L’humilité exemplaire d’un “traître”

Échangez vos idées librement ici

Modérateur : Auteurs

Catherine
Messages : 213
Inscription : jeu. 19 juin 2003 14:03
Localisation : Basse-Marche, France

L’humilité exemplaire d’un “traître”

Message par Catherine »

Ce n’est pas tant l'exemple de Lydia, nouvelle martyre russe, que je voudrais proposer, si vous me le permettez, à tous les orthodoxes et amis de l’orthodoxie, comme modèle de rectitude et de courage, mais plutôt celui de son père, prêtre de son état, qui a… “trahi”. Contradiction ? Vous allez voir.

“Lydia, à dix-neuf ans, ses études terminées, se maria mais elle perdit son mari pendant la guerre civile, lors de la retraite de l’Armée blanche.
Le père de Lydia se joignit à l’Église Vivante (“l’Église” complice de l’état soviétique) dès ses débuts, en 1922. Sa fille vint alors se jeter à ses pieds en lui disant : “Laisse-moi te quitter, père, pour le salut de mon âme, et bénis-moi”. Le vieux prêtre connaissait sa fille et comprenait aussi qu’il avait mal agi. Il se mit à pleurer, puis il lui donna sa bénédiction pour la vie indépendante qu’elle allait mener, en ajoutant cette phrase prophétique : “Ma fille, quand tu recevras la couronne de gloire, dis à notre Seigneur que, bien que je n’aie pas eu la force d’être héroïque, je ne t’ai pas retenue.”
— ”Je le lui dirai.”— répondit Lydia en baisant la main de son père.”

Ce passage d’une histoire de martyre du siècle dernier me fait pleurer d’émerveillement chaque fois qu’il me tombe sous les yeux.
Dans la grande humilité du père de Lydia, je vois d’abord la vertu nationale si caractéristique du peuple russe. Certes, cette vertu naturelle, quand elle est exercée sans connaissance et sans discernement, peut aussi induire en erreur et beaucoup de Russes se sont égarés, hélas, en rejoignant l’”Église” Vivante, par une obéissance mal comprise, dictée par cette humilité, vertu naturelle (c’est à ce titre que les pères disent que les vertus naturelles n’en sont pas en réalité).
Le père de Lydia, lui, n’était pas de ces égarés-là. De toute évidence, il possédait ce que les pères appellent la “deuxième humilité”, l’humilité véritable, don de la Grâce, qui conduit à la fois à la connaissance et au discernement. La preuve en est qu’il avait clairement reconnu où était la vraie Église. C’est en connaissance de cause qu’il a “trahi”, et en connaissance authentique de lui-même qu’il a avoué sa “lâcheté” toute humaine.
J’ai mis les mots “trahi” et “lâcheté” entre guillemets parce que Dieu seul connaît ce qui se passe au fond du cœur humain et nous ne devons jamais juger d’après l’apparence. De plus, je crois que, paradoxalement, il faut un très grand courage pour avouer sa propre lâcheté.
De toute façon, son aveu, de même que la bénédiction qu’il donne à sa fille s’engageant dans la voie du martyre, montre qu’il s’agit d’un homme qui ne peut en aucun cas être comparé à Judas.
Le père de Lydia n’a pas fait que côtoyer le Sauveur en étranger du cœur comme celui-ci, non. Il Le connaît vraiment, d’une expérience de communion authentique.
Il Le connaît en homme ayant ouvert la porte de son cœur à ce Maître sévère, jaloux, exigeant, qu’il a cependant tant de fois pris en flagrant délit de bonté, de miséricorde et de compassion au cours sa vie spirituelle. Il croit donc fermement en sa Clémence infinie, sans quoi il ne demanderait pas l’intercession de sa fille auprès de Lui.
On ne peut le comparer à Pierre non plus, dont le repentir a suivi sa faiblesse avec une immédiateté qui laisse supposer seulement quelques instants de manque de vigilance au moment de la “trahison”. La volonté de trahir n’a jamais effleuré son cœur épris d’amour divin. (Les grands saints eux-mêmes, tant qu’ils sont dans cette vie, restent sujets aux tentations).
Nous ne savons pas ce qu’il est devenu, ce prêtre. Nous pouvons et devons croire et espérer fermement que le Christ, voyant son humilité, sa piété et l’intercession de sa fille martyre, l’aura sauvé.
Ce qu’il a fait prouve une haute moralité en ce qu’il n’a pas tenté les trois choses qui étaient pourtant en son pouvoir, à savoir :
1) user de son autorité paternelle pour essayer de contraindre sa fille à le suivre,
2) se prévaloir de son rang clérical, (de sa soutane, comme dirait Antoine) pour justifier sa “trahison” et priver sa fille de sa bénédiction
3) attaquer la confession courageuse de sa fille en l’accusant avec moquerie de se croire meilleure ou plus pure que lui.
C’est qu’en homme spirituel, il savait faire la différence entre une confession de foi droite prête à tout sacrifice et l’orgueil spirituel.
J’admire son respect de la liberté de conscience, qualité éminemment orthodoxe, je savoure sa justice et son humilité, fruits de son ascèse.

Et pour finir, j’aimerais ajouter ce que je perçois dans cette histoire sur le plan ecclésiologique, et qui est conforme à la position de l’orthodoxie de toujours :
Dans le cas du père de Lydia, baptisé et ordonné encore dans l’Église véritable, mais ayant rejoint la fausse, on peut parler de la grâce qui ne le quittera que peu à peu.
Qu’il avait, au moment de l’épisode en question, gardé encore la grâce de son baptême orthodoxe, est clair, je pense, pour tout le monde. Son expérience intime de la Bonté divine, sa vision précise de sa faute et sa clairvoyance concernant l’avenir de sa fille le prouvent suffisamment.
Mais ce n’est pas le cas pour ceux qui ont été “baptisés” dans l’assemblée pire qu’hérétique qu’était l’Église vivante. Ceux-ci n’ont jamais bénéficié de la grâce du baptême, puisque, dès le schisme qui a séparé ce groupe (majoritare peut-être, je ne le sais pas) de la vraie Église du Christ (que l’on appelle l’Église des catacombes), leurs sacrements cessèrent d’être valides. Cela n’est absolument pas un jugement de leur moralité, mais de leur erreur objective, dont ils ne sont peut-être pas entièrement responsables. Dieu seul en jugera.
Répondre