une prière en komi, legs missionnaire de l'ancienne Russie

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Claude le Liseur
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une prière en komi, legs missionnaire de l'ancienne Russie

Message par Claude le Liseur »

J'ai ici le plaisir de reproduire la prière du Seigneur (le Notre Père) en komi zyriane (ou zyriène), dans la traduction de saint Etienne de Perm (Стефан Пермский en russe, Стефан Пермскöй en komi, 1340-1396), transcrite, à partir de l'écriture permienne inventée par le saint au XIVe siècle, en cyrillique komie par Georges. S. Lytkine (1835-1907) en 1884. (Pour un post sur le présent forum donnant un lien vers un site Internet qui reproduit une police de caractères dans l'alphabet inventé par saint Stéphane de Perm, cf. viewtopic.php?t=1859 .) La langue moderne est quelque peu différente, mais je reproduis cette traduction pour rendre hommage à l'évangélisateur de la Grande Permie. Comme on le voit, le komi est très facile à lire, puisqu'il est écrit dans les mêmes caractères cyrilliques que le russe, avec adjonction des deux lettres ö (à peu près la même valeur qu'en allemand) et і (i après consonne dure). Il est vrai que l'alphabet cyrillique se prête merveilleusement – beaucoup mieux que l'alphabet latin – à la transcription d'un grand nombre de langues.

Айö міян
Вел тыдалан інын вöлысьö,
Мед вежасяс нимыд,
Мед воас каналöмыд,
Медь воас гажыд
Кучöмкö вел тыдалан інысын му вылын.
Тапыря міян няньöс сет міянлы талун;
Энолт міянлы мыжъяснымöс
Кыдзи мі энолтамным мыжаяснымлы;
Ен пырт міянöс бöрясян пычкö,
Кыдзкö мынты міянöс варкöслысь.

Notre Père
Qui es aux cieux
Que ton nom soit sanctifié
Que ton règne vienne
Que ta volonté soit faite
Au ciel comme sur la terre.
Donne-nous aujourd'hui notre pain substantiel.
Remets-nous nos dettes
Comme nous aussi, nous les remettons à nos débiteurs.
Et ne nous laisse pas choir dans l'épreuve,
Mais délivre-nous du Malin.

Source du texte zyriane: Yves Avril, Parlons komi, L'Harmattan, Paris 2006, p. 161; je recommande l'achat de ce livre à toutes les personnes qui sont intéressées par l'aventure des missionnaires orthodoxes dans le Grand Nord. D'abord, il faut saluer le courage de l'éditeur et du directeur de collection (M. Michel Malherbe) d'avoir ainsi publié une monographie sur une langue qui n'intéressera hélas pas un grand public, et il faut remercier M. Avril, savant spécialiste de plusieurs langues finno-ougriennes (finnois, estonien, hongrois et oudmourte) et baltes (letton) d'avoir livré au public francophone un travail précieux sur une langue et une culture méconnues. Avec la modestie d'un vrai savant, M. Avril prétend qu'il a été motivé dans la rédaction de ce livre remarquable par la découverte de l'existence d'un club Jeanne d'Arc et d'une classe de français dans une école de Glotovo, en république des Komis, à plus de mille kilomètres de Saint-Pétersbourg.

Tous les livres d'introduction à l'Orthodoxie, y compris le Que sais-je? du professeur Olivier Clément, mentionnent le labeur missionnaire de saint Etienne auprès des Zyrianes de la Grande Permie, qui fut la première entreprise missionnaire de l'Eglise orthodoxe russe. Véritable saints Cyrille et Méthode en une seule personne, saint Etienne traduisit – à partir du texte original grec, et non de la traduction slavonne - les rites et le Nouveau Testament en komi zyriane dans un alphabet qu'il avait inventé pour cette occasion. Il est bon de se le rappeler, à l'heure où l'on entend dire, à Paris ou à Genève, que l'on ne peut prier Dieu qu'en slavon ou en roumain (elles-mêmes langues de traduction!) et où le seul missel bilingue grec-français, publié à Chambésy en 1986, contient, en regard du texte grec original de la sainte et divine Liturgie de saint Jean Chrysostome, une version française qui n'est même pas la traduction de celui-là.

L'œuvre de saint Etienne de Perm a failli être emportée à deux reprises. D'abord, entre le XVe et le XVIIe siècles, dans la vague de messianisme national que connut l'Eglise en Russie, l'usage du komi fut petit à petit abandonné au profit du slavon et d'une politique de russification et d'assimilation forcée. C'est au XIXe siècle que cette œuvre longtemps oubliée porta en fait le plus de fruits: plus de quatre siècles après sa mort, saint Etienne apparut comme le précurseur de l'œuvre missionnaire considérable que l'Eglise de Russie allait entreprendre auprès de diverses populations de l'Empire russe (Estoniens, Iakoutes, peuples de l'Altaï), puis en Chine et au Japon. C'est ainsi que, dès 1843, le séminaire de Vologda donna des cours de komi aux étudiants qui se destinaient à servir comme prêtres au pays des Zyrianes (cf. http://www.erm.ee/?node=243 ). A la fin du XIXe siècle, les Komis zyrianes étaient sans doute le peuple finno-ougrien le plus orthodoxisé, puisque le recensement de 1897 trouvait parmi eux 98,5% d'orthodoxes et 1,5% de vieux-croyants; le seul fait qu'il y avait des starovères, et ce dans une proportion probablement plus élevée que les 15 pour 1'000 du recensement, est un indice d'enracinement de la foi orthodoxe. Avant la Révolution de 1917, le territoire de l'actuelle République des Komis comptait 117 églises orthodoxes et 200 chapelles pour une population de moins de 180'000 âmes (88% de Komis et 12% de Slaves), qui plus est dispersée sur une superficie de 416'000 km2. Pas moins de 37 églises étaient consacrées à saint Etienne de Perm (cf. Avril, op. cit., p. 128).

Cette œuvre considérable a été détruite une seconde fois sous le régime soviétique, qui a pratiquement mis fin à toute vie religieuse organisée dans cette région. En outre, la République des Komis, gorgée de ressources naturelles (charbon, pétrole, gaz naturel, bois) a été l'un des centres majeurs du système du Goulag, les prisonniers politiques et autres victimes du communisme fournissant une main d'œuvre corvéable à merci pour le gigantesque bassin houiller de Vorkouta. Comme la mortalité était élevée, on ajouta aux prisonniers politiques ou aux ennemis de classe ou religieux indésirables dans le paradis marxiste des prisonniers de guerre soviétiques libérés par la Finlande (le régime soviétique ne reconnaissant pas les conventions de Genève, même à l'égard de ses propres ressortissants), des dizaines de milliers de Polonais et de Baltes raflés après le pacte germano-soviétique, des prisonniers de guerre allemands, des Chinois… "Dans les années 1940, l'ensemble atteignait 150'000 détenus et produisait annuellement 190'000 tonnes de charbon." (Avril, op. cit., p. 130.) On se doute que la présence d'un pareil système concentrationnaire peut avoir des effets irrémédiables pour la déstructuration d'une société.

Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que le peuple komi ait manifesté peu de vitalité au cours du XXe siècle. Alors que les Komis étaient quelque 140'000 en 1897 (dont 128'000 sur le territoire de l'actuelle République des Komis), ils sont aujourd'hui environ 262'000, dont 232'000 dans leur République. Certes, un quasi-doublement de la population en un siècle est une performance qui aurait de quoi faire rêver des peuples comme les peuples allemand ou français, qui sont en état d'atonie démographique depuis des décennies, mais il ne faut pas oublier que, dans le même temps, la seule capitale de la République des Komis, Syktyvkar, qui s'appelait Oust-Sysolsk jusqu'en 1930, est passée de 3'500 à 230'000 habitants!

La mise en valeur des immenses richesses de la République des Komis et l'immigration qu'elle a entraînée font que les Komis ne représentent plus aujourd'hui qu'un quart (et même moins: on serait autour de 23%) de la population de ce territoire. Il n'est toutefois pas sûr que l'œuvre de saint Etienne de Perm ne connaîtra pas une nouvelle renaissance, puisque, depuis 1997 environ, l'évêque de Syktyvkar, diocèse qui relève du patriarcat de Moscou, Mgr Pitirim (dans le monde Paul Volotchkov, né le 2 février 1961, évêque de Syktyvkar et Vorkouta depuis le 19 décembre 1995) essaie de relancer l'usage liturgique du komi et incite ses prêtres à apprendre cette langue. "Dans le diocèse de Syktyvkar (dans la République des Komis, au nord de l'Oural), l'évêque Pitirim demande à tous les prêtres d'apprendre la langue komi", nous apprend Mme Irène Séménoff-Tian-Chansky, in Printemps de la foi en Russie, Editions Saint-Paul, Versailles 2000, p. 55.

Quoiqu'il en soit, même si certains intellectuels komis aiment à glorifier la figure du chaman Pam, l'adversaire de saint Etienne, et même si la tradition orthodoxe zyriane est toujours restée imprégnée de restes plus ou moins folkloriques de l'ancien paganisme finno-ougrien (mais l'Eglise, par tradition, n'est pas inquisitrice), je vois peu de peuples parmi lesquels la figure d'un saint orthodoxe joue un rôle aussi important – encore plus important que saint Etienne le Grand parmi les Roumains. Les lecteurs de l'ouvrage de M. Yves Avril ne pourront que constater l'omniprésence de saint Etienne de Perm, véritable figure tutélaire de cette petite nation, dès lors qu'il est question de la langue et de la culture des Komis.

On voit ainsi que le premier évêque de Perm n'est pas simplement une figure pour les manuels d'histoire de l'Eglise ou l'image d'un idéal rendu actuellement inaccessible par le phylétisme et le chauvinisme pseudo-religieux qui font obstacle à toute entreprise missionnaire, mais qu'il représente bien un héritage encore vivant et qui imprègne la vie d'un peuple, certes peu nombreux, mais tout de même un peuple: le legs missionnaire de l'ancienne Russie.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Claude le Liseur a écrit :Quoiqu'il en soit, même si certains intellectuels komis aiment à glorifier la figure du chaman Pam, l'adversaire de saint Etienne, et même si la tradition orthodoxe zyriane est toujours restée imprégnée de restes plus ou moins folkloriques de l'ancien paganisme finno-ougrien (mais l'Eglise, par tradition, n'est pas inquisitrice), je vois peu de peuples parmi lesquels la figure d'un saint orthodoxe joue un rôle aussi important – encore plus important que saint Etienne le Grand parmi les Roumains. Les lecteurs de l'ouvrage de M. Yves Avril ne pourront que constater l'omniprésence de saint Etienne de Perm, véritable figure tutélaire de cette petite nation, dès lors qu'il est question de la langue et de la culture des Komis.
La dépêche suivante, publiée hier sur le site orthodoxie.com, laisse en effet supposer que saint Étienne de Perm reste la "figure tutélaire" du peuple zyriane http://www.orthodoxie.com/2009/09/russi ... saint.html :
Le conseil d'État du gouvernement russe de Komi a transmis ses conclusions quant à la dénomination d'un pic de l'Oural qui prendra le nom de saint Étienne de Perm. Le sommet est situé à un carrefour de routes touristiques.
NdL: Par "gouvernement russe de Komi", il faut naturellement comprendre "gouvernement de la république des Komis".
J-Gabriel
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saint Etienne de Perm

Message par J-Gabriel »

Ah des témoignages comme ça on voudrait en entendre tous les jours. Merci de l’avoir partagé, gloire à Dieu.
J’ai lu plusieurs livres d’introduction à l’Orthodoxie, et quoique ce nom me dise quelque chose dans l’immédiat, je n’avais malheureusement pas prêté attention à saint Etienne de Perm et ses actions.

J’en profite aussi pour vous demander pour quel raison il y a une différence si radicale de traduction avec le prénom Ştefan, Stefan, Стефан (en roumain, slave) de sa version française Etienne ?
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

C'est une évolution linguistique à partir du bas-latin. On retrouve la tendance à rajouter la voyelle "e" devant la double consonne st. On a donc une forme intermédiaire prononcée Estephanus, puis la chute de la finale non accentuée, donc Estephan', dont il reste la forme espagnole Esteban. Ensuite, le ph s'est mouillé, le e et le a se sont confondus, d'où la forme Estienne. Enfin vers le XVIIIe siècle le s est tombé à son tour.

Cette évolution n'a pas eu lieu dans les langues germaniques, d'où les formes Stephen, Steven, etc.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Anne Geneviève a écrit :C'est une évolution linguistique à partir du bas-latin. On retrouve la tendance à rajouter la voyelle "e" devant la double consonne st. On a donc une forme intermédiaire prononcée Estephanus, puis la chute de la finale non accentuée, donc Estephan', dont il reste la forme espagnole Esteban. Ensuite, le ph s'est mouillé, le e et le a se sont confondus, d'où la forme Estienne. Enfin vers le XVIIIe siècle le s est tombé à son tour.

Cette évolution n'a pas eu lieu dans les langues germaniques, d'où les formes Stephen, Steven, etc.
Cette évolution n'a pas non plus eu lieu en italien, où les mots qui ont hérité du latin une initiale en -st sont relativement fréquents, alors qu'ils sont rares en français et inexistants en castillan. Le Stefano italien continue à s'opposer à Esteban et à Etienne...
Dans son Manuel pratique de philologie romane, tome II, Picard, Paris 1971, p. 19, le professeur Pierre Bec indique que la chute du s préconsonantique est un trait caractéristique de la phonétique française, consacré dès la fin du XIIIe siècle. (Encore un livre remarquable sur le plan technique, mais que l'on ne peut plus lire sans sourire lorsque l'auteur se livre à des prévisions démolinguistiques: sa sous-estimation du nombre des francophones, par rapport à la réalité que l'on peut constater près de 40 ans plus tard, montre une fois de plus que la prédiction est un art difficile...)


Mais notre savant philologue avait beaucoup plus développé la question dans le tome I de son Manuel pratique de philologie romane (Picard, Paris 1970, p. 101), et je pense que c'est au professeur Bec que revient le dernier mot quant à la très intéressante question posée par Jean-Gabriel et à laquelle Anne-Geneviève a fort justement répondu:

«Le lat. vulg. a développé d'assez bonne heure une voy. adventice, dite prothétique, devant le groupe initial s+ cons. (ou z des mots grecs): il s'agit d'un procédé euphonique qui ressortit, au moins au départ, à la phonétique syntaxique. Cette voy. est d'abord i, puis e. Les attestations épigraphiques sont assez peu nombreuses, mais on trouve déjà à Pompéi: Ismurna (= Smyrna) , à Rome (a. 105): Izmara(g)dus (=Smaragdus). A basse époque, le phénomène se poursuit, et, déjà, les textes provenant de Gaule semblent plus favorables à la prothèse que ceux d'Italie.

En outre, étant donné le polymorphisme spiritus-ispiritus, stratum-istratum, des formes secondaires sans voy. initiale se sont multipliées comme: Spania (=Hispania) , storia (=historia ), strumentum (=instrumentum); autrement dit, la généralisation de la prothèse a eu pour conséquences des confusions entraînant le phénomène inverse, l'aphérèse. On voit que l'it. coontinue les formes ci-dessus: Spagna, storia, strumento.

Pour ce qui est de ces phénomènes, on retrouve encore la grande division est-ouest de la Romania: l'ouest généralise la prothèse (cf. esp. espiritu, espada, escuela; ptg. espirito, espada, escola, cat. occ. esperit, espasa, escola; fr. esprit, épée, école < lat. SPIRITUS, SPATHA, SCHOLA >, l'est généralisant les formes réduites (cf. it. spirito, spada, scuola, roum. spată, şcoală). Le rhét. marche de pair avec l'est (cf. spert, spada, scola), le sarde avec l'ouest (ispada, iscola). L'it. admet toutefois encore la prothèse euphonique (cf. in iscuola, per isposa, con istudio, per ischerzo, etc.) et des restes de l'ancienne voy. d'appui sont encore visibles dans différents dialectes.

Ce double mouvement de prothèse et d'aphérèse explique la réduction, en it., du suff. EX- à s- devant cons.: cf. EXCOOPERIRE > scoprire, EXCALDARE > scaldare. On aura de même: AESTATE > state; AESTIMARE > stimare, et même spedale < *HOSPITALE (par suite de mécoupure d'article: l'ospedale > lo spedale). »

Je reproduis ces quelques lignes éclairantes du professeur Bec en pensant à un prêtre catholique romain qui, le premier, avait attiré mon attention sur ce phénomène en 1993 (mais qui, contrairement au professeur Bec, rappelait que, par rapport à ce phénomène, le français occupait une position intermédiaire entre l'italien et les langues ibéro-romanes, puisqu'il tolère encore un certain nombre de mots commençant en -st).
Claude le Liseur
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Re:

Message par Claude le Liseur »

Claude le Liseur a écrit :
(...)


Mais notre savant philologue avait beaucoup plus développé la question dans le tome I de son Manuel pratique de philologie romane (Picard, Paris 1970, p. 101), et je pense que c'est au professeur Bec que revient le dernier mot quant à la très intéressante question posée par Jean-Gabriel et à laquelle Anne-Geneviève a fort justement répondu:

«Le lat. vulg. a développé d'assez bonne heure une voy. adventice, dite prothétique, devant le groupe initial s+ cons. (ou z des mots grecs): il s'agit d'un procédé euphonique qui ressortit, au moins au départ, à la phonétique syntaxique. Cette voy. est d'abord i, puis e. Les attestations épigraphiques sont assez peu nombreuses, mais on trouve déjà à Pompéi: Ismurna (= Smyrna) , à Rome (a. 105): Izmara(g)dus (=Smaragdus). A basse époque, le phénomène se poursuit, et, déjà, les textes provenant de Gaule semblent plus favorables à la prothèse que ceux d'Italie.

En outre, étant donné le polymorphisme spiritus-ispiritus, stratum-istratum, des formes secondaires sans voy. initiale se sont multipliées comme: Spania (=Hispania) , storia (=historia ), strumentum (=instrumentum); autrement dit, la généralisation de la prothèse a eu pour conséquences des confusions entraînant le phénomène inverse, l'aphérèse. On voit que l'it. coontinue les formes ci-dessus: Spagna, storia, strumento.

Pour ce qui est de ces phénomènes, on retrouve encore la grande division est-ouest de la Romania: l'ouest généralise la prothèse (cf. esp. espiritu, espada, escuela; ptg. espirito, espada, escola, cat. occ. esperit, espasa, escola; fr. esprit, épée, école < lat. SPIRITUS, SPATHA, SCHOLA >, l'est généralisant les formes réduites (cf. it. spirito, spada, scuola, roum. spată, şcoală). Le rhét. marche de pair avec l'est (cf. spert, spada, scola), le sarde avec l'ouest (ispada, iscola). L'it. admet toutefois encore la prothèse euphonique (cf. in iscuola, per isposa, con istudio, per ischerzo, etc.) et des restes de l'ancienne voy. d'appui sont encore visibles dans différents dialectes.

Ce double mouvement de prothèse et d'aphérèse explique la réduction, en it., du suff. EX- à s- devant cons.: cf. EXCOOPERIRE > scoprire, EXCALDARE > scaldare. On aura de même: AESTATE > state; AESTIMARE > stimare, et même spedale < *HOSPITALE (par suite de mécoupure d'article: l'ospedale > lo spedale). »
Au passage, le groupe initial s + consonne est appelé, dans le contexte de la la grammaire italienne, s impur par les grammairiens de langue française - S complicata, S impura ou S preconsonantica pour les grammairiens de langue italienne, appelant l'article lo (cf. Georges Ulysse, Pratique de l'italien de A à Z, Hatier, Paris 2003, p. 295; Marie-Line Cassagne, Les clés de l'italien moderne, Ellipses, Paris 2010, p. 21). Ce qui prouve bien que cette combinaison reste difficile à digérer, même pour une des rares langues latines qui l'admet.
Claude le Liseur
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Re: une prière en komi, legs missionnaire de l'ancienne Ru

Message par Claude le Liseur »

Je fais remonter ce fil, le Notre Père en gagaouze me semblant appeler un Notre Père en komi... car le grec et le slavon n'ont pas le monopole de l'Orthodoxie.
Claude le Liseur
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Re: une prière en komi, legs missionnaire de l'ancienne Russie

Message par Claude le Liseur »

Désormais en libre accès sur Internet, un article d'Eva Toulouze assez élogieux quant à l'activité missionnaire de saint Etienne de Perm (source : https://books.openedition.org/pressesinalco/403?lang=it ) :
Au xive siècle, Moscou rivalise avec Novgorod dans la région : elle l’emportera de jure en 1471 (Lallukka 1992, p. 20) ; un épisode important de cette pénétration russe est l’évangélisation des Komis, entreprise par un ecclésiastique, Étienne de Permie. Originaire du nord de la Russie et, sans doute, parlant komi, il se prépare systématiquement à sa mission. Nous avons pratiquement une source d’époque, une hagiographie d’Étienne – qui sera par la suite canonisé –, par un ses camarades de séminaire, Épiphane, dit le Sage, dans la ville mixte komi-russe d’Ust’-Vym’. Il n’en reste pas moins que quelques mystères subsistent, dont la clé n’est pas donnée dans les écrits d’Épiphane le Sage. Par exemple : Étienne était-il russe, comme les sources le laissent supposer ? S’il n’était pas Komi, comment pouvait-il connaître cette langue ? Clairement, il la maîtrisait, mais était-ce sa langue maternelle, ou bien l’avait-il apprise en ville étant enfant ? Et encore : qui était ce mystérieux Pam, qui, d’après Épiphane, lui dispute l’autorité sur les Komis et sort vaincu de la confrontation, de sorte qu’Étienne peut continuer à convertir les Komis et à construire des églises ? Était-ce un chef militaire ? Un chamane ? Toujours est-il que la réussite de l’entreprise d’Étienne a une incidence considérable sur l’avenir de la culture komie : dès sa période de séminaire il avait commencé à traduire en komi les textes sacrés et il avait inventé un alphabet ad hoc, inspiré du vieux slavon, et, peut-être, de marques signifiantes de propriété des anciens Komis (Lytkin 1952, p. 26). Cette écriture nous est restée dans un certain nombre d’inscriptions d’icônes, ce qui a permis à Vasilij Lytkin de la déchiffrer et de nous donner ainsi un corpus d’ancien komi. Utilisée uniquement dans les monastères, cette écriture se dégrade peu à peu, d’autant que rares devaient être les scribes connaissant la langue à laquelle elle se rapportait, et au xviie siècle le komi est déjà passé au cyrillique.
L’œuvre missionnaire d’Étienne de Permie, qui a été nommé en 1383 premier évêque de Permie, a porté davantage de fruits que les missions plus tardives dans les terres finno-ougriennes de Russie centrale : l’orthodoxie est aujourd’hui partie intégrante de l’identité komie. Contrairement à la situation dans les régions du bassin de la Volga, où les souvenirs de l’animisme traditionnel demeurent plus ou moins vivants et où l’orthodoxie, même si elle a été adoptée à la longue, est fortement métissée d’animisme, chez les Komis la mémoire de la vision du monde de ceux qu’Étienne avait rencontrés s’est estompée. Elle s’est sans doute maintenue dans des domaines que le christianisme orthodoxe n’a que peu touchés, parce qu’ils échappaient au religieux proprement dit : dans les pratiques et dans l’éthique de la chasse par exemple (Konakov 1998, pp. 74-78). D’après Frank, il y a autant de Komis ayant préservé les anciennes croyances que de Russes dans la même position (Frank 1991, p. 172). Mais les villages komis, profondément enracinés dans le christianisme – orthodoxes ou vieux croyants – ont préservé tout au long de la période soviétique leur dévotion, alimentée surtout par les femmes (cf. Art Leete, ici, p. 155 ; cf. aussi, pour un épisode de l’époque soviétique attestant la dévotion des Komis, Colarz 1961, p. 82).
On a déjà évoqué ici une autre population non slave de la Fédération de Russie chez qui le christianisme orthodoxe est bien enraciné: les Tchouvaches de la Volga.
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