la circulation sanguine chez saint Nicodème l'Hagiorite

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Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Il faut aussi comprendre que les densités de population étaient si faibles dans ces hautes vallées alpines que l'immigration de quelques dizaines de familles pouvaient faire basculer une majorité linguistique historique - c'était avant que l'on ne reconnaisse le principe constitutionnel de territorialité des langues. On sait par exemple que, en dehors des Grisons, la vallée d'Urseren (Urserental), dite aussi "la vallée sans arbres", 175 kilomètres carrés de la haute vallée de la Reuss dans le canton d'Uri, était entièrement romanche jusqu'au XIIIe siècle, qu'elle est alors devenue bilingue et qu'elle est finalement devenue alémanique au XVe siècle. Le dialecte de la vallée d'Urseren comprend d'ailleurs beaucoup plus de mots italiens et romanches que les autres dialectes alémaniques. Le nom même de la vallée évoque un passé roman: il veut bien entendu dire "la Vallée des Ours" (la forme Ursaria est attestée en 1234, et un ours figure toujours sur les armoiries de la vallée; en romanche grison, "ours" se dit urs; en sursilvan, Andermatt s'appelle toujours Ursera, et la vallée d'Urseren s'appelle la Val d'Ursera ), alors qu'on aurait Bärental, Berntal ou Bärenthal s'il s'agissait d'une vieille région germanique. (Une commune de Moselle, arrondissement de Sarreguemines, dans le parc naturel régional des Vosges du Nord, s'appelle d'ailleurs Baerenthal, ce qui n'est qu'une orthographe francisée de Bärental.) En raison de ce lointain passé romanche, les gens de la vallée d'Urseren se sont toujours sentis différents des autres Uranais, et, jusqu'au milieu du XXe siècle, les électeurs uranais se sont toujours arrangés pour qu'un des deux conseillers aux Etats représentant le canton d'Uri soit de la vallée d'Urseren. On disait que c'était le sommet du particularisme, puisqu'un conseiller aux Etats zurichois représentait en moyenne 500'000 personnes, tandis que, dans les faits, un des conseillers aux Etats uranais représentait les 2'000 habitants de la vallée d'Urseren, du fait que ceux-ci avaient de bonnes raisons historiques de se sentir différents.

La germanisation de la vallée d'Urseren, progressive aux XIIIe et XIVe siècles, totale au XVe siècle, est restée dans la conscience collective romanche le souvenir d'un échec cuisant. La perte de 175 kilomètres carrés est quelque chose de grave pour une langue dont le territoire a toujours été relativement restreint. Le poète sursilvan Giachen Caspar Muoth (1844-1906) a chanté la fin du romanche dans la vallée d'Urseren dans une épopée que Gabriel Mützenberg loue ainsi: "Quoi de plus prenant que les deux mille vers d' Il cumin d'Ursera, vallée romanche que la germanisation venant d'Uri menace et que défend paternellement son seigneur l'abbé de Disentis / Mustér! Le langage en est limpide. Un garçon du Tujetsch qui a vu une landsgemeinde (cumin) à Mustér, note Maurus Carnot, peut sans peine le comprendre. A combien plus forte raison le citoyen de la Cadi en mal de protéger sa langue! Le Val d'Urseren, au cours de cette fameuse assemblée de 1425 que nous présente Muoth, a beau fêter son prince-abbé et jurer fidélité à son parler rhéto-roman, son abandon au dynamisme politique et économique de l'axe nord-sud ne s'en inscrira pas moins bientôt dans son destin. Aussi son sort revêt-il plus fortement une vertu d'exemple. Le peuple y lit un appel pressant." (Gabriel Mützenberg, Destin de la langue et de la littérature rhéto-romanes, L'Âge d'Homme, Lausanne 1991, p. 57)

Mais, au-delà des dimensions de l'épopée et du souvenir d'un échec cuisant, il faut aussi s'en remettre à la vérité des chiffres. A l'heure actuelle, les trois communes de la vallée d'Urseren (Andermatt, Hospental et Realp) ne regroupent que 1'645 habitants. La vallée n'a jamais dû dépasser 2'000 habitants à aucun moment de son histoire (elle en comptait 1'304 au premier recensement fédéral en 1850), et il est probable qu'elle ne devait guère dépasser le demi-millier à l'époque où elle était exclusivement de langue romanche, jusqu'à la fin du XIIe siècle. Dans ces conditions, à l'époque où il n'y avait ni principe de la territorialité des langues ni instruction obligatoire dans la langue du territoire, l'arrivée de quelques dizaines de familles de Walser a dû suffire pour faire basculer progressivement le destin du Val d'Urseren.


Franchement, je ne sais pas d'où la vallée d'Urseren tire son surnom de "vallée sans arbres". Je viens de la traverser, en roulant d'Altdorf vers Brigue par le col de la Furka. Le dernier arbre, je l'ai vu à la sortie de Realp, assez au-dessus d'Andermatt. Peut-être que la limite des arbres y est plus basse qu'ailleurs (le climat est rigoureux), mais le dernier arbre est dans une position marginale par rapport à la vallée. Il n'y a pas une demi-douzaine d'habitations au-delà.
Claude le Liseur
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Claude le Liseur a écrit : dim. 04 nov. 2007 16:36

Je signale aussi, par honnêteté, une autre étymologie donnée par un savant professeur de linguistique russe de l'INALCO de Paris, qui fait découler aussi bien le russe церковь que les équivalents germaniques que j'ai cités plus haut du type Kirche, kerk, church, d'un autre mot grec que εκκλησία, à savoir κυρίκον. Je cite:

"Selon plusieurs étymologistes, le slave commun *cĭrku vient sans doute du gothique *kiriko, "église", forme hypothétique apparentée à celles des langues germaniques modernes, comme l'allemand Kirche, le néerlandais kerk "église" (> nom de la ville de Dunkerque). Le substantif flamand kerkmisse signifiant littéralement "messe d'église" était employé par métonymie pour désigner la fête patronale, ce qui a donné le français kermesse. Le [ts] du mot slave est le résultat d'une ancienne palatalisation du [k] devant une voyelle antérieure. L'anglais church offre l'exemple d'une palatalisation où le [k] s'est transformé en [tch]. Précisons que le mot germanique, quant à lui, avait emprunté le mot au grec kyrikon, "maison du Seigneur", substantif issu de l'adjectif kyriakon, "du Seigneur", qui est dérivé de kyrios, "maître, souverain". Ce dernier était appliqué au Christ dans les textes chrétiens, et on le retrouve dans l'invocation liturgique Kyrie, eleison "Seigneur, prends pitié" (> français kyrielle, "litanie, procession"). Certains linguistes pensent que le slave a pu emprunter le terme signifiant "église" directement au grec." (Serguei Sakhno, Dictionnaire russe-français d'étymologie comparée, Editions L'Harmattan, Paris 2001, p. 308.)

Là, je me permets d'avouer mon scepticisme. Il est tout à fait envisageable que le russe церковь découle d'un mot gothique - langue germanique orientale complètement éteinte au cours du XVIIIe siècle, mais dont nous savons qu'elle était utilisée comme langue liturgique dans certaines paroisses orthodoxes dans la Dobroudja et la Crimée au IXe siècle. Ce qui me paraît plus étonnant, c'est que le mot gothique lui-même dérive d'un mot grec κυρίκον plutôt que du mot grec εκκλησία qui a été repris dans toutes les langues latines sauf le romanche et le roumain. En effet, je n'ai trouvé trace d'un mot κυρίκον ni dans le Rosgovas pour le grec moderne, ni dans le Bailly pour le grec ancien. Et cette absence me surprend d'autant moins qu'aujourd'hui, on utilise le mot εκκλησία pour l' "Eglise" en tant qu'institution, et le mot ναός pour l' "église" en tant que bâtiment / lieu de culte / "maison du Seigneur". Je n'ai jamais rencontré aucune utilisation d'un mot κυρίκον à la place de ναός. Toutefois, je peux me tromper, et toute correction serait la bienvenue.
L'étymologie donnée par Serguei Sakhno est confirmée par Gottfried Schramm:
Cьrky geht auf griech. kyriakón, einen Ausdruck für das Haus des Herrn zurück. Das Vulgärlatein, das sich mit dem Aufschwung des Kirchenbaus über das ganze Römische Reich disese Wort zu eigen machte, feminisierte es im Genus und verschliff unbetontes -ia- in Wortinneren zu -i-. Die Romanen sagten also *kirika. Wie aber gelangte dieses Wort von bloß kurzfristiger Popularität, die niemals in die lateinische Literatursprache einging, ausgerechnet zu den Slawen ? Hier gehen die Meinungen bislang auseinander. Die einen rechnen mit einer Direktentlehnung aus dem Lateinischen oder Griechischen. Andere Forscher schreiben Goten oder Bayern, wenn nicht sogar beiden gemeinsam eine Vermittlerolle bei der Weitergabe an die Slawen zu. (Der skurrile Einfall, cьrky beruhe auf basilica, hat mit Recht keinen Anklang gefunden.)
Gottfried Schramm, Slawisch im Gottesdienst, R. Oldenburg Verlag, Munich 2007, p. 22.

Ma traduction :

Cьrky renvoie au grec kyriakón, une expression pour désigner la maison du Seigneur. Le latin vulgaire, qui s'est emparé de ce mot avec l'essor de la construction d'églises sur tout le territoire de l'Empire romain, l'a mis au genre féminin et a avalé la syllabe inaccentuée -ia- en la transformant en -a-. Les populations romanes disaient donc *kirika. Mais comment ce mot, qui n'a connu qu'une popularité éphémère et n'a jamais été reçu dans la langue littéraire latine, a-t-il eu un tel succès chez les Slaves ? Les avis sont toujours partagés. Certains supposent un emprunt direct du latin ou du grec. D'autres chercheurs assignent ce rôle d'intermédiaire dans la transmission aux Slaves aux Goths ou aux Bavarois, quand ce n'est pas aux deux à la fois. (La trouvaille grotesque qui fait découler cьrky de basilica, n'a à juste titre trouvé aucun appui.)

Origine du russe церковь, du serbo-croate црква/crkva, du bulgare църква, du macédonien црква, de l'ukrainien церква, du biélorusse / ruthène occidental царква.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Dans la suite du texte, Schramm exclut un emprunt direct au grec ou au latin (un -a ou un -i n'aurait pas pu donner un -y) aussi bien qu'au bavarois (où on attendrait un -ch à la place du -k), de même qu'aucune de ces théories n'explique la non-conservation des voyelles médianes du latin kirika.

Il faut donc que les Slaves aient entendu pour la première fois ce mot sous la forme *kirko, qui ne peut avoir été emprunté, explique Schramm, qu'à un peuple balkanique, montagnard, christianisé de longue date et qui n'avait plus l'usage liturgique du latin. Sans surprise, pour qui a lu le livre pionnier de Schramm Anfänge des albanischen Christentums, il s'agit des Besses, ethnie trace qui vivait de chaque côté de l'actuelle frontière entre la Serbie et la Bulgarie, évangélisée au IVe siècle par saint Nicétas de Remesiana qui avait fait du besse une langue liturgique dont aucun document ne nous est parvenu jusqu'à présent. (Mais on peut garder espoir: il a fallu attendre le XXe siècle pour retrouver des traces de la langue littéraire albanienne du Caucase.) On sait que, selon Schramm, les Besses sont en fait les ancêtres des Albanais.

Ce qui est amusant, c'est que je sais que la thèse de Schramm a déclenché sur les forums l'ire de nationalistes grand-albanais qui tiennent absolument au mythe de l'origine illyrienne de leur langue, dans un but politique de protochronisme (faire croire que leur peuple était sur le territoire de l'actuelle Albanie avant les Slaves, ce que dément déjà le seul fait que les plus hautes montagnes d'Albanie portent le nom slave de Prokletije, qui ne veut rien dire en albanais, mais veut dire les Monts Maudits en slave). Ces chauvinistes ignorants n'ont même pas pensé au fait que le dialecte illyrien le mieux attesté (547 inscriptions) était le messapien, parlé avant la conquête romaine dans l'actuel Salento, qui correspond aux actuelles provinces italiennes de Brindisi, Tarente et Lecce, par opposition aux provinces de Bari, Foggia et Barletta-Andria-Trani qui constituent la Pouille impériale. Vraiment, les origines messapiennes, on a vu mieux pour justifier le protochronisme et le caractère autochtone en Albanie, de l'autre côté de l'Adriatique... Puisque ces serviteurs attardés de l'impérialisme se revendiquent illyriens, je leur laisse méditer ce texte en messapien, dont je gage qu'ils ne le comprendront pas plus que moi :

klohizisthotoriamartapidovasteibasta veinanaranindarantoavasti

Ce qui est encore plus amusant, c'est que nos chatouilleux Grands-Albanais, au lieu de se raccrocher à la thèse de l'origine illyrienne de leur peuple qui arrangeait bien les ambitions germaniques dans les Balkans au XIXe siècle, feraient bien de se rendre compte que la thèse documentée de Schramm extrait leur peuple d'un passé ténébreux, ou qui aurait été occulté pendant quinze siècles, pour leur donner des ancêtres glorieux, non seulement en les rattachant à l'ensemble thrace que les Anciens tenaient en grande estime, mais surtout en faisant d'eux un peuple christianisé dès le IVe siècle, ayant eu dès cette époque sa propre langue liturgique et littéraire et son propre alphabet, égal des Arméniens et des Géorgien, et pas un peuple qui serait sorti de l'Histoire pendant des siècles.
Claude le Liseur
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Dans la suite du texte, Gottfried Schramm donne d'autres exemples de mots que les Slaves ne peuvent avoir emprunté qu'aux Proto-Albanais (i.e. les Besses).

On notera aussi qu'il est parfaitement plausible qu'un mot emprunté par les Slaves du centre de la péninsule balkanique à un peuple thrace autochtone soit passé dans les langues des Slaves orientaux de Brest-Litovsk à Vladivostok: le vocabulaire chrétien du russe, de l'ukrainien et du biélorusse provient du slavon. Or, en définitive, la base du slavon, c'est bien le vieux-macédonien ou le vieux bulgare, ce qui nous ramène chez les Slaves du Sud. Il n'y a donc rien de surprenant à ce que les Slaves méridionaux et les Slaves orientaux utilisent le même mot pour dire "église", venu d'un mot latin à la fortune éphémère, mais qui avait survécu dans le vocabulaire liturgique des Besses / Proto-Albanais des Balkans.

La théorie est d'autant plus convaincante que Schramm donne aussi l'étymologie du mot qui veut dire "église" chez les Slaves occidentaux, et qui provient aussi du latin, mais cette fois-ci d'une autre aire géographique et culturelle.
Claude le Liseur
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Re: la circulation sanguine chez saint Nicodème l'Hagiorite

Message par Claude le Liseur »

Le cas des Slaves occidentaux est tout à fait différent.
Einmal begegnet bei den Westslawen die Besonderheit, daß lat. castellum Burg hier als kostelъ zu einem Etikett von Kirche geworden ist. Etwa im Polnischen behauptet sie mit kośćiół noch heute das Feld. Wie und wann mag es geschehen sein, daß ein Wortfür Burg zur Kirche umgedeutet wurde ? Den Schlüssel geben uns diesmal die Archäologen an die Hand, die mittlerweile durch zahlreiche Ausgrabungen in jenem ostalpinien Streifen, den sich heute Slowenien und Österreich teilen, den Nachweis geliefert haben, daß sich bedrohte Christen vor der Einbruchswellen fremder Völker in Fluchtburgen auf Bergen retteten, in sich auch Kirchen einbauten. Die Slawen, denen solche steinerne Anlagen vor die Augen kamen, haben sie erst mit einer gewissen Verzögerung erobern, ausrauben und zerstören können. Die Zwischenzeit reichte, um ein Wissen zu begründen, welches zu slawischen Sprachgenossen in fernen Hinterländern weiterwanderte. Dort vermochte man, was über Kirchen und Burgen berichtet wurde, nicht mehr sauber auseinanderzuhalten, weil die eigene Erfahrung fehlt. So konnte castellum ‚die Burg‘ im weiten Abstand von Nahkontakten mit der Christenheit zu einer Bezeichnung für die Kirche werden.
Gottfried Schramm, Slawisch im Gottesdienst, R. Oldenburg Verlag, Munich 2007, pp. 21-22
Claude le Liseur
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Re: la circulation sanguine chez saint Nicodème l'Hagiorite

Message par Claude le Liseur »

Einmal begegnet bei den Westslawen die Besonderheit, daß lat. castellum Burg hier als kostelъ zu einem Etikett von Kirche geworden ist. Etwa im Polnischen behauptet sie mit kośćiół noch heute das Feld. Wie und wann mag es geschehen sein, daß ein Wort für Burg zur Kirche umgedeutet wurde ? Den Schlüssel geben uns diesmal die Archäologen an die Hand, die mittlerweile durch zahlreiche Ausgrabungen in jenem ostalpinien Streifen, den sich heute Slowenien und Österreich teilen, den Nachweis geliefert haben, daß sich bedrohte Christen vor der Einbruchswellen fremder Völker in Fluchtburgen auf Bergen retteten, in sich auch Kirchen einbauten. Die Slawen, denen solche steinerne Anlagen vor die Augen kamen, haben sie erst mit einer gewissen Verzögerung erobern, ausrauben und zerstören können. Die Zwischenzeit reichte, um ein Wissen zu begründen, welches zu slawischen Sprachgenossen in fernen Hinterländern weiterwanderte. Dort vermochte man, was über Kirchen und Burgen berichtet wurde, nicht mehr sauber auseinanderzuhalten, weil die eigene Erfahrung fehlt. So konnte castellum ‚die Burg‘ im weiten Abstand von Nahkontakten mit der Christenheit zu einer Bezeichnung für die Kirche werden.

Ma traduction:

D'abord on rencontre chez les Slaves occidentaux la particularité que le latin castellum, château-fort, est ici devenu une désignation de l'église sous le nom de kostelъ, qu domine encore en polonais avec kośćiół. Où et quand a-t-il pu arriver qu'un mot qui désignait le château-fort soit utilisé pour l'église ? Cette fois-ci, ce sont les archéologues qui nous donnent la clef, puisqu'ils ont apporté la preuve, à travers de nombreuses fouilles dans cette bande alpine orientale, que la Slovénie et l'Autriche se partagent aujourd'hui, que les chrétiens menacés se sauvaient des vagues d'incursions étrangères dans des refuges fortifiés dans les montagnes, forteresses dans lesquelles ils construisaient aussi des églises. Les Slaves qui ont été confrontés à de telles installations de pierre n'ont pu les prendre, les piller et les détruire qu'au bout d'un certain temps. Cet intervalle a été suffisant pour fonder une connaissance qui a été transmise aux frères de langue slaves dans leurs lointains pays. Là-bas, faute d'expérience personnelle, on ne pouvait plus faire clairement la distinction ente ce qui était raconté sur les églises et ce qui était raconté sur les forteresses. En l'absence de contact proche avec le fait chrétien, castellum,« le château-fort», a pu devenir une désignation de l'église.

D'où les désignations de l'église chez les Slaves occidentaux, chez qui le slavon n'a jamais été en usage ou n'est plus en usage depuis la fin du XIe siècle, et qui n'ont donc pas été influencés par la désignation sud-slave : origine du polonais kościół, du tchèque kostel (pratiquement un calque du latin castellum !), du slovaque kostol... mais attention...
Claude le Liseur
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Re: la circulation sanguine chez saint Nicodème l'Hagiorite

Message par Claude le Liseur »

D'où les désignations de l'église chez les Slaves occidentaux, chez qui le slavon n'a jamais été en usage ou n'est plus en usage depuis la fin du XIe siècle, et qui n'ont donc pas été influencés par la désignation sud-slave : origine du polonais kościół, du tchèque kostel (pratiquement un calque du latin castellum !), du slovaque kostol... mais attention...
... attention, car en tchèque et en slovaque on fait la distinction entre une église (un lieu de culte) et l'Église(la communauté des croyants): un lieu de culte, c'est kostel en tchèque et kostol en slovaque, mais l'Église orthodoxe, c'est Pravoslavná církev en tchèque, et Pravoslávna cirkev en slovaque... alors qu'en polonais, on rencontre Kościół prawosławny aussi bien que Cerkiew prawosławna.

... en bas-sorabe, pourtant une langue slave occidentale, on ne connaît que la forme slave orientale et slave méridionale cerkwja... idem en haut-sorabe (cyrkej )... Serait-ce une confirmation que les Sorabes sont une partie du peuple serbe qui s'est installée en Lusace plutôt que de descendre dans les Balkans ?
Claude le Liseur
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Claude le Liseur a écrit : sam. 28 janv. 2006 19:27

A propos des emprunts faits par le schwyzertütsch au français, citons Dominique Stich (qui est probablement aussi le spécialiste de l'arpitan à l'heure actuelle depuis son célèbre Parlons francoprovençal) in Parlons schwytzertütsch, L'Harmattan, Paris 2004, pp. 26 ss.:

"Le nombre de mots français entrés dans la langue est impressionnant, principalement dans le vocabulaire de l'horlogerie (occupation archétypale des francophones de Suisse; la ville autrefois entièrement alémanique de Bienne dut se bilinguiser au XIXe siècle pour attirer les ouvriers romands nécessaires au développement de son industrie horlogère -NdL) , l'hôtellerie et la restauration, l'armée, la mode et les différents termes internationaux. L'orthographe originelle peut être plus ou moins conservée, mais l'accent tonique est le plus souvent sur la syllabe initiale, avec éventuellement un accent secondaire:

Confi/Gomfi "confiture"
Cotlett/Gottlett "côtelette"
Poulet "poulet" (viande)
Crawatte/ Grawatte "cravate"
Coiffeuse/Gwaffööss "coiffeuse"
merci/merssi "merci"
Pomfrit pl. "frites"
Portmonee "porte-monnaie"

(J'ajoute qu'en allemand, ces mots se disent Marmelade, Kotelett, Hühnerfleisch, Schlips, Friseurin, danke, Pommes Frites, Portemonnaie. Sur huit emprunts cités ici par M. Stich, quatre sont aussi faits en allemand.)

Il convient toutefois de se méfier du sens de certains mots d'origine française:

Cuweer/Guweer "enveloppe, pli" (et non "couvert")
àdie, àdiö "au revoir" (rarement "adieu")
Ápéro "apéritif" (pas familier comme "apéro")
Oggasioon "occasion" (objet vendu)
exgüsi! "excusez-moi, pardon"

(J'ajoute qu'en allemand, ces mots se disent Briefumschlag, auf Wiedersehen, Frühschoppen, Gebrauchtware et Entschuldigung!. Les exemples cités ici par M. Stich sont donc des emprunts propres à l'alémanique et inconnus en allemand. Ajoutons que comme des mots alémaniques s'égarent parfois dans l'allemand écrit en Suisse - Schriftdeutsch-, alors qu'en principe l'alémanique ne doit jamais s'écrire, surtout lorsque l'on s'adresse à un Romand, il m'est une fois arrivé de lire dans une correspondance professionnelle un Kuwer au lieu du Briefumschlag auquel je m'attendais "réglementairement"...)


Le suisse allemand intègre facilement des mots d'origine étrangère. Cette tendance s'explique d'une part par la situation géographique et linguistique du pays - un tout petit pays parlant plusieurs langues - mais aussi par l'oralité de la langue. Par sa proximité géographique et culturelle avec la France et la Suisse romande, les mots français sont très nombreux (et ne correspondent pas à leur équivalent en allemand):

Suisse allemand / Français / Allemand

Merci (Märsi) / Merci / Danke
s Velo (Welo) / le vélo / das Fahrrad
dä Coiffeur (Guafför) / le coiffeur / der Frisör
s Poulet (Pule) / le poulet / das Hühnchen
s Cheminée (Schmine) / la cheminée / der Kamin
s Spital (Schpital) / l'hôpital / das Krankenhaus
dä Kondukteur (Kondiktör) / le contrôleur du train / der Schaffner
s Lavabo (Lawabo) / le lavabo / das Waschbecken
dä Dessert (Dessär) / le dessert/ der Nachtisch
d'Saison (Säson) / la saison / die Jahreszeit


Hoi ! Et après... Manuel de survie en suisse allemand, par Nicole Egger et Sergio J. Lievano, traduction française de Laurent Droz, Schwabe AG, Bergli Books, Bâle 2014, p. 9.
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