur le territoire de la RPC probablement dite. Et le problème qui se pose à la métropole de Hong Kong - dont les forces vives se trouvent d'ailleurs parmi les orthodoxes javanais, bengalis et philippins - est que cette présence ecclésiale dans ces trois villes de peuplement chinois que sont Singapour, Hong Kong et Taipei ne permet pas pour autant une véritable mission parmi les Chinois, parce que le clergé qui dessert ces paroisses a d'abord dû répondre aux demandes des orthodoxes expatriés - Grecs, Russes, Serbes et Etasuniens surtout - installés dans ces villes. La seule charge pastorale des ceux qui sont déjà orthodoxes et qui n'avaient pas de paroisse avant les années 1990 est déjà si absorbante que la mission auprès de ces Chinois de l'extérieur vient en seconde position.

Cela veut dire que nos frères orthodoxes de Chine, sur lesquels nous ne savons à peu près rien, se trouvent maintenant dans la situation qui fut celle des Vieux-Croyants de Russie, qui est toujours celle des беспоповцы et de la Petite Eglise. Avec cette différence que ce n'est pas un schisme, mais l'action d'un pouvoir politique hostile qui les a mis dans cette situation. Ayons une pensée pour eux en relisant ces belles pages de Boudou, et avant de revenir sur la tragique et édifiante aventure des Vieux-Croyants de Russie. Imaginez ce que c'est que de vivre sans épiscopat, sans aucun clergé, sans eucharistie, en n'ayant plus que la possibilité de faire lire les heures par des laïcs, et de quand même s'accrocher à la foi.
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Message par Claude le Liseur »

lecteur Claude a écrit : Car les laïcs qui dirigent le culte dans la Petite Eglise ou chez les беспоповцы (bezpopovtsi = les Vieux-Croyants sans prêtres; nesacerdotali, non sacerdotaux, comme on dit joliment en roumain) ne sont pas des pasteurs réformés. Ces laïcs, on les appelle наставникы, instituteurs, chez les Vieux-Croyants de Russie, et Anciens chez les Blancs de France. Parfois, les Anciens de la Petite Eglise - en tout cas dans le Charolais - sont appelés pasteurs, au moins par le public extérieur au monde des anticoncordataires; mais ce terme ne doit pas faire illusion: il n'y a pas d'idée d'un nouveau ministère qui serait en mesure de remplacer le clergé perdu.
La situation est vécue comme une injustice et une souffrance provisoire jusqu'au rétablissement du bon droit. Or, le provisoire dure des générations et des générations.
Dans ce que je pense être le meilleur ouvrage sur les Vieux-Croyants de Russie, Rußlands Altgläubigen, du professeur Peter Hauptmann, Vandenhoeck & Ruprecht, Gottingue 2005, il y a une très bonne explication (page 117) de ce qui distingue le наставник vieux-croyant russe (ou l'Ancien anticoncordataire français, ou le laïc qui lit les heures dans les églises privées de clergé de l'Eglise orthodoxe de Chine à Harbin ou à Urumqi) d'un pasteur réformé.

Texte du professeur Hauptmann:

Ungeachtet mancher Entsprechungen unterscheidet sich jedoch der geistliche Leiter bei den priesterlosen Altgläubigen nicht nur vom orthodoxen oder katholischen Priester, sondern auch vom evangelischen Pastor. Die Sukzession in ihrem gesitlich Leistungsamt wird nicht nur nicht als apostolische bezeichnet, sondern hat mit dieser auch gar nichts zu tun. Es handelt sich auch nicht um eine Auffassung, wie sie Martin Luther in einer seinen zwischen Ostern und Pfingsten 1537 in Wittenberg gehaltenen Predigten über die Abschiedsreden Jesu zur Erklärung von Joh 14, 10 vertreteten hat (...)
Selbst die leichteste Verwischung oder vorsichtigste Auflockerung der zwischen einem Bischof und einem Priester sowie zwischen einem Priester und einem Laien bestehenden Grenzen wäre altgläubigem Denken unerträglich. Darum bleibt ihr geistlicher Leiter innerhalb dieses Schemas durchaus ein Laie und darum erstreckt sich eine Vollmacht zur Sakramentsverwaltung auch nicht auf jene Sakramente, deren Verwaltung den Empfang der Priesterweihe voraussetzen.


Ma traduction:

Malgré certains points communs, le chef spirituel (NdT: le plus souvent appelé наставник]) des Vieux-Croyants non sacerdotaux se distingue non seulement du prêtre orthodoxe ou catholique, mais aussi du pasteur protestant. Non seulement la succession dans leur fonction de direction spirituelle n'est pas considérée comme une succession apostolique, mais elle n'a rien à voir avec une telle succession. Il ne s'agit pas non plus d'une conception comme celle que Martin Luther a défendue dans une des prédications qu'il a données à Wittenberg en 1537 entre Pâques et la Pentecôte sur le discours d'adieu de Jésus pour expliquer Jn 14, 10 (...)
Ne serait-ce que la plus légère transgression ou le relâchement le plus prudent de la fontière qui existe entre un évêque et un prêtre, ainsi qu'entre un prêtre et un laïc, serait inacceptable dans la pensée starovère.
C'est pourquoi le conducteur spirituel demeure, à l'intérieur de ce schéma, un laïc et c'est pourquoi sa délégation pour l'administration des sacrements se limite aux sacrements dont l'administration ne présuppose pas l'ordination à la prêtrise.

Ce point est important à garder à l'esprit parce que les беспоповцы ont souvent été présentés par les observateurs étrangers (y compris francophones) comme une sorte d'équivalent russe du protestantisme. Or, ils n'ont rien à voir avec d'authentiques protestants (comme par exemple les baptistes, relativement nombreux et fort bien intégrés en Russie). Ils s'en distinguent par le fait qu'ils ne se considèrent même pas comme une Eglise réformée, re-formée ou refondée. Ils se considèrent plutôt come les anti-réformistes, forcés de se passer d'épiscopat à cause de la victoire de l'erreur. J'insiste sur ce point parce que l'on verra que beaucoup de communautés des Vieux-Ritualistes sans prêtres ont en fait une vie très semblable à celle de communautés protestantes assez radicales. Mais si l'organisation a été similaire, l'esprit était très différent, et le professeur Hauptmann a raison de procéder à cette mise en garde, qui sera utile pour comprendre la suite, quand viendront des réponses plus détaillées à la question posée par Théodore.
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Message par Claude le Liseur »

lecteur Claude a écrit :
Cette situation peut se produire dans bien d'autres circonstances et c'est pour cela que je voudrais rendre le lecteur attentif au fait qu'elle n'est pas si anecdotique qu'on pourrait le croire à première vue.

Une telle situation pourrait être celle de l'Eglise copte dans quelques décennies si -ce qu'à Dieu ne plaise - tel ou tel groupe islamiste égyptien arrivait à assassiner l'ensemble de ses évêques: imaginez ce que pourrait être une bombe posée au milieu d'un concile des évêques de cette Eglise, et souvenez-vous qu'un évêque copte (il est vrai pas le plus reluisant) fut assassiné aux côtés du président Sadate par le groupe Takfir wa Hijra en 1981. (Apostasie et Exil, quel nom poétique pour un groupe de "tyrannicides" qui se préparaient à abattre celui qu'ils appelaient "Pharaon" dans le langage toujours fleuri des djihadistes...)
Je crains que les choses ne s'accélèrent, si j'en crois Le Figaro de ce jour, page 3:

"Violences anti-coptes à Alexandrie

EGYPTE. Les coptes (chrétiens) égyptiens ont de nouveau été pris pour cible, hier à Alexandrie. Une personne a été tuée et au moins quinze autres blessées, lors d'attaques au couteau menées par des assaillants, vraisemblablement islamistes, contre trois églises. Les assauts ont eu lieu presque simultanément, vers 9 heures du matin, au moment où des messes étaient célébrées. A chaque fois, un homme armé de couteaux s'est jeté sur les fidèles. Noshi Atta Guirguis est mort dans l'attaque contre l'églsie al-Quidissine (Les Saints) à Sidi Bichr, dans l'est de la ville, où au moins deux autres personnes ont été blessées. Dix fidèles coptes ont été blessés dans l'église Mar-Guirguis (Saint-Georges) dans le quartier de Hadara (est). Au moins trois d'entre eux étaient hier dans un état grave. Enfin, une personne a été blessée dans la troisième église, Al-Aadra (La Vierge), dans la banlieue est d'Abou-Kir.
Les dernières violences anti-coptes datent d'octobre 2005. Des milliers de manifestants avaient attaqué des églises, des magasins et un hôpital du quartier chrétien. Les émeutiers protestaient contre la diffusion d'un enregistrement sur DVD d'une pièce de théâtre décrivant le parcours d'un jeune chrétien converti à l'islam, qui se voyait encourager par des intégristes à tuer des prêtres.
L'Eglise copte orthodoxe, soucieuse de protéger les quelque 10% de coptes égyptiens, avait condamné la pièce, jouée en 2003 dans l'église Saint-Georges."

Il est intéressant de voir que ces groupes islamistes s'attaquent maintenant en priorité aux lieux de culte, et, malheureusement pour les Coptes, cela va dans le sens de ce que je redoutais dans mon message de hier.
On notera que tout ceci se passe dans un pays présenté comme "modéré", naturellement pro-américain (M. Bush a préféré aller bombarder l'Irak laïc que de se soucier de la situation des chrétiens égyptiens...) et dont l'ambassadeur auprès du royaume du Danemark, faisant fi de toutes les règles de la diplomatie, fut à l'origine du montage de l'opération des caricatures de Mahomet dont on a beaucoup parlé voici quelques mois.
Le chiffre de 10% de Coptes en Egypte, sans cesse répété dans les media européens et anglo-saxons, paraît assez au-dessus de la réalité si l'on s'en réfère aux recensements égyptiens, que l'on n'a guère de raison de considérer comme truqués. Mais de ces chiffres, il a été amplement question sur le présent forum.
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Re: question importante : les sacres ?

Message par Claude le Liseur »

Claude le Liseur a écrit :
En parcourant ce site, il me semble que votre position est assez similaire à celle de la "Petite Eglise" anticoncordataire qui survit à Lyon, dans le Poitou, la Vendée, la Wallonie et le Charolais, autrement dit ce groupe héroïque que le peuple appelait aussi les "Blancs", les "Purs", les "Elus", les "Enfarinats", les "Stévenistes", les "Clémentistes". Je crois comprendre que, comme eux, vous êtes prêts à vous passer de sacrements jusqu'à ce qu'une intervention divine modifie la situation présente. Ai-je bien compris?
D'après Guy Janssen (La Petite Eglise en trente questions, Editions Geste. La Crèche 2006 [1re édition 1999]), le groupe de Vendée a disparu. Dans son livre, il ne donne d'ailleurs d'informations que sur le groupe des Deux-Sèvres (le seul qui ait une certaine visibilité, et qui doit encore représenter la moitié de la population de la commune de Courlay, la "Rome de la Dissidence"), sur celui de Lyon (qui serait encore en mesure de faire fonctionner une école) et sur celui du Charolais (les "blancs" du Charolais, 400 personnes environ, et ne dépassant les 10% de la population que dans une seule commune). Il ne parle plus des stévenistes de Wallonie, qui aurait subi de fortes pertes dans les années 1960. En gros, les chiffres actuels seraient de 3'000 personnes pour les Deux-Sèvres (dont 1'200 à Courlay), 400 dans le Charolais (en fait, tout le sud de la Bourgogne, et jusqu'à Roanne) et 400 dans le Lyonnais; mais comme on sait qu'il y a des familles anticoncordataires à Grenoble et qu'il est impossible que les mouvements de population des cent cinquante dernières années n'ait pas conduit des anticoncordataires à émigrer dans la région parisienne ou dans les grandes villes de l'Ouest (Nantes, La Rochelle, La Roche-sur-Yon...), le total pour la France doit être un peu supérieur à 4'000.
Janssen indique qu'au plus fort du mouvement anticoncordataire, sous le Premier Empire, celui-ci comptait quelque 20'000 fidèles dans les Deux-Sèvres (pour la très grande majorité dans la région de Bressuire) contre 2'000 en Anjou et 5'500 en Vendée. Ce n'est donc que dans une toute petite partie de l'ancienne "Vendée militaire" que la résistance au Concordat sut toucher les masses. Il existe une théorie selon laquelle cette situation serait due au fait que les insurgés royalistes de la région de Bressuire avaient eu pour chef Marigny, fusillé le 10 juillet 1794 pour insubordination par les hommes de Stofflet suite à une cabale dont on attribuait la responsabilité à l'abbé Bernier, le principal conseiller de Stofflet. Or, Bernier fut un des principaux négociateurs du Concordat; cela pourrait expliquer pourquoi le Concordat fut rejeté par une proportion aussi importante de la population dans l'ancien territoire de Marigny.
En revanche, ce que personne ne cherche à expliquer, c'est pourquoi il n'y a pas d'anticoncordataires en Suisse, en Savoie et en Piémont? Une partie de la Suisse fut rattachée à la France (Genève de 1798 à 1813 - mais c'étai une ville protestante; le Valais de 1810 à 1814; l'ancien évêché de Bâle, actuels Jura et Jura bernois, de 1793 à 1813), de même que la Savoie et le Piémont. Janssen indique que, lorsque la main de l'Eglise officielle et du pouvoir impérial s'abattirent avec le plus de rigueur sur la Petite Eglise, les prêtres anticoncordataires arrêtés furent internés dans une maison de redressement à Turin. Alors, pourquoi y-a-t-il des anticoncordataires en Belgique - elle aussi rattachée à la France de 1795 à 1814 - et pas en Suisse, en Savoie et au Piémont?
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Re: question importante : les sacres ?

Message par Claude le Liseur »

Voici les estimations données par Guy Janssen pour les effectifs des quinze groupes d'anticoncordataires les mieux connus au début du XIXe siècle (Janssen, La Petite Eglise en 30 questions, Geste Editions, La Crèche 2006 [1re édition 1999], p. 20):

Dissidents 27'500 dont 20'000 dans les Deux-Sèvres, 5'500 en Vendée et 2'000 dans le Maine-et-Loire
Jansénistes 25'000 dans le Lyonnais
Enfarinés 6'500 dans le Rouergue
Stévenistes 4'000, dont 2'500 à Namur et 1'500 dans le Brabant
Rondellistes 2'500 dans la Manche
Louisets 2'000 dans l'Ille-et-Vilaine
Clémentins 2'000 dans la Seine-Inférieure (aujourd'hui Seine-Maritime)
Dissidents 2'000 dans le Loir-et-Cher
Illuminés 2'000 dans le Gers
Petite Eglise 1'500 dans la Sarthe
Blancs 1'000 en Bourgogne
Petite Eglise 1'000 dans l'Orne
Patarons 1'000 dans les Hautes-Alpes (plus précisément dans le Champsaur)
Puristes 500 dans l'Isère
Chambristes 500 dans l'Ariège

Sans surprise, on constate que les deux groupes les plus importants sont situés dans les deux régions où la résistance populaire à la Révolution fut la plus forte: la Vendée militaire et le Lyonnais. Ce qui est plus surprenant, c'est qu'au bout de deux siècles les effectifs du groupe lyonnais sont tombés au même niveau que ceux du groupe bourguignon, qui était pourtant beaucoup plus faible au départ. En fait, en deux siècles, les Blancs du Charolais semblent avoir perdu 70% de leurs fidèles, contre près de 99% pour les anticoncordataires lyonnais. Autrement dit, si le groupe lyonnais avait manifesté la même capacité de survie que les Blancs de Bourgogne, il compterait quelque 7'500 personnes, au lieu de 300 ou 400.
M. Janssen donne les effectifs des quinze groupes les plus importants. Il signale toutefois que la recherche historique a permis de découvrir l'existence de vingt-cinq autres groupes d'anticoncordataires, parfois jusqu'aux portes de Paris, avec des effectifs inférieurs à 500 personnes, de telle sorte que les anticoncordataires ont dû compter 90'000 fidèles dans les premières années du XIXe siècle. Il est significatif qu'un groupe aussi peu nombreux (cela ne représentait tout de même que 0,3% de la population de la grande République consulaire, Belgique annexée incluse) ait suscité de pareilles persécutions de la part de Napoléon et de l'Eglise officielle. Cette persécution, tombée en désuétude sous la Restauration, la Monarchie de Juillet et la IIe République, devait reprendre sous Napoléon III, Mgr Pie, évêque de Poitiers (et maître à penser des actuels intégristes catholiques, célébré entre autres par Jean Madiran) faisant appel au bras séculier pour faire fermer les chapelles de la Petite Eglise (cf. Janssen, op. cit., p. 22). La persécution s'est ensuite poursuivie de manière plus sournoise - dès lors qu'après 1860, l'appui du pouvoir séculier n'allait plus à l'Eglise papale - notamment par les presssions du clergé officiel sur les propriétaires terriens de l'Ouest de la France pour les empêcher d'employer des anticoncordataires ou de leur affermer des terres.
Si le groupe lyonnais, de repli en repli, semble s'être concentré dans le quartier de la Croix-Rousse à Lyon, le groupe bourguignon atteint des sommets en matière d'éclatement géographique: selon Janssen (op. cit., pp. 27 s.), à la fin du XXe siècle, les quelque 300 "Blancs" étaient dispersés sur une vingtaine de localités entre les cantons de Cluny, La Clayette, Chauffailles et Charolles dans la Saône-et-Loire, les cantons de Charlieu et de Belmont-de-la-Loire dans la Loire et le canton de Monsols dans le Rhône, le centre le plus important étant le village de Buffières, près de Cluny, avec une cinquantaine de "Blancs" sur 400 habitants!
Le groupe bourguignon semble être stable depuis 1850. En revanche, le groupe poitevin a encore connu des pertes jusqu'à la fin du XIXe siècle : 27'500 fidèles vers 1810, 8'000 en 1848, 4'000 en 1870, mais 3'000 aujourd'hui - ce qui veut dire qu'il n'y a presque plus de défections depuis un bon siècle.
Les stévenistes, qui comptaient 4'000 fidèles vers 1810, en avaient encore 300 vers 1950 (cf. Janssen, op. cit., p. 30). Aucune indication n'est donnée sur les effectifs actuels.
Pour la "maison de discipline ecclésiastique" de Turin (Piémont) où Napoléon fit interner des prêtres anticoncordataires, cf. Janssen, op. cit., p. 22.
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Re:

Message par Claude le Liseur »

Claude le Liseur a écrit :
En 1959, dans Le phénomène des sectes au XXe siècle (Fayard, Paris, pp. 106 s.), Maurice Collinon indiquait qu'il y avait encore quelque 3'500 fidèles de la Petite Eglise, et qu'ils étaient majoritaires dans deux communes de l'ancienne Vendée militaire (Courlay et Piriers). Il signalait d'autres groupes à Cirières, Pulyaurains, Saint-Martin-de-Tiffauges, Neuil-les-Aubiers en Vendée; dans le Roannais; à Lyon; à Nantes; à Fougères en Ille-et-Vilaine; dans l'Ain; dans la Manche.
Cirières et Nueil-les-Aubiers ne sont pas en Vendée, mais dans les Deux-Sèvres, certes en Vendée militaire, mais pas dans le département de la Vendée.

Ce qui est curieux, c'est que si l'on faisait état il y a quelques années (le livre de Janssen en 1999, l'interview sur Religioscope en 2003) d'effectifs supérieurs à ceux indiquées par Collinon en 1959 (au moins 4'000 contre quelque 3'500), je ne vois plus aucune trace de la plupart des groupes indiqués par Collinon:

- Janssen indique que, même à Courlay, "Rome de la Dissidence", beaucoup d'anticoncordataires "se sont changés", selon l'expression utilisé dans ce milieu, surtout parmi les chefs d'entreprise; il est donc plus que probable que les fidèles de la Petite Eglise aient perdu la majorité dans cette commune, même s'ils doivent être encore proches de la moitié;
- à ma connaissance, il n'y a plus d'anticoncordataires dans la région de Tiffauges;
- le groupe du Roannais est en fait un prolongement de celui du Charolais et correspond à quelques dizaines de personnes dans le canton de Belmont-de-la-Loire, alors que le centre de gravité des "Blancs" de cette région se situe plutôt près de Cluny;
- le groupe de Lyon est bien connu et est concentré à la Croix-Rousse tout en jouant un certain rôle dans la viticulture dans le Beaujolais;
- je n'ai trouvé aucune source évoquant une présence anticoncordataire à Nantes, bien qu'il soit tout à fait possible, suite aux migrations économiques des cent cinquante dernières années, que des familles anticoncordataires aient émigré du Poitou vers la métropole de l'Ouest de la France; de même qu'il est très probable qu'il y ait des fidèles de la Petite Eglise dans d'autres grandes villes proches de leur noyau bressuirais, comme Angers, La Roche-sur-Yon ou Niort; mais en tout cas, aucun groupe organisé, aucun lieu de culte ne sont signalés;
- il n'y a plus aucune trace du groupe de Fougères, qui devait correspondre aux derniers survivants des 2'000 louisets du début du XIXe siècle; on peut supposer que le groupe devait être fort réduit en 1959 et qu'il a disparu par la suite;
- il n'y a plus aucune mention d'anticoncordataires dans le département de l'Ain, alors que les sources actuelles en mentionnent dans l'Isère; je me demande d'ailleurs si Collinon ne faisait pas une confusion entre anticoncordataires et fareinistes, groupe janséniste qui contrôlait la paroisse de Fareins dans la Dombes depuis la fin de l'Ancien Régime - épisode localisé et ancien, mais les tendances jansénisantes et convulsionnaires de certains anticoncordataires du Lyonnais pourraient expliquer cette confusion, si confusion il y a eu (à moins qu'il y ait vraiment eu en 1959 un groupe disparu depuis);
- aucune mention non plus d'une présence d'anticoncordataires dans la Manche à notre époque; s'il y en avait encore en 1959, ce pouvait être les maigres restes des 2'500 rondellistes du début du XIXe siècle.
Vraiment, à l'heure actuelle, je ne trouve mention que des Deux-Sèvres, de Lyon, du Charolais et de ses prolongements, de la persistance (jamais appuyée de chiffres) des stévenistes de Wallonie, de quelques familles de Grenoble en liaison avec le groupe de Lyon et de l'éventuelle présence de familles émigrées en région parisienne ou dans d'autres grandes villes. Plusieurs des noyaux cités en 1959 par Collinon (Ille-et-Vilaine, Manche et Ain) ne sont absolument plus évoqués.
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Re: question importante : les sacres ?

Message par Claude le Liseur »

Claude le Liseur a écrit :

M. Janssen donne les effectifs des quinze groupes les plus importants. Il signale toutefois que la recherche historique a permis de découvrir l'existence de vingt-cinq autres groupes d'anticoncordataires, parfois jusqu'aux portes de Paris, avec des effectifs inférieurs à 500 personnes, de telle sorte que les anticoncordataires ont dû compter 90'000 fidèles dans les premières années du XIXe siècle.

Par exemple, dans le prolongement des Enfarinés du Rouergue (département de l'Aveyron, diocèse de Rodez), il y avait aussi au moins un groupe d'anticoncordataires en Auvergne, à Cassianouze (canton de Montsalvy, arrondissement d'Aurillac, département du Cantal, diocèse de Saint-Flour) qui ne s'est soumis à l'Eglise officielle qu'en 1911, après cent dix ans de dissidence:

http://www.souquieres.org/histoire/enfarine.html
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Re:

Message par Claude le Liseur »

Claude le Liseur a écrit :
Les groupes dans le Massif central (en Auvergne) ont disparu. Les communautés normandes n'existent plus, de même que celles de la région de Blois et Vendôme. Il y a toujours le mythe du "dernier survivant": pour ces groupes aujourd'hui disparus, la fin se situe la plupart du temps dans l'entre-deux-guerres. [NdL: Le livre de Boudou est centré sur le mythe du dernier survivant, lorsque, après le décès de tous les membres de sa famille et l'internement de sa tante en asile psychiatrique, Amans, dernier Enfariné de l'Aveyron, se rend en 1937 ou 1938 dans le Gers pour remettre à la dernière famille des Elus de tout le Sud-Ouest les vases liturgiques pieusement conservés par sa famille depuis la mort du dernier prêtre légitime du Rouergue en 1835.]
Il n'est pas impossible, avec les migrations depuis la fin du XIXe siècle, qu'il y ait aujourd'hui des anticoncordataires à Paris. Le fait que la pratique catholique en France soit si basse rend bien entendu les identifications plus difficiles.

D'après un article de La Dépêche du Midi du 25 avril 2000 (bon, la source vaut ce qu'elle vaut, mais il y a si peu d'informations sur le sujet...) http://www.ladepeche.fr/article/2000/04 ... rines.html , "la dernière descendante des familles Fourcous et Malbert [NdL: les familles qui, après la mort du dernier prêtre légitime en 1835, avaient pris la tête des anticoncordataires de l'Aveyron] s'éteignit en 1931". Cela montre à quel point Jean Boudou était bien documenté lorsqu'il écrivit Lo Libre de Catòia, puisque, dans ce magnifique roman, Amans Codomier, dernier survivant de la dernière famille des Enfarinés du Rouergue, se rend dans le Gers en 1937 ou 1938 (la date n'est pas précisée) pour remettre les vases sacrés conservés par sa famille depuis 1835. On peut supposer que, chez Boudou, la famille Codomier est plus ou moins une transfiguration littéraire des familles Fourcous et Malbert, mais les évènements sont bien situés dans le temps, compte tenu de la nécessaire licence romanesque.
Donc, c'est en 1931 que l'Histoire s'arrête pour ces derniers témoins de la France traditionnelle dans le Massif central; point final et sans rémission.
Il y en a pour qui la fin de l'Histoire se passe moins bien que dans les essais du professeur Fukuyama (propagandiste étasunien heureusement bien oublié sauf par ceux qui, comme moi, avaient 17 ans à l'époque et se demandaient pourquoi une certaine presse francophone se faisait la caisse de résonance de théories aussi extravagantes... avant de comprendre qu'il fallait d'abord se demander pour qui travaillait tel ou tel hebdomadaire).
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Re: question importante : les sacres ?

Message par Claude le Liseur »

Claude le Liseur a écrit :Voici les estimations données par Guy Janssen pour les effectifs des quinze groupes d'anticoncordataires les mieux connus au début du XIXe siècle (Janssen, La Petite Eglise en 30 questions, Geste Editions, La Crèche 2006 [1re édition 1999], p. 20):

(...)
Patarons 1'000 dans les Hautes-Alpes (plus précisément dans le Champsaur)
Selon Emile Derminghem, La Petite Eglise dans les Hautes-Alpes, de 1801 à nos jours. Les Illuminés de Gap et les Patarons du Champsaur extrait du Bulletin de la Société d'Etudes des Hautes- Alpes (n° 49-1957), il restait encore en 1941, six Patarons, tous parents et tous célibataires.

On peut donc considérer que le groupe s'est éteint peu après la deuxième Guerre mondiale, une quarantaine d'années après les Enfarinés du Cantal, et ce alors qu'il avait dû représenter jusqu'à 10% de la population du Champsaur.
Répondre