Galimatias ou salade niçoise?
Publié : lun. 18 déc. 2006 22:04
L'excellent forum orthodoxe russe http://fr.groups.yahoo.com/group/orthod ... ssage/2158 a reproduit aujourd'hui un article hallucinant publié dans le quotidien Nice Matin de ce jour, 18 décembre 2006, p. 12. Dans un dernier réflexe de charité à l'égard des journalistes, je suis allé vérifier si les auteurs ne s'étaient pas rendu compte de leur bévue, mais non, ils n'ont pas hésité à reproduire sur le site Internet du quotidien http://www.nicematin.fr/paper_viewer.ph ... 180&w=1900 cet article qui rend tout son sens au mot galimatias.
Je cite:
NICE-MATIN, lundi 18 décembre 2006, page 12
Nice quartiers: tzaréwitch
Les prières de l’archevêque de Constantinople
Un office de près de trois heures et beaucoup de ferveur. Mais aussi pas mal d’allées et venues de gamins qui entrent et sortent, délaissant un temps les jeux pour l’office, ou l’inverse. C’est la Saint Nicolas, jour de fête très conviviale à l’église russe qui accueille un invité de marque: l’archevêque du diocèse orthodoxe de l’Europe occidentale, Mgr Gabriel, est numéro 2 mondial dans la hiérarchie orthodoxe de Constantinople.
L’office touche à sa fin. Les choeurs entament un dernier psaume. Des voix pures s’élèvent sous la magnifique voûte. Mgr Gabriel remercie les fidèles et se félicite de la présence des enfants. Dit au revoir de tout coeur, “ dasvidania”. Puis, un à un les fidèles viennent lui baiser les mains qui portent la croix de Constantinople.
En pleine bataille juridique :
Dimanche, la visite de l’archevêque de Constantinople à Nice avait lieu dans un contexte très particulier. En pleine bataille juridique, celle qui oppose l’association cultuelle orthodoxe niçoise à la Fédération de Russie. Une guerre de propriétés. Un peu d’histoire. En 1880, le pape Nicolas 2 achète une propriété à Nice. Son fils y meurt. C’est alors qu’il décide de lancer la construction d’une grande église, la plus grande en dehors de la Russie. Quand arrive la révolution d’octobre, les travaux sont achevés avec l’argent des russes blancs. Eclate la révolution. Les prêtres orthodoxes commencent à être arrêtés par les hommes de Staline.Toutes les églises russes qui se trouvent hors de Russie passent sous protectorat du patriarche orthodoxe de Constantinople lié à l’état russe par un bail emphytéotique.
Comptez les lignes et comptez maintenant le nombre d'erreurs dans cet article:
* Mgr Gabriel n'est pas archevêque de Constantinople. Exarque du patriarche oecuménique de Constantinople pour les paroisses de tradition russe en Europe occidentale, il porte le titre d'archevêque de Comane, siège du Pont vidé de ses fidèles par les kémalistes en 1924. L'archevêque de Constantinople est naturellement Sa Sainteté Barthélémy Ier, patriarche oecuménique.
* Mgr Gabriel aurait bien de la peine à être numéro 2 de la hiérarchie de Constantinople, puisqu'il ne fait pas, pour le moment, partie du saint Synode du patriarcat oecuménique de Constantinople.
* L'Histoire connaît deux papes Nicolas II: Nicolas II, pape de Rome de 1058 à 1061, et Nicolas II, pape d'Alexandrie de 1243 à 1276. Au moins, celui-ci était orthodoxe, mais, en 1880, on est sûr qu'il avait déjà été rappelé à Dieu.
*Je ne connais pas du tout l'histoire de l'église russe de Nice, mais ce que je peux affirmer, c'est que si le journal a pensé au Tsar-Martyr saint Nicolas II, ça ne marche pas non plus: en 1880, le futur Nicolas II avait 12 ans, pas d'enfants et c'était encore son grand-père Alexandre II le Libérateur (assassiné en 1881) qui présidait aux destinées de toutes les Russies.
*La persécution religieuse a commencé en Russie dès l'arrivée au pouvoir des communistes, en novembre 1917, alors que Staline ne sera seul maître à bord qu'en 1927. Est-ce une conséquence de ce vieux prodige de la désinformation communiste, évoqué par feu Vladimir Volkoff dans Le Montage, qui a entraîné des générations de journalistes psittacistes à parler de la terreur "stalinienne" au lieu de, tout simplement, la terreur communiste?
* Ne sont passées dans la juridiction du patriarcat oecuménique de Constantinople qu'une minorité des paroisses russes de l'émigration, essentiellement en France, en Belgique et aux Pays-Bas, et non pas toutes, comme l'avance le quotidien. En Allemagne et en Suisse, la quasi-totalité des paroisses sont passées sous la juridiction de l'Eglise russe hors frontières, et aux Etats-Unis, une grande partie des paroisses faisait partie de la fameuse Métropole qui, devenue multiethnique et missionnaire, s'est transformée en 1971 en l'Eglise orthodoxe en Amérique (OCA) telle que nous la connaissons aujourd'hui.
*Il se peut que le diocèse du métropolite Euloge se soit placé sous la protection du patriarcat de Constantinople, mais en aucun cas sous le protectorat. C'est plutôt la France qui, elle, avait un protectorat sur le Maroc, la Tunisie, le Cambodge, le Laos et l'Annam...
*Il me semble que, vu le respect que l'Etat soviétique portait au droit international, il aurait été difficile au patriarcat de Constantinople de conclure x centaines de baux emphytéotiques avec un Etat russe, qui, soit dit au passage, n'existait plus entre 1917 et 1991.
Bien. Une fois ces quelques corrections effectuées, pareil article appelle quelques remarques de portée plus générale.
- Quand on voit autant d'erreurs de fait accumulées en quelques lignes, on peut se poser quelques questions sur la crédibilité de ceux qui font profession de nous informer. Comment se fait-il que, chaque fois que nous lisons dans la presse non spécialisée un article sur un sujet que nous connaissons, nous nous rendons compte que l'on nous raconte n'importe quoi, et que, pourtant, nous continuons à faire confiance à ces organes d'information sur les autres sujets? Ne devenons-nous pas aussi complices de notre propre désinformation?
- Pourtant, cet article truffé d'erreurs a au moins le mérite de la bonne foi et il est mille fois moins inexact, mille fois moins prétentieux, mille fois moins malveillant, que ce que l'on voit en général écrit sur l'Orthodoxie par les gens, particulièrement nombreux sur Internet, qui se donnent comme mission de refaire le christianisme. Au moins le journaliste de Nice Matin, lui, ne se présente pas comme capable de sonder les intentions les plus secrètes du patriarche Alexis II de Moscou ou de nous décrire de l'intérieur ce qui se passe au cours des réunions du saint Synode d'une Eglise locale d'une religion à laquelle il n'appartient pas.
- Enfin, et surtout, un tel article devrait être pour nous, orthodoxes, un coup de fouet, une occasion de nous remettre en cause, plutôt qu'une occasion de nous gausser. Car enfin, ne voyons-nous pas qu'une telle confusion, c'est nous mêmes qui l'avons semée, avec notre enchevêtrement anticanonique de juridictions, nos évêques qui portent des titres de villes lointaines au lieu de porter les titres des villes où ils administrent leurs fidèles, nos maladresses, notre absence d'ouverture, notre volonté de rester dans le petit troupeau des élus qui ont tout compris? Peut-être que si nous avions une vie ecclésiale en accord avec nos propres principes, et que si nous daignions faire preuve d'un peu moins de réserve à l'égard du monde qui nous entoure, nous récolterions moins d'articles confus?
Je cite:
NICE-MATIN, lundi 18 décembre 2006, page 12
Nice quartiers: tzaréwitch
Les prières de l’archevêque de Constantinople
Un office de près de trois heures et beaucoup de ferveur. Mais aussi pas mal d’allées et venues de gamins qui entrent et sortent, délaissant un temps les jeux pour l’office, ou l’inverse. C’est la Saint Nicolas, jour de fête très conviviale à l’église russe qui accueille un invité de marque: l’archevêque du diocèse orthodoxe de l’Europe occidentale, Mgr Gabriel, est numéro 2 mondial dans la hiérarchie orthodoxe de Constantinople.
L’office touche à sa fin. Les choeurs entament un dernier psaume. Des voix pures s’élèvent sous la magnifique voûte. Mgr Gabriel remercie les fidèles et se félicite de la présence des enfants. Dit au revoir de tout coeur, “ dasvidania”. Puis, un à un les fidèles viennent lui baiser les mains qui portent la croix de Constantinople.
En pleine bataille juridique :
Dimanche, la visite de l’archevêque de Constantinople à Nice avait lieu dans un contexte très particulier. En pleine bataille juridique, celle qui oppose l’association cultuelle orthodoxe niçoise à la Fédération de Russie. Une guerre de propriétés. Un peu d’histoire. En 1880, le pape Nicolas 2 achète une propriété à Nice. Son fils y meurt. C’est alors qu’il décide de lancer la construction d’une grande église, la plus grande en dehors de la Russie. Quand arrive la révolution d’octobre, les travaux sont achevés avec l’argent des russes blancs. Eclate la révolution. Les prêtres orthodoxes commencent à être arrêtés par les hommes de Staline.Toutes les églises russes qui se trouvent hors de Russie passent sous protectorat du patriarche orthodoxe de Constantinople lié à l’état russe par un bail emphytéotique.
Comptez les lignes et comptez maintenant le nombre d'erreurs dans cet article:
* Mgr Gabriel n'est pas archevêque de Constantinople. Exarque du patriarche oecuménique de Constantinople pour les paroisses de tradition russe en Europe occidentale, il porte le titre d'archevêque de Comane, siège du Pont vidé de ses fidèles par les kémalistes en 1924. L'archevêque de Constantinople est naturellement Sa Sainteté Barthélémy Ier, patriarche oecuménique.
* Mgr Gabriel aurait bien de la peine à être numéro 2 de la hiérarchie de Constantinople, puisqu'il ne fait pas, pour le moment, partie du saint Synode du patriarcat oecuménique de Constantinople.
* L'Histoire connaît deux papes Nicolas II: Nicolas II, pape de Rome de 1058 à 1061, et Nicolas II, pape d'Alexandrie de 1243 à 1276. Au moins, celui-ci était orthodoxe, mais, en 1880, on est sûr qu'il avait déjà été rappelé à Dieu.
*Je ne connais pas du tout l'histoire de l'église russe de Nice, mais ce que je peux affirmer, c'est que si le journal a pensé au Tsar-Martyr saint Nicolas II, ça ne marche pas non plus: en 1880, le futur Nicolas II avait 12 ans, pas d'enfants et c'était encore son grand-père Alexandre II le Libérateur (assassiné en 1881) qui présidait aux destinées de toutes les Russies.
*La persécution religieuse a commencé en Russie dès l'arrivée au pouvoir des communistes, en novembre 1917, alors que Staline ne sera seul maître à bord qu'en 1927. Est-ce une conséquence de ce vieux prodige de la désinformation communiste, évoqué par feu Vladimir Volkoff dans Le Montage, qui a entraîné des générations de journalistes psittacistes à parler de la terreur "stalinienne" au lieu de, tout simplement, la terreur communiste?
* Ne sont passées dans la juridiction du patriarcat oecuménique de Constantinople qu'une minorité des paroisses russes de l'émigration, essentiellement en France, en Belgique et aux Pays-Bas, et non pas toutes, comme l'avance le quotidien. En Allemagne et en Suisse, la quasi-totalité des paroisses sont passées sous la juridiction de l'Eglise russe hors frontières, et aux Etats-Unis, une grande partie des paroisses faisait partie de la fameuse Métropole qui, devenue multiethnique et missionnaire, s'est transformée en 1971 en l'Eglise orthodoxe en Amérique (OCA) telle que nous la connaissons aujourd'hui.
*Il se peut que le diocèse du métropolite Euloge se soit placé sous la protection du patriarcat de Constantinople, mais en aucun cas sous le protectorat. C'est plutôt la France qui, elle, avait un protectorat sur le Maroc, la Tunisie, le Cambodge, le Laos et l'Annam...
*Il me semble que, vu le respect que l'Etat soviétique portait au droit international, il aurait été difficile au patriarcat de Constantinople de conclure x centaines de baux emphytéotiques avec un Etat russe, qui, soit dit au passage, n'existait plus entre 1917 et 1991.
Bien. Une fois ces quelques corrections effectuées, pareil article appelle quelques remarques de portée plus générale.
- Quand on voit autant d'erreurs de fait accumulées en quelques lignes, on peut se poser quelques questions sur la crédibilité de ceux qui font profession de nous informer. Comment se fait-il que, chaque fois que nous lisons dans la presse non spécialisée un article sur un sujet que nous connaissons, nous nous rendons compte que l'on nous raconte n'importe quoi, et que, pourtant, nous continuons à faire confiance à ces organes d'information sur les autres sujets? Ne devenons-nous pas aussi complices de notre propre désinformation?
- Pourtant, cet article truffé d'erreurs a au moins le mérite de la bonne foi et il est mille fois moins inexact, mille fois moins prétentieux, mille fois moins malveillant, que ce que l'on voit en général écrit sur l'Orthodoxie par les gens, particulièrement nombreux sur Internet, qui se donnent comme mission de refaire le christianisme. Au moins le journaliste de Nice Matin, lui, ne se présente pas comme capable de sonder les intentions les plus secrètes du patriarche Alexis II de Moscou ou de nous décrire de l'intérieur ce qui se passe au cours des réunions du saint Synode d'une Eglise locale d'une religion à laquelle il n'appartient pas.
- Enfin, et surtout, un tel article devrait être pour nous, orthodoxes, un coup de fouet, une occasion de nous remettre en cause, plutôt qu'une occasion de nous gausser. Car enfin, ne voyons-nous pas qu'une telle confusion, c'est nous mêmes qui l'avons semée, avec notre enchevêtrement anticanonique de juridictions, nos évêques qui portent des titres de villes lointaines au lieu de porter les titres des villes où ils administrent leurs fidèles, nos maladresses, notre absence d'ouverture, notre volonté de rester dans le petit troupeau des élus qui ont tout compris? Peut-être que si nous avions une vie ecclésiale en accord avec nos propres principes, et que si nous daignions faire preuve d'un peu moins de réserve à l'égard du monde qui nous entoure, nous récolterions moins d'articles confus?