Page 3 sur 5

Re: ORTHODOXIE & BOUDDHISMES

Publié : sam. 19 déc. 2009 19:41
par Claude le Liseur
Claude le Liseur a écrit :
J-Gabriel a écrit : (...)
Dieudonné ça donne Atallah (prononcé avec le célèbre H aspiré devant, ce qui donne en langage sms 3atallah)
Abdallah prononcer Habédallah (3abdallah).

(...)
Dieudonné en français basé sur le latin, Théodore en français basé sur le grec (Θεόδωρος = le don de Dieu). Il y a quand même aussi des fois où, en français, nous pouvons faire comme les Anglais et puiser dans un double lexique!

Oui, un ami orthodoxe égyptien m'avait aussi expliqué que cela donnait Atallah en arabe, à propos d'un célèbre prêtre orthodoxe palestinien très engagé dans la défense du peuple palestinien.

Mes informations commençaient à dater. Le site orthodoxie.com m'apprend voici quelques jours que ledit prêtre est aujourd'hui évêque et qu'il a signé un appel des chrétiens de Palestine en faveur de la fin de l'occupation de la Palestine (ici: http://www.orthodoxie.com/2009/12/un-ap ... stine.html ).
Je me plonge dans le volume Orthodoxia 2009-2010, Ostkirchliches Institut, Ratisbonne 2009, p. 107, et je trouve sa notice.
Son nom civil était Attallah Nzar Hanna, son nom d'évêque est Théodose et il a le titre de Sébaste. Né en 1965 à Rameh en Galilée, études de théologie à Thessalonique de 1984 à 1990, moine le 11 octobre 1991, diacre le 14 octobre 1991, archimandrite le 2 février 1992, porte-parole du patriarcat de Jérusalem le 23 février 1992, archevêque de Sébaste le 24 décembre 2005.
Soit dit en passant, à la lecture des notices d'Orthodoxia, on ne comprend pas quel est le ressort des évêques du patriarcat de Jérusalem: à l'exception de l'évêque d'Amman en Jordanie, qui a le titre de métropolite de Philadelphie, et de l'archevêque du Sinaï, ils sont tous indiqués avec la boîte postale du patriarcat comme adresse.

Re: ORTHODOXIE & BOUDDHISMES

Publié : sam. 19 déc. 2009 19:51
par Claude le Liseur
Le patriarcat de Jérusalem a un site Internet bien fait (en grec, arabe et anglais) où j'ai retrouvé la biographie du métropolite de Sébaste que je crois être le seul évêque palestinien au sein du patriarcat.

Biographie en anglais:

http://www.jerusalem-patriarchate.info/ ... astias.htm

Biographie en arabe (attention, il n'y a pas de lien permettant de passer directement d'une version à l'autre du site):

http://www.jerusalem-patriarchate.info/ ... astias.htm

Re: ORTHODOXIE & BOUDDHISMES

Publié : sam. 26 déc. 2009 15:24
par Claude le Liseur
Claude le Liseur a écrit :
Claude le Liseur a écrit :Les bœunpo ont toujours affirmé que leur religion n'est pas autochtone au Tibet, mais qu'elle serait originaire du TagZig (ou Stag-zig), région évidemment identifiée au Tadjikistan, voire à la Perse. Même si la localisation est difficile, il n'y a aucun doute que le Bœun est originaire du monde iranien. Il est même probable que l'antagonisme entre les bouddhistes et les bœunpo reprenne en partie le vieil antagonisme qui a abouti à la séparation entre les Indo-Aryens et les Irano-Aryens, ce schisme religieux d'une ampleur considérable. Citons le professeur Lebedynsky de l’INALCO de Paris : « En marge de cette question se pose celle de la « révolution religieuse » qui aurait accompagné la rupture de l’unité indo-iranienne, voire l’aurait provoquée. En effet, le terme indo-iranien commun *daiva- « dieu, divinité », qui a conservé son sens premier en sanscrit (deva-), a pris celui de « démon » en avestique (daēva-). Ce renversement serait révélateur d’une opposition religieuse majeure entre les ancêtres des Indo-Aryens et ceux des peuples iraniens. Mais il est impossible à dater, et il n’est même pas sûr qu’il ait concerné la totalité des parlers proto-iraniens (d’après Georges Dumézil, par exemple, il ne se serait pas produit dans une partie au moins des langues « scythiques » de la steppe, comme en témoigneraient les données de la religion populaire ossète). L’opposition est d’ailleurs moins nette dans le cas de l’autre catégorie de personnages divins, les *Asura- indo-iraniens : du côté iranien, Ahura est devenu le nom du dieu unique du zoroastrisme, Ahura Mazdā, le « Seigneur sage » ou le « Seigneur sagesse » ; mais du côté indien, les Asura védiques sont moins « démoniaques » qu’on ne l’a dit. Dans des textes anciens, ce nom est donné à de grands dieux comme Varuna ou Bhaga. » (Iaroslav Lebedynsky, Les Indo-Européens, Editions Errance, Paris 2006, p. 167.) Il est vrai que, dans le bouddhisme, les asura sont des Titans plutôt que des démons.
On sait qu'un certain nombre d'Indo-Aryens prirent la direction du Moyen-Orient plutôt que celle du sous-continent indien et qu'ils formèrent par exemple l'aristocratie du royaume du Mitanni; des générations plus tard, l’antagonisme entre religion irano-aryenne et religion indo-aryenne n’avait pas diminué : « Un groupe probablement plus important a marché plus au nord en direction de l’ouest à travers le plateau septentrional de l’Iran et a sans doute laissé des arrière-garde s’installer à demeure dans les provinces bordant la mer Caspienne (Mazandéran, Ghilan) où des « adorateurs des devas », descendants de ces Ârya, seront persécutés bien des siècles plus tard par les rois achéménides fidèles d’Ahura Mazda. » (Jacques Freu, Histoire du Mitanni, L’Harmattan, Paris 2003, p. 30.)
Encore quelques réflexions.

1.C'est un lieu commun depuis l'Ancien Testament et jusqu'au dessin animé Il était une fois l'homme dont la télévision m'abreuvait pendant mon enfance - encore qu'il valait mieux être abreuvé de ce dessin animé que des actuelles émissions de télé-réalité) de louer la tolérance des Achéménides. Tout a contribué à ce topos: la clémence de Cyrus après la prise de Babylone en ~539, les divagations de certains philosophes grecs qui projetaient sur la Perse achéménide les mêmes rêves que les philosophes des Lumières projeteront sur la Chine des Qing, la récupération de la figure de Zoroastre (persan Zartocht
ز ر تشت par Nietzsche dans Also sprach Zarathustra, etc., etc. Sans le livre de M. Freu sur l'histoire du Mitanni, je n'aurais jamais su que les Achéménides avaient cruellement persécuté les Indo-Aryens installés au bord de la Caspienne au nom de leur dieu suprême Âhoura Mazdâ.
(Transcription persane du nom de Zoroastre trouvée in Dominique Halbout et Mohammad-Hossein Karimi, Le Persan, Assimil, Chennevières-sur-Marne 2003, p. 642, et saisie à l'aide du clavier persan mis à disposition par Lexilogos: http://www.lexilogos.com/clavier/farsi.htm . Le persan utilise l'alphabet arabe augmenté de trois caractères, ce qui en rend la saisie aisée dès lors qu'on connaît un tant soit peu l'écriture arabe.)
En revanche, les Sassanides, lointains successeurs des Achéménides, ne bénéficient pas du même préjugé favorable, et pour cause: ils furent les persécuteurs acharnés de tout ce qui n'était pas mazdéen. Jean-Gabriel a récemment rappelé sur le présent forum les terribles persécutions infligées par les Sassanides aux chrétiens de Perse. Il ne faut pas oublier que leur rôle dans l'histoire du christianisme fut encore plus néfaste, en ce qu'ils portent une grande part de responsabilité dans deux schismes qui perdurent jusqu'à ce jour: le rejet des conclusions du concile d'Ephèse de 431 par le catholicat de Séleucie-Ctésiphon (la seule "Église d'Orient" au vrai sens de ce terme) en 484, et le rejet des conclusions du concile de Chalcédoine par l'Église d'Arménie . Dans son livre déjà plusieurs fois cité sur le présent forum, L'Église arménienne et le grand schisme d'Orient, Nina Garsoïan a bien montré le rôle joué par les Sassanides dans cet événement aux conséquences terribles qu'a été la séparation des Arméniens d'avec l'Orthodoxie. Un événement qui portait en lui la fin de l'unité du Caucase chrétien et la future disparition de l'Albanie du Caucase suivie de l'apostasie de ses habitants, l'affaiblissement de la frontière orientale de l'Empire des Romains, et surtout l'éloignement de l'Orthodoxie d'un peuple de haute et prestigieuse civilisation. Quant à la séparation du catholicossat de Séleucie-Ctésiphon, elle portait en germe un désastre encore plus douloureux - l'échec du christianisme en Asie centrale et en Chine.

2. J'ai entre les mains un manuel de sanscrit de la collection Teach Yourself (Michael Coulson, revu par Richard Gombrich et James Benson, Teach Yourself Sanskrit, Hodder Education, Londres 2007). Cette collection ne vaut pas ce que nous avons comme équivalents en français chez Presses Pocket ou Assimil, mais, voilà, pour le sanscrit, je n'ai pas trouvé de manuel en français. Encore qu'il existe en allemand une méthode fort sympathique publiée par une avocate de Stuttgart, Me Jutta Marie Zimmerman, mais cette méthode n'a pas de lexique aussi complet que dans le manuel de Coulson (Jutta Marie Zimmerman: Sanskrit. Tome I: Devanāgarī. Die Schrift aus der Stadt der Götter, Raja Verlag, 2e édition, Stuttgart 2005, 90 pages. Tome II: Devavānī. Die Sprache aus der Stadt der Götter, Raja Verlag, 1re édition, Stuttgart 2006, 114 pages.) Raison pour laquelle je dois me reporter au manuel anglais. Je suis fort marri de ne rien trouver de satisfaisant dans notre langue. J'ai eu la curiosité, à propos du schisme religieux immémorial entre Indo-Iraniens et Indo-Aryens qu'évoquent Lébédynsky et Freu dans les ouvrages que j'avais cités, de consulter la traduction que M. Coulson donne des termes litigieux.

Page 318:

असुरः asuraḥ demon (= démon, NdT)

Page 337:

देवः devaḥ god; his / Your Majesty (= dieu; Sa / Votre Majesté en s'adressant à un roi, NdT)

(Sanscrit devanagari et translittération latine du sanscrit saisis à l'aide du clavier trouvé sur lexilogos: http://www.lexilogos.com/clavier/sanskrit_latin.htm. Je précise que je ne connais pas l'écriture devanagari et que je reproduis les mots d'après le dictionnaire. )

Donc, les dieux du zoroastrisme persan sont bien les démons de l'hindouisme indien, et vice-versa. Quand, fuyant l'Islam, un certain nombre de zoroastriens d'Iran se sont installés en Inde où ils ont donné naissance à la prospère communauté des Parsis, ils ont vraiment dû se sentir dépaysés.

En revanche, dans le bouddhisme, en tout cas dans le bouddhisme du Véhicule du Diamant du Tibet, il y a longtemps que les asouras ne sont plus les démons de l'hindouisme - sans pour autant être les dieux du zoroastrisme:
DEMI-DIEUX (sct. asouras): classe d'êtres puissants animés d'une continuelle ardeur belliqueuse (syn. : titans).
(Tcheuky Sèngué e.a., Petit Lexique Claire Lumière du bouddhisme tibétain, Claire Lumière, Vernègues 1991 - les pages ne sont pas numérotées.)

Mais les devas ont gardé un sens proche de celui de l'Inde -proche, mais non identique, car le bouddhisme n'est pas polythéiste:
DIEUX (sct. dévas): catégories d'êtres du samsara caractérisés par une vie très longue et une quasi-absence de souffrances.
On en distingue trois grandes classes:
- les dieux de la sphère du désir,
- les dieux de la sphère de la forme (pure),
- les dieux de la sphère du sans-forme.

Bien que ces dieux ne souffrent pratiquement pas au cours de leur vie, ils restent prisonniers du samsara et , lorsque leur mérite est épuisé, ils retombent dans des mondes inférieurs aux leurs. Ces dieux n'ont pas de rapport avec le Dieu des religions théistes.
(même source)

Voilà, et tout ceci puise sans source dans des événements survenus à une époque connue de Dieu seul, quand les Indo-Européens cheminaient des steppes aux océans.
[/size]


L’auteur du livre de référence en français sur la religion de Zoroastre – à l’origine lointaine du mazdéisme qui persécuta si durement les chrétiens de l’Église d’Orient et favorisa la montée du nestorianisme dans l’Église d’Orient et du monophysisme dans l’Église d’Arménie afin de les détacher toutes deux de la Grande Église de Constantinople – revient sur l’importance du schisme religieux survenu en des temps immémoriaux entre Indo-Aryens et Irano-Aryens.

« De la religion iranienne la plus ancienne, ce que nous savons nous vient de quelques notations d’Hérodote, passablement énigmatiques et concernant surtout les pratiques des Perses (Iran du Sud-Ouest), ainsi que de la comparaison avec la religion indienne archaïque, telle qu’elle apparaît dans le Véda (d’où son nom de religion « védique »). Cette comparaison est légitime parce que les Iraniens et les Indiens cohabitèrent longtemps en Asie centrale avant de se scinder en deux groupes rivaux, le premier occupant le Cachemire et le Punjab, le second l’Iran oriental et l’Afghanistan. Cette origine commune se marque par une étroite parenté linguistique entre le sanskrit védique et l’iranien avestique ; en voici quelques exemples : « dieu » se dit déva en sanskrit, daeva en iranien ; « prière » : mantra en sanskrit, manthra en iranien ; « prêtre » : hotar en sanskrit, zaotar en iranien, etc.

Les dieux Vâyu, Indra, Mitra, Bhaga, etc., se retrouvent, sous les mêmes noms, dans les deux domaines et, plus profondément, c’est l’organisation du panthéon aussi bien que celle de la liturgie qui apparaissent identiques dans l’Iran prézoroastrien et l’Inde védique. Outre la hiérarchie tripartite qui place les dieux souverains au sommet du panthéon (ainsi Mitra et Varuna dans l’Inde védique) et leur subordonne les dieux de la deuxième (le guerrier Indra) et de la troisième fonction (les jumeaux Nâsatyas), on observe que la société divine est divisée en deux clans : celui des Asuras (« forces de vie » ; en iranien : Ahuras) et celui des dévas (« forces de lumière » ; en iranien : Daévas). Il est probable que cette division, qui remonte à la période pré-indo-européenne (puisqu’on l’observe par exemple chez les Germains qui distinguaient « dieux Vanes » et « dieux Ases ») était à l’origine pacifique et harmonieuse : les deux familles divines se répartissaient les tâches cosmiques selon une sorte d’accord qui excluait toute possibilité de rivalité.
Cette situation prévalait encore, semble-t-il, lorsque les Indo-Iraniens vivaient en communauté aux frontières de l’Iran et de l’Inde. Pourtant, après leur installation dans leurs nouveaux territoires, on observe une évolution qu’il est difficile de justifier : les deux clans divins entrent en conflit, et la situation théologique diffère du tout au tout en Inde et en Iran : dans la première, les Dévas deviennent les seuls « dieux » véritables, cependant que les Asuras sont qualifiés de « rivaux des dieux », puis très vite de « forces des ténébres », enfin de « démons », sens que le mot asura conservera dans l’Hindouisme classique ; à l’inverse, Zoroastre se fera le champion des Ahuras et vouera aux gémonies les Daévas qu’il tient pour « adversaires » du Seigneur Sage, « forces du mal », en un mot des démons (et en iranien le terme Daéva ne signifie bientôt plus rien que « démons »*).
On pense évidemment aux Grecs et aux Romains qui, eux aussi, firent des Asuras, des « Titans » que les dieux éliminent, mais il faut reconnaître que personne jusqu’à présent n’a été capable d’expliquer cette étrange évolution. L’intéressant pour nous est de noter la position (unique, semble-t-il, dans tout le domaine indo-européen) de Zoroastre choisissant le camp des Asuras (Ahuras) contre celui des Daévas ; peut-être peut-on y voir une attitude archaïsante qui justifierait la prétention du prophète de « restaurer » un état de choses antérieur plutôt que d’apporter du nouveau ; à l’inverse, l’Inde védique aurait choisi une voie « moderne » comparable à celle qu’adoptèrent plusieurs autres peuples âryens. » (Jean Varenne, Zoroastre, le prophète de l’Iran, Dervy, Paris 2006, pp. 20-21)

* sous la forme div دیو en persan actuel (NdL)

Re: ORTHODOXIE & BOUDDHISMES

Publié : sam. 26 déc. 2009 18:30
par Anne Geneviève
Pensez aux Grecs, le cas des Romains est différent puisqu'ils ont tardivement adopté et romanisé le panthéon grec avec ses mythes et perdu la plupart de leurs mythes propres.

Si l'on suit Hésiode, on s'aperçoit que les "Titans", la deuxième génération de "dieux" sont des forces cosmiques, régentes du temps calendaire, des mers, des vents, des séismes, etc. Avec la troisième génération, celle des Olympiens, nous trouvons les régents de la vie "apprivoisée" et de la civilisation. Le combat que décrit Hésiode est celui d'un triomphe sur ces grandes forces primordiales et primitives. Parallèlement, le panthéon grec comporte des figures plus archaïques comme celles de Pan, d'Héraklès, de Dionysos ou d'Apollon qui nous renvoient à un ensemble mythique déjà présent dans les grottes magdaléniennes et qui a survécu dans certains contes. L'opposition des Vanes et des Ases est fonctionnelle au sens dumézilien ; ce qui correspondrait à l'opposition des Titans et des Olympiens, c'est le combat de l'ensemble des puissances de Mitgard et, en particulier, de Thor contre les Thurses du givre. Mais cette façon de valoriser les forces de civilisation contre la nature à l'état brut se retrouve dans l'espace indoeuropéen et quasiment lui seul, je ne la crois pas plus archaïque, pour ma part. Encore toutes les cultures issues de la racine indoeuropéenne ne l'ont-elles pas forcément conservée : on ne la retrouve pas dans le monde celte (où la trifonctionnalité s'est également affaiblie) et pas non plus dans les écrits romains archaïques.

Ce qui tranche avec l'ensemble indoeuropéen, lors de la réforme de Zoroastre, c'est l'introduction d'un dualisme lumière/ténèbres, d'une opposition radicale qui ne peut se résorber dans une unité du substrat comme on verra en Inde avec la notion d'atman des premières Upanishad. Ou chez Parménide. Je ne vois d'ailleurs pas trace antérieure d'un tel dualisme. Question à creuser.

Re: ORTHODOXIE & BOUDDHISMES

Publié : dim. 27 déc. 2009 14:37
par Claude le Liseur
Anne Geneviève a écrit :Ce qui tranche avec l'ensemble indoeuropéen, lors de la réforme de Zoroastre, c'est l'introduction d'un dualisme lumière/ténèbres, d'une opposition radicale qui ne peut se résorber dans une unité du substrat comme on verra en Inde avec la notion d'atman des premières Upanishad. Ou chez Parménide. Je ne vois d'ailleurs pas trace antérieure d'un tel dualisme. Question à creuser.

Je précise que c'est Jean Varenne qui attribue à la réforme de Zorastre l'inversion du rapport Asuras / Devas par rapport à la situation qui prévaut chez tous les autres Indo-Européens (y compris nous, quand nous parlons de Dieu, divin, divinité). Or, la tradition fait de Zorastre un personnage qui aurait vécu à une époque tardive - à peu près à la même époque que le Bouddha ou Pythagore, donc quelques décennies avant l'avènement des Achéménides. Je pense comme le professeur Lébédynsky que le schisme religieux entre Indo-Aryens et Irano-Aryens est très, très antérieur, et qu'il se situe en des temps immémoriaux. La découverte de ce très vieux schisme dans la somme de Lébédynsky sur les Indo-Européens a alimenté beaucoup de réflexions très profitables chez moi et j'espère que cela déclenchera le même processus chez d'autres. Je me suis aussi rendu compte que la découverte de ce passé immémorial m'a permis d'approfondir ma foi chrétienne.

Dommage que Victor Segalen ait déjà utilisé le titre Les Immémoriaux pour son roman sur l'univers polynésien. C'est vraiment un mot qui conviendrait parfaitement à ces réflexions.

Je n'ai jamais assez creusé l'opposition entre les Ases et les Vanes. Il me semble que le professeur Poly en parle dans son étrange et fascinant Chemin des amours barbares. Le problème, c'est que la connaissance de la mythologie germanique - et aussi celtique - a été très affadie chez nous au cours du XXe siècle à cause de la récupération par la fantasy anglo-saxonne (Robert E. Howard chez qui les Vanes deviennent les Vanir, le peuple "viking" antédiluvien, ou Tolkien qui recycle la littérature galloise qu'il enseignait à l'Université). Je n'ai jamais réussi à lire Le Seigneur des Anneaux. Je ne voyais pas l'intérêt de me plonger dans la copie au lieu d'aller chercher l'original dans le Mabinogion. La vogue de Donjons & Dragons dans les années 1980 a popularisé des thèmes de la mythologie germanique, mais les a aussi affadis et commercialisés. L'éditeur français de jeux de rôles Jeux Descartes avait fait un travail beaucoup plus sérieux à propos de notre passé gaulois dans Légendes Celtiques, mais le jeu n'a eu ni succès, ni suivi. Encore des sujets sur lesquels il y aurait beaucoup à dire.

Re: ORTHODOXIE & BOUDDHISMES

Publié : dim. 27 déc. 2009 16:44
par Claude le Liseur
Anne Geneviève a écrit : Ce qui tranche avec l'ensemble indoeuropéen, lors de la réforme de Zoroastre, c'est l'introduction d'un dualisme lumière/ténèbres, d'une opposition radicale qui ne peut se résorber dans une unité du substrat comme on verra en Inde avec la notion d'atman des premières Upanishad. Ou chez Parménide. Je ne vois d'ailleurs pas trace antérieure d'un tel dualisme. Question à creuser.
Je ne connais à peu près rien de Parménide (à part la phrase «L'être est, le néant n'est pas»), mais je crois avoir trouvé le passage auquel vous faites allusion.
Puisque toutes choses ont nom lumière et nuit,
Et puisque telle ou telle a, selon sa puissance,
Reçu tel ou tel nom, toute chose est remplie
À la fois de lumière et de nuit obscure,
L'une et l'autre ayant part égale en sa nature,
Puisque rien ne saurait exister qui n'ait part
À l'une ni à l'autre
.


Fragment de Parménide cité in Simplicius, Commentaire sur la Physique d'Aristote, 180, 8. Traduit en français par Jean-Paul Dumont«Parménide, B IX», in Les Présocratiques, édition établie par Jean-Paul Dumont avec la collaboration de Daniel Delattre et de Jean-Louis Poirier, La Pléiade, Gallimard, Paris 1988, p. 266.)
Pour ma part, je suis nul en philosophie et je serais heureux si vous-même, chère Anne-Geneviève, ou quelqu'autre personne qualifiée voulait expliciter l'allusion à Parménide (surtout si cela ne correspond pas au fragment que j'ai cité.)

Re: ORTHODOXIE & BOUDDHISMES

Publié : dim. 27 déc. 2009 21:25
par Anne Geneviève
Claude,

Il se trouve que j'ai suivi pendant 7 ans à l'EPHE des cours sur la littérature arthurienne qui étaient en fait une introduction (un peu plus même) au comparatisme. Pour aborder la mythologie scandinave, il faut bien entendu lire Régis Boyer, L'Edda poétique, Paris, Fayard, 1992, et son livre à peu près introuvable sur la poésie scaldique. Sa biblio complète sur la page wiki :
http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9gis_Boyer
Pour le monde celtique, je conseillerais Jan de Vries (également intéressant sur les mythes scandinaves) et Christian Guyonvac'h.
http://en.wikipedia.org/wiki/Jan_de_Vri ... inguist%29
(désolée, c'est en anglais et je n'ai pas le temps de traduire)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Christian_J._Guyonvarc%27h
On trouve aussi quelques traductions de Joseph Loth sur internet :
http://www.arbredor.com/titres/mabinogion.html

Il est difficile de dater l'inversion iranienne du panthéon védique mais puisque, justement, il s'agit de l'univers védique on peut la supposer plus ancienne que Zoroastre. Sur ce dernier et sur le dualisme iranien, j'ajoute à Jean Varenne parfois très partial en tant qu'indianiste un autre auteur intéressant, Paul du Breuil.
http://www.amazon.fr/Histoire-religion- ... 2268002705

Evidemment, je ne cite wikipedia que pour les bibliographies assez complètes. Mais ça m'évite de tout copier !

Parménide : je ne faisais pas allusion à ce fragment, mais le mieux est de lire tout le poème, ce n'est pas très long.
http://philoctetes.free.fr/parmenidefraneng.htm
(bilingue, ce qui est toujours mieux, mais hélas anglais/français)
Je faisais allusion aux vers 15 à 49, la description de l'Etre en tant que sphairos.
C'est à lire absolument car c'est la source profonde de l'arianisme et de l'augustinisme.
Comme dans les Upanishad, on a donc un substrat unifié par delà toutes les oppositions (lumière/nuit, garçons/filles, etc.) et c'est ce substrat unifié qui manque au dualisme iranien.

Re: ORTHODOXIE & BOUDDHISMES

Publié : mar. 05 janv. 2010 20:34
par Claude le Liseur
Claude le Liseur a écrit : Vérification faite - doctus cum libro ! -, l'adoption - au moins nominale - du nestorianisme par l'Église d'Orient et sa rupture d'avec l'Église orthodoxe s'est faite en deux temps:

- en 484, le concile de Beit Lapat dépose le catholicos Babowaï (que le professeur Herman G.B. Teule appelle Babuï in Les Assyro-Chaldéens, Brepols, Turnhout 2008, p. 211) et adopte la théologie de Théodore de Mopsueste comme doctrine officielle de l'Église d'Orient;
- en 486, le concile de Séleucie-Ctésiphon adopte une confession de foi qui marque le rejet définitif de la foi orthodoxe et l'adoption définitive de la doctrine dite nestorienne.

Cf. Raymond Le Coz, Histoire de l'Église d'Orient, Le Cerf, Paris 1995, pp. 53 s.
Beit Lapat est en fait le nom syriaque de la ville de Gundishapur (persan گنديشاپور) au Khouzistan -donc loin des régions de langue syriaque -, qui fut un des plus importants sièges métropolitains de l'Église d'Orient (nestorienne) (cf. Teule, op. cit., p. 13) et dont il ne reste que des ruines aujourd'hui.

Re: ORTHODOXIE & BOUDDHISMES

Publié : mar. 05 janv. 2010 21:13
par Claude le Liseur
Claude le Liseur a écrit :
Ce n'est qu'au printemps de 1914 que le catholicos Simon XIX Benjamin proclamera le retour de l'Église d'Orient dans le sein de l'Église orthodoxe, suite au travail accompli depuis 1898 par la mission orthodoxe russe d'Ourmiah en Iran (cf. Le Coz, op. cit., p. 360). Cette union ne survivra pas au génocide déclenché par l'État turc contre les Arméniens, les Syriaques et les Assyro-Chaldéens, et à l'assassinat du patriarche Simon XIX par les Kurdes le 16 mars 1918 (cf. Le Coz, op. cit., p. 368; cf. Teule, op. cit., p. 37). Toutefois, certains Assyriens allaient rester fidèles jusqu'au bout à ces deux unions de 1898 et de 1914, au témoignage de l'évêque orthodoxe anglais Kallistos (Ware) de Dioclée:
When visiting the Russian convent at Spring Valley near New York in 1960, I had the pleasure of meeting a survivor from the union of 1898, likewise called Mar Yonan. Originally a married priest, he had become a bishop after the death of his wife. When I asked the nuns how old he was, I was told, "He says he's 102, but his children say he is much older than that!"

(Timothy Ware, The Orthodox Church, Penguin, Harmondsworth 1997, note 2 page 313.)
Ma traduction:
Lors de ma visite du couvent russe à Spring Valley près de New York en 1960, j'eus le plaisir de rencontrer un survivant de l'union de 1898, lui aussi nommé Mar Yonan. A l'origine, c'était un prêtre marié. Il était devenu évêque après la mort de sa femme. Quand je demandai aux moniales quel âge il avait, elles me répondirent: "Il dit qu'il a 102 ans, mais ses enfants disent qu'il est beaucoup plus vieux!"
D'Ourmiah à Spring Valley, quel destin extraordinaire... et combien d'enfants de l'émigration russe savent qu'ils eurent un Assyrien parmi leurs évêques?

Le professeur Teule indique qu'il y aurait encore aujourd'hui, dans l'ex-Union soviétique, des descendants des Assyriens unis à l'Église orthodoxe en 1898 et qui, sans renier cette union, auraient gardé une conscience de leur identité propre.
À la fin du 19e siècle, dans le contexte politique de l'expansion russe en Azerbaïdjan perse, l'Église orthodoxe russe réussit à convertir 10.000 à 15.000 Assyriens qui, en suivant l'exemple de leur évêque, Mar Yonan de Supurgan, abjurèrent «l'hérésie nestorienne» (1898). Installés en Union soviétique après le retrait des Russes en 1917, certains de ces "orthodoxes" assyriens assimilés ont gardé le souvenir de leurs origines et conservant jalousement des manuscrits ou des livres liturgiques provenant de leurs régions d'origine, le Hakkari ou l'Azerbaïdjan persan. (Herman Teule, Les Assyro-Chaldéens, Brepols, Turnhout 2008, p. 162).
(On admirera au passage le style du professeur Teule, qui écrit directement en français alors qu'il est de langue maternelle néerlandaise.)

Il ne faut pas confondre ces Assyriens orthodoxes qui ont réussi à garder une partie de leur conscience ethnique après leur exil en Russie avec d'autres Assyriens, qui n'avaient pas approuvé les réunions de 1898 ou 1914 ou les ont rejetées, mais qui ont aussi trouvé refuge à Moscou et à Saint-Pétersbourg où ils maintiennent jusqu'à ce jour une petite présence «nestorienne» . Petite, mais bien vivante, et, dans le contexte de déliquescence actuelle de l'Église d'Orient (assyrienne), qui ne se remet pas des massacres dont elle fut l'objet en 1914-1918 et en en 1933, cette communauté nestorienne de Russie, résultat d'incroyables vicissitudes historiques méconnues en Occident, est une des plus vivantes, avec sa propre cathédrale de style babylonien. Elle dépend de l'évêque assyrien de Douhok en Irak, Mar Isaac Joseph, qui a le titre d'évêque de «l'Iraq septentrional, de la Russie, de l'Arménie et de la Géorgie» - vaste diocèse ! (cf. Orthodoxia 2009-2010, Ostkirchliches Institut, Ratisbonne 2009, p. 36). Les quelques milliers d'Assyriens qui vivent en Arménie et en Géorgie sont les descendants d'émigrations bien antérieures à la première Guerre mondiale.

Sur YouTube, liturgie de Noël à la cathédrale nestorienne de Moscou (7 janvier 2008): http://www.youtube.com/watch?v=mUUzkFu8GDo

Site Internet (en russe) de la paroisse nestorienne de Moscou: http://assyrianchurch.ru/ avec des photographies de cette étonnante cathédrale.

Tout ceci pour rappeler qu'il n'y a pas que la France ou la Grande-Bretagne à qui de très oubliées aventures hors de leurs frontières aient valu d'abriter sur leur sol des communautés d'anciens alliés ou «protégés» venus parfois de très loin. Cette cathédrale nestorienne de Moscou est comme un écho lointain de telle pagode bouddhique vietnamienne de l'Allier, elle aussi construite par les descendants de gens qui avaient dû tout abandonner par fidélité envers ceux à qui ils avaient accordé leur confiance.

Le site de la paroisse nestorienne de Moscou est très clair quant au nom officiel de cette communauté: le seul nom utilisé est Церковь Востока (Église d'Orient) et c'est une fois de plus ici le lieu de rappeler que, malgré tous les abus de langage, c'est bien la seule et unique Église qui a droit au nom d'Église d'Orient.

Une des pages du site de la cathédrale assyrienne de Moscou (ici: http://assyrianchurch.ru/publ/4-1-0-19) contient à peu près les seules explications théologiques que j'ai jamais vues de la part des «nestoriens» actuels, d'habitude assez peu enclins à expliquer leur foi à l'extérieur. On notera sous le point 11 qu'ils dissipent une vieille calomnie, en rappelant que, s'ils ne connaissent pas la vénération des icônes, mais seulement celle de la croix, ils ne sont pas iconoclastes pour autant.

Re: ORTHODOXIE & BOUDDHISMES

Publié : jeu. 07 janv. 2010 2:58
par Claude le Liseur
Claude le Liseur a écrit :Il ne faut pas confondre ces Assyriens orthodoxes qui ont réussi à garder une partie de leur conscience ethnique après leur exil en Russie avec d'autres Assyriens, qui n'avaient pas approuvé les réunions de 1898 ou 1914 ou les ont rejetées, mais qui ont aussi trouvé refuge à Moscou et à Saint-Pétersbourg où ils maintiennent jusqu'à ce jour une petite présence «nestorienne» . Petite, mais bien vivante, et, dans le contexte de déliquescence actuelle de l'Église d'Orient (assyrienne), qui ne se remet pas des massacres dont elle fut l'objet en 1914-1918 et en en 1933, cette communauté nestorienne de Russie, résultat d'incroyables vicissitudes historiques méconnues en Occident, est une des plus vivantes, avec sa propre cathédrale de style babylonien. Elle dépend de l'évêque assyrien de Douhok en Irak, Mar Isaac Joseph, qui a le titre d'évêque de «l'Iraq septentrional, de la Russie, de l'Arménie et de la Géorgie» - vaste diocèse ! (cf. Orthodoxia 2009-2010, Ostkirchliches Institut, Ratisbonne 2009, p. 36). Les quelques milliers d'Assyriens qui vivent en Arménie et en Géorgie sont les descendants d'émigrations bien antérieures à la première Guerre mondiale.
Bien, il faut raison garder et se représenter ce que peut être une communauté «dynamique» à l'échelle de cette chrétienté qui eut autrefois des diocèses de Chypre jusqu'à Pékin, et qui a été au bord de l'anéantissement total en 1914-1918: le professeur Teule (op. cit., p. 169) estime le nombre des Assyriens encore plus ou moins rattachés à l'Église d'Orient à 5'000 en Russie, 2'000 en Géorgie et 2'000 en Arménie. Toutefois, si l'on veut maintenant compter le total des personnes d'ethnie assyrienne dans l'ancienne Union soviétique, on doit ajouter à ces chiffres le chiffre des Assyriens restés fidèles aux retours à l'Orthodoxie de 1898 et de 1914 et qui font aujourd'hui partie de l'Église orthodoxe de Géorgie ou du patriarcat de Moscou, ainsi que celui des Assyriens qui se sont fondus dans l'athéisme soviétique et post-soviétique. Ces deux derniers groupes, réunis, doivent représenter un effectif supérieur aux 9'000 personnes restées plus ou moins rattachées à l'Église d'Orient.

Le Coz (op. cit., p. 389) donne quelques informations supplémentaires sur ces Assyro-Chaldéens de l'ancienne Union soviétique. Un groupe de réfugiés assyriens venus dans l'ancien Empire russe en 1917 et qui refusait de prendre le passeport soviétique aurait obtenu le droit d'émigrer en 1935 et se serait alors réfugié à Beyrouth, dans ces Mandats français du Levant qui se montraient décidément fort accueillants à l'égard de tous les persécutés du Moyen-Orient. En sens inverse, un groupe d'Assyriens membre du parti communiste iranien, le célèbre Toudeh (persan
حزب توده ایران Hezb-e-Tudeh-ye Iran, Parti des masses d'Iran), qui avait participé à l'éphémère république kurde de Mahabad, s'est réfugié en Union soviétique en 1946. On peut supposer que, si ces Assyriens avaient déjà des convictions communistes dans l'Iran des Pahlavi, ils représentent l'exemple type d'un groupe qui a dû se fondre dans l'athéisme soviétique et qui ne saurait apparaître dans les statistiques du professeur Teule. Le Coz (op. cit., p. 390) mentionne une communauté assyrienne en république soviétique d'Azerbaïdjan qui n'apparaît plus dans les statistiques de Teule. Il indique aussi qu'il existait en Union soviétique des kholkozes assyriens et que leur langue était officiellement reconnue et enseignée. Lors de la guerre contre l'Allemagne (1941-1945), la communauté assyrienne - donc, celle des descendants des émigrés du XIXe siècle et des réfugiés de 1915-1918, puisque les communistes assyriens de nationalité iranienne ne devaient arriver qu'en 1946 - avait fourni au moins trois généraux à l'Armée rouge. (Trois généraux est un effectif considérable pour une communauté de probablement moins de 20'000 personnes, et reflète sans doute la combattivité que ces tribus nestoriennes avaient acquises lors de leurs souffrances dans le Hakkari.)

Toutefois, une assertion de Raymond Le Coz, que je retrouve reprise en traduction anglaise sur divers sites Internet assyriens, me laisse perplexe:
Enfin, dernière information qui semble prouver leur intégration: le représentant de ce pays à l'ONU a été pendant un certain temps l'Assyrien Malek Yacoub. (Le Coz, op. cit., p. 390)
Là, je me permets de faire part de mon scepticisme. Après de longues recherches sur Internet, je n'ai trouvé trace que d'un ambassadeur de l'URSS auprès de l'ONU dont le nom serait plus ou moins phonétiquement proche de Malek Yacoub. Il s'agit de Iakov Alexandrovitch Malik ( Яков Александрович Малик) (1906-1980) qui fut ambassadeur d'Union soviétique auprès des Nations-Unies de 1948 à 1952 et de 1967 à 1976 et vice-ministre des Affaires étrangères d'Union soviétique de 1946 à 1953 et de 1960 à sa mort en 1980. L'homme est suffisamment important pour avoir trois notices sur Wikipédia (en russe, en allemand et en anglais), ce qui est le gage d'une certaine notoriété. Mais je ne vois pas comment M. Le Coz a pu confondre le prénom russe Яков (Iakov), c'est-à-dire Jacques, avec le nom de famille Yacoub, très répandu chez les Assyro-Chaldéens et notamment illustré par l'universitaire français Joseph Yacoub, qui veut dire la même chose mais qui reste un nom de famille. De toute façon, ce nom de famille, qui semble être porté par certains Assyriens de Russie, se transcrit Якуб, et non pas Яков, en russe. Autrement dit, je ne vois pas comment M. Jacques Malik a pu être transformé en M. Malek Yacoub. Ajoutons que le nom de famille Malik (Малик) est répandu en pays slave et qu'il a été illustré par un joueur de hockey tchèque et par un écrivain ukrainien, et que l'ambassadeur Yacov Malik naquit en 1906 dans le gouvernement de Kharkov, dans une Ukraine où il ne devait guère y avoir d'Assyriens. Je suis au regret de dire que, faute de preuve du contraire, il faudra renoncer à la légende de l'Assyrien qui fut ambassadeur d'Union soviétique auprès de l'Organisation des Nations-Unies.

En revanche, ce qui est confirmé par une autre source, c'est que cette petite communauté fut jugée suffisamment significative (peut-être dans le cadre d'une utilisation future dans la politique soviétique au Moyen-Orient?) pour faire l'objet d'une initiative «pédagogique» de la part du pouvoir soviétique:
En Union soviétique, les organismes dirigeants se sont donnés à tâche de généraliser l'instruction en permettant non seulement aux républiques associées et à tous les «territoires autonomes» qui en font partie, mais même aux petits groupes n'ayant pas de territoire administrativement propre, de donner l'instruction d'abord dans leurs langues maternelles. Pour atteindre cet objectif, l'alphabet latin, en principe sous la forme d'un des alphabets phonétiques en usage chez les savants, a été appliqué à des langues de diverses origines, non écrites ou écrites dans une écriture incommode. Un petit exemple significatif est celui des Aysor ou Assyriens, groupés surtout à Leningrad, qui écrivaient auparavant leur langage araméen dans l'écriture syriaque nestorienne.
Mais, postérieurement à ce mouvement de latinisation, en raison de la position éminente du russe dans l'Union des républiques socialistes soviétiques, de la possibilité nouvelle d'en introduire de bonne heure l'étude à l'école chez des populations désormais habituées à l'instruction, et en tenant compte d'autre part du fait que l'alphabet cyrillique, plus riche que l'alphabet latin, est aussi mieux adapté traditionnellement aux notations phonétiques, cette écriture cyrillique a été préférée. Elle a donc été généralement substituée à l'écriture latine, mais comporte également un usage systématique et rationnel. La cyrillisation a ainsi succédé à la latinisation.
(Marcel Cohen, «La grande invention de l'écriture et son évolution» , in Marcel Cohen et Jérôme Peignot, Histoire et art de l'écriture, Bouquins, Robert Laffont, Paris 2005, page 217; 1re édition du texte cité, Paris 1958.)
On notera que cette présentation extrêmement lénifiante - qui laisse supposer de solides convictions marxistes chez l'auteur - ne nous permet pas de savoir en quoi l'écriture syriaque nestorienne était «incommode» pour les Assyriens qui l'utilisaient, sous une variante ou une autre, depuis deux millénaires, pas plus qu'elle ne nous permet pas de comprendre si les Assyriens de Russie et du Caucase subirent les mêmes expériences «éducatives» du pouvoir soviétique que d'autres populations à qui on imposa successivement l'alphabet latin, puis l'alphabet cyrillique, en une quinzaine ou une vingtaine d'années...

Re: ORTHODOXIE & BOUDDHISMES

Publié : jeu. 07 janv. 2010 3:12
par Claude le Liseur
Claude le Liseur a écrit : Là, je me permets de faire part de mon scepticisme. Après de longues recherches sur Internet, je n'ai trouvé trace que d'un ambassadeur de l'URSS auprès de l'ONU dont le nom serait plus ou moins phonétiquement proche de Malek Yacoub. Il s'agit de Iakov Alexandrovitch Malik ( Яков Александрович Малик) (1906-1980) qui fut ambassadeur d'Union soviétique auprès des Nations-Unies de 1948 à 1952 et de 1967 à 1976 et vice-ministre des Affaires étrangères d'Union soviétique de 1946 à 1953 et de 1960 à sa mort en 1980. L'homme est suffisamment important pour avoir trois notices sur Wikipédia (en russe, en allemand et en anglais), ce qui est le gage d'une certaine notoriété. Mais je ne vois pas comment M. Le Coz a pu confondre le prénom russe Яков (Iakov), c'est-à-dire Jacques, avec le nom de famille Yacoub, très répandu chez les Assyro-Chaldéens et notamment illustré par l'universitaire français Joseph Yacoub, qui veut dire la même chose mais qui reste un nom de famille. De toute façon, ce nom de famille, qui semble être porté par certains Assyriens de Russie, se transcrit Якуб, et non pas Яков, en russe.

Le Chaldéen Joseph Yacoub, professeur de sciences politiques à l'université catholique de Lyon, est notamment l'auteur d'un livre qui mérite un des prix du concours du meilleur titre: Babylone chrétienne. De lui, on peut lire sur Internet un article intéressant sur les missions nestoriennes de Chine, sous le titre «De Babylone à Pékin» : http://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/De_Baby ... _Chine.asp

Re: ORTHODOXIE & BOUDDHISMES

Publié : ven. 08 janv. 2010 1:23
par Claude le Liseur
Claude le Liseur a écrit :Sur YouTube, liturgie de Noël à la cathédrale nestorienne de Moscou (7 janvier 2008): http://www.youtube.com/watch?v=mUUzkFu8GDo

Site Internet (en russe) de la paroisse nestorienne de Moscou: http://assyrianchurch.ru/ avec des photographies de cette étonnante cathédrale.
La célébration d'une liturgie de Noël à la date du 7 janvier du calendrier civil par des Assyriens appelle quelques précisions de ma part.

La question du calendrier n'a pas provoqué de dissensions qu'au sein de l'Église orthodoxe, mais aussi au sein de l'Église d'Orient.

Le 28 mars 1964, le très controversé catholicos-patriarche de Séleucie-Ctésiphon, Simon XXI, alors en résidence à San Francisco en Californie, annonce que l'Église d'Orient suivra désormais, au lieu du calendrier julien ancien, le calendrier grégorien (et non un nouveau calendrier comme celui adopté par la conférence orthodoxe de Constantinople en 1923). Cette décision servit de détonateur à une dissidence vieux-calendériste survenue en 1968 et qui aboutit à la fondation de l'Ancienne Église d'Orient attachée au calendrier julien. Les causes de cette opposition n'étaient pas limitées à la question du calendrier si l'on en croit le professeur Teule (op. cit., p. 183). Les dissidents critiquaient la manière autoritaire dont cette décision avait été prise, sans convocation du synode. Ils s'opposaient au système héréditaire (d'oncle à neveu) de la succession patriarcale et réclamaient le retour du siège patriarcal en Irak.Cette dissidence est venue se greffer sur des questions de politique internationale (inimitié entre l'Iraq et l'Iran qui devait aboutir à la guerre en 1980) et sur des vieux problèmes politiques (le patriarche Simon XXI étant en délicatesse avec tous les gouvernements irakiens depuis 1933). On était à une période où le célèbre parti Baas (arabe حزب البعث العربي الاشتراكي, Hizb al-Ba’ath al-Arabī al-Ichtirākī = Parti de la renaissance arabe socialiste), qui venait de prendre le pouvoir à Bagdad sous la conduite du président Ahmad al-Bakr et du vice-président Saddam Hussein, était ouvert à des concessions aux minorités. Malgré le panarabisme affiché, les baasistes au pouvoir à Badgad devaient accorder au syriaque des droits qu'il n'avait jamais eu et créer une Académie syriaque.
Le décret n° 251 du 16 avril 1972, émanant du Commandant du conseil de la révolution (CCR), garantit les droits culturels aux citoyens irakiens qui parlent l'araméen; il concerne les Assyriens, les Chaldéens ainsi que les Syriaques jacobites et catholiques. Si l'enseignement de l'arabe reste obligatoire, le syriaque est au programme dans les écoles primaires et secondaires dont la majorité des élèves utilise cette langue. Elle est également enseignée à la faculté des lettres de l'Université de Bagdad, au même titre que les langues anciennes. Le même décret prévoit la publication, par le ministère de l'Information, d'une revue syriaque ainsiq ue la constitution d'une association d'écrivains s'exprimant dans cette langue; il autorise enfin l'ouverture de clubs culturels et artistiques pour développer le foklore et les arts populaires. (...) Un autre décret émanant du CCR et daté du 25 juin de la même année, paru sous le n° 440, décide la création d'une académie de langue syriaque qui a pour mission de faire revivre le patrimoine littéraire et culturel, de publier des textes anciens, de créer une bibliothèque, ainsi que de venir en aide matériellement aux chercheurs, auteurs et traducteurs. Enfin, geste suprême de bonne volonté, le gouvernement baasiste décide de restituer au patriarche assyrien la nationalité dont il avait été déchu par le roi Faysal en août 1933, l'invitant à venir en visite officielle à Bagdad. (Le Coz, op. cit., p. 385).
Raymond Le Coz insiste aussi sur l'aspect tribal dans la dissidence intervenue en 1968, et sur le rôle du gouvernement iraqien (d'abord celui des frères Aref, puis celui du Baas), las de l'attitude du patriarche nestorien.
À l'origine de la révolte il y a un seul prêtre en Irak, mais il est soutenu par la famille du malek Khauchaba, opposé à celle de Simon XXI, ainsi que par le gouvernement des frères Aref. Mar Thomas, le métropolite de Trichur en Inde, qui a manifesté depuis toujours son opposition au mode de succession du patriarche, soutient le mouvement et sacre trois évêques dissidents, un pour Bagdad (Mar Addaï), un autre pour l'Inde et un troisième pour l'Amérique. Par la suite, les villes de Mossoul et de Kirkouk seront également pourvues d'un évêque rebelle. En 1968, Mar Thomas réunit un concile qui dépose Simon XXI et élit un antipatriarche. (...) La nouvelle Église, forte d'environ cinquante mille fidèles, dont une partie vit en Inde, est reconnue par le président al-Bakr, qui remet aux dissidents tous les édifices religieux appartenant à l'Église assyrienne. Le décret gouvernemental justifie cette décision par le fait que le «mouvement de Mar Chimoun [Simon XXI] et ses adeptes est un mouvement politique, dangereux pour l'unité de la nation et du peuple, et parce que ce mouvement est lié aux étrangers». (Le Coz, op. cit., p. 393)
(à suivre...)

Re: ORTHODOXIE & BOUDDHISMES

Publié : ven. 08 janv. 2010 18:11
par Claude le Liseur
On verra par la suite que le soutien inattendu apporté par les baassistes à ces nestoriens vieux-calendaristes (difficile de faire plus minoritaire...) avait en fait pour but de faire pression sur le catholicos-patriarche Simon XXI, qui, en 1968, était très contesté, mais pas encore complètement déconsidéré.

Pour le reste, le nombre des nestoriens a toujours fait l'objet d'évaluations approximatives et plus ou moins fantasmatiques. Le prélat chaldéen uniate Mgr Alichoran a un jour donné une estimation du nombre des fidèles de l'Église d'Orient à son apogée aux alentours du VIIIe siècle à 60 ou 80 millions de fidèles. Rien de moins que 15 ou 20% de la population du monde à cette époque. Sur quoi se base cette estimation citée par Jean-Pierre Valognes dans son Vie et mort des chrétiens d'Orient? Comment peut-on donner de pareilles statistiques concernant tout le continent asiatique à une époque aussi reculée? Certes, l'Église d'Orient avait à l'époque 250 diocèses, depuis Chypre jusqu'à la Malaisie (mais oui! il y avait un évêque nestorien à Malacca!) et depuis Socotra (île située entre le Yémen et l'Érythrée) jusqu'à Karakorum en Mongolie. Mais elle était partout minoritaire - même dans son terroir du nord de la Mésopotamie -, ce qui explique aussi la rapidité de son reflux. Les nestoriens, contrairement à ce que les orthodoxes ont réussi dans le monde slave, par exemple, n'ont jamais réussi à faire corps avec l'une ou l'autre des nations dans lesquelles ils exerçaient leur apostolat; ils ont en fait plaqué la langue et la culture syriaques sur les convertis, sans jamais réussir le passage à des Églises totalement inculturées comme les orthodoxes l'ont fait chez les Slaves méridionaux et orientaux à la même époque. Même avec 250 diocèses, si chacun de ces diocèses ne touchait qu'une minorité de la population de son territoire, l'Église d'Orient avait sans doute des effectifs beaucoup plus réduits que dans les estimations de Mgr Alichoran.

Au passage, il est tout à fait justifié de parler des nestoriens dans un fil intitulé Orthodoxie & Bouddhismes. Un de mes amis, converti au bouddhisme dans une des écoles tibétaines, m'a dit avoir un jour été témoin d'un rite bouddhique tibétain dont il était convaincu que celui-ci était fortement inspiré de la liturgie nestorienne. Le Tibet constitua, sous le nom syriaque de Beyt Tuptaye, une des provinces de l'extérieur de l'Église d'Orient. (Les provinces de l'extérieur étaient celles dont le métropolite était trop éloigné de Bagdad pour pouvoir être invité à participer à l'élection du catholicos de Séleucie-Ctésiphon.) Certes, cela se passait avant que le bouddhisme ne fût profondément enraciné au Tibet, et dans le Tibet historique de ces derniers siècles, la présence chrétienne se limitait à l'église arménienne de Lhassa. Mais il serait intéressant de savoir quel rôle le nestorianisme a pu jouer dans la genèse de la culture tibétaine. Le Tibet n'a pas été un cul-de-sac géographique ou un bout du monde, et son Histoire et sa culture recèlent bien des surprises. Il est à l'heure actuelle considéré comme très probable que des Saces ou Scythes d'Asie, peuple indo-européen de langue iranienne, ait joué un rôle dans l'ethnogenèse du peuple tibétain. On sait que le souvenir, pourtant lointain, de Jules César fut conservé au Tibet à travers l'épopée de Gezar de Ling. Il serait donc intéressant de rechercher quelles traces la liturgie nestorienne a pu laisser dans les rites complexes et variés du bouddhisme tibétain. En 1897, dans L'Empire des tsars et les Russes, le sociologue français Leroy-Beaulieu soulignait que les missions orthodoxes russes rencontraient un succès certain parmi les bouddhistes de Bouriatie et de Mongolie, parce que le bouddhisme, en les éduquant dans l'admiration des rites, les avait prédisposés à apprécier la richesse de la liturgie orthodoxe. Ce serait un juste retour des choses, et un échange de bons procédés, si jamais on apprenait que ces rites du bouddhisme avaient eux-mêmes été influencés, longtemps auparavant, par la liturgie syro-orientale des missionnaires nestoriens de l'Himalaya.

En tout cas, à l'heure actuelle, l'Église d'Orient est sans doute devenue une des chrétientés les plus réduites et les plus démunies. Toutes les estimations donnent des effectifs très diminués, mais même dans ce contexte, les chiffres donnés varient énormément d'un auteur à l'autre. Par exemple, en 1992, Le Coz estimait le nombre des Assyriens vieux-calendaristes (fidèles de l'Ancienne Église d'Orient) à 50'000. Certes, ce nombre a diminué suite au ralliement du diocèse nestorien de l'Inde à l'Église assyrienne d'Orient néo-calendariste en 1995. Mais de là à en arriver à une estimation aussi réduite que celle que donnait le professeur Teule en 2008 (8'000 Assyriens vieux-calendéristes en Irak), il y a un pas surprenant.

Pour 2008, le professeur Teule indique qu'il y aurait eu 33'000 nestoriens en Iraq (contre 226'500 uniates chaldéens), 12'000 en Syrie (16'000 uniates), 4'000 au Liban (10'000 uniates), 7'000 en Iran, 3'000 en Angleterre, 2'000 en Belgique, 1'800 aux Pays-Bas, 4'000 en Suède, 9'000 dans l'ancienne Union soviétique, 100'000 aux États-Unis d'Amérique (135'000 uniates chaldéens), 15'000 en Océanie (30'000 uniates), 10'000 au Canada (15'000 uniates), 10'000 en Inde (au Kérala). Donc, un total de 213'800, dont 4% de vieux-calendéristes, qui me semble très faible, sauf à supposer une déperdition rapide de l'identité parmi les Assyriens émigrés en Amérique du Nord. En effet, si l'émigration a réduit à ce point-là les effectifs des Assyriens d'Iran- par exemple - en trente ans, il faut bien que ces émigrés soient partis quelque part!

Même si l'estimation du nombre des nestoriens pour le Moyen Âge (60 à 80 millions) était exagérément haute et l'estimation pour l'époque actuelle (214'000 personnes) exagérément basse, il n'en reste pas moins que cette Église a connu une déperdition dont je vois peu d'équivalent. Cela devrait nous donner à réfléchir pour l'époque actuelle. Il est clair qu'il fut un temps où le catholicos-patriarche nestorien devait regarder d'assez haut les patriarches orthodoxes. Et aujourd'hui, il y a 200 ou 500 fois plus d'orthodoxes que de nestoriens.
Oui, cela devrait nous inciter à relativiser la jactance de ceux - infiniment plus hostiles à notre égard que ne le furent jamais les nestoriens, même aux pires moments de tension - qui nous regardent de haut en alignant leurs divisions plus ou moins fantômes. On en reparlera dans quelques siècles.

Re: ORTHODOXIE & BOUDDHISMES

Publié : sam. 09 janv. 2010 19:03
par Claude le Liseur
Il s'avérera très vite que le soutien apporté par le gouvernement de Hasan al-Bakr et Saddam Hussein aux nestoriens vieux-calendéristes avait été une manoeuvre pour amener à de meilleurs sentiments le catholicos SImon XXI. En effet, dans une lettre pastorale du 17 janvier 1970, celui-ci prône la soumission aux autorités irakiennes, ce qui lui vaut une invitation à se rendre en Iraq (qu'il a quitté en 1933), la restitution de sa nationalité irakienne et le retour de toutes les églises confisquées au profit des dissidents. Le 21 mai, Simon XXI est reconnu chef suprême des Assyriens aux dépens d'Addaï II, le patriarche vieux-calendariste.

Simon XXI perd ensuite le peu de prestige qu'il lui restait en annonçant son mariage en 1973 (à soixante-sept ans!) et finira assassiné par un de ses lointains parents le 6 novembre 1975. Il semble qu'à partir de ce moment-là, les autorités iraqiennes aient renoncé à arbitrer en faveur de l'une ou l'autre branche des nestoriens.

On doit néanmoins mettre au crédit de ce patriarche très américanisé la réorganisation de l'Église d'Orient dans son exil nord-américain et la première tentative d'ouverture de l'Église d'Orient depuis le XIVe siècle. Cette tentative intéresse directement les orthodoxes. En effet, à cette époque, les patriarcats de Constantinople et de Moscou avaient conclu un étrange accord avec le Vatican, contraire non seulement à la mission donnée par le Seigneur, mais aussi à la simple humanité et à la liberté de conscience et de croyance, par lequel ils s'interdisaient d'accepter des Italiens dans l'Orthodoxie. C'est ainsi que, faute de pouvoir entrer dans l'l'Église orthodoxe, des Italiens se résignèrent à rejoindre l'Église d'Orient - de toute façon relativement proche de nous - et furent consacrés évêques par Simon XXI. Ils rejoignirent par la suite l'Orthodoxie; un d'entre eux serait le célèbre métropolite Jean de Sardaigne (Giovanni Basciu), grand défensur de la langue sarde et membre du Synode en Résistance (συνόδος των Ένισταμένων) de Mgr Cyprien de Fili et d'Oropos et fondateur de solides paroisses orthodoxes en Sardaigne. (Une des églises fondées par Mgr Jean à Quartu Sant'Elena près de Cagliari dépend aujourd'hui de la métropole d'Italie du patriarcat de Constantinople, dont le siège est à Venise). Giovanni Basciu et Claudio Vettorazzo avaient été consacrés évêques par Simon XXI en 1975. L'église que Claudio Vettorazzo avait fondée à Montaner (fraction de la commune de Sarmede, province de Trévise en Vénétie) se trouve aujourd'hui dans la juridiction de la métropole d'Italie du patriarcat de Constantinople; Montaner est sans doute la seulel localité italienne où un tiers de la population est de confession orthodoxe! Il semble que si l'initiative de Simon XXI de renouer avec la tradition nestorienne de la mission avait choqué à l'époque, il y ait maintenant une proportion significative de convertis d'origine anglo-saxonne dans les paroisses assyriennes d'Amérique du Nord.

Le synode nestorien nouveau-calendariste se réunit à Londres le 14 octobre 1976 et élit comme catholicos-patriarche de Séleucie-Ctésiphon l'évêque de Téhéran - qui plus est citoyen iranien - . Mgr Khanania, qui devient patriarche sous le nom de Denha (Dinkha) IV. L'élection d'un Iranien sied peu au gouvernement irakien. C'est sans doute pour cette raison que le catholicos de la dissidence vieille-calendariste, Addai II, est en résidence à Badgdad (Irak) depuis son avénement, tandis que le catholicos officiel Dinkha IV réside toujours à Morton Grove près de Chicago (Illinois).

Mais, pour revenir au point de départ de la discussion, le diocèse assyrien d'Irak septentrional, Russie, Arménie et Géorgie, dépend de Dinkha IV et a adopté le calendrier grégorien comme calendrier liturgique. On peut donc se demander pourquoi la cathédrale assyrienne de Moscou fête la Nativité le 7 janvier du calendrier grégorien (25 décembre de l'ancien calendrier julien), et non le 25 décembre.

La réponse réside sans doute dans une comparaison avec l'usage arménien.
Dans son remarquable livre déjà cité à plusieurs reprises sur le présent forum Η Αγία Αποστολική Εκκλησία των Αρμενίων (La Sainte Église apostolique des Arméniens), Parousia, Athènes 2001, p. 83, l'évêque arménien Yeznik (Petrossian) indique que les Arméniens anti-chalcédoniens sont passés du calendrier julien au calendrier grégorien le 1er janvier 1924 (encyclique du catholicos suprême de la Sainte-Etchmiadzine du 6 novembre 1923). Toutefois, le calendrier julien est resté en vigueur dans le ressort du patriarcat arménien de Jérusalem, ainsi que pour quatre diocèses arméniens qui dépendent du catholicat d'Etchmiadzine: Géorgie, Nor-Nachičevan, Caucase du Nord et Astrakhan. Il faut rappeler que le livre de Mgr Yeznik date de 2001, et que cela ne correspond plus exactement à la désignation des diocèses du ressort d'Etchmiadzine. Dans les dernières listes (publiées par l'Ostkirchkiches Institut de Ratisbonne en juin 2009), je ne trouve pas trace d'un diocèse d'Astrakhan, et il semble que le diocèse du Caucase du Nord porte maintenant le nom de diocèse de Russie du Sud (siège à Krasnodar). Le diocèse de Nor-Nakhitchevan a son siège à Moscou et a juridiction sur le reste des communautés arméniennes de Russie. Il ya en outre un diocèse arménien d'Ukraine (siège à Lviv, naguère Lvov, jadis Lemberg, et encore Leopol) dont Mgr Yeznik ne parle pas.
Il est dès lors facile de comprendre pourquoi les diocèses arméniens énumérés par Mgr Yeznik ont gardé le calendrier julien. Il s'agit de diocèses qui regroupent la diaspora arménienne de Géorgie et de Russie. Or, dans ces deux pays, la religion la plus importante est l'Orthodoxie, avec deux Églises locales (patriarcat de Moscou et catholicat de Tbilissi) qui, contrairement à la plupart des autres Églises locales, ont conservé le calendrier julien. Depuis la chute du communisme, un certain nombre de fêtes religieuses orthodoxes sont redevenues fériées, et ces jours fériés sont calculés selon le calendrier julien. On peut donc supposer que les diocèses arméniens de Russie et de Géorgie ont conservé le calendrier julien pour des raisons pratiques.
Il doit sans doute en aller de même avec les paroisses assyriennes de Russie et de Géorgie. Bien que dépendant du diocèse de Duhuk qui a adopté le calendrier grégorien, la paroisse cathédrale assyrienne de Moscou fête Noël selon le calendrier julien: on peut supposer une attitude parallèle à celle des diocèses arméniens de Russie et de Géorgie, un souci de s'aligner sur la pratique de la confession la plus importante du pays.
En sens inverse, on notera que c'est exactement une des raisons pour lesquelles le patriarche de Constantinople Mélèce IV avait proposé la révision du calendrier ecclésiastique en 1923: afin de permettre aux orthodoxes émigrés en Amérique du Nord et en Europe occidentale de pouvoir aller à l'église le jour de Noël, jour férié accordé le 25 décembre dans ces pays.

Re: ORTHODOXIE & BOUDDHISMES

Publié : sam. 09 janv. 2010 19:36
par Claude le Liseur
Claude le Liseur a écrit :Pour 2008, le professeur Teule indique qu'il y aurait eu 33'000 nestoriens en Iraq (contre 226'500 uniates chaldéens), 12'000 en Syrie (16'000 uniates), 4'000 au Liban (10'000 uniates), 7'000 en Iran, 3'000 en Angleterre, 2'000 en Belgique, 1'800 aux Pays-Bas, 4'000 en Suède, 9'000 dans l'ancienne Union soviétique, 100'000 aux États-Unis d'Amérique (135'000 uniates chaldéens), 15'000 en Océanie (30'000 uniates), 10'000 au Canada (15'000 uniates), 10'000 en Inde (au Kérala). Donc, un total de 213'800, dont 4% de vieux-calendéristes, qui me semble très faible, sauf à supposer une déperdition rapide de l'identité parmi les Assyriens émigrés en Amérique du Nord. En effet, si l'émigration a réduit à ce point-là les effectifs des Assyriens d'Iran- par exemple - en trente ans, il faut bien que ces émigrés soient partis quelque part!
Il est intéressant de comparer les chiffres donnés par Herman Teule (Les Assyro-Chaldéens, Brepols, Turnhout 2008) avec les estimations de Jean-Pierre Valognes (Vie et mort des chrétiens d'Orient, Fayard, Paris 1994) et avec celles de Raymond Le Coz (Histoire de l'Église d'Orient, Le Cerf, Paris 1995).


Iraq
Valognes 1994: 100'000 nestoriens assyriens, 400'000 uniates chaldéens; total 500'000
Le Coz 1995: 300'000 Assyriens (dont 50'000 vieux-calendaristes), 750'000 Chaldéens; total 1'050'000
Teule 2008: 33'000 Assyriens (dont 8'000 vieux-calendaristes), 226'500 Chaldéens; total 259'500

Iran
Valognes 1994: 10 à 15'000 Assyriens, 10 à 15'000 Chaldéens; total 20'000 à 30'000
Le Coz 1995: 15'000 Assyriens, 15'000 Chaldéens; total 30'000
Teule 2008: 7'000 Assyriens, 8'000 Chaldéens; total 15'000

Australie
Le Coz 1995: 13'500 Assyriens, 1'500 Chaldéens; total 15'000
Teule 2008: 15'000 Assyriens, 30'000 Chaldéens; total 45'000

USA
Le Coz 1995: 70'000 Assyriens et Chaldéens
Teule 2008: 235'000 Assyriens et Chaldéens

1re remarque

Ces chiffres laissent deviner un effondrement de la population chrétienne d'Iraq depuis l'invasion anglo-saxonne de 2003. Nous avions été nombreux à le prédire sur l'ancien forum et sur le forum actuel, face à la jactance et à l'arrogance des bushistes et des inconditionnels de l'anglo-saxonnisme: l'invasion sonnerait le glas du christianisme en Mésopotamie. Les Anglo-Saxons ont atteint leur objectif d'anéantir un régime qui, pour sanguinaire qu'il était, présentait surtout à leurs yeux le péché capital d'être laïc et d'avoir fait des efforts en matière d'éducation. Il ne fallait surtout pas qu'un pays arabe producteur de pétrole pût s'industrialiser et devenir autre chose qu'une source de matières premières pour les appétits anglo-américains. Et Saddam Hussein s'était condamné à mort le jour où il avait annoncé qu'il demanderait le règlement des livraisons de pétrole irakien en euros et non en dollars - le dollar, monnaie de singe selon un mécanisme déjà dénoncé par le général de Gaulle au cours d'une conférence de presse fameuse de 1965, mais surtout instrument de la domination chancelante du capital anglophone sur la planète. Au fond, le seul modèle que Londres et Washington ont toujours prôné pour le monde arabe, c'est le royaume séoudien: la quintessence de l'obscurantisme et l'incapacité à faire quelque chose de bien à partir de la manne pétrolière.
L'objectif est atteint au-delà de tout espoir. Le régime baasiste est abattu, l'Irak livré à l'intégrisme, au tribalisme et à la guerre civile. La présence chrétienne vieille de deux millénaires est éradiquée à coup de bombes et d'assassinats ciblés (tel évêque chaldéen uniate, tel prêtre syriaque jacobite). La disparition du christianisme en Mésopotamie n'est qu'un dommage collatéral d'une politique qui aura permis aux Anglo-Saxons de maintenir leur domination sur le monde - avec les conséquences que nous subissons depuis 2007 -, à la grande joie de leurs admirateurs d'ici et là.
Et au fond, on peut se demander si la disparition des chrétiens d'Irak n'était qu'un dommage collatéral dans le plan des Anglo-Saxons: la fin de vieilles chrétientés ayant des icônes, des liturgies fastueuses, des langues liturgiques issues d'un passé très ancien, n'était-ce pas un plaisir de plus pour le protestant méthodiste fondamentaliste qui siégeait à la Maison-Blanche, quand on connaît la haine de ces milieux pour tout ce qui a une vie liturgique, des images et des souvenirs glorieux qui rappellent que le monde existait avant la fondation des États-Unis d'Amérique en 1776? Avis à nos œcuménistes qui persistent à poursuivre un «dialogue» sans issue avec de tels milieux, sans se rendre compte qu'ils ne font que souiller l'Orthodoxie en la compromettant avec de si douteuses gens qui donnent, dans le monde entier, une image détestable du christianisme.

2e remarque

On constate quand même une énorme déperdition entre les chiffres de Valognes et surtout de Le Coz et ceux de Teule. Que la population chrétienne d'Iraq ait fondu suite à l'invasion anglo-saxonne, c'est un fait. Mais ces nestoriens et ces uniates qui ont quitté l'Irak, ils doivent bien s'être retrouvés quelque part? Il serait intéressant, pour avoir le fin mot de l'histoire, de savoir où il y eu surestimation des effectifs, et où il y a eu sous-estimation.