Sylvie a écrit :Chers amis,
Je ne sais pas ce qui vous arrive. J'ai l'impression que la différence entre le français de France et le Québécois est en cause. Je disais tout simplement mon inquiétude face à la découverte de toutes ces divisions dans l'Église Orthodoxe. Les VCO se disent les vrais Orthodoxes donc ils pensent qu'il y en a des faux.
Je ne cherche pas l'Église qui est digne de moi mais digne de Dieu.
Sylvie
Voilà, mon cours de répétition au
Planungsstab vient de se terminer, l'armée me lâche jusqu'à l'année prochaine et je reprends quelque activité sur le forum.
J'arrive comme un cheveu sur la soupe dans cette discussion, mais si cela peut vous rassurer, Sylvie, ce nom de "Vrais chrétiens orthodoxes" que se sont donné les vieux-calendéristes (Paléohimérologites) grecs (enfin, pas tous: le synode de Mgr Cyprien de Phyli s'appelle Synode des Résistants et leurs homologues bulgare et roumain s'appellent respectivement "Eglise orthodoxe traditionnelle de Bulgarie" et "Eglise d'Orient") est un slogan. Les slogans ne sont que des slogans: étymologiquement, en irlandais, des cris de guerre. Ce n'est absolument pas une constatation objective qui serait susceptible de vous amener à tant d'inquiétude. Et d'ailleurs, si certains vieux-calendéristes se sont proclamés "vrais" chrétiens orthodoxes en affirmant que les autres seraient des "faux", il arrive aussi que d'autres ne les considèrent pas comme orthodoxes: à Alba Iulia, l'année dernière, il m'a fallu expliquer que j'étais orthodoxe, et pas "calendériste" (stilist). Cette autre attitude est tout aussi ridicule que celle des vieux-calendéristes, mais c'est pour vous montrer qu'il ne s'agit bien là que de slogans.
Je pense que le terme de "schisme" est un peu fort pour parler de l'ensemble des vieux-calendéristes. Quand on observe un peu la réalité sur le terrain, on sait que les fidèles orthodoxes vont facilement dans des paroisses vieilles-calendéristes et vice-versa. Le métropolite Païssios (aujourd'hui titulaire du siège de Tyane), à l'époque où il était à la tête du principal groupe vieux-calendériste d'Amérique, racontait lui-même que la plupart des fidèles qui fréquentaient ses églises à New York étaient en fait des paroissiens de paroisses du patriarcat de Constantinople. A la suite d'un long cheminement intérieur, il a été reçu dans le sein du patriarcat de Constantinople en 1998.
Il est très visible aussi en Roumanie que tous les liens n'ont pas été rompus, bien loin de là. Beaucoup de gens (y compris dans le clergé) partent du principe qu'il y a deux Eglises orthodoxes qui coexistent. En ce qui concerne la plupart des vieux-calendéristes, je parlerai de dissidence plutôt que de schisme. Il ne faut pas non plus se laisser tromper par les mots.
Les vieux-calendéristes ont pris dans les pays francophones d'Europe une importance disproportionnée à cause de l'inactivité éditoriale et missionnaire de l'Eglise et d'un groupe de théologiens qui profitait de l'éloignement par rapport aux Eglises locales, presque toutes sous le joug communiste, pour pervertir et dénaturer la vie ecclésiale. De tels événements ne se sont pas produits en Amérique du Nord. Mais, pendant longtemps, presque toutes les publications orthodoxes en français ont été le fait des vieux-calendéristes. Ensuite, la chute du communisme a permis aux Eglises orthodoxes locales de reprendre un peu d'activité en Europe occidentale. Notre frère Jean-Louis Palierne, inscrit sur ce forum, a écrit un livre, que vous pouvez commander sur Internet, qui raconte ces tristes péripéties:
Mais où donc se cache l'Eglise orthodoxe?, L'Âge d'Homme, Lausanne 2002.
Pour toutes ces raisons, la plupart des intervenants sur ce forum ne souhaitent pas écrire de choses trop dures sur les vieux-calendéristes, parce qu'il est difficile de critiquer des gens à qui nous devons beaucoup sur le plan des traductions et de l'édition. Vous ne devez donc pas être surprise du renvoi au site du hiéromoine Cassien (Braun).
Ce n'est pas la première fois dans l'histoire de l'Eglise que les orthodoxes doivent quelque chose à une dissidence. En Russie, les Vieux-Croyants se sont séparés de l'Eglise au XVIIe siècle; ils avaient profondément tort (et la suite de l'histoire n'a pas tardé à le montrer, puisqu'ils se sont divisés en une multitude d'ecclésioles), mais c'est eux, presque seuls, qui ont préservé la tradition iconographique en Russie.
Et à l'heure actuelle, nous voyons le mouvement vieux-calendériste, malgré ses réussites sur le plan iconographique, liturgique et éditorial, et la présence en son sein d'hommes de grande valeur comme feu Alexandre Kalomiros, manifester un esprit de scissiparité sans limites; non seulement, il se divise sans cesse, mais il a aussi donné un épiscopat (que l'Eglise orthodoxe ne reconnaît pas) à une multitude d'évêques vagants dont il a été maintes fois question sur ce forum.
Je ne peux que prier pour que les Vieux-Croyants russes et les Paléohimérologites grecs, bulgares et roumains, qui restent quand même des enfants de l'Eglise malgré leur égarement que j'espère momentané, retournent dans la barque où nous les attendons.
Quand au fait que l'on puisse être à la fois schismatique et "d'une rigueur doctrinale à toute épreuve", il ne doit pas vous étonner. Si l'hérétique pèche contre la vérité, le schismatique pèche contre l'unité. L'hérétique pèche contre les dogmes; le schismatique pèche contre les canons. Le schismatique peut être à la fois pleinement orthodoxe sur le plan des idées et s'éloigner de l'orthdoxie sur le plan des faits (précisément par son schisme).
Mais qui est vraiment schismatique? L'histoire de l'Eglise depuis le commencement est remplie de ruptures momentanées de communion, d'époques où plusieurs évêques se disputaient le même siège, et cela n'a pas toujours abouti à un vrai schisme. Au IVe siècle, l'évêque Lucifer de Cagliari (en Sardaigne) s'est séparé de l'Eglise orthodoxe parce qu'il avait adopté une position ultra-rigoriste contre ceux qui avaient plié devant l'hérésie arienne. Saint Jérôme a même écrit un livre contre les "lucifériens" (
Altercatio Luciferiani et Orthodoxi, récemment traduit du latin en français aux Editions du Cerf par Aline Canellis). Et bien, malgré tout, cette dissidence s'est vite résorbée et Lucifer de Cagliari a été placé par Dieu au nombre des saints, parce que sa dissidence n'était qu'égarement dû à un excès d'amour.
Dans un autre cas, celui du donatisme, une dissidence partant d'un point de départ semblable (attitude ultra-rigoriste pour le retour des apostats dans le sein de l'Eglise) a abouti à un schisme sans retour, puis finalement à l'hérésie, à des troubles incessants, et à la quasi-disparition de l'Eglise d'Afrique. Mais peut-être que le rigorisme des donatistes était, quant à lui, le produit d'un excès d'orgueil et pas d'un excès d'amour?
J'espère donc qu'il en ira de même pour les vieux-calendéristes que pour les lucifériens, et que leur errance dans le désert n'est pas le fruit d'un excès d'orgueil, mais d'un excès d'amour pour leurs ancêtres.
Et, au passage, il faut remarquer que la scène catholique romaine présente le même tableau du côté de ses dissidences. La mouvance intégriste ne représente pas beaucoup moins, en proportion, au sein du catholicisme que la mouvance vieille-calendériste au sein de l'Eglise orthodoxe; alors pourquoi la balayer d'un revers de main? Si vous observez les dissidences intégristes de l'Eglise catholique romaine, vous découvrirez le même spectacle de scissiparité que chez "nos" Paléohimérologites, avec ceux qui reconnaissent Benoît XVI mais n'acceptent pas sa juridiction, ceux qui le reconnaissent mais font comme s'il n'existait pas, ceux pour qui le siège de Rome est vide, ceux pour qui il n'y a même plus de succession apostolique dans leur propre Eglise (cette position nous avait été indiquée sur ce forum par un inscrit catholique, Louis-Hubert, qui nous avait donné un lien fort intéressant, et dont je regrette que nous ne l'ayions plus vu sur le forum après ce message) - tous ces gens réussissant l'exploit d'être parfaitement "papistes" (donc d'une rigueur doctrinale à toute épreuve d'un point de vue catholique romain) alors qu'ils proclament en même temps que le pape officiel actuel est hérétique, ou invalide, ou inexistant, ou même pas évêque, etc. Et je ne parle pas de ceux qui suivent un autre pape (il y a au moins deux Pierre II, en France et en Espagne, un Grégoire XVII au Québec, etc., etc.)
La dissidence porte en elle le fruit d'autres dissidences. Alors, chère Sylvie, ne vous inquiétez pas de cela pour le moment et faites votre chemin dans l'Eglise orthodoxe en Amérique sans vous soucier des marges de l'Orthodoxie.