le malheur des chrétiens d'Istanbul

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hilaire
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le malheur des chrétiens d'Istanbul

Message par hilaire »

article paru en mars dans le journal le point, trouvé sur internet au lien suivant:http://ancien.lepoint.fr/monde/document.html?did=190559


Turquie
Le malheur des chrétiens d'Istanbul

Les tracasseries auxquelles est confronté le lycée grec orthodoxe du Phanar illustrent bien la précarité de la minorité chrétienne d'Istanbul. Et, depuis le meurtre du journaliste arménien Hrant Dink, la situation des communautés minoritaires s'est aggravée.

Guillaume Perrier

Le message tracé sur le mur d'enceinte sonne comme une mise en garde : « Vous ne diviserez pas la nation turque ! » Pour toute signature, les trois croissants de lune, symbole du Parti d'action nationaliste (MHP), situé à l'extrême droite. Cette menace a été fraîchement peinte sur le lycée grec orthodoxe du Phanar, à Istanbul. Située dans le vieux quartier grec, sur une rive escarpée de la Corne d'or, à deux pas du Patriarcat orthodoxe, cette école vit des heures critiques. Fondée en 1454, un an après la prise de Constantinople par les Ottomans, la « grande école de la nation », comme l'appellent les Grecs, n'est plus que l'ombre d'elle-même.

A l'heure de la sortie des classes, à la grille de cet imposant bâtiment de brique rouge, les élèves ne se bousculent pas. En cours, ils sont souvent deux ou trois, perdus sur les bancs de salles trop grandes. Le lycée du Phanar se meurt, à l'image d'une communauté découragée qui s'éteint lentement. Depuis le traité de Lausanne de 1923, qui les définit comme minorité non musulmane de Turquie, l'histoire des « Rum », ces « Romains » vestiges de l'Empire chrétien d'Orient, est celle d'étrangers dans leur propre pays.

Une décision de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) de Strasbourg, en janvier, leur a redonné un peu de baume au coeur. Après des années de bataille judiciaire, le lycée du Phanar s'est vu reconnaître le droit de récupérer des immeubles confisqués par l'Etat turc. Ankara est condamné à les restituer avant le 9 avril, sous peine de verser 900 000 euros de compensations. Mais cet espoir de règlement du problème des fondations pieuses, essentiel pour les Rum, arrive peut-être trop tard.

« Nous sommes peu nombreux, mais nous sommes innombrables », aurait dit le patriarche Athénagoras dans les années 60 pour conjurer le déclin démographique de ses ouailles. Istanbul est la capitale spirituelle orthodoxe. Mais le XXe siècle a provoqué une véritable hémorragie. En 1906, ils étaient 160 000 à Istanbul. Cent ans plus tard, ils sont à peine 2 000, selon Ata Sakmar, un avocat turc pour qui défendre les Grecs est une « mission humanitaire ». La moyenne d'âge est supérieure à 60 ans et rares sont les jeunes qui choisissent de rester. A l'instar du lycée du Phanar, les « écoles spéciales », turques mais réservées aux Rum, se vident, ferment les unes après les autres. Il n'en reste plus que huit, dont trois lycées, qui accueillent au total 250 élèves, pour une bonne partie des Arabes orthodoxes émigrés du Sud-Est. « Si les écoles ne peuvent pas se maintenir, la communauté n'a aucune chance de survie », soupire Yani Demircioglu, le directeur du lycée Zografion, qui revendique fièrement son identité double. Il fait rapidement les comptes : de sa promotion sortie en 1972 ils ne sont plus que quatre sur trente-sept à vivre en Turquie.

La communauté vit dans la nostalgie d'une Istanbul cosmopolite, d'un quartier de Péra où les architectes et les bistrotiers étaient grecs ou levantins. Les traces de ce passé sont visibles : Istanbul compte encore 85 églises orthodoxes, un hôpital et des noms gravés en cyrillique sur la façade de bâtiments du centre-ville. Mais les Rum qui restent sont des survivants. A 78 ans, Stratis Sabuncakis reçoit solennellement au-dessus de sa boutique et sous un portrait d'Atatürk. Son grand-père, débarqué de Crète à 13 ans, est rapidement devenu le fleuriste attitré du palais impérial, acheminant ses bouquets d'Italie grâce à l'Orient-Express. Et puis, après l'avènement de la république, « Atatürk a fait venir mon père à Ankara, raconte le vieil homme en français. Il lui a dit : "Il faut que vous ouvriez un magasin ici ." »

Un nationalisme dilué

.En 1978, Stratis a pourtant failli partir. Toute la famille était déjà réfugiée en Grèce, mais il a préféré rester pour faire tourner la boutique. Il a traversé les heures sombres qui ont chassé, par vagues successives, la plupart de ses congénères. En 1942, un impôt spécial sur la fortune est taillé sur mesure pour asphyxier les minorités non musulmanes (Juifs, Arméniens et Grecs). « Nous avons dû payer 60 000 livres turques », se souvient Stratis Sabuncakis. Une fortune. Près de 2 000 réfractaires sont envoyés de force dans l'Est, employés à la construction des routes. Ensuite, en septembre 1955, la rumeur court qu'une bombe a explosé dans la maison natale de Mustafa Kemal, à Salonique. A Istanbul, une foule vengeresse descend dans la rue et saccage, pille ou brûle des centaines de boutiques, de maisons et d'usines appartenant aux minoritaires. Le grand magasin de fleurs des Sabuncakis n'échappe pas à l'ivresse nationaliste. En 1964, la situation s'envenime à Chypre et des milliers de Grecs sont expulsés d'Istanbul pour « haute trahison ». Dix ans plus tard, nouvelle crise, nouvelle saignée. « Cette communauté n'existe plus, elle ne peut pas être plus éteinte qu'aujourd'hui, constate Meropi Anastassiadou, chercheuse à l'EHESS. Il n'y a plus de vie culturelle ou intellectuelle, peu de production économique. Juste la conservation de certains symboles. »

Aujourd'hui, les relations entre la Grèce et la Turquie se sont pacifiées, les échanges économiques densifiés. Mais le silence et la méfiance restent de mise dans la communauté. Le retour d'un nationalisme brutal et xénophobe en Turquie fait resurgir de vieux réflexes. « Vivre dans la peur, c'est une coutume chez nous », sourit un membre influent de la communauté. Dans une pièce aveugle au fond du passage de Syrie, le quotidien en grec Apoyevmatini est fabriqué à l'ancienne pour les 500 lecteurs qui lui restent. Derrière son bureau poussiéreux, le directeur, Mihail Vasiliadis, a accroché trois portraits de Hrant Dink, le journaliste d'origine arménienne abattu le 19 janvier. Dans les communautés minoritaires, ce meurtre a rouvert les plaies et tous s'identifient à leur ami arménien. « Le nationalisme est comme le raki : il est dilué. Pour être pleinement considéré comme des citoyens, ici, nous devons toujours abandonner quelque chose : nos immeubles, nos droits, nos organes... » Deux jours plus tôt, le père d'un jeune Rum décédé accidentellement avait fait don de ses organes et permis de sauver un petit Turc « de souche », devenant un héros national. L'histoire a fait le tour du pays. Comme si l'incompatibilité biologique était la norme.

Des « traîtres à la nation »

Pour les ultranationalistes turcs, les Hellènes et leur patriarche sont comme le ver dans le fruit turc : des « traîtres à la nation ». Bartholomeos Ier est accusé de vouloir créer un mini-Vatican au coeur d'Istanbul. Et l'Etat turc refuse toujours de reconnaître le caractère oecuménique du patriarcat et de rouvrir l'institut théologique de l'île de Halki, fermé depuis 1971. Chaque 6 janvier, le Noël orthodoxe, une croix est traditionnellement lancée par le patriarche dans les eaux froides de la Corne d'or et de jeunes hommes doivent aller la repêcher. Cette année, les policiers étaient plus nombreux que les Rum et, pour aller sauver la croix de la noyade, il n'y avait que trois volontaires. En 2005, une cinquantaine de Loups gris, des militants nationalistes, avaient perturbé la cérémonie, brandissant des drapeaux turcs et hurlant : « La Turquie : tu l'aimes ou tu la quittes ! » La plupart des Grecs d'Istanbul ont déjà choisi les deux.

Au quotidien, les tracasseries administratives restent légion. Dans les lycées, on travaille sur des photocopies, car les manuels en grec ne sont pas homologués par l'Education nationale turque. Les conseils d'administration des fondations n'ont plus été renouvelés depuis plus de quinze ans : interdiction d'organiser de nouvelles élections. Et la loi sur les fondations votée sous la pression de l'Union européenne, qui devait permettre la restitution de certains biens immobiliers aux minorités, a été bloquée en décembre par le veto du très laïque président Ahmet Necdet Sezer. « Mon oncle m'avait dit : " Quitte le pays avant de devoir le faire pour sauver ta peau" , raconte un Stambouliote d'origine grecque, inquiet de la flambée de nationalisme. Je ne veux pas partir. En revanche, je suis sceptique pour mes enfants. Mais où les envoyer ? Ils n'ont pas du tout la culture grecque. » Le journaliste Mihail Vasiliadis se veut plus optimiste et croit à une régénération : « Si le gouvernement nous reconnaît nos droits, les Grecs vont vite revenir. »

Repères

99,8 % des 70 millions de Turcs sont musulmans, en majorité sunnites.

15 millions de musulmans sont alevis, originaires d'une branche dérivée du chiisme.

La Turquie compte près de 100 000 chrétiens (dont 80 000 Arméniens, 20 000 chrétiens syriaques, 3 000 Grecs orthodoxes) et 25 000 juifs d'origine séfarade.


sur ces questions on n'entend jamais les droits de l'hommistes et autres européistes acharnés prendre position... qu'on vienne vous dire que la Turquie est laïque, il y a toujours du monde, mais pour défendre les chrétiens opprimés, là bizarrement point de droits de l'homme, point de défense des intérêts supérieurs et autre ingérence légitime...sans parler de l'occupation illégale de Chypre, espace européen soit dit en passant.
quand je pense que chez nous des municipalités retirent le mot hallah d'une pièce de théâtre ou qu'un éditeur de livres scolaires floute une estampe du XIIIè siècle représentant mahomet (pourtant à l'époque point de charlie hebdo à l'horizon!!)

en France, autre lieux autres tendances, dans les années 90, 81 % des français se reconnaissaient catholique, aujourd'hui 51% (entendu cet après midi au JT de 13h sur France 2)... enfin quand on voit que Douste Blazy vous dit benoîtement que le Maghreb fait partie de l'identité nationale pour un ancien maire de Lourdes, c'est malheureux !
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