Claude le Liseur a écrit :tichon a écrit :je m'excuse de mon ignorance, mais j'ai encore une autre question... à quoi servent les "vases sacrés" ?
Les vases sacrés sont le
disque ou
patène (grec δίσκος, russe дискос, roumain
disc; latin
patena, anglais
paten, allemand
Diskos), qui sert à contenir les parcelles de pain eucharistique ; le
calice (grec ποτήριο, russe чаша, roumain
potir; latin
calix, anglais
chalice, allemand
Kelch), qui sert à contenir le précieux sang ;
l’astérisque (grec αστερίσκος, russe звезда, roumain
steluţă; latin
stellula, anglais
star-cover, allemand
Asteriskos) qui recouvre la patène, la
lance (grec λόγχη, russe копё, roumain
copia; latin
lancea, anglais
spear, allemand
Lanze) dont le prêtre se sert à la prothèse pour découper les parcelles du pain eucharistique qu'il dépose ensuite sur la patène, et la
cuiller (grec λαβίδα, russe лжиџа, roumain
linguriţă; latin
cochlear, anglais
spoon, allemand
Löffel) qui sert à la communion des laïques et des clercs inférieurs (lecteurs et sous-diacres).
Les vases non sacrés sont l’ampoule destinée à contenir le myron ou chrême (vase non sacré, quoique, à l’époque où la France était orthodoxe et pendant de nombreux siècles après le schisme, l’un des objets les plus sacrés de cette nation fut la sainte Ampoule de Reims, brisée par le conventionnel Rühl dans un acte de républicanisme à la française avancé – mais cette ampoule-là était bien particulière), le zéon dans lequel on chauffe l’eau que l’on verse dans le calice après la fraction du pain consacré (symbole de la foi des orthodoxes dans les deux natures, cette adjonction d’eau est réprouvée par les monophysites arméniens), l’aiguière et le bassin (utilisés par le sous-diacre pour le lavement des mains de l’évêque).
Après la famine organisée par les communistes dans la région de la Volga en 1921 (l’arme politique de la famine devant encore être utilisée par les communistes en Ukraine en 1932/33 ou en Ethiopie en 1983/84 pour éliminer physiquement des populations rurales hostiles), le gouvernement soviétique avait trouvé comme angle d’attaque les trésors qui se trouvaient dans les églises et qui devaient prétendument être fondus ou revendus pour financer l’aide aux populations victimes de la famine. (Inutile de préciser que l’on sait aujourd’hui que le gouvernement soviétique vendait des trésors nationaux russes pour financer les partis communistes d’Europe occidentale, tandis que l’aide qui sauva des millions de personnes sur les bords de la Volga fut le fait d’une initiative privée de l’ingénieur étasunien Herbert Hoover, plus tard président des Etats-Unis en 1929/33.) Le patriarche Tikhon de Moscou répondit qu’il était prêt à livrer les vases non sacrés, mais que le canon 73 des Apôtres lui interdisait de livrer les vases sacrés (d’autant plus que la continuation du culte eucharistique aurait été impossible). Comme les vases sacrés sont en or ou au moins contiennent de l’or, le prétexte était tout trouvé pour que le gouvernement soviétique puisse faire attaquer les églises. Une sorte de répétition des inventaires français de 1906, mais avec recours à la violence et dans un tout autre but (non pas mettre en place la séparation définitive des Eglises et de l’Etat, comme en France, mais détruire la vie religieuse).
La distinction entre les vases sacrés et les vases non sacrés, qui fut habilement exploitée par Trotski - spécialement chargé de la lutte anti-orthodoxe au sein du gouvernement communiste - pour justifier une vague sans précédent de pillage d'églises et d'exécutions de prêtres dans la Russie de 1921, a aussi eu, dans un autre contexte géographique (la France) et religieux (le catholicisme romain), des conséquences infiniment moins sanglantes, mais néanmoins graves.
Lors de la seconde Restauration (1815-1830), le roi Louis XVIII, ayant épuisé toutes les possibilités tant à droite (les ministères [1815-1818 et 1820-1821] du duc de Richelieu, surnommé le "Libérateur du Territoire", par ailleurs, dans l'émigration, gouverneur de la Nouvelle-Russie et fondateur de la ville d'Odessa aujourd'hui en territoire ukrainien) qu'au centre gauche (les ministères Dessole [1818-1819] et Decazes [1819-1820]), dut se résigner en décembre 1821 à appeler l'extrême droite ultra-royaliste - les "plus royalistes que le roi" - au pouvoir en confiant au vicomte de Villèle (1773-1854) la formation du nouveau gouvernement. Le vicomte de Villèle allait s'illustrer par le plus long passage à la présidence d'un gouvernement de la France post-révolutionnaire (décembre 1821-janvier 1828) après celui de M. Pompidou (avril 1962 - juillet 1968). On se souvient que Chateaubriand fut un temps ministre des Affaires étrangères dans ce cabinet (décembre 1822 - juin 1824) et que le gouvernement de M. de Villèle accumula longtemps les succès, tant par son excellente gestion des finances publiques que par les lauriers dont son armée (expédition victorieuse en Espagne en 1823) et sa marine (victoire de Navarin, aux côtés des Russes et des Britanniques, contre la flotte égypto-turque, dans le cadre de la lutte pour l'indépendance de la Grèce, en 1827) se couvrirent à l'extérieur.
Toutefois, il est intéressant de remarquer que ce ministère qui n'avait pas démérité sombra suite à quatre lois qui déchaînèrent contre lui l'opposition de gauche et aussi, en partie, des ultra-royalistes encore plus à droite que lui, mais attachés à la liberté de la presse. Il serait hors de notre propos de parler de la loi d'indemnisation des émigrés, de la tentative de rétablissement partiel du droit d'aînesse ou de la si mal nommée "loi de justice et d'amour" limitant la liberté de la presse.
En revanche, il est intéressant de rappeler que, renouant par delà les siècles avec les ordonnances de Louis IX le Saint et de Charles VI le Bien-Aimé sur le blasphème , le ministère Villèle, dans une tentative désespérée de mettre sa politique en accord avec ses convictions religieuses, fit voter en 1825 la loi du sacrilège, qui prévoyait la peine de mort pour les profanateurs d'hosties et de vases sacrés du catholicisme romain, reconnu comme religion de l'Etat par l'article 6 de la Charte de 1814 (l'article 6 de la Charte de 1830 allait remplacer cette formulation par "religion professée par la majorité des Français", nouvelle formulation plus neutre qui n'est pas sans rappeler celle que l'on trouve retrouve aujourd'hui à propos de l'Orthodoxie dans l'article 3 de la Constitution grecque de 1975, "Eπικρατούσα θρησκεία στην Eλλάδα είναι η θρησκεία της Aνατολικής Oρθόδοξης Eκκλησίας του Xριστού" ).
Cette loi du sacrilège du 20 avril 1825 est intéressante, parce qu'elle représente l'ultime tentative qui fut faite en France de restaurer le pilier de l'Ancien Régime: l'Etat de droit divin. Or, les mentalités ne le permettaient plus. Si on lit, dans le livre remarquable du professeur Guénée sur la folie du roi Charles VI (Perrin, Paris 2004), le chapitre consacré aux ordonnances sur le blasphème, on se rend compte que la monarchie d'Ancien Régime pouvait édicter des ordonnances prévoyant les peines les plus délirantes ou les plus disproportionnées tout en faisant passer le message que de telles peines ne seraient jamais appliquées et resteraient lettre morte. (Dans son oeuvre monumentale
L'Empire des tsars et les Russes, Leroy-Beaulieu, en 1897, faisait remarquer que la Russie des tsars avait conservé ce trait de l'Ancien Régime: les lois y étaient moins bonnes que l'application - ou plutôt la non-application - qui en était faite.) Quatre siècles après Charles VI, les mentalités françaises ont évolué et exigent que les garanties contre l'application arbitraire de la loi se trouvent dans la loi elle-même. Le ministre de la Justice de Villèle, M. de Peyronnet, s'en trouve réduit à petit à petit vider la loi qu'il défend de son contenu, en instaurant tant de cautèles pour l'application de la peine de mort à la profanation de vases sacrés et d'hosties consacrés qu'aucune condamnation à mort ne pourra être prononcée sur la base de la loi du sacrilège pendant les cinq ans où celle-ci sera en vigueur. Il est aussi intéressant de constater que, dans un pays où la minorité protestante avait été reintégrée dans la vie politique, la loi de 1825 reposait sur des critères exclusifs à la religion dominante - transsubstantiation, consécration de certains objets, etc.
Quand j'écrivais que, pour ne pas avoir eu les mêmes conséquences sanglantes que dans la Russie de 1921, ces histoires de vases sacrés avaient eu des conséquences graves dans la France de la Restauration, c'est que la loi du sacrilège contribua à détourner toute l'opinion "éclairée"- seule titulaire du droit de vote, puisque Charles X refusa jusqu'au bout de mettre en place le suffrage universel qui l'aurait sauvé en remettant le pouvoir politique entre les mains des masses rurales royalistes - d'un ministère qui, dans l'ensemble, n'avait pas à rougir de son bilan. Ressenties comme autant de provocations, des lois comme la loi du sacrilège finirent par provoquer la défaite électorale du ministère Villèle et son départ le 4 janvier 1828, chute qui n'allait pas tarder à entraîner celle de Charles X, et un nouveau cortège d'instabilité et de divisions.
Réflexion faite, ce qui surprend le plus, quand on se permet cette petite rétrospective, c'est que les communistes au pouvoir en Russie en 1921, supposés construire un monde nouveau, aient finalement utilisé à leur profit, comme arme de guerre contre l'Eglise orthodoxe et comme source de financement pour la subversion communiste à travers le monde, ces vieilles, très vieilles histoires de vases sacrés, institutionnalisant la profanation comme d'autres avaient voulu la combattre d'une manière si exagérée qu'ils y avaient laissé leur réputation.