le Filioque confessé par Luther

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Claude le Liseur
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le Filioque confessé par Luther

Message par Claude le Liseur »

Athanase a écrit :A la lecture de la confession d'Augsbourg, on s'aperçoit qu'aucune mention n'est faites dans ce texte du Filioque.
Ce n'est guère ici le lieu d'expliquer le luthéranisme à un calviniste, mais bon, il y a quand même une remarque intéressante.

S'il n'y avait que le Filioque pour nous séparer des luthériens, cela se saurait depuis longtemps.

Mais même cette affirmation est presqu'aussi douteuse que de faire de la confession de Cyrille Loukaris anathématisée par l'Eglise orthodoxe une confession de foi orthodoxe. Alors, même si ce n'est qu'un des nombreux points qui nous séparent des luthériens, revenons un peu sur cette question du Filioque et rétablissons la vérité autant que faire se peut.

Luther ne s'est pas vraiment préoccupé de la question du Filioque, sans doute parce qu'il avait d'autres pierres d'achoppement avec la Papauté et qu'il croyait que le Filoque faisait partie de la foi reçue des Apôtres. Mais, par la suite, ses disciples ont endossé la croyance au Filioque, l'ont défendue dans leurs discussions avec les orthodoxes et la maintiennent jusqu'à ce jour.

Si la confession d'Augsbourg ne parle pas du Filioque, c'est parce qu'elle se concentre sur les points de désaccord avec la Papauté et que, précisément, Luther n'avait pas sur ce point une position différente de celle du Pape.

Vouloir nous faire croire que le luthéranisme n'aurait pas endossé le Filioque parce que la confession de foi d'Augsbourg ne le mentionne pas, c'est mentir par omission et nous prendre pour des imbéciles.

En effet, prenons les articles de Smalkade (1537), signés par Luther lui-même (et aussi par Mélanchthon, excusez du peu), que lisons-nous dans le paragraphe 2° de la première partie, intitulée Les hauts articles de la majesté divine:

"Que le Père n'est né de personne; le Fils est né du Père; le Saint-Esprit procède du Père et du Fils."

Si ce n'est pas le Filioque, c'est quoi?

Et Luther n'était pas homme à signer ou avaliser quelque chose auquel il n'aurait pas cru de toute son âme.

(Toutes mes excuses, car je fais ici quelque chose que je déteste. Athanase nous a infligés il y a quelques jours la confession de foi calviniste de Cyrille Loukaris traduite en français sur un forum réformé d'après la traduction anglaise de l'Université d'Oregon et sans la moindre référence au texte original latin. N'ayant trouvé nulle part le texte original des articles de Smalkade, j'ai reproduit ici une traduction française sans pouvoir la vérifier moi-même. Toutefois, il ne s'agit pas ici d'une traduction au carré de provenance inconnue, mais de la traduction française la plus sérieuse et pour ainsi dire officielle, faite sur l'original, celle des professeurs André Birmelé et Marc Lienhard, La foi des Eglises luthériennes, Le Cerf / Labor et Fides, Paris / Genève 2003, p. 256.)

A propos, quand on se glorifie tant du pur lait de l'Ecriture, règle de la foi et des moeurs, on peut aussi se demander s'il convient de professer le Filioque expressément condamné par l'Ecriture (Jean 15, 26).
Ludovic
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Message par Ludovic »

Lecteur Claude a écrit :
A propos, quand on se glorifie tant du pur lait de l'Ecriture, règle de la foi et des moeurs
Hé oui, je m'en glorifie. Saint Cyran n'écrit-il pas "qu'entre toutes les conversions, il n'y en a point qui soit plus apostolique que celle qui se fait par la Parole de l'Evangile, par laquelle seule Dieu a converti et convertit encore les âmes des Juifs et des Païens, et a formé et forme sans cesse son Eglise" ?
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Ludovic a écrit :Lecteur Claude a écrit :
A propos, quand on se glorifie tant du pur lait de l'Ecriture, règle de la foi et des moeurs
Hé oui, je m'en glorifie. Saint Cyran n'écrit-il pas "qu'entre toutes les conversions, il n'y en a point qui soit plus apostolique que celle qui se fait par la Parole de l'Evangile, par laquelle seule Dieu a converti et convertit encore les âmes des Juifs et des Païens, et a formé et forme sans cesse son Eglise" ?
Saint Cyran était janséniste et croyait à la tradition. Il ne professait pas la sola scriptura. Quand il parle de la Parole de l'Evangile, qui a formé et forme sans cesse son Eglise, il parle donc de l'enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ, que celui-ci a transmis à ses apôtres, qui ont à leur tour enseigné les évêques qu'ils ont institués, et qui est ainsi fidèlement conservé dans l'Eglise orthodoxe depuis la Résurrection jusqu'à ce jour. (Vous savez, au passage, que les jansénistes avaient consience que quelque chose n'allait plus dans l'Eglise latine depuis le XIe siècle; vous pouvez lire avec profit à ce propos le livre Guettée et Port-Royal.)

Puisque vous vous intéressez au jansénisme, vous avez sans doute dû lire ce chef d'oeuvre du janséniste Antoine Arnauld, La perpétuité de la foi de l'Église catholique touchant l'eucharistie, où il démontre, en partie grâce au témoignage de l'Eglise orthodoxe, l'erreur de la doctrine calviniste sur l'eucharistie.

Vous n'avez donc guère plus de raisons que moi de vous glorifier de mérites qui sont ceux de l'Eglise orthodoxe. Et moi je ne me glorifie pas, "parce que celui qui a vu ses péchés est plus grand que celui qui a vu les anges", et je ne suis pas près de voir mes péchés. Non, j'ai franchement mieux à faire que de me glorifier, et j'essaie dans la mesure du possible de glorifier Dieu, ce qui est la signification même de l'Orthodoxie: juste glorification.

Oui, c'est l'Eglise orthodoxe seule qui pourrait se glorifier d'avoir gardé jusqu'à ce jour l'enseignement inaltéré de Notre Seigneur Jésus-Christ au prix de sacrifices et d'épreuves dont aucune autre religion ne peut même avoir l'idée. Mais elle aussi a mieux à faire que de se glorifier.

Bien, glorifiez-vous autant que vous le voulez, et laissez d'autres glorifier Dieu.

Et puis, avant de se glorifier, on peut se poser la question: que penser d'une confession de foi où l'on se réfère sans cesse à l'Ecriture seule et où l'on professe en même temps une doctrine expressément condamnée par l'Ecriture?

Et cela amène à une autre question: pensez-vous vraiment, comme les musulmans avec leur Coran incréé, que l'Ecriture soit tombée du ciel? Ne vous paraît-il pas plus simple et logique d'admettre que c'est l'Eglise qui a fixé le canon des Ecritures et qui a séparé le bon grain de la parole de Dieu de l'ivraie des apocryphes?

Avant de répondre à cette question, vous pourriez peut-être lire avec profit les messages que notre frère Jean-Louis Palierne a consacrés à la tradition non écrite sur le présent forum.
Dernière modification par Claude le Liseur le mer. 31 mai 2006 18:51, modifié 1 fois.
Sylvie
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Message par Sylvie »

Cher lecteur Claude,

Je fais une petite parenthèse à la discussion en cours.

Vous avez dit :
"parce que celui qui a vu ses péchés est plus grand que celui qui a vu les anges",
Est-ce une citation ? En tout cas il y a de quoi méditer avec cette simple phrase.


Sylvie
Antoine
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Message par Antoine »

XB! (Une dernière fois bien que nous soyons déjà entrés en ce jour dans la fête de l'Ascension.)

Sylvie, cette citation faite par Claude est extraite de Isaac Le Syrien, Oeuvres spirituelles, collection Théophanie, chez Desclée de Brouwer, traduction de Jacques Touraille.
Il s’agit du 34ème discours, p216 de l’édition de 1981
Voici la citation complète :
« Celui qui connaît ses péchés, quand il demeure au milieu de beaucoup d'autres, est plus grand que celui qui ressuscite les morts par sa prière. Celui qui gémit une heure sur son âme est plus grand que celui qui sert le monde entier par sa contemplation. Celui auquel a été donné de se voir lui-même, est plus grand que celui auquel a été donné de voir les anges. »

Ce thème est un thème très important chez les Pères et les hésychastes. Vous pourrez enrichir une méditation sur ce sujet en lisant dans le livre d'Ignace Briantchaninov "Introduction à la vie ascétique d'Orient" éditions Présence, le chapitre intitulé "Du repentir et des larmes". Il contient beaucoup de citations des Pères et vous renvoie aux oeuvres originales.

Vous trouverez également dans Les Apophtegmes des Pères , collections sources chrétiennes aux Editions du Cerf, beaucoup de choses concernant la componction, les larmes , le repentir, le souvenir de la mort , la crainte de Dieu. (Volume 387, chapitre III)
Sylvie
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Message par Sylvie »

XB! (Je peux me permettre, je suis encore le 31 mai.)

Merci Antoine pour les citations et références.

Sylvie
Stephanopoulos
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Message par Stephanopoulos »

Hé oui, je m'en glorifie. Saint Cyran n'écrit-il pas "qu'entre toutes les conversions, il n'y en a point qui soit plus apostolique que celle qui se fait par la Parole de l'Evangile, par laquelle seule Dieu a converti et convertit encore les âmes des Juifs et des Païens, et a formé et forme sans cesse son Eglise" ?
Et saint Paul, sur le chemin de Damas alors (Actes Ch. 9)? Non seulement il fut ensuite apôtre, mais en plus il fut ravis au troisième ciel (2 Corinthiens 12, 2-5)!
Stephanopoulos
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

lecteur Claude a écrit :
Ludovic a écrit :Lecteur Claude a écrit :
A propos, quand on se glorifie tant du pur lait de l'Ecriture, règle de la foi et des moeurs
Hé oui, je m'en glorifie. Saint Cyran n'écrit-il pas "qu'entre toutes les conversions, il n'y en a point qui soit plus apostolique que celle qui se fait par la Parole de l'Evangile, par laquelle seule Dieu a converti et convertit encore les âmes des Juifs et des Païens, et a formé et forme sans cesse son Eglise" ?
Saint Cyran était janséniste et croyait à la tradition. Il ne professait pas la sola scriptura. Quand il parle de la Parole de l'Evangile, qui a formé et forme sans cesse son Eglise, il parle donc de l'enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ, que celui-ci a transmis à ses apôtres, qui ont à leur tour enseigné les évêques qu'ils ont institués, et qui est ainsi fidèlement conservé dans l'Eglise orthodoxe depuis la Résurrection jusqu'à ce jour. (Vous savez, au passage, que les jansénistes avaient consience que quelque chose n'allait plus dans l'Eglise latine depuis le XIe siècle; vous pouvez lire avec profit à ce propos le livre Guettée et Port-Royal.)

Voilà la citation exacte, rapportée dans une lettre de Vincent de Paul, à propos de la conscience qu'avaient certains jansénistes (l'abbé de Saint-Cyran en l'occurence) que les choses ne tournaient pas bien depuis le schisme de 1054 environ:

"Saint-Cyran me parla un jour en ces termes : - Dieu m'a donné et me donne encore de grandes lumières ; il m'a fait voir que depuis cinq ou six cents ans il n'y a plus d'Eglise. Avant cette époque, l'Eglise était semblable à un grand fleuve aux eaux transparentes. Mais maintenant ce qui nous paraît l'Eglise n'est plus qu'un amas de boue. Le lit du fleuve est toujours le même, les eaux seules ont changé. - Je lui répondis que tous les hérésiarques s'étaient servis du même prétexte pour établir leurs erreurs, et je lui citais l'exemple de Calvin. - Calvin, me répondit-il, ne s'est pas trompé dans toutes ses opinions, il s'est seulement trompé sur la manière de les défendre. "

Six siècles, cela faisait 1038 environ; l'abbé voyait donc juste. Dommage que, pour rétablir les choses dans leur ancienne splendeur, les jansénistes aient pris exactement la direction qu'il ne fallait pas; dommage qu'au lieu de retourner vers la liberté et la splendeur de l'Orthodoxie, ils soient allés au contraire de l'augustinisme modéré vers l'augustinisme extrême; d'autant plus dommage qu'ils comptaient parmi eux Blaise Pascal, celui en qui Photios Kontoglou voyait un fol-en-Christ en plus du philosophe, du scientifique, du théologien, de l'homme d'affaires et du noble fils de l'Auvergne que toute le monde voit en lui.

Les jansénistes ont échoué dans leur quête, comme tant d'autres avant et après eux, comme Pierre Valdès, comme Jan Hus, comme Martin Luther, comme Ignace Döllinger; ils n'ont pas réussi à remonter le fleuve et à renouer le fil brisé.

Serons-nous la génération qui pourra enfin oeuvrer pour que se réalise la prophétie:

"La dernière gloire de cette maison sera plus grande que la première" (Agg 2,9)?

N.B. Le livre dont je parlais à Ludovic:

Thérèse Monthéard

Père Wladimir Guettée et Port-Royal

Skit du Saint-Esprit

Le Mesnil-Saint-Denis 1992

L'archiprêtre Wladimir Guettée, lui aussi, avait été sensible à cette révolte des jansénistes, et il semble même les avoir quelque peu idéalisés.

Enfin, cela me paraissait intéressant de citer ces réflexions de l'abbé de Saint-Cyran suite à l'utilisation que Ludovic faisait d'autres réflexions du même illustre janséniste.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

lecteur Claude a écrit :

Voilà la citation exacte, rapportée dans une lettre de Vincent de Paul, à propos de la conscience qu'avaient certains jansénistes (l'abbé de Saint-Cyran en l'occurence) que les choses ne tournaient pas bien depuis le schisme de 1054 environ:

"Saint-Cyran me parla un jour en ces termes : - Dieu m'a donné et me donne encore de grandes lumières ; il m'a fait voir que depuis cinq ou six cents ans il n'y a plus d'Eglise. Avant cette époque, l'Eglise était semblable à un grand fleuve aux eaux transparentes. Mais maintenant ce qui nous paraît l'Eglise n'est plus qu'un amas de boue. Le lit du fleuve est toujours le même, les eaux seules ont changé. - Je lui répondis que tous les hérésiarques s'étaient servis du même prétexte pour établir leurs erreurs, et je lui citais l'exemple de Calvin. - Calvin, me répondit-il, ne s'est pas trompé dans toutes ses opinions, il s'est seulement trompé sur la manière de les défendre. "

Six siècles, cela faisait 1038 environ; l'abbé voyait donc juste. Dommage que, pour rétablir les choses dans leur ancienne splendeur, les jansénistes aient pris exactement la direction qu'il ne fallait pas; dommage qu'au lieu de retourner vers la liberté et la splendeur de l'Orthodoxie, ils soient allés au contraire de l'augustinisme modéré vers l'augustinisme extrême; d'autant plus dommage qu'ils comptaient parmi eux Blaise Pascal, celui en qui Photios Kontoglou voyait un fol-en-Christ en plus du philosophe, du scientifique, du théologien, de l'homme d'affaires et du noble fils de l'Auvergne que toute le monde voit en lui.

Les jansénistes ont échoué dans leur quête, comme tant d'autres avant et après eux, comme Pierre Valdès, comme Jan Hus, comme Martin Luther, comme Ignace Döllinger; ils n'ont pas réussi à remonter le fleuve et à renouer le fil brisé.

Serons-nous la génération qui pourra enfin oeuvrer pour que se réalise la prophétie:

"La dernière gloire de cette maison sera plus grande que la première" (Agg 2,9)?

N.B. Le livre dont je parlais à Ludovic:

Thérèse Monthéard

Père Wladimir Guettée et Port-Royal

Skit du Saint-Esprit

Le Mesnil-Saint-Denis 1992

L'archiprêtre Wladimir Guettée, lui aussi, avait été sensible à cette révolte des jansénistes, et il semble même les avoir quelque peu idéalisés.

Enfin, cela me paraissait intéressant de citer ces réflexions de l'abbé de Saint-Cyran suite à l'utilisation que Ludovic faisait d'autres réflexions du même illustre janséniste.
Retrouvé dans des archives, un intéressant article du docteur Jean Besse à l'occasion du centenaire du père Guettée et de la parution du livre de Madame Monthéard:

"L'esprit de Port-Royal", in Le Messager orthodoxe, n° 121, Paris 1992, pp. 68-70.

Le récent Guide de la vallée de Chevreuse et de Port-Royal contient, dans son chapitre sur "Port-Royal et l'orthodoxie chrétienne", une excellente remarque de M. Gabriel Matzneff considérant que la plus haute vertu des Solitaires fut d'avoir possédé la nepsisi, cette sobriété spirituelle en laquelle S. Maxime voit la perfection du chrétien. Déjà, Samarine, au siècle dernier, affirmait non sans exagération que Port-Royal avait été "la dernière explosion de la piété prête à s'éteindre en France". C'est pourquoi le skite patriarcal russe du Saint-Esprit, au Mesnil Saint-Denis, non loin des ruines du "saint vallon" cher à Racine, a pris la judicieuse initiative de rééditer, à l'occasion du centenaire de la mort du Père Wladimir Guettée, des écrits de ce dernier sur Port-Royal. Extraits de l'Histoire de l'Eglise de France et de Jansénisme et jésuitisme, ils sont longuement préfacés par l'auteur du Guide de la vallée de Chevreuse, Mme Thérèse Monthéard, membre érudit de la prestigieuse Société des Amis de Port-Royal, et précédés d'un brillant avant-propos de M. Gabriel Matzneff. Ce dernier, admirateur de l'abbé de Saint-Cyran, cite l'exclamation désespérée et significative de l'ami de Jansénius devenu le père spirituel des moniales: "Voilà six cents ans qu'il n'y a plus d'Eglise !" Et de commenter: "Ecrivant cela, Saint-Cyran se référait au schisme de 1054 qui détacha Rome de l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique. La réforme de Port-Royal au XVIIe siècle et la découverte de l'Eglise orthodoxe par Guettée au XIXe siècle sont nées du même désir d'un retour aux sources pures de la Révélation et de la Tradition. L'intérêt que les Messieurs de Port-Royal portaient aux Pères grecs, qu'ils traduisirent d'abondance, devait trouver un plein épanouissement dans l'oeuvre de Guettée et sa conversion à l'Orthodoxie."
Aussi, M. Matzneff fustige à bon droit la triste carence des "médias" orthodoxes qui ont curieusement négligé le centenaire fondateur de 1992. A une époque persuadée de "la fin de l'Histoire" et comblant son vide par une frénésie de commémorations, "tout s'est passé comme si les orthodoxes de la fin du XXe siècle, tièdes et pusillanimes, avaient honte de cette âme ardente, de cet audacieux confesseur de la foi que fut Guettée." Et il est bien vrai que les "médias" en question donnent parfois l'impression à qui les subit d'ânonner avec trente ans de retard les poncifs "post-conciliaires" de la J.E.C. ou autre J.O.C. des années soixante.
Il faut peut-être aussi relativiser la nostalgie de l'Orthodoxie que pouvait ressentir Port-Royal. Les orientations du Grand Arnauld, tout particulièrement erronées dans son célèbre ouvrage sur (et en fait contre) la Fréquente Communion, l'augustinisme rigoriste de Saint-Cyran et de Pascal, l'esprit de parti de leur mouvance, contrastaient déjà avec le sens catholique de Jansenius lui-même. La mort prématurée de ce dernier fut probablement l'origine première des malheurs de ceux qui s'en réclamèrent ensuite ou furent dénoncés comme tels. De plus, c'est tout le XVIIe siècle qui s'imprégna de la pensée des Pères grecs. Saint Vincent-de-Paul, qui avait apprécié Saint-Cyran avant de s'opposer à lui, cite constamment dans ses Entretiens spirituels S. Athanase, S. Jean Chrysostome, S. Basile, S. Grégoire le Dialogue. Le saint cardinal Pierre de Bérulle ne se comprend pas sans une approche approfondie de S. Denys l'Aréopagite, qui marqua toute la théologie mystique de l'époque. Son Elévation sur sainte Madeleine a un caractère hésychaste prononcé, de même que L'union avec N.S. Jésus-Christ du jésuite Jean-Baptiste Saint-Jure. Le saint laïc que fut Gaston de Renty, dont la biographie fut l'oeuvre de la même main, émaille ses lettres aux carmélites de pensées purement philocaliques puisées dans la lecture des Pères grecs. Le prodigieux apôtre du Siam, Mgr Louis Laneau (1637-1696), composa de mémoire, dans les geôles bouddhiques, sa très cyrillienne Déification des justes, nourrie des écrits patristiques qu'il avait parfaitement assimilés.
Au XVIIIe siècle enfin, qui fut autant le "siècle du Coeur" que celui des Lumières, le jésuite Jean-Pierre de Caussade publia en 1741 le Traité sur l'oraison du coeur, réponse détournée aux jansénistes dont le port-royaliste Pierre Nicole avait formulé l'anti-mysticisme dans son Traité de l'oraison (1679). Le minime Michel-Ange Marin, allant plus loin qu'Arnauld d'Andilly au siècle précédent, fit paraître en 1761-1764 les neuf volumes des Vies des Pères des déserts d'Orient accompagnées de "leur doctrine spirituelle et (de) leur discipline monastique". A la même époque, le grand prédicateur que fut Jacques Bridaine (1701-1767) renouvela si bien l'esprit évangélique en Languedoc qu'il en reste imprégné jusqu'à présent, comme peuvent en témoigner les moniales orthodoxes du Mas de Soulan (recte: Solan - NdL) , après un long séjour en Vercors où s'achèvent les splendides fresques du catholicon athonite de Saint-Sylvain (église du monastère Saint-Antoine-le-Grand de Saint-Laurent-en-Royans, Drôme - NdL).
L'ultime correspondant de ce saint hagiorite contemporain, l'archimandrite Serge Schévitch (1904-1987), fut précisément le père spirituel du Skite du Saint-Esprit, dont le Guide de la vallée de Chevreuse évoque l'histoire et l'intérêt artistique. Fondé en 1938 par le P. André Serguienko (1902-1973), dirigé aujourd'hui par le R.P. Barsanuphe, moine depuis 1964, cet ermitage vit le P. Grégoire Krug (1908-1969), universellement renommé et inhumé près de l'église, peindre celle-ci à la fresque. Ce chef-d'oeuvre méconnu, dans un site miraculeusement préservé, embelli de nouveaux édifices liturgiques à l'occasion du millénaire du baptême de la Russie, est un précieux témoignage orthodoxe à la lisière de la mégalopole parisienne. Dans l'un de ses derniers ouvrages, le philosophe espagnol Miguel de Unamuno, qui fréquentait la cathédrale orthodoxe grecque de Paris, citait un illustre contemporain de Wladimir Guettée, l'ancien carme Hyacinthe Loyson; ce dernier, devenu vieux-catholique au lendemain de Vatican I, conseillait lucidement face à "l'Ultramontanisme et la Révolution": "Il faut nous contenter de résister, sans espoir de vaincre, et de garder, pour un avenir inconnu, le double flambeau de la religion et de la civilisation véritable."


Cum grano salis, quatre remarques qui n'engagent que moi:

(1) Quand le docteur Besse écrivait ces lignes à propos de certains media orthodoxes qui reprenaient avec trente ans de retard le discours ultra-moderniste des cathos postconciliaires, nous étions en 1992. Nous sommes aujourd'hui en 2006, et leur discours n'a pas varié d'un iota. Il accuse maintenant quelque quarante-cinq ans de retard, signe à la foi d'une non-intégration dans la société ouest-européenne dont ces milieux se glorifient et d'une rupture totale avec leur société d'origine dont ils se glorifient moins. L'anachronisme des modernistes "orthodoxes" illustre tragiquement la justesse de la réflexion de Gustave Thibon ("Être dans le vent, c'est un idéal de feuille morte"), mais l'Orthodoxie se reconstitue néanmoins ici et maintenant, sans eux et malgré eux.

(2) De la relativité des jugements: pour le docteur Besse, le RP Bridaine aurait ressuscité l'esprit évangélique en Languedoc. Pour les professeurs Delumeau ou Chaunu, au contraire, le RP Bridaine, par l'extrême "terrorisme" de ses sermons, aurait été un promoteur (involontaire) de la déchristianisation...

(3) Une petite remarque à l'attention de notre vigilant lecteur "Candidus". Il faut savoir mettre des limites à l'excès d'interprétation. En reproduisant la citation de Saint-Cyran, je ne cherchais pas à "prouver" que la Papauté est dans l'erreur depuis qu'elle s'est séparée de l'Orthodoxie. J'ai été conduit à parler de Saint-Cyran parce que notre visiteur protestant Ludovic l'avait spontanément cité, et que je savais que d'illustres écrivains orthodoxes (Guettée, Matzneff et Besse) avaient écrit des réflexions relativement élogieuses sur les jansénistes. C'était donc une raison de culture générale, un acte gratuit, car je ne viens pas sur ce forum pour vendre des savonettes. Je vous prie de concevoir que l'on puisse parler d'une chose par amour de la culture, surtout s'il s'agit des choses d'un siècle qui fut pour les pays francophones ce que le siècle de Périclès a été pour le monde hellénique, et pas pour toujours faire de la retape. Et ensuite parce que je n'ai pas besoin d'un augustinien pour "prouver" que les choses ne tournent pas bien à Rome depuis le temps de Nicolas Ier (et non de Léon IX comme le pensait Saint-Cyran). Et enfin, parce que tous les gens qui ont fait un peu de procédure civile savent que les faits notoires n'ont pas à être prouvés...

4) Je ne partage pas les préventions du docteur Besse contre le bouddhisme et la liste des concessions faites à la minorité musulmane du sud de la Thaïlande me semblent montrer suffisamment que ce pays est tolérant. Il ne faut pas oublier que Mgr Laneau a été emporté dans une réaction nationale contre la tentative d'annexion du Siam par Louis XIV, tentative dont Constantin Phaulkon (de son vrai nom Yiérakis) et les missionnaires français avaient été les instruments plus ou moins conscients. Mgr Laneau, innocent ou pas, s'est retrouvé dans des geôles qui étaient bien plus nationales que bouddhiques.
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