Nouvelle traduction officielle du "Notre Père"

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eliazar
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Notre Père, suite

Message par eliazar »

Chère Katherine,
Après avoir refermé ce sujet, j’ai réfléchi (je suis souvent comme çà : c’est en redescendant l’escalier que je commence à comprendre !) à ce que vous aviez écrit : « Au moment où vous avez été arrêté par cette redoutable police politique, l’épreuve a déjà commencé pour vous, et vous n’avez plus de choix libre, personnel d’y être ou pas. Évidemment, vous pouvez prier le Seigneur de vous en libérer et Il le fera peut-être, mais vous n’aurez eu aucune part pratique dans cette libération, sauf d’avoir prié pour quelque chose qui vous aura peut-être sauvé la peau, mais ne vous aura pas avancé spirituellement. »
Pardonnez-moi de commencer par la fin (« …vous aura peut-être sauvé la peau, mais ne vous aura pas avancé spirituellement ») : si cela peut m’éviter la tentation de livrer mon frère, c’est déjà cela ! Si on ne peut pas avancer, au moins que nous ne reculions pas trop !

Mais ma réflexion touchait à un domaine plus essentiel. Celui du rapport entre la prière et le temps – ou si vous voulez, entre le temps de celui qui profère la prière et le temps de Celui qui l’a faite naître.

Lorsque je prie, ce n’est pas moi qui prie, mais l’Esprit qui prie en moi « par des gémissements ineffables ». Chaque fois que nous prions, c’est parce que le Dieu qui habite dans notre cœur « n’en peut plus » de notre « manque à prier », de notre absence de Son amour.

Mais s’Il fait sa demeure dans notre « chambre du fond », dans le lieu secret de notre « cœur » - le Dieu Un et Trine n’habite pas dans le temps. Il est l’Éternel, Celui qui transcende le Temps comme l’Espace.

Aussi bien, lorsque je prie, m’évadé-je du temps (dans le cadre duquel je dois vivre mon existence « momentanée » - sur la terre actuelle, puisque je suis soumis pour la durée de cette épreuve aux lois transitoires du Temps et de l’Espace) et je sors de ce temps pour entrer dans le non-temps de Dieu. Toute prière est déjà « ek-stase ». Je me souviens de ce vieux moine de Chèvetogne (kto) qui pleurait en silence pendant tout le temps des vêpres (et c’est un temps qui dure longtemps, n’est-ce pas ?). Debout, dos appuyé au mur (il avait plus de 80 ans, je crois), ses larmes ruisselaient comme d’une source, ininterrompues ; il reniflait un peu, simplement - et ses yeux grands ouverts souriaient avec un ravissement de petit enfant ; sans nous voir. Il était loin d’être gâteux, je vous assure. Il est mort quelques jours après ces Vêpres et je l’ai su trop tard pour aller l’embrasser ; j’étais déjà rentré en France.

Alors, si lorsque je prie, c’est bien « hors du temps » que je prie Celui que le Temps ne saurait contenir, qu’importe que je Lui demande de m’épargner une épreuve dans laquelle mon corps soumis au Temps se trouve déjà, est déjà entré ? !
C’est « hors du temps » qu’Il peut m’en dispenser. Qu’Il peut « encore » m’en délivrer. Comment Lui est-il possible de jongler avec le Temps, et agir sur une chose déjà passée ? Je n’en sais rien et cela ne me regarde plus : je Le prie, et c’est alors à Lui que je m’en remets : c’est du reste Sa prière que je Lui ai renvoyée ; Il en fera ce qu’Il avait déjà décidé de toute éternité d’en faire.

Parallèlement, combien de fois l’épreuve, voire même la tentation m’ont-elles été épargnées (à mon insu total) parce que quelqu’un d’autre avait prié pour moi (qu’il ne connaissait peut-être même pas) avant, pendant, ou après cette épreuve… J’ai reçu des grâces incroyables, improbables, imméritées, tout au long de ma vie, et dans des moments où je ne savais plus (ou ne voulais même plus croire) que Dieu existât. Je les ai peut-être reçues à cause de l’intercession (par exemple) d’un ancêtre qui priait plusieurs siècles avant ma naissance.

Ce sont des choses que nous ne saurons qu’après être passés de l’autre côté de la toile – et je crois que nous aurons alors beaucoup de gens à embrasser avec reconnaissance. De parfaits inconnus, aussi ; je le crois.

Comme vous l’écrivez si justement : « … mais vous n’aurez eu aucune part pratique dans cette libération, sauf d’avoir prié » ! Dame, oui.

Alors, chère Katherine, je ne suis pas aussi certain que vous que ces remarques fussent abstraites. Il me semble au contraire qu’elles touchent au Seul véritable concret : notre Maître. C’est le reste de notre vie, au contraire, qui se perd dans les sables de l’abstraction.

Jusques à quand, Seigneur et Maître de ma vie ?!

É.
patrik111
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L'aoriste n'est pas le passé

Message par patrik111 »

eliazar a écrit :[...]
Pour revenir au Notre Père, la clé de notre problème n’est peut-être pas tant dans le mot « peirasmon » que dans le verbe même qui structure cette proposition : je connais très peu le grec, aussi ai-je du mal à comprendre pourquoi « eisenegkès » devait être un aoriste - l’aoriste s’appliquant aux actions passées, alors que le « ne nous introduis pas dans l’épreuve » concerne de toute évidence la possibilité (le risque encore à courir, et donc encore hypothétique) d’une action qui reste encore à advenir. Cet aoriste me fait craindre quelque subtilité inaperçue, susceptible de changer quelque chose à ce que j’étais déjà si heureux d’avoir saisi… Peut-être serez-vous assez helléniste pour m’éclairer - ou bien quelque autre de nos correspondants le fera-t-il ?
Mais le verbe « eisphtérô » dont il est l’aoriste me paraît de plus en plus évident si je me reporte à ses autres utilisations dans l’Évangile (je crois bien qu’il ne figure nulle part ailleurs que dans le Nouveau Testament) ; si je mets à part son emploi dans la prière du Seigneur, il évoque dans tous les autres passages un sens (actif – passif) et un mouvement (du dehors vers le dedans) assez similaires pour être inséparables l’un de l’autre :
Cher Eliazar,

L'aoriste en grec ancien est plus un aspect qu'un temps. Il indique l'action ou l'état signifiés par le verbe sans considération de durée (c'est ce qui l'oppose à l'imparfait). Donc, il peut éventuellement renvoyer au futur dans la mesure où il considère l'essentiel de l'action ou de l'état signifiés. C'est pourquoi on le trouve dans des proverbes ou dans des prières. Ainsi, l'«eleison», que nous connaissons bien, est un impératif aoriste.

Par ailleurs, «eisenegkès» n'est pas l'aoriste d'«eisphtérô» mais d'«eisphérô», dans lequel on reconnaît «eis» («vers, à» avec mouvement) et «pherô» (en latin, «fero, porter»).

Ces précisions non par pédanterie mais par amour de la vérité.

Cela dit, tout cet échange est passionnant!
Patrik111
fred
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Re: Nouvelle traduction officielle du "Notre Père"

Message par fred »

L'aoriste prend pleinement sa notion d'aspect et perd toute fonction temporelle dans les modes autres que l'indicatif : infinitif, participe, subjonctif, impératif. On peut même dire en simplifiant que c'est la présence de l'augment qui donne à l'aoriste son sens de passé, et l'aoriste n'a pas d'augment en dehors de l'indicatif. L'infinitif, le participe, l'impératif et le subjonctif à l'aoriste n'indiquent pas forcément une antériorité, il est nécessaire de s'appuyer sur le contexte.

Même à l'indicatif, où il a un augment, l'aoriste peut exprimer une vérité générale (aoriste gnomique), mais il sert quand même la plupart du temps à exprimer une action passée.
Nikolas
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Re: Nouvelle traduction officielle du "Notre Père"

Message par Nikolas »

Pour information voici le lien vers un autre fil, fort intéressant, sur le Notre Père :
viewtopic.php?f=1&t=751
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