Iconographie occidentale du premier millénaire

Échangez vos idées librement ici

Modérateur : Auteurs

Steve G
Messages : 50
Inscription : jeu. 12 janv. 2006 14:23
Localisation : LAON

Iconographie occidentale du premier millénaire

Message par Steve G »

Y-a-t-il eu en Occident au premier millénaire une iconographie occidentale d'un niveau comparable à l'iconographie orientale ? Ou bien était-elle à un niveau beaucoup plus embryonnaire ?

A supposer qu'une telle iconographie ait existée, pourquoi n'en reste-t-il si peu de traces ? Sait-on si ces hypothétiques icones avaient un style différent
du style byzantin ?
Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, prends pitié de moi, pêcheur.
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Re: Iconographie occidentale du premier millénaire

Message par Claude le Liseur »

Steve G a écrit :Y-a-t-il eu en Occident au premier millénaire une iconographie occidentale d'un niveau comparable à l'iconographie orientale ? Ou bien était-elle à un niveau beaucoup plus embryonnaire ?

A supposer qu'une telle iconographie ait existée, pourquoi n'en reste-t-il si peu de traces ? Sait-on si ces hypothétiques icones avaient un style différent
du style byzantin ?
Ravenne, Cefalù ou Monreale vous donnent un bon exemple de ce que pouvait être cette iconographie (bon, je suis d'accord, pour les deux derniers, c'est déjà le XIIe siècle).

Ces icônes ne sont pas hypothétiques et je vous laisse juge si vous les trouvez différentes du style byzantin.

En ce qui concerne le peu de traces de l'iconographie ancienne, savez-vous qu'il reste une seule église du IVe siècle au nord des Alpes (Saint-Pierre-aux-Nonnains à Metz en Lorraine), qu'il y a très peu d'églises encore debout pour la période du Ve au XIe, et que même en Orient, on ne trouve pratiquement pas d'icônes antérieures au IXe siècle en dehors de Sainte-Catherine du Sinaï? Le temps et les iconoclastes d'ici et d'ailleurs (n'oubliez pas qu'au IXe siècle, les Alpes étaient littéralement infestés de partisans de l'évêque iconoclaste Claude de Turin en Piémont) ont fait leur oeuvre.
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Message par Claude le Liseur »

Pour un exemple typique d'icône occidentale (certes du XIIe siècle, mais je vous ai déjà mentionné qu'il y a si peu de choses qui survivent des siècles précédents) en provenance de Cefalù en Sicile:

http://www.odox.net/images/a-cefalu-christ.jpg

La légende est en latin.

Photographie mise à disposition par le monastère vieux-calendériste de rit occidental Saint-Hilarion à Austin (Texas). Attention, le rit occidental suivi par cette communauté n'est pas le rit tridentin orthodoxisé (dit liturgie de saint Grégoire le Grand) ni le rit anglican orthodoxisé (dit liturgie de saint Tikhon),mais un rit beaucoup plus authentique, le rit de Sarum (ancien nom de Salisbury), rit orthodoxe anglo-saxon du Xe siècle.

Tiré du même site, la mosaïque de l'abside de la basilique de Monreale en Sicile:

http://www.odox.net/images/a-xp-monreale_sicily.gif

Je précise que, dans les deux cas, à Cefalù et à Monreale, il s'agissait bien d'églises de ceux des rits occidentaux, et pas d'églises des Italo-Grecs. Le fait que ces deux églises soient postérieures au schisme vous donne une idée de ce que pouvait être l'iconographie occidentale avant le schisme, dont il nous reste malheureusement peu de témoignages.

Du même site, l'église de Torcello (Vénétie), fin du XIe siècle:

http://www.odox.net/images/Torcello2.jpg

L'inscription latine est: Virgo Dei, Natum Prece Pulsa; Terge Reatum (Vierge de Dieu, touche ton fils par ta prière; efface le mal).

Mais pourquoi aller en Italie? Les Français feraient bien de découvrir un peu leur pays. Voici les fresques (début du XIIe siècle) de la chapelle d'été des abbés de Cluny à Berzé-la-Ville, actuellement en Saône-et-Loire, aux confins de l'ancien duché de Bourgogne (qui relevait de la France) et de l'ancien royaume de Bourgogne disparu en 1032:

http://www.art-roman.net/berze/berze2.htm

Dépêchez-vous d'aller les voir avant que ces fresques aient disparu (en plus, la région abonde en excellents restaurants). L'humidité les ronge à une vitesse effarante depuis un siècle et demi.

Vous me direz que cette iconographie ne vous convient pas parce que trop tardive?

Alors, voici du très antérieur, la basilique Saint-Vital à Ravenne en Emilie-Romagne:

http://webpublic.ac-dijon.fr/pedago/his ... mosaiq.htm

Ravenne vous paraît trop italienne? Alors, vous avez la mosaïque de Germigny-des-Prés dans l'Orléanais ("Orléans, Beaugency, Notre-Dame-de-Cléry"... on ne peut pas faire plus français, non?), garantie époque carolingienne.

http://perso.wanadoo.fr/police.daniel/R ... rmigny.htm

Et en plus, la savante et remarquable encyclopédie Wikipédia nous apprend que l'iconographie de cette église est déjà influencée par le semi-iconoclasme de Charlemagne, de Théodulfe, du concile de Francfort et des Livres carolins:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Germigny-des-Pr%C3%A9s

Certes, mais cela donne une idée des modèles que suivaient l'iconographie occidentale avant que les Pippinides se mettent en tête de changer notre religion.

Ah oui, vous me demandez à juste titre pourquoi il reste si peu de témoignages de cette iconographie occidentale. Savez-vous que la mosaïque de Germigny-des-Prés est la seule mosaïque d'époque carolingienne qui subsiste sur tout le territoire français? Le temps est impitoyable.

Il est vrai qu'il ne reste pas non plus grand'chose des peintures d'époque romane des XII-XIIIe siècles. Et quand on a essayé de les reconstituer, on a parfois atrocement badigeonné, comme à Issoire ("Issoire, voire, voire..."). Il faut par exemple aller à la basilique Saint-Julien à Brioude pour voir des fresques romanes assez bien conservées.

Le problème est que l'Europe occidentale a été orthodoxe jusqu'au XIe siècle, tandis qu'au nord des Alpes, on a conservé relativement peu de témoignages iconographiques qui soient antérieurs au XIVe siècle.

Or, l'art sacré d'Europe occidentale, où la contestation du caractère dogmatique de l'iconographie commence à la fin du VIIIe siècle, avec environ 70 ans de retard sur Constantinople, se détache progressivement, non seulement des formes orthodoxes, mais aussi de l'esprit iconographique. Ce détachement sera total seulement vers le XVe siècle, mais le processus (glorifié d'une manière à mes yeux fort abusive par Alain Besançon dans L'image interdite) commence avec le concile de Francfort.
Dernière modification par Claude le Liseur le mar. 28 févr. 2006 19:29, modifié 1 fois.
Jean-Louis Palierne
Messages : 1044
Inscription : ven. 20 juin 2003 11:02

Message par Jean-Louis Palierne »

Je ne crois pas qu’on puisse parler véritablement d’un “style byzantin” de l’iconographie. Les chrétiens ont progressivement inventé un style iconographique qui est le style de représentation correspondant à la foi orthodoxe.

Dans certains domaines comme celui de l’iconographie l’Église a progressivement dégagé les implications de sa foi initiale. L’Église primitive utilisait peu de représentations et quand elle en utilisait elle employait des formes et des techniques et des stéréotypes empruntés à ceux de l’Antiquité. Le Christ ressemble à un Dieu Soleil, comme le Bon Pasteur. Marie comme un matrone romaine portant le diadème, et on utilisait beaucoup des symboles comme l’Agneau, le poisson, l’Ancre, la corbeille de pains, la Vigne etc. Les mosaïques de Ravenne représentent déjà un pas en avant considérable vers la véritable iconographie. L’art roman ou pré-roman aurait encore pu devenit pleinement iconographique s’il avait pu se développer. Mais l’Église d’Occident s’est séparée de la Tradition au moment où se formait la véritable iconographie orthodoxe.

Je soupçonne que beaucoup a dû disparaître alors que les tenants du filioquisme papiste affermissaient leur pouvoir. Les fresques de la oetite église de Germigny sont typiquement iconoclastes.

Mais que l’iconographie et la psaltique, l’architecture et l’hymnographie se soient surtout développées dans la partie hellénophone ne signifie pas qu’on doive donner au mot “byzantin” une signification géographique ou ethnique. La part propre à la ville de Constantinople n’apparaît que plusieurs siècles après sa promotion au rang de capitale. Byzance est surtout le nom d’une synthèse, d’une maturation, d’un approfondissement qui sont le propre de l’Église orthodoxie.

J’aimerais savoir à partir de quel époque et dans quelles circonstances on a pris l’habitude de désigner sous le nom de “byzantins” l’iconographie, la musique, l’hymnographie et toutes les formes liturgiques qui expriment la maturation de l’Église orthodoxe, par opposition à diverses tendances périphériques et hétéridixes ?
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
Steve G
Messages : 50
Inscription : jeu. 12 janv. 2006 14:23
Localisation : LAON

Merci

Message par Steve G »

Merci beaucoup.
Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, prends pitié de moi, pêcheur.
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Message par Claude le Liseur »

Trois remarques encore à propos de la pertinente question de Steve G.

Les dates pour la basilique de Monreale en Sicile: 1170-1190. A ce moment-là, il ne devait plus y avoir beaucoup d'orthodoxes en Sicile, l'Etat normand ayant commencé à les persécuter en 1154/1155. Mais l'influence restait quand même visible, en tout cas dans l'art sacré.

Un fait peu connu: il y a une quarantaine d'années, l'historien de l'art Miroslav Lazović - que j'ai eu l'occasion de rencontrer beaucoup plus tard - avait organisé une exposition d'icônes où il y avait des icônes albanaises, ce qui était rarissime. Une de ces icônes albanaises (du XIVe ou XVe siècle si je me souviens) avait sa légende en latin, mais écrit avec ce que l'on appelle des caractères gothiques (l'écriture utilisée pour imprimer les textes en allemand jusqu'à ce qu'Hitler impose en 1941 la Reformschrift, c'est-à-dire les mêmes caractères d'imprimerie que pour les autres langues qui utilisent l'alphabet latin). On sort un peu de la question posée par Steve, puisque ces icônes sont largement postérieures au schisme, mais dans une région où il y avait un tel imbroglio ethnique, culturel et religieux qu'il est fort possible qu'il y ait encore eu au XVe siècle des orthodoxes albanais qui avaient le latin comme langue de culture. Mais je signale le fait que j'ai trouvé intéressant parce que la calligraphie de la légende d'une icône est un travail délicat. Naturellement, pour rédiger la légende d'une icône en français ou en italien, l'iconographe a tendance à s'inspirer de la calligraphie des iconographes roumains, puisque ceux-ci légendent les icônes avec les lettres de l'alphabet latin, contrairement aux iconographes grecs, slaves, arabes et géorgiens. Mais il est intéressant de voir, au moins à travers cet exemple albanais, qu'il serait aussi envisageable de calligraphier la légende d'une icône dans une langue qui utilise l'alphabet latin en ayant recours aux lettres dites gothiques.

Enfin, une troisième remarque, cette fois-ci en rapport direct avec la question de Steve. Quand le hiéromoine Séraphin (Rose) travailla à l'édition anglaise de la Vita Patrum de saint Grégoire de Tours, il fut frappé de voir que ce saint évêque du VIe siècle, plus connu hors du milieu orthodoxe comme auteur de l'Histoire des Francs, employait expressément le mot "icônes" pour désigner les peintures d'une chapelle gauloise dans le chapitre 12 de la Vita Patrum.
Anne Geneviève
Messages : 1041
Inscription : lun. 30 mai 2005 19:41
Localisation : IdF
Contact :

Message par Anne Geneviève »

Juste un mot en ce qui concerne Germigny : l'état actuel après restauration n'a pas grand chose à voir avec l'état originel, sauf la mosaïque de l'abside, témoin de la judaïsation carolingienne. L'architecte de Germigny était l'arménien Odo, également architecte de la Sainte-Chapelle d'Aachen. C'est effectivement un monument de la période iconoclaste.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Anne Geneviève
Messages : 1041
Inscription : lun. 30 mai 2005 19:41
Localisation : IdF
Contact :

Message par Anne Geneviève »

Les fresques et enluminures de la période romane et pré-romane, comme Berzé la Ville mais à voir aussi dans le coin celles de Brancion, sont un retour aux canons iconographiques après la fin de la période carolingienne. Encore une indication de ce que rien n'est simpliste dans l'histoire de l'occident. Ce n'est qu'avec le gothique et les fresques "réalistes" du XIIIe siècle que l'on sort définitivement de l'art liturgique orthodoxe, c'est à dire conjointement aux persécutions de tous les opposants à la doctrine romaine, persécutions par le feu, la prison et le fer. Et si l'on regarde bien, les cathédrales gothiques, en dehors des vitraux, sont tout aussi iconoclastes que Germigny et même plus puisque le décor s'y réduit le plus souvent à des feuillages stylisés au dessus des piliers.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Anne Geneviève
Messages : 1041
Inscription : lun. 30 mai 2005 19:41
Localisation : IdF
Contact :

Message par Anne Geneviève »

Ce qui reste de l’iconographie occidentale, ce sont surtout des enluminures et quelques fresques. Pour ces dernières, on doit hélas en grande partie leur perte aux restaurateurs des années 1950 qui, dans leur hâte à décaper les enduits colorés du XIXe et les enduits blancs du XVIIIe siècles ont souvent vu trop tard qu’elles cachaient des fresques romanes. J’ai fait allusion à Germigny : encore avant les dernières restaurations qui ont tout chamboulé, l’ensemble des absidioles de l’église primitive portaient des mosaïques, tout un jardin de fleurs censé évoquer l’éden. Madame Troubetzkoï les a encore vues et photographiées, hélas en noir et blanc. Si un jour je retrouve l’usage de mon scanner, j’essaierai de mettre une photo soit sur le forum directement, soit sur mon blog en indiquant le lien.
Jusqu’au XIIIe siècle, les enluminures des Gaules sont dans le plus pur style « byzantin », ce qui n’est pas le cas des bas reliefs romans, en particulier des chapiteaux. En fait, notre terre se trouve au carrefour de trois influences architecturales et iconographiques :
1. Byzance, avec qui des liens commerciaux et politiques étaient encore vivaces et chez les Francs mérovingiens et chez les Goths.
2. l’Arménie, à qui l’on doit le thème intitulé par les profs d’histoire de l’art « Daniel dans la fosse aux lions » et qui, en fait, fait référence à la légende de Gilgamesh. Les Arméniens voyaient en lui une préfigure inaboutie du Christ. Même processus que la canonisation de Gautama en Josaphat.
3. l’Irlande, où l’on trouve une synthèse entre l’iconographie éthiopienne (entrelacs, très grands yeux) et le goût celtique de la stylisation.
Les styles arménien et irlandais se retrouvent surtout dans les chapiteaux, tandis que le style byzantin règne sur ce qui est peint : fresques, enluminures ; ou sur les couvertures d’évangéliaires en métal ou en ivoire.
Il suffit de consulter la collection des éditions Zodiaque consacrée à l’art roman pour voir quelle richesse fut perdue.

Un mot pour Jean Louis : « byzantin » est un terme d’historiens. Je suis sûre de son emploi au XIXe siècle, je ne suis pas très sûre pour le XVIIIe et je ne l’ai pas vu avant – mais je n’ai pas tout lu.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Message par Claude le Liseur »

Anne Geneviève a écrit :Ce qui reste de l’iconographie occidentale, ce sont surtout des enluminures et quelques fresques. Pour ces dernières, on doit hélas en grande partie leur perte aux restaurateurs des années 1950 qui, dans leur hâte à décaper les enduits colorés du XIXe et les enduits blancs du XVIIIe siècles ont souvent vu trop tard qu’elles cachaient des fresques romanes. J’ai fait allusion à Germigny : encore avant les dernières restaurations qui ont tout chamboulé, l’ensemble des absidioles de l’église primitive portaient des mosaïques, tout un jardin de fleurs censé évoquer l’éden. Madame Troubetzkoï les a encore vues et photographiées, hélas en noir et blanc. Si un jour je retrouve l’usage de mon scanner, j’essaierai de mettre une photo soit sur le forum directement, soit sur mon blog en indiquant le lien.
Jusqu’au XIIIe siècle, les enluminures des Gaules sont dans le plus pur style « byzantin », ce qui n’est pas le cas des bas reliefs romans, en particulier des chapiteaux. En fait, notre terre se trouve au carrefour de trois influences architecturales et iconographiques :
1. Byzance, avec qui des liens commerciaux et politiques étaient encore vivaces et chez les Francs mérovingiens et chez les Goths.
2. l’Arménie, à qui l’on doit le thème intitulé par les profs d’histoire de l’art « Daniel dans la fosse aux lions » et qui, en fait, fait référence à la légende de Gilgamesh. Les Arméniens voyaient en lui une préfigure inaboutie du Christ. Même processus que la canonisation de Gautama en Josaphat.
3. l’Irlande, où l’on trouve une synthèse entre l’iconographie éthiopienne (entrelacs, très grands yeux) et le goût celtique de la stylisation.
Les styles arménien et irlandais se retrouvent surtout dans les chapiteaux, tandis que le style byzantin règne sur ce qui est peint : fresques, enluminures ; ou sur les couvertures d’évangéliaires en métal ou en ivoire.
Il suffit de consulter la collection des éditions Zodiaque consacrée à l’art roman pour voir quelle richesse fut perdue.

Un mot pour Jean Louis : « byzantin » est un terme d’historiens. Je suis sûre de son emploi au XIXe siècle, je ne suis pas très sûre pour le XVIIIe et je ne l’ai pas vu avant – mais je n’ai pas tout lu.
Pour le fait que les Arméniens voyaient en Gilgamesh une préfiguration du Christ, je ne savais pas du tout. Je croyais que la légende de Gilgamesh n'avait été redécouverte qu'au XIXe siècle quand on a retrouvé les tablettes mésopotamiennes.

Je crois que pour l'art irlandais, il y a non seulement une influence éthiopienne, mais aussi une influence arménienne. Un Arménien figura parmi les abbés du monastère de Cell Achid (Killeigh), le troisième d'Irlande (cf. Ghewond Khosdegian, in Gérard Dédéyan e.a., Histoire des Arméniens, Privat, Toulouse 1982, p. 393). L'influence éthiopienne dut parvenir en Irlande par les Coptes: sept moines égyptiens sont enterrés à Disert Uldith, un monastère d'Irlande (Aziz Atiya, traduit de l'anglais par Pierre de Bogdanoff, "L'oeuvre missionnaire copte des premiers temps", in Le Monde Copte, n° 3, Saint-Soupplets 1977, p. 29).
Ceci ne veut pas dire que les Irlandais étaient monophysites, contrairement à l'argumentation des monophysites celtes contemporains. Il ne faut pas oublier que l'Ethiopie est restée orthodoxe pendant la majeure partie du VIe siècle. Il y a eu des Coptes orthodoxes probablement jusqu'au Xe siècle. Quant aux Arméniens orthodoxes, bien que leurs effectifs aient fondu à partir du XIIe siècle, les recensements turcs des années 1930 en auraient encore trouvé 3'000 (cf. Selim Akgönül - historien turc installé en Alsace, d'une rare objectivité - Le patriarcat grec orthodoxe, Maisonneuve et Larose, Paris 2005, p. 63).
Jean-Louis Palierne
Messages : 1044
Inscription : ven. 20 juin 2003 11:02

Message par Jean-Louis Palierne »

A Germigny j’ai vu, de mes yeux vu, et ce devait être dans les années 70, une mosaïque du Bon Pasteur et une autre je crois de l’Arche d’Alliance, ou du Buisson Ardent ? Dans tous les cas on se trouve en plein dans l’iconographie iconockaste. Mais ce n’est pas très représentatif car c’était une chapelle privée d’un évêque de cour de Charlemagne. Les deux mosaïques étaient nouvellement restaurées et mises en valeur par un éclarage muséographique.

Ces thématiques, comme celle des trois enfants dans la fournaise, sont typiques de l’esprit iconoclaste. Ne pas représenter les personnes du Nouveau Testament, mais les figures de l’Ancien, comprises comme allégories. Rien à voir avec une influence ou une résurgences des mythologies païennes. Je suis pour ma part convaincu que l’Arche d’Alliance, le Buisson Ardent ou la fosse aux lions ont réellement existé et que c’était des figures historiques préparant le Peuple élu à la révélation du Verbe fait chair.

Les premiers pas de l’iconographie chrétiennes (par exemple sur les sarcophages ou dans les fresques des catacombes) ont eu du mal à adopter une figuration qui soit à la fois réaliste et priante. Elle n’y est arrivée que peu à peu et l’iconoclasme a représenté une tentative de retour en arrière.

Vouloir ne représenter que des paraboles (pAr exemple le Bon Pasteur) ou que des symboles (la vigne ou la corbeille de pains) ou que des figures de l’Ancien Testament sezraiy donner une dimension allégorique à la foi chrétienne. Il en serait de même que de lire Daniel dans la Fosse aux lions comme un avatar de Gilgamesh, et toutes les figures de l”Ancienne Alliance comme des figures archétypiques. C’est très à la mode, mais c’est parfaitement faux.

Quant au mot “byzantin” il était urilisé séjà par au moins les byzantins tardifs (XIVème-XVème) pour désigner leur propre univers théologique, politique et liturgique.
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
Anne Geneviève
Messages : 1041
Inscription : lun. 30 mai 2005 19:41
Localisation : IdF
Contact :

Message par Anne Geneviève »

Dans les années 70, la restauration de Germigny avait hélas déjà eu lieu. Ce que Jean Louis Palierne a vu est donc la grande mosaïque du fond de l'abside principale qui représente l'arche d'alliance entourée de deux anges. On peut la voir grâce au lien mis par Claude dans son post.
Avant cette restauration qui date des années 60, elle s'accompagnait sur tous les murs de branchages et de fleurs en mosaïque.
L'étude de madame Troubetzkoï relie cette thématique à d'autres églises carolingiennes aujourd'hui disparues mais sur lesquelles on possède des sources écrites, des descriptions d'époque. On sait que le monastère d'Aniane s'enorgueillissait de posséder une parfaite réplique du chandelier à 7 branches. On sait qu'il y avait un tabernacle en forme d'arche je ne sais plus où en Normandie (je cite de mémoire, mais je vous retrouverai les références). Etc.

Je ne crois pas avoir dit que la fosse aux lions n'avait jamais existé. Tout ce que j'ai dit, c'est qu'un type de sculpture commun sur les piliers romans a été interprétée par les historiens d'art comme une illustration de l'épisode de Daniel, alors que des recherches ultérieures ont montré qu'il s'agissait d'un thème plus ancien, réapparu via une influence arménienne.
Quant à la connaissance en Arménie de l'épopée de Gilgamesh, il ne s'agit pas de redécouverte de manuscrits, votre date est bonne pour ce qui est tablettes, Claude. Mais une version en arménien s'est transmise oralement on ne sait pas depuis quand, via les bardes locaux. Lorsqu'on a pu la comparer, après recueil par ethnologues, au texte des tablettes, on s'est aperçu qu'il y avait très peu d'altérations. Une fidélité étonnante.
Je ne sais plus de qui je tiens qu'on a vu dans cette épopée une préfigure du Christ, c'est quelque chose qui m'avait frappée parce qu'un universitaire me l'a dit lors d'un colloque sur l'imaginaire et, comme il ne savait pas que j'étais orthodoxe, ça ne pouvait pas être une figure de style à mon usage. Mais c'était une discussion de couloir et je suis incapable de référencer pour l'instant. Je vais essayer de retrouver la source s'il ne faut pas la lire en arménien !
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Barbare du Nord
Messages : 9
Inscription : ven. 30 juil. 2004 21:49

Message par Barbare du Nord »

Les autres Christ Pantocrator de Sicile:
Source:
http://www.spiritualite-chretienne.com/ ... ntocr.html

La chapelle palatine de Palerme:

Image


La cathédrale de Cefalù:

Image

Ces représentations occidentales "normano-italo-byzantines" sont elles toujours correctes d'un point de vue orthodoxe?
Les règles sont elles exactement les mêmes pour les mosaiques (et les fresques) que pour les icônes peintes sur bois?
Jean-Louis Palierne
Messages : 1044
Inscription : ven. 20 juin 2003 11:02

Message par Jean-Louis Palierne »

Ces magnifiques représentations sont parfaitement iconographiques et totalement orthodoxes. Je ne vois pas où la question se pose. et dans quel sens elle est posée.

Les mosaïques et les fresques sont des icônes. Elles sont tout autant vénérables (sauf qu'on ne peut pas les baiser respectueusement !)

Nous avons tendance aujourd'hui à identifier les icônes et les icônes portables sur bois que vénèrent à la maison les fidèles de l'Église orthodoxe. Il n'y a aucune raison pour se limiter à ces dernières.

L'Église de Charlemagne avait voulu imposer dans son Empire les normes iconographiques de l'iconoclasme. En fait il en a été fait très peu et nous en avons conservé encore moins. Très vite on a oublié ces normes et on en est revenu à la représentation des personnes et des visages du Seigneur et de ses Saints et des épisodes réels de la Nouvelle Alliance. Mais comme le lien avec l'Orient se distendait et quela barbarie régnait en Occident on n'eut pas en général de véritable représentation iconographique.

L'Italie deu Sud et la Sicile furent plus favorisée grâce à un contact plus étroit avec les sources de la civilisation.
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
Irène
Messages : 942
Inscription : mar. 30 sept. 2003 11:46
Localisation : Genève

Message par Irène »

Un petit bonjour à Barbare du nord, qui n'avait pas posté depuis longtemps et merci pour cette contribution.
Répondre