Prolégomènes à une histoire du christianisme en Afrique

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J-Gabriel
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A Claude le Liseur

Message par J-Gabriel »

Claude le Liseur, le 5 mai 09, a écrit : Les slavophones auront reconnu dans la lettre hébraïque ש
(shi) le modèle de la lettre cyrillique ш (cha en russe) - les créateurs de l'alphabet cyrillique ont pour l'essentiel repris l'alphabet grec, mais lorsqu'il s'est agi de rendre des sons qui n'existent pas dans la langue grecque (comme cette chuintante), ils n'ont pas hésité à s'inspirer de l'alphabet hébreu.
En lisant ceci, ça ma fait penser à cela :
L'alphabet hébreu avait été, à l'origine, calqué sur l'alphabet phénicien. Les lettres de cet alphabet archaïque avaient donc des formes curieusement analogues à celles du grec, issu de la même origine, avec cependant une différence capital; on écrivait de droite à gauche, et non de gauche à droite. Certaines lettres comme le delta, le gamma, le théta, étaient presque identiques. Mais peu avant l'ère chrétienne, et à la suite de très vives discussions entre les rabbis, cet alphabet «phénicien» - qu'on trouve encore dans certains des Manuscrits de la mer Morte- avait été supplanté, sauf chez les Samaritains, par un autre, d'origine araméenne, qui n'est autre que l'alphabet carré de l'hébreu actuel. Ce qui fait qu'au temps du Christ les deux langues s'écrivaient avec le système graphique.
"La vie quotienne en Palestine au temps de Jésus" Daniel-Rops 1961 Hachette p.332-333
Comme quoi, les vénérables saints Cyrille et Méthode n'ont rien à se reprocher d'avoir été piocher chez les Hébreux.

PS: le texte de la citation est peu la suite du message publié le 08 Fév 2009 19:18 dans une autre rubrique : viewtopic.php?t=751&postdays=0&postorder=asc&start=75
J-Gabriel
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supplément...

Message par J-Gabriel »

Dans des recherches particulières sur "Concile Nicée 325" que j’effectue ces derniers temps, à propos d’une autre rubrique du présent forum, j’ai pu trouver ceci qui pourrait éventuellement intéresser le présent fil :
[…] les Egyptiens ont inséré aux canons du concile de Nicée un 42e canon qui interdit aux Ethiopiens d’occuper une position hiérarchique. Ce canon sera respecté jusqu’en juin 1959 !
"Histoire du christianisme en Afrique" d’un Dominique Arnauld, note 42 page 234
On retrouve des donnés sur ce livre dans : http://books.google.ch/books?id=ivwNo42 ... q=&f=false

Pour rappel : en plus des décisions prise à Nicée en 325, les évêques d’Afrique avaient reçu une lettre particulière concernant Arius notamment.
Claude le Liseur
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Re: supplément...

Message par Claude le Liseur »

J-Gabriel a écrit :Dans des recherches particulières sur "Concile Nicée 325" que j’effectue ces derniers temps, à propos d’une autre rubrique du présent forum, j’ai pu trouver ceci qui pourrait éventuellement intéresser le présent fil :
[…] les Egyptiens ont inséré aux canons du concile de Nicée un 42e canon qui interdit aux Ethiopiens d’occuper une position hiérarchique. Ce canon sera respecté jusqu’en juin 1959 !
"Histoire du christianisme en Afrique" d’un Dominique Arnauld, note 42 page 234
On retrouve des donnés sur ce livre dans : http://books.google.ch/books?id=ivwNo42 ... q=&f=false
Douteux. En tout cas, l'auteur confond la pleine et entière autocéphalie de l'Eglise d'Ethiopie par rapport à l'Eglise copte d'Egypte, qui eut effectivement lieu en 1959, et la consécration des premiers évêques éthiopiens, qui eut lieu trente ans plus tôt. Un de ces évêques fut même martyr à l'époque de l'occupation italienne (1936-1941) où le fascisme essayait d'imposer en Ethiopie le catholicisme romain par de rudes moyens, comme il le faisait d'ailleurs aussi dans le Dodécanèse à la même époque.
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Trente ans, ce n'est pas beaucoup. On reste dans le XXe siècle, donc assez loin de Nicée et de ses canons.

L'Ethiopie antique n'était pas politiquement à l'intérieur de l'empire même si des liens existaient.
http://www.universalis.fr/encyclopedie/ ... ENTIUS.htm
http://www.historia-nostra.com/index2.p ... f=1&id=579
http://www.busaroundglobe.com/voyages/v ... 27fr%27%3B

Que l'histoire de saint Frumentios soit authentique ou en partie légendaire, il n'en demeure pas moins que la christianisation de l'Ethiopie eut lieu pendant le règne de Constantin et que la jeune Eglise fut placée dans la juridiction du patriarcat d'Alexandrie. Qu'il y ait eu alors un canon local sur ce point, c'est possible. Qu'il ait été recopié dans des recueils à la suite des canons de Nicée, je n'en sais rien mais c'est encore possible. Qu'il ait été "ajouté aux canons de Nicée" me semble relever d'une erreur d'interprétation d'ailleurs assez classique.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Citons le volume de la collection Fils d'Abraham consacré aux Ethiopiens, qui est sans doute le meilleur livre en français non seulement sur l'Eglise Tawahedo d'Ethiopie, mais aussi sur la culture éthiopienne en général - si profondément imprégnée de religion.

Kirsten Stoffregen-Pedersen, Les Ethiopiens, Brepols, Turnhout 1990, 198 pages.

L'auteur est une moniale danoise, l'éditeur est flamand, et je ne sais par quel miracle ce très beau livre a été publié en français.

"En matière eccléisatique, il [l'Empereur martyr Haïlé Sélassié que l'auteur appelle Hayla Sellase - NdT] parvint grâce à ses talents diplomatiques à libérer l'Eglise éthiopienne de sa sujétion à l'Eglise copte. Dès 1926, il ouvrait des négociations avec le patriarcat d'Alexandrie sur l'obtention d'une hiérarchie éthiopienne indigène et, au bout trois années, les Coptes consentirent à la consécration de cinq évêques éthiopiens par le nouveau métropolite copte d'Ethiopie. En 1948, un nouvel accord prévoyait quelques évêques indigènes supplémentaires et stipulait qu'après son décès, le métropolite Qerlos serait remplacé par un métropolite éthiopien. Les efforts de l'empereur et des nationalistes éthiopiens furent couronnés de succès lorsqu'en 1951, l'ecage (supérieur des moines et moniales éthiopiens) Gabra Giyorgis devint métropolite d'Addis Abeba et de toute l'Ethiopie. Néanmoins, la libération de la tutelle copte séculaire eut pour contrepartie une inféodation accrue de l'Eglise éthiopienne au pouvoir politique désormais centralisé." (p. 29)

"Lorsqu'on se penche sur le mode d'organisation de l'Eglise éthiopienne, il ne faut jamais perdre de vue que cette antique chrétienté n'a pas eu de hiérarchie indigène jusque dans les années cinquante de ce siècle. Son premier évêque, Frumence (en ge'ez, Feremnatos), appelé par la suite Abba Salama, était, on l'a vu, un Syrien consacré à Alexandrie. Très tôt, l'usage prévalut que le patriarche d'Alexandrie consacre comme métropolite (archevêque) d'Ethiopie (abuna), un Egyptien et non un autochtone. Une fois parvenu à la cour éthiopienne, ce prélat ne quittait plus l'Ethiopie, sauf circonstances exceptionnelles, comme lorsqu'en 1902 Abuna Mattewos fut envoyé en mission diplomatique à Saint-Pétersbourg par Menilek II. L'Eglise éthiopienne, numériquement bien plus importante que celle d'Egypte, du moins après la conquête de ce pays par les Arabes, n'avait qu'un seul évêque, le métropolite nommé par le patriarche copte. En deux occasions, elle obtint plusieurs évêques: sous Zar'a Ya'eqob (1434-1468), Abuna Gabr'el et Abuna Mila'el exercèrent simultanément leur activité en Ethopie et l'empereur Yohannes IV (1872-1889), soucieux d'améliorer l'administration ecclésiastique et la surveillance du clergé local, obtint quatre évêques (Abuna Petros, Abuna Mattewos, Abuna Luqas et Abuna Yohannes). " (p. 155)

Mes souvenirs m'ont trompé, puisque ce furent deux évêques éthiopiens - et non un seul - qui furent martyrisés par les occupants fascistes italiens qui, comme les y avait incités le cardinal Schuster de Milan dans un célèbre appel à la guerre sainte, se faisaient les missionnaires brutaux du catholicisme romain en terre africaine: Mgr Pierre (Abuna Petros) et Mgr Michel (Abuna Mika'el).

Page 157, la soeur Kirsten Stoffregen-Pedersen reprend le récit là où elle l'avait arrêté page 29:

"C'est ce qui advint en 1951, quand l'ecage (chef des moines et moniales) Gabra Giyorgis devint métropolite sous le nom de Baselewos. Concommitamment, les fonctions de métropolite et d'ecage fusionnèrent, de manière définitive. Quinze évêques autochtones furent consacrés, pour les quatorze provinces du pays et pour Jérusalem. Le 28 juin 1959, l'Eglise d'Ethiopie devenait totalement autocéphale lorsque Abuna Baselewos fut intronisé premier patriarche d'Ethiopie."

Il faut préciser que, dans les années qui allèrent de l'autocéphalie octroyée en 1959 à la prise du pouvoir par les communistes en 1974, l'Eglise d'Ethiopie connut une vitalité extraordinaire, multipliant les missions sur son territoire (le patriarche Takla Haymanot, en fonctions de 1976 à 1988, passait pour avoir baptisé 300'000 animistes en une quarantaine d'années; on estimait qu'entre 1970 et 1980, 62'000 animistes en moyenne avaient rejoint l'Eglise d'Ethiopie chaque année - op. cit., p. 142) comme à l'étranger (érection en 1959 à Trinidad d'un diocèse missionnaire de l'Eglise d'Ethiopie dans la Caraïbe - en 1970, ce diocèse comptait déjà 18'200 convertis, dont 5'000 en Jamaïque), créant des écoles (en 1960, l'Eglise d'Ethiopie contrôlait 1'463 écoles - op. cit., p. 165) et se dotant d'un clergé nombreux (60'972 prêtres, 56'687 diacres, 39'010 chantres, 12'078 moines en 1970 - op. cit., p. 161).

Il est probable que ces structures impressionnantes aient beaucoup souffert sous la junte militaire communiste de 1974 à 1991 et dans la situation d'instabilité qui perdure depuis, mais je ne dispose pas d'informations récentes. En tout cas, les relations de l'Eglise d'Ethiopie avec son Eglise-mère, le patriarcat copte, passent désormais pour assez agitées, en grande partie à cause du problème de l'Erythrée.
Claude le Liseur
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Claude le Liseur a écrit :Mes souvenirs m'ont trompé, puisque ce furent deux évêques éthiopiens - et non un seul - qui furent martyrisés par les occupants fascistes italiens qui, comme les y avait incités le cardinal Schuster de Milan dans un célèbre appel à la guerre sainte, se faisaient les missionnaires brutaux du catholicisme romain en terre africaine: Mgr Pierre (Abuna Petros) et Mgr Michel (Abuna Mika'el).

Un article du Wikipédia francophone sur l'évêque monophysite éthiopien Mgr Pierre, martyrisé par les fascistes italiens le 29 juillet 1936:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Aboune_P%C3%A9tros

Un passage intéressant de l'article, à propos d'Abouna Petros:
Il commence à s’interroger sur la guerre en cours: comment l’Italie, un pays chrétien, pouvait occuper de manière aussi brutale un autre pays pacifique chrétien: l’Éthiopie ?
On pourra comparer cette attitude vraiment chrétienne avec celle du cardinal Ildefonso Schuster, archevêque de Milan, qui, le 28 octobre 1935, exaltait le fascisme qui "a prezzo di sangue apre le porte dell'Etiopia alla fede cattolica" ("au prix du sang ouvrait les portes de l'Ethiopie à la foi catholique") (cf. http://209.85.129.132/search?q=cache:5C ... nismo.html ). Au moins, à cette époque-là, les choses étaient claires: l'impérialisme politco-religieux du Vatican préférait s'appuyer sur la franchise des bombardements à l'ypérite que sur l'hypocrisie du relativisme dogmatique et des embrassades oecuménistes accompagnées de coups de poignard dans le dos. Et oui, il y a un tel acharnement à cacher la vérité qu'il faut sans cesse rappeler ce qui a été occulté.

A noter que le cardinal Schuster fut béatifié en 1996 par Jean-Paul II. On peut en effet lui trouver quelques points communs avec un autre cardinal béatifié par Jean-Paul II: Alojzije Stepinac de sinistre et sanglante mémoire.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Claude le Liseur a écrit :
Un article du Wikipédia francophone sur l'évêque monophysite éthiopien Mgr Pierre, martyrisé par les fascistes italiens le 29 juillet 1936:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Aboune_P%C3%A9tros

Un passage intéressant de l'article, à propos d'Abouna Petros:
Il commence à s’interroger sur la guerre en cours: comment l’Italie, un pays chrétien, pouvait occuper de manière aussi brutale un autre pays pacifique chrétien: l’Éthiopie ?
On pourra comparer cette attitude vraiment chrétienne avec celle du cardinal Ildefonso Schuster, archevêque de Milan, qui, le 28 octobre 1935, exaltait le fascisme qui "a prezzo di sangue apre le porte dell'Etiopia alla fede cattolica" ("au prix du sang ouvrait les portes de l'Ethiopie à la foi catholique") (cf. http://209.85.129.132/search?q=cache:5C ... nismo.html ). Au moins, à cette époque-là, les choses étaient claires: l'impérialisme politco-religieux du Vatican préférait s'appuyer sur la franchise des bombardements à l'ypérite que sur l'hypocrisie du relativisme dogmatique et des embrassades oecuménistes accompagnées de coups de poignard dans le dos. Et oui, il y a un tel acharnement à cacher la vérité qu'il faut sans cesse rappeler ce qui a été occulté.

A noter que le cardinal Schuster fut béatifié en 1996 par Jean-Paul II. On peut en effet lui trouver quelques points communs avec un autre cardinal béatifié par Jean-Paul II: Alojzije Stepinac de sinistre et sanglante mémoire.

Pour l'édification de nos lecteurs, voici le plus bel extrait de l'homélie prononcée par Mgr Schuster à la cathédrale de Milan le 28 octobre 1935 à l'occasion du treizième anniversaire de la marche sur Rome de Mussolini:

Cooperiamo con Dio in questa missione nazionale e cattolica di bene, soprattutto in questo momento in cui, sui campi di Etiopia, il vessillo d’Italia reca il trionfo della Croce di Cristo, spezza le catene agli schiavi, spiana le strade ai missionari del Vangelo (...) Pace e protezione all’esercito valoroso che, in obbedienza intrepida al comando della Patria, a prezzo di sangue, apre le porte di Etiopia alla fede cattolica e alla civiltà romana. (source ici: http://209.85.129.132/search?q=cache:h_ ... mille.html )

Une belle homélie issue de ce passé que l'on ne cesse d'occulter: les bombardements au gaz moutarde ouvrant aux "missionnaires de l'Evangile" une terre depuis seize siècles chrétienne...

Mais la Vérité nous renda libres (cf. Jn 8, 31).
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »



Cooperiamo con Dio in questa missione nazionale e cattolica di bene, soprattutto in questo momento in cui, sui campi di Etiopia, il vessillo d’Italia reca il trionfo della Croce di Cristo, spezza le catene agli schiavi, spiana le strade ai missionari del Vangelo (...) Pace e protezione all’esercito valoroso che, in obbedienza intrepida al comando della Patria, a prezzo di sangue, apre le porte di Etiopia alla fede cattolica e alla civiltà romana. (source ici: http://209.85.129.132/search?q=cache:h_ ... mille.html )

Ma traduction:

"Nous coopérons avec Dieu dans cette mission nationale et catholique pour le bien, surtout en ce moment où, sur les champs de bataille d'Ethiopie, l'étendard de l'Italie apporte le triomphe de la Croix du Christ, brise les chaînes des esclaves, aplanit les routes pour les missionnaires de l'Evangile (...) Paix et protection à l'armée valeureuse, qui, dans son obéissance intrépide au commandement de la Patrie, ouvre au prix du sang les portes de l'Ethiopie à la foi catholique et à la civilisation romaine."
Claude le Liseur
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Re: Prolégomènes à une histoire du christianisme en Afrique

Message par Claude le Liseur »

Claude le Liseur a écrit :

ien révisé, les Berbères continuent à utiliser le calendrier julien non corrigé. C'est bien la seule chose qui sera demeuré de la Romanité engloutie d'Afrique du Nord...

Je trouve que cette référence à ce personnage biblique nommé Sheshonq en ancien égyptien, שישק (Shishaq) en hébreu, Σουσακιμ (Sousakim) en grec, Sésac en français et désormais Chachnak en berbère (mais s'appelait-il vraiment Chachnak dans la forme de berbère que parlait sa tribu au Xe siècle avant NSJC?) chez les défenseurs contemporains de la culture berbère méritait d'être mentionné suite à la discussion qu'Anne-Geneviève avait lancé sur le présent forum le à propos de la destruction de la mémoire du passé préislamique du Maghreb le 8 octobre 2006 (ici: viewtopic.php?t=2054 ).
Sauf que, n'en déplaise à l'Académie berbère de Paris, que reste-t-il de tout ceci si le pharaon libyen Sheshonq Ier n'est pas la même personne que le pharaon שישק / Σουσακιμ de la Bible (I Rois 14,25 dans la Bible hébraïque, III Rois 14,25 dans la Septante)?

L'hypothèse a été soulevée en 1991 par un groupe d'archéologues britanniques (Peter James, I.J. Thorpe, Robert Morkot, John Frankish) et grec (Nikos Kokkinos) dans un livre contesté... et par conséquent passé sous silence, mais jamais réfuté (Peter James e.a., Centuries of Darkness ; je fais toutes les références à l'édition Pimlico, Londres 1992). Ces auteurs montrent à quel point la chronologie de la fin de l'Âge du Bronze dans le bassin méditerranéen est fragile et sujette à caution, parce les listes des dynasties égyptiennes établies par Manéthon ont été considérées comme un cadre auquel il fallait plier la chronologie de toutes les civilisations voisines. Ils considèrent par conséquent qu'il faut remettre en cause toute la datation des dynasties égyptiennes, ce qui entraîne la remise en cause de toute la chronologie des civilisations grecque, hittite, assyrienne, etc., et entraîne surtout la disparition des quatre «siècles obscurs» (1200-800 av. NSJC) pendant lesquels il est censé ne rien s'être passé dans l'histoire grecque. Il convient avant tout de réduire la durée de la troisième période intermédiaire entre la chute du Nouvel Empire égyptien et la période finale de l'Antiquité égyptienne: la fin du Nouvel Empire ne se situerait pas vers ~1069, selon la chronologie conventionnelle et obligatoire, mais vers ~825.
Je n'ai ni la place, ni le temps, pour résumer ici une thèse que les auteurs développent sur 426 pages, mais je me contenterai de rapporter les conséquences de cette théorie quant à l'identité du «roi d’Égypte» ( מלך מצרים , βασιλεὺς Αἰγύπτου) des saintes Écritures.
Nos archéologues contestataires acceptent la chronologie biblique qui fixe la mort du roi Salomon, et la division subséquente de son royaume, vers 930 avant NSJC. La prise de Jérusalem par Sésac, dans la 5e année du règne de Roboam, se situerait donc vers ~925. En revanche, James et ses collègues retardent d'environ un siècle l'avènement du pharaon berbère Sheshonq / Chachnak sur le trône. Ils démontrent bien comment l'identification Sésac / Sheshonq, adoptée par les égyptologues depuis les années 1820, a permis d'utiliser les données bibliques pour corroborer les listes de Manéthon, l'avènement de Sheshonq étant fixé d'autorité en ~945 et devenant la première date de la chronologie égyptienne à reposer sur des «faits» (citation de Peter van der Meer in James e.a., op. cit., p. 230). Il semblerait pourtant que l'archéologie ne corrobore pas l'Histoire officielle, puisqu'on a trouvé à Byblos, dans l'actuel Liban, un fragment de statue portant le cartouche de Shoshenq Ier et une inscription phénicienne selon laquelle le roi Abibaal de Byblos avait fait venir la statue depuis l'Égypte (James e.a., op. cit., p. 248). Or, Abibaal semble avoir régné peu de temps avant l'an 800 avant NSJC. Il s'ensuit donc que l'avènement de Sheshonq Ier sur le trône se serait produit en ~820 plutôt qu'en ~945.
Même si cette constatation dérange la chronologie officielle, elle a le mérite de réconcilier le récit biblique au moyen duquel les égyptologues prétendent corroborer les listes de Manéthon avec ce que l'archéologie nous apprend de Sheshonq Ier. En effet, les vestiges retrouvés à Karnak font bien état d'une campagne de Sheshonq Ier en Palestine, mais Jérusalem ne figure pas parmi les villes conquises, alors qu'elle est l'objectif principal du raid égyptien dans le récit biblique. Au contraire, la campagne de Sheshonq apparaît dirigée contre le royaume d'Israël (le royaume du Nord), alors que, dans le récit biblique, la campagne de Sésac est dirigée contre le royaume de Juda (le royaume du Sud), tandis que Jéroboam, le premier roi du Nord, était un allié de l'Égypte (cf. I Rois 11,40 et I Rois 12,2) selon la Bible hébraïque, qui plus est marié à une princesse égyptienne selon la Bible grecque (cf. III Rois 12, 24e dans la Septante). Conclusion: les égyptologues veulent faire coïncider Sheshonq Ier avec le Sésac biblique sur la base d'un récit biblique qui dit le contraire des hauts faits revendiqués par Sheshonq Ier. Les partisans de la chronologie officielle balaient la contradiction en émettant l'hypothèse que Pharaon aurait souhaité frapper son protégé Jéroboam aussi bien que son ennemi Roboam (James e.a., op. cit., note 34 p. 379). Nos contestataires préfèrent, quant à eux, en tirer la conclusion que Sheshonq Ier n'était pas le Sésac de la Bible.
Claude le Liseur
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Re: Prolégomènes à une histoire du christianisme en Afrique

Message par Claude le Liseur »

Alors, dans ce cas, qui est le Sésac de la Bible?

Nos auteurs proposent une nouvelle datation de l'histoire égyptienne, en rallongeant considérablement la durée du Nouvel Empire et en réduisant celle de la troisième période intermédiaire. Ils fixent le règne de Ramsès III vers le dernier tiers du Xe siècle plutôt que dans les années 1186-1155 de la datation officielle - donc 250 ans plus tard. Le nom biblique Chichak serait une déformation de l'égyptien Sessi (Ssysw), diminutif de Ramsès (James e.a., op. cit., p. 257, et note 135 p. 385).

Après tout, n'oublions pas que le texte biblique n'était pas vocalisé à l'origine. La graphie שׁישׁק, lue aujourd'hui Shishaq, était peut-être un Chichk, un Chichek, un Chichak, voire un Sissek. Il me paraît en tout cas intéressant que le nom français traditionnel de ce personnage, Sésac, ainsi que le nom de la Bible grecque, Σουσακιμ, n'excluent pas des lectures penchant vers une déformation de Sessi. Il ne faut pas non plus oublier que nous ne savons pas comment on vocalisait l'égyptien hiéroglyphique, l'écriture hiéroglyphique ne notant pas les voyelles (cf. Jean-Pierre Guglielmi, L'Égyptien hiéroglyphique, Assimil, Chennevières-sur-Marne 2010, p. XV).

Ainsi, admettre la thèse de James et de ses co-auteurs, thèse jamais réfutée mais jamais acceptée non plus, reviendrait à identifier le Sésac biblique, qui s'empara du Temple de Jérusalem vers ~925, avec Ramsès III. Le raid de Sheshonq Ier, lui, ne serait pas expressément mentionné dans la Bible et se situerait vers ~810, à l'époque du règne de Yoakhaz en Israël et de Joas en Juda. Pas expressément mentionné, car nos archéologues expriment l'hypothèse que l'expédition de Sheshonq Ier aurait pu avoir pour but, non pas de frapper le royaume d'Israël, mais, au contraire, de l'aider à récupérer des villes conquises par les Araméens - en effet, la Bible décrit des relations cordiales entre l'Égypte et le royaume d'Israël jusqu'à la fin (cf. l'ambassade envoyée en Égypte par Osée, dernier roi du royaume du Nord, pour demander de l'aide contre les Assyriens, in II Rois 17,4). Or, d'après la Bible, il y eut bien, à un moment une aide extérieure au secours du royaume d'Israël face au Araméens. Ainsi que le relate le livre des Rois (II Rois 13, 1-5, dans la Bible en français courant, BFC):
Pendant la vingt-septième année du règne de Joas, fils d'Ahazia, sur le royaume de Juda, Joachaz, fils de Jéhu, devint roi d'Israël à Samarie; il y régna dix-sept ans. Il fit ce qui déplaît au Seigneur; il ne cessa pas d'imiter les péchés de Jéroboam, fils de Nebath, qui avait poussé le peuple d'Israël à pécher. Alors le Seigneur se mit en colère contre les Israélites et les livra au pouvoir d'Hazaël, roi de Syrie, puis au pouvoir de son fils Ben-Hadad. Cela dura longtemps. Mais Joachaz supplia le Seigneur de s'apaiser; celui-ci l'entendit et, après avoir vu comment le roi de Syrie opprimait Israël, il envoya un libérateur qui délivra les Israélites de la domination des Syriens. Dès lors, les Israélites purent vivre en paix comme précédemment.
Si l'on admet que, lors de son expédition transférée vers ~810 et non plus vers ~925, Sheshonq Ier aurait en fait repris des villes arrachées par les Araméens Hazaël et Ben-Hadad au royaume d'Israël, il s'ensuit que Sheshonq Ier ne serait rien d'autre que le mystérieux et anonyme «libérateur» («sauveur» dans la TOB; מושׁיע ; σωτηρίαν ) de la Bible.

Ainsi, si les thèses de James, Thorpe, Morkot, Frankish et Kokkinos étaient exactes, l'Académie berbère de Paris n'aurait plus qu'à faire partie son ère berbère de l'an ~835 plutôt que de l'an ~950, et il n'y aurait plus qu'à modifier un certain nombre de calendriers militants édités en Afrique du Nord, mais cette révision déchirante serait plus que largement compensée, pour les Berbères, par le fait que la Bible nomme «libérateur» et «sauveur» celui dont ils ont fait leur héros national sous le nom de Chachnak.
Claude le Liseur
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Re: Prolégomènes à une histoire du christianisme en Afrique

Message par Claude le Liseur »

J'ai trouvé sur le site de l'agence de voyages Clio un article du professeur Georges Jehel qui complète mon post du 14 octobre 2006 (viewtopic.php?f=1&t=2091#p13397 ).

Source: https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/les_et ... _arabe.asp
On situe entre la fin du Ier et le début du IIe siècle l'arrivée du christianisme en Africa. Sa rencontre avec l'islam pose d'abord la question de savoir quel était l'état de la christianisation au moment de l'arrivée des conquérants musulmans. La réponse est largement conjecturale étant donné la rareté des sources. Pour expliquer la rapidité de l'emprise musulmane, on invoque la faiblesse de l'imprégnation chrétienne dans le petit peuple urbain et surtout rural. Étant donné ce qu'a été l'Afrique chrétienne de Tertullien à saint Augustin, et ce que l'on sait de l'extraordinaire densité des évêchés africains, il est difficile d'admettre cette interprétation sans examen.

Le christianisme africain de saint Cyprien et Tertullien à saint Augustin

Au Ve siècle, l'Église africaine s'étend sur l'ensemble formé par l'Africa avec Carthage comme métropole, la Numidie à l'ouest, la Cyrénaïque à l'est. L'appréciation quantitative de l'encadrement épiscopal de l'Afrique a fait l'objet de nombreuses études dont les conclusions restent toujours discutées. On estime qu'au début du Ve siècle, plus de 600 évêchés étaient répartis sur le territoire. Bien que réduit à 470 en 484, le nombre en reste considérable. Les structures ecclésiastiques mises en place par Tertullien (155-225 environ) et saint Augustin (354-430) en sont venues à la fin de la présence romaine à se substituer à l'État pour le maintien de la vie civique. Il reste que c'est surtout dans les villes – Carthage, Hippone, Tipasa, Volubilis – que le christianisme exerça son influence. Pourtant de nombreux indices montrent sa présence jusqu'au limes saharien. On sait par exemple que le camp militaire de Timgad était au IIIe siècle un centre important de vie chrétienne. Ce fut un foyer actif de controverse entre donatistes et catholiques. Ils rivalisaient notamment dans la construction d'églises, dont il reste bien des traces archéologiques. Un mobilier souvent d'importation s'y est accumulé : céramique, orfèvrerie, verrerie, en particulier des vases funéraires du IVe siècle, provenant d'ateliers rhénans. Des données épigraphiques du début du VIe siècle permettent de supposer que des communautés chrétiennes vivaient alors dans le royaume de Tlemcen. On signale également des poches de christianisation dans l'Ouarsenis, au sud de Ténès et de Cherchell à la même époque. En 525, il y avait un évêque à Mina dans la vallée du Chélif. Plusieurs historiens arabes, Ibn abd al-Hakam, au IXe siècle, Al-Bakri, au XIe et plus tard Ibn Khaldûn attestent la présence de chrétiens parmi les Berbères, au moment de la conquête arabo-musulmane. En tout état de cause, la forte densité urbaine de l'Afrique romaine était telle qu'elle rend artificiel le clivage entre ruraux et citadins.

La crise du Ve siècle

Elle procède de facteurs économiques, sociaux et religieux, qui agitèrent l'Africa à la fin de l'Empire romain. Le donatisme en fut la principale expression. Sur un fond de révoltes provoquées par les Circoncellions, journaliers agricoles qui se soulevèrent aux IIIe et IVe siècles contre les maîtres de la terre, il se constitua en secte schismatique en réaction aux persécutions qui frappèrent les chrétiens d'Afrique entre 303 et 305. Il eut pour premier meneur un prêtre numide du nom de Donatus des Cases-Noires. La répression du donatisme redoubla à partir de 317. Cependant un concile donatiste rassembla 270 évêques à Carthage en 336. Saint Augustin contribua à leur affaiblissement au début du Ve siècle. S'ensuivit une longue période de prospérité qui fait de l'Africa un des meilleurs points d'appui du christianisme en Occident. L'arrivée des Vandales en 429 modifia considérablement la situation.
Après avoir longtemps minimisé les persécutions des catholiques africains par les Vandales ariens, on en revient aujourd'hui à souligner la violence fanatique des Ariens qui ne s'est pas atténuée après la paix de 435, et qui a entraîné le départ de catholiques vers d'autres horizons. Des phases plus ou moins intenses ont alterné jusqu'en 523 où un édit royal mit fin à la persécution, prenant en considération qu'en dépit des sévices et des brimades, le catholicisme était loin d'être anéanti. Les témoignages de la persistance des structures monastiques confirment cette appréciation. La persécution aurait peut-être même renforcé l'enracinement du catholicisme en Afrique, appuyé par le « christianisme maure » incarné par des peuples berbères fortement christianisés. La conquête de l'Afrique par Bélisaire au profit de Byzance en 535 redonna vie au catholicisme africain, qui prit nettement position contre le monophysisme, plus enclin au compromis avec l'islam quand celui-ci prit place en Afrique.

Le christianisme dans le Maghreb musulman du VIIe au XIIe siècle

On a diversement expliqué le succès de l'expansion arabo-musulmane en Occident. Les facteurs sont à rechercher d'abord dans le contexte d'une dynamique de grande ampleur de cet ensemble. Il tient aussi à l'état de l'Occident au tournant du VIIIe siècle et à la solidarité profonde qui unit l'Europe à l'Afrique du Nord depuis de nombreux siècles. Elle est assise sur des réalités géopolitiques, des convergences et des affinités qui ont constamment rejailli sur les relations entre les deux rives de la Méditerranée. Les Romains l'avaient vite perçu. Les Ommeyyades de Cordoue ont toujours considéré que leur empire incluait le Maghreb. Il en fut de même plus tard des Almoravides, des Almohades, des Mérinides dont la souche est africaine, ainsi que des Hafsides siégeant à Tunis qui ambitionnèrent tour à tour d'exercer leur autorité du Maghreb à l'Andalus. Il convient donc de ne pas isoler les relations entre le monde arabo-musulman, l'Espagne et la Sicile, de l'Afrique du Nord qui présente néanmoins des traits propres, et en particulier celui d'avoir été l'un des berceaux du christianisme occidental.
Si rapide qu'elle ait été, l'expansion musulmane en Afrique a dû s'accommoder, pendant plusieurs siècles, de la persistance de foyers de christianisme. Dans le royaume rostemide de Tahert à dominante kharidjite, des chrétiens étaient consultés par les autorités au IXe siècle. Ce qui est une entorse rarissime à la dhimmitude, dans laquelle sont généralement confinées les communautés chrétiennes en terre d'islam. Dans la région de Ouargla et de Tébessa, des groupes de chrétiens rattachés à l'évêché de Qastiliya, mal localisé, dans la région du chott Al-Djerid, en milieu kharidjite, se sont maintenus au moins jusqu'au Xe siècle. Des influences chrétiennes ont été perçues au Xe siècle sur l'architecture musulmane. On peut glaner dans la littérature arabe des Xe et XIe siècles des attestations d'une présence chrétienne tenace à travers des individualités fort diverses. Ici un marchand d'huile du Sahel, un proche d'un sultan, là les fonctionnaires de la sikka, c'est-à-dire de l'hôtel des monnaies, sont des chrétiens au service de l'État aghlabide d'Ifriqiya. En 1020, la gouvernante d'un prince ziride, musulmane confirmée, est fille d'une chrétienne, son neveu l'est resté. La relative vitalité de la communauté chrétienne au Maghreb s'explique peut-être aussi par une immigration venue d'Espagne, de Sardaigne et d'Égypte. Un millier de familles coptes au moins ont été transplantées en Tunisie au début de la conquête, pour peupler le pays et construire des bateaux. Elles étaient installées dans plusieurs ports, dont Radès, et plus hypothétiquement Gummi, c'est-à-dire Mahdia, le grand arsenal fatimide qui est resté la principale base navale de l'Ifriqiya.
Le cas de Volubilis est assez significatif. Comme à Tlemcen sur le site de Pomaria, la présence d'une communauté chrétienne jusqu'au milieu du VIIe siècle a été vérifiée à partir de données épigraphiques relevées à Ksar Pharaoun. Des sources arabes signalent l'existence d'une communauté monastique à proximité de Fès au VIIIe siècle. Des éléments de population chrétienne ont peut-être été impliqués dans la fondation de cette ville par Idris Ier. On sait qu'un évêché existait à Ceuta au début du XIe siècle. On peut penser qu'au XIIe encore un christianisme occulte était pratiqué au Maroc, puisqu'un cadi de Marrakech interroge Ibn Rushd (Averroès) sur l'attitude à adopter face à un néophyte musulman soupçonné de pratiquer le christianisme. On a retrouvé chez lui des cierges, des livres en latin, une lampe à huile, un lutrin, une croix et des pains ronds et plats portant l'empreinte d'un sceau (cité par Ch. E. Dufourcq : « La coexistence des chrétiens et des musulmans dans Al-Andalus et dans le Maghreb au Xe siècle » in « Orient et Occident au Xe siècle », IXe Congrès de la Société des historiens médiévistes, Paris, 1979). La construction d'édifices religieux chrétiens autorisée par le pouvoir almoravide au XIe siècle à l'intention de mercenaires et d'immigrés en provenance d'Al-Andalus au Maroc est peut-être à mettre aussi en rapport avec des restes d'éléments chrétiens autochtones. L'historien arabe Al-Bakri mentionne l'existence au XIe siècle d'une église à Tlemcen et les ruines d'une autre à Alger, récemment désaffectée, à la même époque. À l'autre bout du Maghreb, la persistance du christianisme a été diversement signalée, soit par des pèlerinages sur le tombeau de saint Cyprien, soit par la mise au jour d'épitaphes chrétiennes, datées de 1007, 1019, 1046, dans les environs de Sbeitla et à Kairouan. Des tombes chrétiennes on été dégagées en Tripolitaine, dans la région d'Aïn-Zara et d'En-Gila, échelonnées entre 945 et 1003. Une communauté chrétienne subsista à la Qal'a des Beni Hammad jusqu'au début du XIIe siècle.
On a répondu négativement à la question de savoir si l'ancienne et profonde implantation du christianisme en Afrique avait eu une influence sur des usages ou des comportements dans la société musulmane, question posée à propos de la célébration de fêtes chrétiennes à Kairouan au Xe siècle, auxquelles des musulmans auraient participé. On laisse pourtant percevoir la persistance de ces usages. D'autre part des lieux de culte chrétiens ont été parfois repris par les musulmans. Ainsi, comme à Damas, où la Grande Mosquée fut érigée sur les bâtiments de l'église Saint-Jean-Baptiste, et à Cordoue, dont la Grande Mosquée prit position sur le site de l'église Saint-Vincent que les chrétiens et les musulmans se partageaient jusque-là ; la Grande Mosquée Zitouna de Tunis aurait été fondée sur un oratoire chrétien (consacré à saint Olive), de même la petite mosquée hurasanide d'Al-Qasr.
Un aspect particulier de la rémanence du christianisme a été mis en évidence sur le plan linguistique. Sur la base du latin encore usité à Kairouan au XIe siècle, s'est constitué en milieu berbère un dialecte inspiré de langues romanes, mentionné sous l'expression de al latini al afariqui ou encore alfariqi. Décrits par Al-Yaqubi à la fin du IXe siècle, ces Berbères chrétiens sont qualifiés par le terme d'Afariqah. On leur applique aussi le terme ajam. Quant à celui de Rum, il s'adresse uniquement aux populations d'origine byzantine dont il subsiste des groupes assez denses à Carthage, d'où l'empereur byzantin Héraclius était originaire, et dont une importante communauté chrétienne est attestée jusqu'en 983, de même qu'à Kairouan. Cependant la langue grecque était peu répandue. On parle plutôt de « roman » pour caractériser ces dialectes perpétués dans la région de Gabès et de Gafsa au moins jusqu'au milieu du XIIe siècle, ce qui en confirme l'origine latine. Les usages culturels et comportementaux de ces populations, notamment par la pratique du christianisme et les modes vestimentaires, étaient suffisamment intégrés et typés pour être reconnus dans leur spécificité. Il n'y avait pas lieu d'institutionnaliser la différenciation, tamyiz, entre musulmans et non musulmans. Au IXe siècle, l'Ifriqiya était une mosaïque de communautés distinctes, vivant dans une promiscuité paisible. L'intégration se manifestait entre autres signes par le fait que, outre leur nom de baptême issu du calendrier liturgique, les chrétiens pouvaient avoir des noms arabes, tel ce Bakr al-Wahid, cavalier réputé, ou Ibn Wardah, riche marchand de Kairouan.
C'est pourtant à cette époque que les tensions commencent à se faire sentir. Au IXe siècle, plusieurs décisions califales sont prises pour imposer en Irak et en Syrie la différenciation visible entre les communautés, visant particulièrement les juifs et les chrétiens. Il est possible que ce soit sous l'effet de l'édit du calife abbasside, Al-Mutawakkil, pris en 849-850, qu'en 875, le cadi de Kairouan ait ordonné l'application stricte du tamyiz. On imposa donc aux chrétiens, mais aussi aux juifs, de porter une pièce d'étoffe blanche sur l'épaule avec une image de porc. Ce signe distinctif devait être également apposé sur les portes de leurs maisons. L'incidence de ces mesures discriminatoires ne doit cependant pas être surévaluée. Elles restèrent limitées dans le temps et dans l'espace. En particulier à Kairouan, un des pôles majeurs de l'islam maghrébin, la communauté chrétienne était florissante jusqu'à l'arrivée des Fatimides. Elle subsista médiocrement au-delà des années 900, puisque des fatwas font état de la présence de marchands chrétiens et juifs dans des souks ifriqiyens, de l'existence d'églises au début du XIe siècle et de l'usage de plus en plus régulier de la langue arabe par les non musulmans. On localise même autour de 1050 une basilique consacrée à saint Pierre, desservie par un diacre byzantin dans l'ancienne cité romaine de Sicca Veneria, qui prit ensuite le nom d'Ourbou, avant de devenir Le Kef. Ce bâtiment s'est maintenu comme lieu de culte chrétien jusqu'au XIe siècle au moins, époque à laquelle il a été désaffecté sous le nom de Dar-el-Kous, non sans avoir laissé jusqu'à nos jours d'importants vestiges architecturaux (cf. « Le christianisme maghrébin, de la conquête musulmane à la disparition, une tentative d'explication. » in Conversion and continuity. Indigenious communities in islamic lands, VIIth-XVIIIth. Éditions Gervers et Bikhazi, Toronto 1990). Quelques inscriptions funéraires donnent à penser qu'au milieu du XIe siècle, le christianisme n'a pas disparu et qu'un encadrement ecclésiastique subsiste. Mais on peut estimer qu'après 1052, n'en restent au mieux que des traces. Dans la deuxième moitié du XIe siècle, une correspondance pontificale consistante a été rassemblée. Ce qu'elle permet d'établir n'est que la confirmation d'une raréfaction accélérée du réseau épiscopal.

Les causes de l'extinction du christianisme autochtone en Afrique du Nord

Les structures chrétiennes furent manifestement déstabilisées en Afrique par la scission introduite par le donatisme qui n'a pas complètement disparu. Au début du VIIIe siècle encore, le pape Grégoire II signale à saint Boniface, alors en Germanie, le danger d'une influence des donatistes exilés d'Afrique, jusqu'en Europe du Nord. Par ailleurs on a mis en relation pour le Maghreb les similitudes qui rapprochaient le donatisme du kharidjisme, hérésie musulmane qui s'y était fortement répandue. En dépit du rétablissement de l'encadrement catholique par les Byzantins, les effets de la guerre menée par les conquérants arabes n'ont pas manqué de se faire sentir. On ne dénombre plus qu'une quarantaine d'évêchés au milieu du VIIIe siècle. Une lettre de Léon IX de 1053 nous apprend qu'il n'y en a plus que cinq à cette date. Une des faiblesses du christianisme tardif au Maghreb est bien celle de son encadrement. Hormis quelques évêques, la seule autorité dont on trouve trace est celle d'un civil, chef de communauté, judex ou senior, dont on fait un doyen. Quelques prêtres ou responsables de communautés monastiques, sacerdotes, lecteurs, diacres ou simples clercs transparaissent à travers les inscriptions les plus tardives. Elles témoignent d'une réelle carence. La résistance à l'expansion arabe eut des mobiles bien plus politiques que religieux. C'est la réaction berbère qui a été la plus active. À la différence de ce qui se produisit en Espagne, il n'y a pas eu de révolte chrétienne au Maghreb.
On peut y voir soit un signe d'affaiblissement, soit une forme d'adaptation ou de tolérance indifférente, peut-être même au début une acceptation mutuelle chaleureuse. L'épisode rapporté par une source arabe de l'accueil réservé au gouverneur musulman, Al-Fald, en 793, par le chef de la communauté chrétienne à Kairouan, Constance, qui se voit autorisé à construire une église dans la capitale musulmane, permet de le supposer. Toutefois, des signes de rupture se sont manifestés assez vite au point d'accélérer l'exode vers l'Europe, mais aussi vers le sud, puisque de nombreuses familles chrétiennes se sont réfugiées au Xe siècle avec les Ibadites dans des oasis comme Ouargla. Des facteurs exogènes, telle l'invasion hilalienne de 1050, qui eut entre autres effets d'intensifier l'arabisation, ont pu être préjudiciables au christianisme. De même le rigorisme musulman introduit au Maghreb par les Almoravides, mais surtout vers 1150, par les Almohades. Une interprétation récente a rejeté cette incidence, mais elle a été discutée par comparaison avec le reflux des cadres musulmans opéré en Espagne, sans pour autant que la population musulmane ait été éradiquée. Ce qui invite à ne pas minimiser le recours à la force pour expliquer la disparition du christianisme autochtone au Maghreb.
Il faut également tenir compte des conversions, opérées en grand nombre, sous des formes progressivement codifiées par des attestations notariées ou authentifiées par un magistrat, mais avec une souplesse sans commune mesure avec les principes évangélisateurs du monde chrétien. En règle générale, des prescriptions sévères interdisent aux enfants de chrétiens de fréquenter les écoles musulmanes et aux jeunes musulmans d'aller aux écoles chrétiennes. Cependant on connaît quelques exemples remarquables d'individus d'origine chrétienne, dont l'initiation à l'islam a été facilitée par la connaissance de la langue arabe, et qui sont devenus des autorités de référence. La lourde taxe, jiziya, à laquelle étaient soumis les dhimmis a certainement poussé à la conversion sans retour car l'apostasie, riddah, assimilée à une trahison, était passible de la peine de mort. Elle a pourtant souvent eu lieu.
L'argument le plus décisif concernant la disparition progressive du christianisme au Maghreb procède d'une comparaison entre l'Orient et l'Occident. En Orient, le christianisme est fortement enraciné dans la culture autochtone. Il est porté par les langues vernaculaires : syriaque, copte, éthiopien, grec, arménien, etc. En Afrique du Nord, même si le latin a connu une diffusion large, il reste une langue d'importation, en particulier pour des communautés qui, à l'époque de saint Augustin encore, ne parlaient que les langues puniques ou libyques. L'absence d'un christianisme berbérophone a été fortement préjudiciable à cet égard.
Plus précisément encore, s'impose la faiblesse de la diffusion monastique en Afrique par opposition à l'Orient en dépit des efforts de saint Augustin. Les quelques structures monacales qu'il a mises en place autour d'Hippone sont bien peu de choses auprès du monachisme maronite ou copte de Syrie ou d'Égypte.
La prépondérance de l'influence nomade, qu'elle soit saharienne ou d'origine arabe, pourrait expliquer également l'incapacité du christianisme à se maintenir au Maghreb. Les allusions à une tendance à la christianisation au Fezzan à l'époque de Justinien – des poches de christianisation persistante ont été mises en évidence au Sahara occidental – ne sauraient renverser le principe général, selon lequel les nomades sont restés en Afrique imperméables au christianisme. C'est sur ce clivage entre nomades et sédentaires que se sont construites des interprétations sur la diffusion attestée du christianisme en milieu berbère. On a d'abord avancé que, lors de l'invasion musulmane, des chrétiens avaient fui les villes pour se réfugier dans les régions montagneuses peuplées de Berbères et qu'ils y avaient fait des émules, avant que l'islam ne s'y répande. Les Branès qui constituent la principale branche des peuples berbères plutôt sédentaires auraient été plus romanisés et christianisés, tandis que les Botrs, chameliers nomades, auraient vécu plus à l'écart de ces influences.
L'appartenance au groupe des Botrs de la Kahina, ce personnage de premier plan dans l'histoire du Maghreb primitif, d'ascendance paternelle grecque et de religion chrétienne plutôt que judaïque, trouble quelque peu cette interprétation sans remettre en cause l'influence chrétienne dans le monde berbère. Plus généralement, les témoignages ne manquent pas du soutien apporté par les tribus berbères chrétiennes aux forces byzantines commandées par le patrice Grégoire pour essayer de résister à l'offensive musulmane. On explique la forte diffusion du christianisme dans les populations berbères d'Afrique par l'influence qu'y avait exercée antérieurement le judaïsme. On sait en particulier par Ibn Khaldûn qu'une grande partie des Zenata – les Garawa, auxquels est rattachée la Kahina, et les Nefusa – avait été judaïsée, avant d'adopter le christianisme. Les Nefusa auraient même intégré le latin au point d'avoir élaboré une langue romane au sud de la Tunisie actuelle. Au XIVe siècle, ils étaient encore tributaires des Hafsides et payaient la jiziya.

Bien que non négligeables, tous ces témoignages ne rendent compte que d'une réalité en cours d'évanescence qui n'était pas à même de résister à la formidable poussée musulmane, appuyée sur une doctrine et une langue d'une efficacité accomplie. C'est là le principal argument de l'effacement du christianisme en Afrique du Nord. Ce qui est imputé à l'invasion hilalienne, au sectarisme almohade, ou au contrecoup vindicatif de l'occupation normande de la Tunisie n'a fait qu'accélérer un processus fondé sur l'incapacité du christianisme africain à affirmer son identité face à la nouvelle religion, en grande partie en raison de l'opportunité qui lui était offerte de rejoindre le gros de la chrétienté européenne toute proche. La comparaison avec la façon dont les communautés juives se sont adaptées et maintenues au Maghreb ne peut que renforcer cette interprétation. On estime qu'en 1160 au plus tard, le christianisme en Afrique du Nord est parvenu à un état de ténuité extrême. Les quelques manifestations de christianisme autochtone que l'on peut signaler à la fin du XIIe siècle, comme la présence d'une église à la Qal' a en 1191 ou la mention d'un archevêque à Carthage en 1192, ne peuvent faire illusion. On ne saurait tirer argument du fait qu'une communauté chrétienne ait obtenu à la fin du XIVe siècle de surélever son église à Tunis au-dessus des bâtiments du collège Al-Tawfiq. Il s'inscrit dans un contexte différent qu'il convient de préciser.
À partir de 1150, on assiste à un renversement de tendance dans le monde méditerranéen. La réaction des républiques maritimes italiennes aux offensives musulmanes, entamée au milieu du XIe siècle, leur a permis de prendre la maîtrise des mers et par la négociation d'obtenir d'installer des comptoirs sur tout le littoral, notamment au Maghreb. Les traités et conventions comportaient presque toujours des clauses sur le droit d'y installer des lieux de culte et de pratiquer la religion des Italiens sans ostentation. C'est ainsi que des communautés chrétiennes d'origine extérieure se sont fixées durablement à Tunis, Bougie et Ceuta presque exclusivement. Cette présence effective s'est accompagnée d'un soutien actif de la papauté qui entretenait une correspondance régulière avec les autorités musulmanes, en même temps qu'une activité missionnaire s'est toujours maintenue, dont l'un des objectifs fut jusqu'au XIXe siècle le rachat des esclaves capturés par les pirates. Le prosélytisme n'en était pas absent. On a avancé, non sans vraisemblance, que la croisade de Tunis où saint Louis trouva la mort en 1270 avait pour but secret la conversion du sultan Al-Mustancir Billah qui portait pourtant depuis longtemps déjà le titre califal d'émir des croyants.
Vous retrouverez dans l'article du professeur Jehel un point politiquement correct que j'avais évoqué le 14 octobre 2006: l'opposition entre le christianisme enraciné du Machrek (syriaque, copte, grec puis arabe comme langues liturgiques) et le christianisme d'expression latine du Maghreb, le professeur Jehel notant que l'absence d'un christianisme berbérophone ayant été un handicap (à mon avis fatal). Le professeur Jehel évoque un point que j'ignorais en 2006 et que j'ai découvert par la suite: la proximité entre chrétiens résiduels (berbères, latins et grecs) et Ibadites (hérétiques musulmans kharijites), ayant conduit à une présence chrétienne là où on ne l'attendait pas, à Ouargla, très au sud de l'ancien limes.
Claude le Liseur
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Re:

Message par Claude le Liseur »

Claude le Liseur a écrit : mer. 06 mai 2009 19:18 Début de ma traduction du texte du Wikipédia italien cité dans mon message du 6 mai 2009 à 19 heures 05.

Sul finire degli anni '60, l' Académie Berbère, creata a Parigi da alcuni Berberi emigrati in Francia allo scopo di preservare e diffondere la cultura berbera, si impegnò nella ricerca di tutti quegli elementi che potevano illustrare la civiltà berbera nei secoli anteriori alla conquista araba, allo scopo di fondare su solide basi le proprie richieste di un riconoscimento delle specificità linguistiche e culturali dei Berberi, pesantemente discriminati nei paesi del Nordafrica che avevano da poco ottenuto l'indipendenza in un contesto ideologico molto incline al panarabismo. Tra le altre cose, l'Académie "scoprì" l'esistenza di una dinastia di sovrani egizi di stirpe libica, e decise di solennizzare questa manifestazione così antica della civiltà berbera prendendo addirittura l'anno di accessione al potere di questa dinastia come inizio di una nuova "era" secondo cui calcolare gli anni, in modo indipendente dal calendario "occidentale" e da quello "islamico".

Ma traduction :

À la fin des années 1960, l’Académie Berbère, fondée à Paris par quelques Berbères émigrés en France dans le but de préserver et de diffuser la culture berbère, s’employa à rechercher tous les éléments qui pouvaient illustrer la civilisation berbère dans les siècles antérieurs à la conquête arabe, dans le but de fonder sur des bases solides ses demandes de reconnaissance des spécificités linguistiques et culturelles des Berbères, lourdement discriminés dans les pays d’Afrique du Nord qui avaient récemment obtenu leur indépendance dans un contexte idéologique fort enclin au panarabisme. Entre autres choses, l’Académie « découvrit » l’existence d’une dynastie de souverains égyptiens d’extraction libyque, et décida de célébrer cette manifestation si antique de la civilisation berbère en faisant de l’accession au pouvoir de cette dynastie le début d’une nouvelle « ère » servant au calcul des années d’une manière indépendante du calendrier « occidental » et du calendrier « islamique ».
Signalons au passage que, si l'on en croit Wikipédia ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Acad%C3%A ... rb%C3%A8re ), figurait parmi les fondateurs de l'Académie berbère de Paris, dissoute en 1978 après treize ans d'activité, un personnage évoqué il y a très longtemps sur le présent forum, à savoir le Kabyle Amar Naroun (1906-1988), proche du célèbre romancier français Roger Peyrefitte (1907-2000) qui l'évoque dans le tome premier de ses Propos secrets, Albin Michel, Paris 1977, notamment p. 132). Amar Naroun, pour avoir été député de Constantine de 1952 à 1955 (élu dans des conditions discutables; "élu préfabriqué", pour reprendre la formule de l'historien algérien Mohammed Harbi), a maintenant droit à une notice biographique sur le site Internet de l'Assemblée nationale française http://www2.assemblee-nationale.fr/syco ... dept)/5508 , mais on n'y trouve pas d'information sur son parcours, si ce n'est qu'il était journaliste. Charles-Robert Ageron, évoquant une première manifestation politique de Naroun en 1937, le décrit comme "citoyen français de confession catholique" (ici: https://books.google.ch/books?id=_xlQDw ... un&f=false ).
Dans les listes de musulmans algériens ayant été naturalisés français entre 1890 et 1911 selon la procédure prévue par le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 (ici: https://www.filae.com/v4/forums/recherc ... 96030.html ), je trouve un Ali ben Ali Naroun, instituteur à Aït-Laarba, né en 1861, naturalisé français en 1894, et que je suppose avoir été le père de notre Amar Naroun.

On trouve en vente, d'occasion sur Internet, une biographie de Ferhat Abbas qu'il avait publiée en 1961. Tout le monde reste très discret sur l'engagement de ce personnage aux côtés des nazis (Mohammed El Maadi, la Brigade nord-africaine, etc.). Personne ne le conteste, mais personne ne dit non plus jusqu'où il était allé. Je suppose qu'il ne doit quand même pas avoir porté les armes, parce que j'ai peine à croire qu'un "SS Mohammed" de 1944 aurait pu siéger en 1952 au parlement français.
Claude le Liseur
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Re: Prolégomènes à une histoire du christianisme en Afrique

Message par Claude le Liseur »

A propos de la discussion sans fin qui oppose la disparition précoce (deuxième moitié du XIe siècle) et totale du christianisme au Maghreb à sa survie au Machrek (et dans des proportions très appréciables jusqu'à la première Guerre mondiale), je pense que tout se ramène à un choix très simple.
Après le choc des invasions musulmanes au VIIe siècle, il fallait soit sauver sa langue, soit sauver sa religion.

Les populations restées chrétiennes au Levant, en Mésopotamie et en Egypte jusqu'à ce jour ont pour la plupart adopté l'arabe depuis fort longtemps. Les orthodoxes de ces régions utilisent l'arabe comme langue liturgique depuis le XIe siècle; les monophysites et les nestoriens conservent le copte et le syriaque dans la liturgie, mais sont essentiellement arabophones.

Les populations berbérophones d'Afrique du Nord ont apostasié le christianisme (dans la faible mesure de leur christianisation) dès la fin du VIIIe siècle, la survie du christianisme en Afrique du Nord jusqu'à la fin du XIe siècle me semblant surtout concerner les populations plus latinisées et hellénisées du littoral. Je me demande même si le groupe chrétien de Ouargla, attesté comme ayant vécu en bonne entente avec les musulmans kharidjites au Xe siècle, n'a pas été constitué par des réfugiés du littoral qui auraient trouvé refuge chez les kharidjites en plein Sahara, plutôt que par des autochtones.
On notera par exemple que lorsque le cadi de Marrakech a consulté Averroès au XIIe siècle sur le châtiment qu'il fallait infliger à un crypto-chrétien, celui-ci avait été surpris conservant chez lui des livres en latin - ce qui relève peu, on en conviendra, du milieu berbère.
En revanche, ces populations, qui ont été totalement islamisées dès le IXe siècle au point qu'aucun souvenir du passé chrétien n'y a subsisté, ont conservé leur langue sans problème majeur pendant une très longue période. Le processus d'arabisation a certes été accéléré par la modernité, mais les parlers berbères sont restés majoritaires en Algérie jusqu'au milieu du XIXe siècle et plus longtemps encore au Maroc. Il est fort possible qu'encore aujourd'hui, on rencontre en Algérie et au Maroc des personnes qui ne connaissent pas l'arabe (enfants non encore scolarisés et personnes ayant perdu leur bagage scolaire).

Ainsi, certains ont choisi de conserver leur foi chrétienne et de perdre leur langue, et d'autres de conserver leur langue et de perdre leur foi chrétienne. Il est dès lors piquant de voir aujourd'hui certains partis politiques islamistes algériens sommer les populations berbérophones d'abandonner au profit de l'arabe leur langue maternelle qui en ferait de mauvais musulmans. Comme si les Indonésiens, les Iraniens, les Pakistanais ou les Turcs n'étaient pas musulmans, eux qui ne parlent en général pas un traître mot d'arabe. Comme si les populations berbérophones du Maghreb n'avaient pas, depuis des siècles, donné des preuves irréfutables de leur attachement indéfectible à l'Islam et de leur haine tout aussi indéfectible des non-musulmans (depuis les assauts menés contre l'Espagne chrétienne par les dynasties berbères almoravide et almohade jusqu'au djihad mené par le FLN contre la France en Algérie entre 1954 et 1962 https://www.amazon.fr/dimension-religie ... +Vetillard , et qui s'appuyait avant tout sur les régions berbérophones).

On se demande dès lors si l'alternative n'était pas un faux choix, puisqu'il semble qu'en définitive, celui qui a choisi de perdre sa religion finira aussi par perdre sa langue.
Claude le Liseur
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Re: Prolégomènes à une histoire du christianisme en Afrique (II)

Message par Claude le Liseur »

Claude le Liseur a écrit : sam. 14 oct. 2006 20:14
J’ai aussi mentionné la présence éphémère du christianisme dans le Sahel subsaharien jusqu’au Xe siècle. Pierre Alexandre mentionne la possibilité de communautés chrétiennes dans le sud de l’actuelle Mauritanie jusqu’à cette époque (op. cit., p. 178), mais dans tous les cas il s’agissait de communautés berbères, et non noires : « On peut penser que, comme le judaïsme, le christianisme berbère a dû essaimer jusqu’au Soudan occidental, par les pistes commerciales sahariennes, mais on n’en a aucune preuve, les gardes d’épée en forme de croix, parfois mentionnées comme vestiges d’une influence chrétienne, correspondant surtout à une nécessité fonctionnelle » (op. cit., p. 170). Voire, voire… D’autres auteurs sont bien plus affirmatifs que le professeur Alexandre. Pour l’archiprêtre Jean Meyendorff, de l’Eglise orthodoxe en Amérique, « à l’exemple des tribus nubiennes, on voit naître plusieurs autres centres chrétiens parmi les populations nomades du Sahara, presque jusqu’à l’océan Atlantique, comme l’attestent des vestiges archéologiques, des livres liturgiques (en grec et en nubien) et des restes de vocabulaire chrétien dans le langage des Touareg. La victoire totale de l’Islam dans tout le Sahara pourrait bien ne dater que du XVe siècle » (donc cinq siècles plus tard que dans l’estimation du professeur Alexandre, NdL) (RP Jean Meyendorff, Unité de l’Empire, division des chrétiens, Le Cerf, Paris 1993, p. 138, traduit de l’anglais par Françoise Lhoest avec la collaboration de l’auteur).
En tout cas, les Touareg sont aujourd’hui de farouches musulmans ; la longue présence de Charles de Foucauld (un des pères des études touareg, au demeurant) parmi eux ne se traduisit par aucune conversion, même si l’assassinat du RP de Foucauld en 1916 est plus dû à des questions politiques (volonté de la Turquie de prendre la France à revers en suscitant des troubles dans le sud algérien) que religieuses.
On trouvera ici https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal ... 9/document un article de Dominique Casajus "Le peuple du voile, le prêtre Jean et L’Atlantide. Variations sur quelques stéréotypes", à l'origine publié dans un recueil de mélanges paru aux Editions Karthala, Paris 2016: Dominique Casajus; Guy Barthèlemy ; Mercedes Volait ; Sylvette Larzul ; L’orientalisme après la Querelle : Dans les pas de François Pouillon (pp. 141-157).

L'article est rédigé sur le ton faussement voltairien (et en réalité méprisant envers le christianisme et laudateur envers l'Islam) qui est de mise dans les milieux intellectuels français en ce début de IIIe millénaire, mais il a au moins le mérite de rappeler l'attachement farouche des Touareg à l'Islam que j'évoquais dans mon message du 14 octobre 2006 à 20h14, attachement encore montré par l'engagement récent de nombreux Touareg dans des mouvements salafistes et djihadistes en lutte contre les Etats malien et algérien, et de décortiquer les origines de cette croyance absurde selon laquelle les Touareg seraient de mauvais musulmans, qui remonte aux premiers contacts établis avec eux par des explorateurs français (publication du livre Les Touâreg du Nord par Henri Duveyrier en 1864).
Dominique Casajus fait justice, comme Pierre Alexandre en son temps, des fausses opinions attachées aux gardes d'épée en forme de croix. Toutefois - et ceci est un élément à mette en rapport avec la citation du Père Meyendorff sur les "restes de vocabulaire chrétien dans le langage des Touareg" - il admet qu'au moins un mot de leur langue ne peut s'expliquer que par des lointains rapports avec le christianisme.
En effet, en tamasheq, le mot pour dire "ange" est andjeloûs, "terme surprenant dans une langue où le vocabulaire religieux
est pour le reste d’origine arabe" (Casajus, p. 6).

Pour mémoire, le mot pour dire "ange" en arabe est ملاك mâlak. Andjeloûs sonne furieusement comme un angelus latin, encore plus que comme un ἄγγελος grec. Il est évident que les Touareg ne peuvent avoir reçu ce substantif ni de l'Islam, ni du judaïsme.

Cela ne suffit pas pour en faire des musulmans tièdes (et, a contrario, ce n'est pas parce que les orthodoxes de Syrie et du Liban utilisent exclusivement l'arabe dans leur vie religieuse qu'ils sont pour autant des chrétiens tièdes!).

En revanche, si l'on se place dans une perspective historique, cela indique qu'ils ont été, au moins en partie, christianisés, dans un passé impossible à dater plus précisément, et que le christianisme auquel ils ont été confrontés était d'expression latine. (Je ne vois pas tellement d'influence du grec liturgique ou du nubien liturgique comme évoqué par le Père Meyendorff.) Tout ceci nous renvoie directement à l'ancienne Eglise d'Afrique, laquelle n'a jamais eu le berbère comme langue liturgique (ce qui fut sans doute son erreur fatale, comme je le soutiens depuis 2006 et comme je suis loin d'être le seul à le soutenir).On notera que le fonctionnement cette ancienne Eglise d'Afrique, ce prestigieux siège de Carthage illustré par saint Cyprien, cette Eglise orthodoxe autocéphale de langue latine, a été magistralement analysée par un théologien roumain, le RP Nicolae Dură, dans un ouvrage directement publié en français à Bucarest en 1999, Le régime de la synodalité selon la législation canonique conciliaire, œcuménique, du Ier millénaire.

Depuis maintenant plus de douze siècles, les populations berbères, seules autochtones au Maghreb et dans le Sahara, connaissent une situation de diglossie harmonieuse, mais que certains partis politiques islamistes voudraient aujourd'hui réduire à néant, entre l'arabe, langue de leur religion, de leur culture savante et de leur ouverture sur le monde, et le berbère, langue de la vie quotidienne et d'une culture populaire particulièrement riche (poésie, chant et fables notamment). Il est fort probable qu'en d'autres temps, ces mêmes populations ont connu une diglossie entre le latin, qui occupait les fonctions aujourd'hui dévolues à l'arabe, et le berbère. Il est aussi fort probable que cette diglossie latin-berbère a été moins harmonieuse que la diglossie arabe-berbère, en raison de l'éloignement plus grand des deux langues. Il est enfin fort probable, encore, que le christianisme eût survécu au Maghreb s'il avait eu comme langue liturgique celle que parlait le peuple, comme en Arménie, en Géorgie, en Egypte, en Ethiopie ou en Syrie, au lieu de rester une réalité impériale et romaine plaquée sur une autre réalité tribale et berbère.

Ce qui reste mystérieux, c'est à quelle époque et dans quel lieu les ancêtres des Touareg ont été, au moins en partie, christianisés, ou ont été influencés par des chrétiens dont le latin était la langue liturgique, mais qui étaient vraisemblablement berbères. On peut supposer que les ancêtres des Touareg ont, il y a très longtemps, vécu beaucoup plus au nord, beaucoup plus près du Maghreb utile, beaucoup plus près du limes romain ou du limes byzantin, mais l'on peut aussi supposer, comme le font Pierre Alexandre et le RP Jean Meyendorff, que, au premier millénaire, le christianisme est descendu très au sud, très loin du limes.
Qu'il suffise de rappeler la conversion des Maures de Ghadamès sous Justinien ou des Garamantes du Fezzan sous Justin II, ou l'épisode, évoqué par Charles-Emmanuel Dufourcq, du cadi de Marrakech consultant, au XIIe siècle, Ibn Rushd (Averroès) sur le châtiment à infliger à un nouveau musulman soupçonné de pratiquer le christianisme en secret.. et chez qui on avait trouvé des livres en latin ( à lire en ligne ici: https://www.persee.fr/doc/shmes_1261-90 ... t_9_1_1287 ; Charles-Emmanuel Dufourcq, "La coexistence des chrétiens et des musulmans dans Al-Andalus et dans le Maghrib du Xe siècle", in Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 1978, 9 , pp. 209-224 ; anecdote contée pp. 214-215) .

Je le répète, qu'on ne se méprenne pas sur ma démarche. Je ne marche pas sur les traces des explorateurs et militaires français du XIXe siècle qui ont cru que les Kabyles ou les Touareg de leur époque auraient été des musulmans tièdes. Et un tel fantasme trouverait encore moins d'aliments de nos jours, au vu du nombre de Kabyles, de Touareg et d'autres berbérophones qui ont égorgé, éventré, mutilé, abattu ou déchiqueté à l'explosif des non-musulmans depuis le 8 mai 1945 jusqu'à ce jour, en particulier en Algérie (jusqu'à la fuite éperdue de toute la population juive et chrétienne en 1962), au Mali, en France et en Belgique - pour ne pas parler de tous ceux qui sont allés brûler, égorger, fusiller, des musulmans hérétiques ou simplement modérés dans les rangs des glorieuses cohortes de Daesh en Iraq et en Syrie. Je veux juste souligner qu'une analyse dépassionnée de l'Histoire nous montre que le christianisme - orthodoxe ou donatiste - et la culture d'expression latine ont probablement, à une époque, rayonné sur tout le nord-ouest de l'Afrique, très au sud de l'ancienne province romaine d'Africa.

Aujourd'hui, au contact direct de la République islamique de Mauritanie, une ville du nord du Sénégal porte encore un nom qui évoque le christianisme : Saint-Louis-du-Sénégal, fondation du colonialisme français en 1659. De nos jours, la ville est, comme le Sénégal lui-même, à majorité musulmane. Mais le Sénégal reste (encore) une république francophone, laïque, tolérante et négro-africaine. Le christianisme y est pratiqué librement, sans la persécution qui commence dès la Mauritanie et se poursuit au Maroc, en Tunisie, en Algérie, en Libye (et d'une autre manière en Egypte). Saint-Louis est toujours le siège d'un diocèse catholique romain. On sait que c'est non loin de là, en actuel territoire mauritanien, que s'élevait le ribat (couvent soufi fortifié) d'où le Berbère sanhadja Abdullah Ibn Yassin lança le vaste djihad qui, en mettant à bas les faibles royaumes de taifas, devait ravager l'Espagne chrétienne et aboutir au vaste Empire des Almoravides. Ceci se situait vers 1040.

Et bien, il me plaît à imaginer, moi, que trois ou quatre siècles avant Abdullah Ibn Yassin, ces parages du fleuve Sénégal, non loin de l'actuelle Saint-Louis dont le nom rappelle la vocation chrétienne, virent passer des Berbères chrétiens, missionnaires, marchands ou nomades, dont l'un ou l'autre devait bien porter avec lui un livre liturgique en latin, tout en chantant des poèmes qui ne devaient pas être très différents de ceux des berbérophones d'aujourd'hui. Ce que nous savons du passé des Touareg, et ce que nous savons du passé d'une ville de Marrakech, m'autorise à l'imaginer sans trop m'éloigner de la réalité. Cette histoire a été entièrement effacée de la mémoire des hommes, mais elle n'en est pas moins fascinante.

Il reste toutefois une question, qui n'a aucun rapport avec le christianisme, mais bien avec l'histoire des Berbères. Comment se fait-il que, seuls parmi tous les peuples berbérophones, les Touareg aient toujours gardé l'usage des tifinagh, cette écriture qui semble avoir été utilisée, dans les temps antiques, sur la côte méditerranéenne du Maghreb ? Ecriture, qui, longtemps recluse parmi les Touareg du Sahara, a connu une prodigieuse renaissance depuis les années 1960 grâce aux travaux de l'Académie berbère de Paris déjà évoquée sur ce forum et grâce à ceux du professeur Salem Chaker de l'INALCO, est aujourd'hui fréquemment utilisée dans la signalétique au Maroc et en Algérie, et est même enseignée à l'école au Maroc.
Claude le Liseur
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Re: Prolégomènes à une histoire du christianisme en Afrique

Message par Claude le Liseur »

Article "Angelos" du professeur Salem Chaker (INALCO) dans l'Encyclopédie berbère (en ligne ici: file:///C:/Users/CL/Downloads/encyclopedieberbere-2507.pdf . Il voit dans ces emprunts au latin liturgique la preuve que les ancêtres des Touareg auraient vécu plus au nord. Je rappelle toutefois qu'il existe beaucoup d'éléments pour penser que le christianisme d'expression latine est descendu très au sud.
1 Terme d’origine latine : angelus « ange », lui-même du grec αγγελοσ. En latin, il appartient
spécifiquement à la langue de l’église chrétienne (Ernout-Meillet, p. 32).

2 On le retrouve, souvent en tant que forme vieillie, dans presque tous les dialectes
berbères du groupe « oriental » : Tunisie, Libye, touareg, Ouargla-Mzab... avec les formes
et significations suivantes :
- Touareg : ăngelus (pl. ingelusen ) : « ange » (Foucauld, III, p. 1332) et ăngelos (pl. ăngălosen)
(Alojaly, p. 142).
- Ghadames : angalūs = « esprit, inspiration » (vieilli) (Lanfry, n° 1125, p. 240).
- Tunisie (Matmata/Tamezret) : anglus/tanglust = jeune homme/jeune fille (Provotelle, p. 7
et 10, Stumme, 1900).
- Mzab : anğelus =« enfant en bas âge, esprit, être surnaturel » (vieilli) (Delheure, 1985, p.
135).

3 Sa localisation actuelle reflète l’influence particulièrement forte qu’a dû exercer la
culture latine et surtout le christianisme dans la zone concernée (Tunisie, Tripolitaine,
nord-est du Sahara).

4 Angelus appartient d’ailleurs à une constellation de lexèmes d’origine latino-chrétienne
passés en berbère, attestés en touareg : émerkid : « grâce » (lat. mercēdis, mercēdem) ;
abekkaḍ : « péché » (lat. peccātum) (Foucauld, I, p. 52 et III, p. 1127 ; Alojaly, p. 6 et 131 /
Ernout-Meillet, p. 400 et 491) auquel on doit rajouter l’emprunt pan-berbère : tafaska
« fête religieuse », du latin pascha, lui-même de l’hébreu à travers le grec (Ernout-Meillet,
p. 486).

5 Ces traces de contacts linguistiques latin/touareg confirment la localisation
anciennement plus septentrionale des Touaregs. Les auteurs arabes du Moyen Age,
notamment Ibn Khaldoun, situent explicitement les ancêtres des Kel Ahaggar (Hawwara/
Huwwara = Ihaggaren) en Tripolitaine :
« Au début de la conquête [arabe], le groupe des Hawwāra [...] habitait la région de
Tripoli et Barqa, ainsi que le rapportent al-Mas’udi et al-Bakri. Ces tribus étaient
soit sédentaires soit nomades. Certaines d’entre elles traversèrent les sables pour
pénétrer en plein désert. Elles s’établirent auprès des Lemta qui sont des
mullaṯṯemîn [ = porteurs de voile]. (Histoire des Berbères, I, p. 275).



BIBLIOGRAPHIE
ALOJALY Gh., Lexique touareg-français, Copenhague, 1980.
DELHEURE J., Dictionnaire mozabite-français, Paris, 1985.
ERNOUT A.et MEILLET A., Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, 1985 (4e
éd.).
FOUCAULD Ch. (de), Dictionnaire touareg-français, Paris, 1951-52.
IBN KHALDOUN, Histoire des Berbères... (trad, de Slane), Paris, 1925, vol. I.
LANFRY J., Ghadames, II, FDB, 1973.
PROVOTELLE Dr., Étude sur la tamazight ou zenatia de Qalaât Es-sened, Paris, 1911.
STUMME H., Märchen der Berbern von Tamazratt in Süd Tunisien, Leipzig, 1900.
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