Pour satisfaire la curiosité légitime de "Cadoudal", voici quelques étapes de la glorieuse aventure de l'"Etat indépendant de Croatie" de Pavelić, Stepinac et cie.
6 avril 1941 Invasion de la Yougoslavie par les forces armées de l'Allemagne, de l'Italie, de la Hongrie et de la Bulgarie.
8 avril 1941 Opération "Châtiment": bombardement de Belgrade par la Luftwaffe. 17'000 morts. Plus que jamais, le vieux slogan du catholicisme autrichien
Serbien muß sterben est d'actualité.
12 avril 1941 Kvaternik proclame l'Etat indépendant de Croatie. Maček, chef du parti paysan croate, donne sa caution au nouveau régime, signant ainsi sa trahison à l'égard de l'Etat yougoslave dont il était le vice-président du Conseil. Stipe Mesić répétera l'opération cinquante ans plus tard, en prenant ses fonctions de président de la Fédération yougoslave, et annonçant qu'il en serait le dernier président.
15 avril 1941 Pavelić arrive à Zagreb. Le lendemain, il devient le
poglavnik (c'est-à-dire le
Führer) du nouvel Etat, fonction qu'il cumule avec celle de ministre des Affaires étrangères.
16 avril 1941 Le cardinal Stepinac vient apporter ses salutations au Poglavnik: "Le grand homme est arrivé pour réaliser la tâche la plus importante de son existence entière", dit le futur "bienheureux" à propos de quelqu'un qui, après tout, n'a à ce moment à son actif que l'assassinat du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et du ministre français des Affaires étrangères Louis Barthou.
17 avril 1941 Pavelić promulgue un décret qui instaure la peine de mort pour "quiconque offense ou a offensé d'une quelconque façon l'honneur et les intérêts vitaux du peuple croate".
18 avril 1941 Capitulation de l'armée yougoslave. Le roi et le gouvernement se sont enfuis en Angleterre. Le colonel Mihailović poursuit seul la lutte avec quelques dizaines de partisans. Ils seront des dizaines de milliers dix-huit mois plus tard.
Les Allemands étendent démesurément les frontières de l'Etat indépendant de Croatie: outre la Croatie historique, celui-ci comprend la Dalmatie, la Slavonie (à laquelle on a rajouté Zemun, c'est-à-dire la banlieue de Belgrade!), la Bosnie et l'Herzégovine, soit un superbe champ d'expérimentation génocidaire.
Cet Etat de Croatie, démesurément étendu au-delà des frontières de la Croatie historique (mais Tito entérinera une grande partie de ces annexions, et la "communauté internationale" fera de même en 1991-1992) compte à ce moment-là environ 3'000'000 de catholiques romains, 2'200'000 orthodoxes, 717'000 musulmans et 180'000 autres (dont 100'000 Juifs et 70'000 protestants).
19 avril 1941 L'Etat indépendant de Croatie promulgue ses premiers décrets. Les entreprises privées appartenant à des Juifs ou à des chrétiens orthodoxes se voient imposer des commissaires nommés par l'Etat croate pour assurer leur gestion. Les véhicules privés appartenant à des Juifs ou à des chrétiens orthodoxes leur sont confisqués. Les chrétiens orthodoxes doivent porter un brassard de couleur bleue avec la lettre P pour
Pravoslavni (c'est-à-dire Orthodoxe). Les Juifs doivent porter l'étoile de David sur la manche. Il est interdit aux chrétiens orthodoxes, aux Juifs et aux Tziganes de marcher sur les trottoirs. Début des massacres.
25 avril 1941 Un décret interdit l'emploi de l'alphabet cyrillique tant dans la vie privée que dans la vie publique.
28 avril 1941 Le futur "bienheureux" Stepinac ordonne des prières publiques dans les églises pour Pavelić: "J'ordonne donc que dimanche prochain, le 4 mai, dans toutes les églises, soit chanté le
Te Deum et j'invite les autorités locales et la population à y assister."
30 avril 1941 Décret sur la nationalité croate: "Les Juifs et les Serbes ne sont pas citoyens de l'Etat indépendant de Croatie, mais ils appartiennent à l'Etat."
5 mai 1941 Loi relative aux conversions forcées au catholicisme romain.
6 mai 1941 A Blagaj, 520 chrétiens orthodoxes sont tués à coup de fusil et achevés au poignard et à la hache.
15 mai 1941 La Croatie devient officiellement un royaume. Désigné pour en ceindre la couronne sous le nom de Tomislav II, son Altesse Aymon d'Aoste, duc de Spolète, neveu du roi d'Italie Victor-Emmanuel III, refusera de mettre les pieds dans son nouveau royaume en raison du bain de sang qui s'y déroule.
Le jour même où Pavelić, accompagné du vicaire général de l'archevêché de Zagreb, Mgr Sewis, et de trois prêtres, est reçu par le roi d'Italie, le ministre croate de l'Instruction publique, Dr. Mile Budak, se glorifie du meurtre du roi Alexandre de Yougoslavie: "Nous, nous seuls, nous revendiquons cet honneur!" Radio-Londres commente: "Nous ne pouvons comprendre que le roi Victor-Emmanuel accueille dans sa maison un régicide." En 1990-1991, Budak sera un des héros de la nouvelle Croatie indépendante.
Ce même jour du 15 mai 1941, l'organe de l'archevêché catholique romain de Zagreb publie une circulaire du bureau du futur "bienheureux" Stepinac approuvant la procédure fixée le 5 mai pour les conversions forcées.
19 mai 1941 L'
Osservatore romano rend compte de l'audience accordée par le pape Pie XII au "grand homme d'Etat" (
sic) Ante Pavelić.
3 juin 1941 Tous les jardins d'enfants et toutes les écoles élémentaires appartenant à l'Eglise orthodoxe sont fermés sur le territoire de l'Etat indépendant de Croatie.
10 juin 1941 Un décret de Pavelić promulgue la peine de mort pour quiconque écoute Radio-Londres.
13 juin 1941 Sermon du curé catholique romain d'Udbina, don Mate Mugoša: "Jusqu'à aujourd'hui, nous avons oeuvré pour la foi catholique avec le missel et la croix du Christ. A présent, le moment est venu d'agir avec le fusil et le pistolet."
15 juin 1941 On peut lire dans l'hebdomadaire de l'archevêché catholique romain de Sarajevo: "Il faut admettre que des temps difficiles sont arrivés pour les Serbes qui paient le prix de notre programme et qui en supportent le poids."
22 juin 1941 L'Allemagne attaque l'Union soviétique. Menés par Tito, les communistes yougoslaves entrent à leur tour dans la Résistance. Ils compteront eux aussi, bientôt, des dizaines de milliers de combattants.
En 1943-1944, l'armée allemande devra maintenir 300'000 hommes en Yougoslavie pour faire face aux partisans de Tito et de Mihailović. L'explication de cette combattivité de la Résistance yougoslave, sans exemple ailleurs dans l'Europe occupée, réside en grande partie dans le fait que les massacres commis par l'Etat de Pavelić et Stepinac jettent dans le combat une grande partie de la population orthodoxe survivante. L'armée royaliste de Mihailović compte ainsi des unités de femmes qui se battent vêtues de noir, car elles portent le deuil de leurs familles assassinées par les Oustachis. En revanche, les troupes de l'Etat indépendant de Croatie, trop occupées à des massacres et à des rapines, seront d'une efficacité militaire à peu près nulle, contraignant l'armée allemande à supporter l'essentiel de la lutte contre une Résistance sans cesse renforcées par les exactions des Oustachis.
26 juin 1941 Le bilan de l'Etat indépendant de Croatie à ce moment-là est estimé à 180'000 assassinats, dont trois évêques et plus de cent prêtres orthodoxes. Pavelić reçoit ce jour-là une délégation de l'épiscopat croate, menée par le futur "bienheureux" Stepinac, lequel fait son éloge.
Le bilan total, pour les chrétiens orthodoxes, sera estimé à 700'000 à 1 million de morts, dont 300 prêtres et 4 évêques. Les Juifs auront environ 50'000 morts et les Tziganes 28'000. Les opposants politiques croates seront aussi assassinés par milliers (peut-être 20'000). Le nombre total des victimes doit se situer entre 800'000 et 1'100'000, représentant ainsi 13 à 18% de la population de départ de l'Etat indépendant de Croatie.
Ce chiffre ne concerne que les civils assassinés par l'Etat indépendant de Croatie et ne comprend bien sûr pas les hommes tués au combat de part ou d'autre (Oustachis, partisans royalistes, partisans communistes, unités au service de l'armée allemande) qui augmenteraient le total de plusieurs dizaines de milliers.
Martyrologe des évêques orthodoxes tombés sous les coups des disciples de Pavelić et Stepinac: Mgr Pierre, métropolite de Sarajevo, égorgé au camp d'extermination de Jasenovac; Mgr Platon, évêque de Banja Luka, ferré au pieds comme un cheval, barbe et cheveux mis à feu, yeux crevés, nez et oreilles coupés, puis achevé; Mgr Sabbas, évêque de Plaski, torturé et tué avec 3 prêtres et 2'000 fidèles sur l'île de Pag; Mgr Branko, évêque d'Otocac, barbe et cheveux arrachés, yeux crevés, achevé à la hache.
Ainsi que l'écrira plus de quarante ans plus tard l'ancien ministre socialiste français Arthur Conte (in
Les Dictateurs du XXe siècle, Robert Laffont, Paris 1984, p. 211): "Pavélitch n'est pas loin d'illustrer tragiquement l'une des dictatures les plus sanguinaires et les plus féroces de tous les temps." Il semble en effet que seuls les Khmers rouges aient réussi à l'égaler dans la férocité.
28 juin 1941 Eugen Kvaternik-Dido (le fils de Slavko Kvaternik), chef de la police de Zagreb, fait dynamiter la basilique orthodoxe de la ville de Bihać. Le même jour, 2'000 Juifs et chrétiens orthodoxes sont tués dans cette ville.
7 juillet 1941 Le prêtre catholique romain Ivo Guberina, président de l'Action catholique croate, écrit: "La Croatie se purifiera de tous ses poisons par tous les moyens, même par l'épée."
14 juillet 1941 Circulaire N° 46278-B-1941, signée par Pavelić et Budak, sur la conversion forcée des orthodoxes au catholicisme. Les conversions ne seront admises qu'au rite latin, et pas dans la petite Eglise uniate. On n'acceptera pas les conversions des intellectuels (susceptibles de conversions simulées et d'organiser une résistance), voués à la mort, mais seulement celles du "peuple orthodoxe et pauvre". Il y aura au total 200'000 conversions forcées, parfois quand même suivies d'exécutions.
22 juillet 1941 L'
Osservatore romano rapporte que Pie XII a donné audience à Eugen Kvaternik-Dido et à 100 policiers oustachis en uniforme.
Le même jour, lors d'un grand rassemblement oustachi à Gospić, Budak déclare: "La base du mouvement oustachi est la religion. (...) Nous exterminerons une partie des Serbes. Nous en déporterons une autre partie et nous contraindrons le reste à accepter la religion catholique romaine. Ainsi la nouvelle Croatie se débarassera de tous les Serbes qui sont en son sein, et deviendra d'ici 10 ans catholique à 100%."
24, 25 et 26 juillet 1941 1'200 chrétiens orthodoxes assassinés à Grabovac.
29 juillet 1941: Radio-Zagreb annonce: "En Croatie, il ne peut exister ni Serbes ni Orthodoxie. Les Croates s'en assureront le plus rapidement possible."
4 août 1941 A Mlavka, 270 chrétiens orthodoxes sont brûlés vifs (nostalgie de l'Inquisition?). Le même jour, 800 chrétiens orthodoxes sont tués à Slunj. Une journée ordinaire dans la vie de l'Etat de Pavelić et Stepinac. Et comme cela pendant 4 ans, comme on le verra.
Août 1941 L'armée italienne - pourtant officiellement alliée des Croates - décide d'étendre sa zone d'occupation en Dalmatie et en Krajina pour y sauver les populations juives et chrétiennes orthodoxes. L'armée italienne rouvre ainsi la basilique orthodoxe de Knin où les offices reprennent le 28 août 1941. Protestation du futur "bienheureux" Stepinac contre les actions humanitaires de l'armée italienne dans une lettre adressée à l'ambassadeur d'Italie à Zagreb Casertano:
"C'est ainsi que dans les territoires croates annexés à l'Italie, on observe une continuelle décadence de la vie religieuse, et même une certaine tendance au passage du catholicisme vers le schisme. La faute et la responsabilité devant Dieu et devant l'Histoire sera celle de l'Italie catholique si cette région la plus catholique de la Croatie doit cesser de l'être à l'avenir."
Le "bienheureux" ne vivra pas assez longtemps pour voir la réalisation de son rêve. Sauvés par l'armée italienne en août 1941, les orthodoxes de la Krajina ("région la plus catholique de la Croatie" selon Stepinac, mais quand même à majorité orthodoxe) seront entièrement liquidés en 1995 lors de l'attaque de l'armée croate menée avec la bénédiction de Jean-Paul II, qui parlera à cette occasion de "guerre juste". Le 12 septembre 1995, la conférence épiscopale croate réunie à Zagreb votera une résolution favorable à l'expulsion des Serbes de la Krajina .
Septembre 1941 Le journal de l'archevêché de Zagreb communique: "Le village entier de Budimici a été converti au catholicisme le 14 septembre 1941. Le moine fanciscain Sidonije Scholz avait procédé aux dispositions préparatoires. Plusieurs prêtres et le préfet du département de la Baranja assistaient à la cérémonie. Pendant le banquet final, des discours furent prononcés et des verres furent levés en l'honneur du Poglavnik et de la Croatie."
13 novembre 1941
Les notables de la communauté musulmane de Banja Luka, pressentant que les musulmans seront exterminés quand l'Etat indépendant de Croatie en aura terminé avec les chrétiens orthodoxes, écrivent une lettre de protestation au gouvernement de l'Etat indépendant de Croatie: "Le meutre des prêtres et des chefs sans jugement, sans aucun tribunal, l'exécution par fusillade en masse de personnes très souvent tout à fait innocentes, de femmes et d'enfants, l'éloignement de familles entières de leur domicile dans un délai d'une heure ou deux au maximum, leur déportation vers une destination inconnue, l'appropriation de leurs biens et leur passage forcé à la foi catholique, ce sont là des faits qui ont rempli de stupeur les personnes de bon sens et qui nous ont laissé à nous, les musulmans de ces régions, une très mauvaise impression.". Ils signalent en particulier que des Oustachis n'hésitent pas à se revêtir d'un fez quand ils vont massacrer des orthodoxes, de telle sorte que l'on attribue le massacre aux musulmans.
Beaucoup de musulmans rejoindront les Oustachis, le Poglavnik les ayant proclamés "fleurs de la nation croate". D'autres rejoindront la division SS Handschar levée en Bosnie par le grand mufti de Jérusalem. Mais un grand nombre de musulmans, surtout ceux qui se considéraient comme des Serbes de confession musulmane, s'engageront dans les rangs de la Résistance.
19 novembre 1941
Lettre de protestation de l'évêque de l'Eglise évangélique Filip Popp au gouvernement de l'Etat indépendant de Croatie, demandant que les orthodoxes qui se convertissent au protestantisme soient épargnés... Mgr Popp rappelle aussi, au cas où le catholicisme du Poglavnik s'étendrait jusqu'au massacre des protestants, que le protestantisme a derrière lui les pays les plus développés du monde. Et, en effet, par peur de l'Allemagne en grande partie luthérienne, l'Etat croate ne touchera pas à sa petite minorité de 70'000 protestants.
25 décembre 1941 Au camp de concentration de Jasenovac, commandé par le moine franciscain Miroslav Filipović, les oustachis fêtent Noël en tuant à coups de poignard dans le ventre 500 déportés arrivés le jour même. 39 ans plus tard, le 10 février 1981, l'archevêque de Zagreb, cardinal de Jean-Paul II, Mgr Franjo Kuharić, déclarera: "Dire que des prêtres catholiques furent à la tête de lieux d'extermination ou de bandes d'assassins est un mensonge éhonté!"
Janvier 1942 Comme son but principal est la prise du pouvoir et la soviétisation totale de la Yougoslavie après la victoire sur l'Axe - ce qui implique que l'ennemi numéro 1 à abattre est le général Mihailović, chef des partisans fidèles au gouvernement légitime en exil-, Tito décide de gonfler les effectifs des partisans communistes en acceptant tous les Oustachis qui décideront de changer de camp.
6 février 1942 Le pape Pie XII reçoit en audience 206 membres de la Jeunesse croisée de Croatie, en uniformes oustachis.
16 février 1942: Radio-Londres à propos de Mgr Stepinac: "Autour de Stepinac se commettent les plus grandes atrocités. Le sang fraternel coule à torrents, creusant un fossé encore plus profond. Les orthodoxes sont convertis par la force au catholicisme, et nous n'entendons pas la voix de l'Archevêque prêcher la rébellion. Nous lisons, au contraire, qu'il prend part à des parades nazies et fascistes."
17 février 1942 Rapport envoyé par le chef des SS allemands stationnés à Zagreb au
Reichsführer der SS Himmler: "Il semble que le nombre des Orthodoxes massacrés et torturés par les Croates par des méthodes extrêmement sadiques s'élèveà 300'000.(...) A ce sujet, il faut souligner le fait que l'Eglise catholique, par ses mesures de conversion et par l'imposition de sa propre confession, a forcé la main aux oustachis, se servant d'eux pour la mise en application de ces mesures."
1er mars 1942
Un groupe de prêtres catholiques slovènes signe une lettre de protestation adressée au Vatican: "Par conséquent, pendant que la terreur règne en Croatie, le Saint-Siège devrait interdire la conversion de la foi orthodoxe à la foi catholique dans l'Etat indépendant de Croatie." On attend toujours la protestation du futur "bienheureux".
Printemps 1942 Pour répondre à la propagande anglo-saxonne qui dénonce le massacre des orthodoxes, Pavelić crée une "Eglise orthodoxe croate" aussi schismatique que fantômatique et propulse à sa tête un évêque russe en rupture de ban, Mgr Hermogène.
3 novembre 1942
Lettre de protestation adressée par le commandant de la IIe armée italienne à l'Etat-major général.
8 septembre 1943 Capitulation de l'Italie. Les Allemands remplacent les Italiens dans toute leur zone d'occupation des Balkans. Mais, dans le même temps, cette capitulation renforce encore la Résistance en Yougoslavie et en Grèce: certaines unités italiennes n'hésitent pas à rejoindre la Résistance ou à lui donner armes et munitions.
30 octobre 1943 Un décret de l'Etat indépendant de Croatie légalise la prise et l'exécution d'otages.
21 mars 1944 Stepinac est proposé pour la plus haute décoration de l'Etat indépendant de Croatie. Il a bien mérité de son Poglavnik.
Avril 1944 A ce moment-là, la Résistance communiste de Tito compte déjà 80'000 anciens Oustachis ou anciens soldats de Pavelić. Comme en bien d'autres pays, les communistes se serviront d'anciens serviteurs de l'Axe pour venir à bout de ceux qu'ils considèrent comme leur ennemi principal: les résistants non communistes. (Dans quelques mois, l'Armée rouge restera l'arme au pied sur la Vistule pour laisser l'armée allemande écraser l'insurrection de Varsovie menée par les patriotes polonais de l'Armée de l'Intérieur: les forces de l'Axe faisant ainsi le travail que les communistes auraient eu à faire après la prise du pouvoir.) Cela explique aussi que les rangs des communistes croates sous le régime de Tito seront truffés d'anciens Oustachis qui pourront, sous couvert de "yougoslavisme", faire disparaître les traces du génocide menée par l'Etat de Pavelić et Stepinac, effacer la distinction entre victimes et bourreaux, etc.
20 avril 1945 A Jasenovac, où il ne reste plus que 1'973 prisonniers survivants, les gardiens en massacrent 900. Les survivants sont enfermés dans le dernier édifice du camp que les Oustachis n'ont pas encore dynamité.
21 avril 1945 Poussés par l'énergie du désespoir, les 1'040 survivants de Jasenovac se lancent à l'assaut des mitrailleuses de leurs gardiens. 520 mourront au combat, 60 réussiront à fuir et 460 seront massacrés après avoir été capturés à nouveau. Il y aura donc 60 survivants pour témoigner de ce que fut la mort quotidienne dans la principale prison de l'Etat de Pavelić et Stepinac.
28 avril 1945 Une série d'explosions achève de détruire l'essentiel des installations de Jasenovac. L'armée yougoslave ne trouvera que des ruines.
46 ans plus tard, la nouvelle Croatie indépendante pourra se doter d'un président, Franjo Tudjman, qui déclarera que Jasenovac n'est qu'un mythe.
4 mai 1945 La guerre prendra fin dans quatre jours. A Sisak, les oustachis trouvent encore le temps de massacrer 500 chrétiens orthodoxes quelques heures avant l'arrivée des partisans.
5 mai 1945 C'est la fin pour l'Etat indépendant de Croatie. Pavelić quitte Zagreb sous la protection de l'armée allemande en déroute et en compagnie de 500 religieux et moniales romano-catholiques ses complices, dont l'archevêque de Sarajevo, Mgr Šarić, délicat poète auteur d'une Ode au Poglavnik et spoliateur de biens juifs, et l'évêque de Banja Luka, Mgr Garić, qui avait livré aux Oustachis l'évêque orthodoxe Platon. Pavelić sera caché dans le couvent franciscain de St Gilgen, près de Salzburg, dans le couvent franciscain de Bad Ischl, près de Linz, de nouveau à St Gilgen, et enfin à Rome où il bénéficiera des filières d'évasion mises en place par le Vatican pour les criminels de guerre (appelées par les Anglo-Saxons les
ratlines). Le Vatican le fera passer en Argentine en 1949. Toutefois, Pavelić sera blessé en Argentine dans un attentat le 10 avril 1957, et devra quitter l'Argentine pour Saint-Domingue, puis Santiago du Chili et enfin Madrid, où il sera jusqu'à sa mort le 28 décembre 1959 l'hôte de Mgr Šarić dans un couvent franciscain. La veille de sa mort, alors que le Poglavnik recevait l'extrême-onction, le pape Jean XXIII lui fera parvenir sa bénédiction personnelle (je le signale à l'usage de ceux qui n'auraient pas encore compris).
D'autres criminels de guerre auront un destin encore plus favorable. Ivo Rojnica, chef oustachi de Dubrovnik où il fit exterminer Juifs et chrétiens orthodoxes par milliers, s'enfuit en 1945 en emportant les fonds volés aux victimes. Reconnu par une victime juive, il est arrêté à Trieste (alors occupée par les Britanniques et les Etatsuniens), puis libéré sur intervention du Vatican et exfiltré en Argentine par les ratlines. Il y devint un industriel prospère. Une demande d'extradition présentée par la Yougoslavie sera refusée par l'Argentine. En juillet 1991, Franjo Tudjman, président d'une "nouvelle" Croatie sous parrainage de l'Autriche, de l'Allemagne et du Vatican (ce qui était déjà le cas cinquante ans plus tôt!) et célébrée à longueur de journée dans la presse des pays francophones (des pays francophones devenus oublieux de leur passé et par là même privés de leur avenir), nomme Rojnica ambassadeur de Croatie en Argentine, bien que celui-ci figure toujours sur la liste des criminels de guerre recherchés dans le monde. Le gouvernement argentin (il est vrai que le président Menem est à ce moment-là le principal fournisseur d'armes de Tudjman, dans le cadre d'un ravitaillement en armes de la Croatie organisé par le Vatican) lui accorde aussitôt son accréditation, mais cette nomination est bloquée suite à une campagne énergique déclenchée par la presse argentine indignée. Vous pouvez par exemple trouver à l'adresse
http://www.pavelicpapers.com/documents/ ... c0001.html du site
Pavelic Papers, la traduction anglaise du décret que Rojnica avait signé le 25 juin 1941, interdisant aux Juifs et aux chrétiens orthodoxes de Dubrovnik de sortir dans la rue entre 19 heures et 7 heures du matin. On a par ailleurs établi en 1947 une liste nominative de 50 personnes torturées ou assassinées par Rojnica en personne. Né le 20 août 1915, Ivo Rojnica continue de couler des jours heureux en Argentine.
... et, le 3 octobre 1998, pour ceux qui n'auraient toujours pas compris, le pape Jean-Paul II béatifie Stepinac.