Je ne vois pas, de plus, en quoi le fait que la Création devienne « un univers transitoire et provisoire », c'est-à-dire, pour le reformuler, un univers où l’entropie l’emporte sur la création et le maintien de structures complexes est plus économique, au sens de l’économie divine, que la création primitive que vous suggérez à partir de Genèse 2 et sq. Et je vais même aller plus loin dans ce qui vous paraîtra sans doute « théologiquement incorrect ». Si la mort, grâce à sa généralisation à une Création qui n’en demandait pas tant, n’est « plus l’abominable anéantissement qui aurait du résulter de la faute des Ancêtres », c’est un échange pour une épée de Damoclès non négligeable, celle de la souffrance pour l’éternité… Oups ! Et puis, au fait, la mort est-elle vaincue pour les souris, les éléphants, les chênes, les sauterelles… dans votre « univers provisoire et transitoire » ? Si c’était vraiment une histoire historique dans laquelle les descendants d’un premier couple et même toute créature de leur environnement seraient héritiers d’une condamnation pareille, mais quel est ce Dieu capable dès l’origine d’un tel décret ? Et s’il n’a pas créé la mort, qui l’a fait ? Anankê, à qui même les dieux sont soumis ? Je sens là comme une pointe soit de paganisme, soit d’augustinisme et cela, je ne peux l’admettre. Et ce n’est pas ce que j’ai lu ni chez les Pères ni chez les théologiens orthodoxes plus récents.
En ce qui concerne Genèse 2 à 6, le texte n’a pas été modifié, sauf par l’adjonction de points-voyelles. Mais justement, Paul Nothomb utilise le texte consonantique, sans ce rajout. La langue, considérée comme de l’hébreu archaïque, est en fait du pur chaldéen. Les Massorètes ne l’ont pas modifié parce que c’est une langue qu’ils ne parlaient plus et ça se serait vu comme le nez au milieu de la figure.
Quand je suivais des cours de grec au lycée, c’est une langue que j’aimais profondément. Mais la façon dont vous en parlez me donne envie de me mettre au chinois. Je m’explique. J’ai le sentiment que, pour vous, il y a une langue préparée et inspirée par l’Esprit, le Grec, avec trois majuscules si possible, et puis les autres, bonnes pour les poubelles de l’histoire. A la rigueur, par économie sans doute ?, on les accepte comme langues liturgiques… Ce n’est pas ce que je tire du récit de la Pentecôte en Actes, 2.
Mais même si vous rejetez avec mépris le bereshit pour en arkhé, si vous préférez traduire par « dans le principe » plutôt que par « en tête », cela repose la question : qu’est-ce que ce principe ? Qu’est-ce qu’un principe ? Ouvrons un vieux Larousse, de ceux qui avaient encore des définitions qui tenaient debout :
Je n’ai sauté qu’un exemple qui sentait un peu trop son anti-calotin de l’entre-deux-guerres. Si l’on excepte les atomes (et encore, il y aurait à dire !), nous sommes entièrement dans le domaine de la pensée, de la raison, du comportement, c'est-à-dire du rapport au monde.Principe : début, origine (…) ; première cause, raison ; base, source : le travail est le principe de toute richesse. Elément, matière essentielle : les atomes sont les principes des corps. Agent naturel : le principe de la chaleur. Opinion, manière de voir : rester fidèle à ses principes. Loi : principe d’Archimède. Proposition qui sert de fondement à d’autres. Pl. Premières règles d’une science, d’un art, etc. : principes de géométrie. Règles de morale : avoir des principes.
Mais parler de rapport au monde n’est pas se confiner à ce qui serait « en représentation et en intention ». C’est le regard qui colore le réel et qui, de ce fait, oriente et même détermine souvent le comportement concret. Partir d’un comportement redressé pour redresser le regard est une thérapie très efficace.
Il n’empêche que le Christ lui-même parle de ce qui se passe « en représentation et en intention » quand il signale que désirer la femme du voisin, c’est avoir déjà commis l’adultère dans son cœur. La garde du cœur, la garde des pensées, on la retrouve toujours, que ce soit dans les Evangiles ou dans la tradition ascétique de l’Eglise.