nicoalsp a écrit :Hum... Lire, prier, s'informer... Ne le prenez pas mal, lecteur Claude, mais si j'avais une telle vision de la vie chrétienne je me serais sans doute converti au calvinisme.
D'abord, il n'y aurait aucun mal à ce que vous vous convertissiez au calvinisme, si tant est que vous arriviez à encore trouver des calvinistes de nos jours. (Il paraît qu'il en reste dans l'Union des Eglises réformées évangéliques indépendantes. Pour ma part, dans ma courte vie, je n'ai connu que deux personnes qui croyaient à la prédestination absolue; malheurusement, aucune des deux n'était de l'Eglise réformée.)
Ensuite, je ne comprends pas la phrase. Pas plus que je ne comprenais hier le lien que vous faisiez entre la fornication et le fait que les femmes de la communauté soient enceintes. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir m'expliquer votre raisonnement. Je ne vois pas comment on pourrait décider de se convertir d'une religion à une autre sans prier pour être éclairé sur son choix, et sans lire et s'informer sur la religion que l'on rejoint. (Quoique ce ne serait pas mal non plus, dans la situation actuelle, d'aussi lire et s'informer sur la religion que l'on veut quitter.)
nicolasp a écrit :Cependant, je ne présage rien de bon à m'aventurer dans une paroisse orthodoxe d'expression française. Du fait de l'isolement spirituel de telles communautés, j'y vois un grand risque de devenir au bout du compte ni un vrai orthodoxe, ni même un catholique mais un hérétique complet.
Vraiment, je ne comprends pas où vous voulez en venir. L'Eglise orthodoxe ne partage pas l'hérésie de la triglossie. Il n'y a pas de langue sacrée. Il est tout aussi légitime de célébrer en français qu'en grec. Nous avons au calendrier de l'Eglise une mémoire de la première liturgie célébrée en langue iakoute, alors pourquoi refuseriez-vous au français ce que l'on accorde au iakoute?
Je vous ferais remarquer aussi que, en principe, nos évêques savent ce qu'ils font et sont meilleurs juges que vous de l'appartenance d'une paroisse à l'Orthodoxie - tout simplement parce qu'ils sont orthodoxes et que vous ne l'êtes pas. Je ne comprends pas comment vous vous sentiriez "
ni un vrai orthodoxe, ni même un catholique, mais un hérétique complet" parce que vous seriez dans une paroisse orthodoxe de langue française, ce qui reviendrait à dire que tous les évêques orthodoxes qui ont des paroisses de langue française sont des "
hérétiques complets". Et leur synode avec eux. Donc, patatras, les Eglises de Constantinople, Antioche, Moscou, Serbie et Roumanie, qui ont toutes des paroisses ou des monastères de langue française, seraient donc complètement hérétiques. (Et j'oubliais Alexandrie qui a des paroisses francophones en Afrique noire!) Avouez que votre raisonnement, à première vue, paraît un peu dévastateur. Mais si vous nous l'expliquez un peu mieux, peut-être pourrions-nous comprendre.
nicolasp a écrit :
Et je m'interroge: peut-on vraiment être orthodoxe quand on est de culture occidentable? Car il se trouve que le schisme de 1054, contrairement au schisme protestant, s'est construit sur une base géographique.
Je n'ai jamais ressenti le problème dont vous parlez. Quand je suis rentré dans l'Eglise orthodoxe, je retrouvais la foi de mes ancêtres, ainsi que l'unité de l'Eglise où il n'y a plus "ni Juif, ni Grec" (Gal 3,28). Mais, en effet, vous risquez de, votre côté, de toujours ressentir ce problème, si vous avez l'impression que les paroisses francophones sont dans une situation d'"
isolement spirituel". C'est une affirmation très surprenante. Je me demande sur quoi vous la basez. Il y a tout de même maintenant pas mal de paroisses francophones. La totalité des monastères d'hommes en France ont le français comme langue liturgique. Je sers dans une paroisse roumaine assez homogène, avec beaucoup d'immigrés récents, et où le roumain est en principe la langue liturgique. N'empêche que nous n'avons jamais eu une visite d'évêques, même venus de Roumanie, sans que l'évêque ou les évêques en question ne dise(nt) une partie de la liturgie en français. Cela nous mettait-il tout à coup dans une situation d'isolement spirituel? J'aimerais que vous nous expliquiez d'où vous vient ce sentiment.
Quand vous affirmez que le protestantisme ne s'est pas construit sur une base géographique, c'est une affirmation qui n'est valable que pour la France (à l'exception de l'Alsace et de Montbéliard; cf. plus bas), où le roi est resté catholique romain tandis qu'une partie notable de la population est devenue calviniste. Partout ailleurs, le protestantisme s'est developpé sur une base géographique, et cela a même été exprimé par le principe "
cujus regio, ejus religio". La Scandinavie est luthérienne parce que ce fut le choix des rois de Danemark et de Suède, l'Angleterre est anglicane parce que ce fut le choix d'Henri VIII et Elisabeth Ière. Le protestantisme est à ce point construit sur une base géographique que l'Angleterre est anglicane, tandis que l'Ecosse est calviniste, avec moins de 1% d'anglicans.
Mais enfin, vous êtes-vous déjà promené en Suisse ou en Allemagne? Vous passez d'une région de tradition protestante à une région de tradition catholique parce que ces pays étaient très fragmentés et que chaque canton suisse, chaque principauté allemande, chaque ville libre a choisi sa religion au XVIe siècle. Vous passez du canton de Fribourg, citadelle du catholicisme, au canton de Berne, citadelle du protestantisme, parce que les autorités cantonales ont fait ou non le choix de se rallier à la Réforme au XVIe siècle. Ce n'est que depuis l'époque napoléonienne que la liberté de culte et les mouvements de population engendrés par l'industrialisation ont mis fin à l'homogénéité confessionnelle des diverses régions de Suisse et d'Allemagne, mais les traces en restent encore visibles de nos jours.
En 1841, dans une Suisse qui, dans l'ensemble, était protestante à 60%, le canton du Valais interdisait toute manifestation du culte protestant.
Je ne veux pas trop insister sur le sujet, mais votre affirmation "
le schisme protestant ne s'est pas construit sur une base géographique" est tellement incroyable pour quiconque vit en Suisse ou a voyagé en Allemagne qu'elle appelait quelques remarques. Encore aujourd'hui, les frontières confessionnelles regroupent exactement les frontières politiques du XVIe siècle.
Et même en France... Ne vous semble-t-il pas que si le pays de Montbéliard compte une forte proportion de luthériens (devenus minoritaires sur leur sol uniquement à cause de l'afflux massif de travailleurs venus d'autres régions de tradition catholique et qui étaient attirés par les industries de Sochaux) , c'est parce que Montbéliard relevait des ducs de Wurtemberg alors que les régions voisines relevaient des rois de France?
De même, en Alsace, encore aujourd'hui, il y a des villages à 90% ou 100% luthériens, surtout concentrés dans l'arrondissement de Saverne, parce qu'ils relevaient au XVIe siècle de princes qui avaient choisi le luthéranisme. (Rappelons que, lors de la réunion de l'Alsace à la France en 1648, la Couronne dut s'engager à respecter la situation religieuse particulière de cette province.) Je pense que cela devrait quand même attirer votre attention que l'Alsace compte 14% de protestants (plutôt concentrés dans le Bas-Rhin) dans une France qui n'en compte que 1,5%.
Alors, la division entre protestantisme et romano-catholicisme est au moins aussi géographique que la division entre Orthodoxie et romano-catholicisme. Cette dernière est-elle si géographique? J'en doute. Si l'Orthodoxie est restée longtemps confinée dans une partie de l'Europe, c'est parce que des situations politiques adverses l'empêchaient d'en sortir. Les Eglises sous le joug de la turcocratie ne pouvaient pas avoir d'action missionnaire. En revanche, l'Eglise russe, qui était libre du joug ottoman, a eu une action missionnaire au Japon, action couronnée de succès jusqu'au retournement nationaliste et impérialiste du Japon à partir de la fin des années 1920. Les Eglises qui étaient sous le joug d'Etats catholiques romains (Pologne-Lituanie, Venise, Habsbourg) devaient aussi lutter pour leur survie. Il n'était pas possible, à cause de cette situation, d'avoir une action missionnaire en Europe occidentale - pas plus que les missionnaires protestants ne pouvaient agir en Espagne ou en Italie avant le milieu du XIXe siècle, d'ailleurs.
Votre affirmation que le schisme de 1054 s'est construit sur une base géographique devrait, à mon avis, être nuancée de la manière suivante. Il y a eu une idéologie religieuse, dont le
Filioque était l'étendard, qui a essayé de conquérir le monde. Elle a dû conquérir les sièges épiscopaux de l'Europe occidentale un par un, et ce processus s'est étendu depuis l'an 794 jusqu'au moins l'an 1155. Au moment du schisme de 1054, il y a encore des régions entières de l'Europe occidentale où l'on n'est ni filioquiste, ni même passé au rit romain récrit par Charlemagne. La limite entre majorité catholique romaine et majorité protestante ne recouvre que la limite où cette expansion de l'idéologie en question s'est heurtée à une trop forte résistance des populations. Si jamais vous voyagez en Transylvanie, vous verrez bien qu'il n'y a pas, en réalité, de limite géographique. Et je vous assure que les orthodoxes qui étaient sous la domination des Habsbourg ou de la Pologne ont eu à lutter pour garder leur religion contre la volonté du pouvoir politique; souvenez-vous de l'Orthodoxie, dans le royaume de Pologne-Lituanie au début du XVIIe siècle ou en Transylvanie au début du XVIIIe siècle, quand il n'y avait même plus d'évêque orthodoxe et que c'était les fraternités de laïcs qui assuraient la résistance. C'était tout de même autre chose que de devenir luthérien en Saxe en vertu du principe "
cujus regio, ejus religio" ou calviniste à Genève parce que le Grand Conseil avait voté l'adhésion à la Réforme. A vrai dire, plus j'avance dans ma réflexion, et plus j'ai envie de renverser votre affirmation sur ce qui s'est construit ou non sur une base géographique.
Il est d'ailleurs intéressant que votre question "
peut-on vraiment être orthodoxe quand on est de culture occidentale?" était aussi utilisée contre les protestants en France après 1870, sous la forme "peut-on vraiment être protestant quand on est Français?", la propagande du catholicisme de l'époque assimilant le protestantisme à l'Allemagne de Bismarck et Guillaume II. C'était le temps du "Catholique et français". Cette propagande, étudiée dans le livre de Jean Baubérot et Valentine Zuber
Une haine oubliée, eut d'ailleurs un grand succès et joua un rôle considérable dans l'affaiblissement du protestantisme français. Notez que je ne prétends pas que vous faites de la propagande; je suis plutôt intéressé de voir les mêmes idées resservir à un siècle d'intervalle.
D'ailleurs, pensez-vous vraiment que les Roumains, peuple latin, ou les Grecs, pères de la civilisation occidentale, soient vraiment des Orientaux?
Soit dit au passage, il n'y a rien de péjoratif à être Oriental. Dans l'usage orthodoxe, on réserve plutôt le terme d'Orient au ressort du patriarcat d'Antioche "et de tout l'Orient". (Rappelons aussi que le patriarcat d'Alexandrie est de "toute l'Afrique", et que l'Afrique, jusqu'à nouvel ordre, n'est pas l'Orient.) Mais cet usage, qui transpose un ancien usage romain, est en partie faux. Au sens strict, le nom d'Eglise d'Orient devrait être réservé à l'Eglise nestorienne, dite aujourd'hui assyrienne, qui est l'ancien catholicossat de Séleucie-Ctésiphon, séparé de nous sur le papier depuis l'an 484 et dans la réalité spirituelle seulement depuis le VIIIe ou IXe siècle, et qui est la seule Eglise à pouvoir se dire véritablement orientale, car née à l'est de l'Empire romain. Un historien catholique romain, M. Le Coz, avait publié aux Editions du Cerf une
Histoire de l'Eglise d'Orient; celle-ci respectait le bon usage et ne racontait que l'aventure de l'Eglise assyrienne.
Encore une remarque: nous avons signalé que nous ne faisons nul prosélytisme sur ce forum. Mon but n'est pas de vous convertir à l'Orthodoxie. Le seul motif de mon intervention est que je réponds à trois de vos affirmations et à une de vos interrogations:
- les paroisses francophones sont dans une situation d'isolement spirituel: faux;
-peut-on être orthodoxe et de tradition occidentale? oui;
- le schisme de 1054 s'est bâti sur une base géographique: partiellement faux; le filioquisme a d'abord dû conquérir la Papauté (et certains papes ont résisté avec âpreté), puis la Papauté a du conquérir l'Europe siège par siège; cette marche en avant ne s'est arrêté que devant la résistance des populations locales;
-le schisme protestant ne s'est pas construit sur une base géographique: faux; il s'est au contraire entièrement construit sur une base géographique selon le principe "
cujus regio, ejus religio", et l'on passe d'une Scandinavie à 90% luthérienne à une France qui ne compte que 1,5% de protestants.
Certes, les choses changent à notre époque, en raison des progrès du protestantisme pentecôtiste dans les pays de tradition catholique romaine, voire orthodoxe. Il paraît que, chaque année, 0,5% de la population portugaise passe du catholicisme au pentecôtisme. Mais si vous regardez la carte de l'Europe en 1939, avant que le pentecôtisme ne commence à manifester son influence, la division entre catholiques et protestants ne faisait que recouper des limites politiques mal effacées par l'unification allemande ou la transformation de la Suisse en Etat fédéral.
Je vous le répète, mon but n'est pas de vous convertir, ni même de vous convaincre que l'Eglise orthodoxe est l'Eglise voulue et fondée par le Christ. D'autant plus que je partage l'opinion de Glicherie en ce que je n'ai pas le sentiment que l'Eglise orthodoxe vous attire beaucoup, et que je ne sais pas non plus de quelle manière nous pouvons vous rendre service. Mais il se trouve que je ne pouvais pas ne pas répondre à ce que vous aviez écrit. En particulier, comme je vous l'ai expliqué, parce que l'affirmation que le "
schisme protestant" ne reposerait pas sur une limite géographique est proprement stupéfiante pour quelqu'un qui habite en Suisse.