Voici, tiré du site Internet du Conseil de l'Europe, le rapport du conseiller aux Etats Dick Marty sur les prisons clandestines et les survols clandestins de la CIA en Europe.
A part ça, j'ai découvert avec amusement que le docteur Marty attaque l'Union démocratique du Centre sur son blog en italien, mais qu'il siège à Strasbourg dans le même groupe parlementaire que les délégués UDC à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe MM. Bugnon, Müri, Reimann et Walter. Comme quoi l'arbre national / libéral refait parfois son unité...
Parliamentary Assembly
Assemblée parlementaire
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Doc. 10957
12 juin 2006
Allégations de détentions secrètes et de transferts interétatiques illégaux de détenus concernant des
Etats membres du Conseil de l’Europe
Rapport
Commission des questions juridiques et des droits de l’homme
Rapporteur: M. Dick Marty, Suisse, Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe
Résumé
C’est une véritable « toile d’araignée » à travers le monde que nous dévoile l’analyse du programme des « restitutions » de la CIA, analyse basée sur les données officielles fournies par les autorités de contrôle du trafic aérien, ainsi que sur d’autres informations. Cette « toile » se compose de plusieurs points d’atterrissage, que nous avons distingués en différentes catégories, reliés entre eux par des avions civils volant pour le compte de la CIA, ou par des avions militaires.
L’analyse du fonctionnement de ce système et de dix cas de restitutions nous permet de tirer des conclusions à la fois quant aux violations des droits de l’homme qui se sont produites dans ce cadre - et dont certaines durent toujours - et quant aux responsabilités d’un certain nombre de pays membres du Conseil de l’Europe liés par la Convention Européenne des Droits de l’Homme et la Convention Européenne pour la Prévention de la Torture.
Les Etats-Unis d’Amérique, Etat observateur auprès de notre Organisation, ont effectivement mis en place un système répréhensible, que nous estimons critiquable à la lumière des valeurs partagées des de part et d’autre de l’Atlantique. Mais nous pensons avoir établi que c’est seulement grâce à la collusion – intentionnelle ou gravement négligente – des partenaires européens que cette « toile » a pu s’étendre aussi à travers notre continent.
Si des preuves au sens classique du terme ne sont pas encore disponibles, de nombreux éléments, cohérents et convergents, indiquent que des centres secrets de détention et des transferts illégaux de détenus ont bel et bien existé en Europe. Il ne s’agit pas de déclarer les autorités de ces pays « coupables » d’avoir toléré des lieux secrets de détention, mais de les tenir pour « responsables » de ne pas s’être conformés à l’obligation positive qui leur incombe de diligenter une enquête sérieuse en cas d’allégations crédibles de violation des droits fondamentaux.
Les projets de résolution et de recommandation proposent différentes mesures afin que le terrorisme puisse être combattu efficacement tout en respectant les droits de l’homme. F – 67075 Strasbourg Cedex, tel: +33 3 88 41 20 00, fax: +33 3 88 41 27 02,
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Doc. 10957
A. Projet de résolution
1.
Le Conseil de l’Europe est à la fois la référence et le gardien en matière de droits de l’homme, de la démocratie et du respect de l’État de droit en Europe. Il tient son autorité morale et juridique notamment des normes communes de protection des droits de l’homme inscrites dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et la Convention européenne pour la prévention de la torture (CEPT), auxquelles quarante-six Etats sont parties.
2.
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe place les droits de l’homme au coeur de ses travaux. L’Assemblée a le devoir d’alerter la communauté et l’opinion internationales à chaque fois que les droits de l’homme sont ignorés, ou lorsque les normes établies pour leur application sont mises en danger.
3.
L’Assemblée réaffirme très clairement la nécessité absolue de prévenir et de lutter contre la menace terroriste, ainsi que sa volonté à s’engager en ce sens; elle doit toutefois constater et dénoncer fermement les nombreuses et systématiques atteintes aux droits de l’homme commises dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler la « guerre au terrorisme ». Elle estime que ces violations font le jeu des terroristes et finissent par renforcer ceux qui ont pour but de détruire l’ordre politique, juridique et social établi.
4.
Les Etats-Unis d’Amérique estiment que ni les instruments classiques de la procédure et du droit pénal, ni les dispositions du droit de la guerre (qui implique notamment le respect des Conventions de Genève) ne sont à même de faire face à la menace terroriste. Ils ont par conséquent introduit des nouveaux concepts juridiques, comme « ennemi combattant » et « restitution », notions totalement inconnues en droit international et contraires aux principes juridiques fondamentaux en vigueur sur notre continent.
5.
Les Etats-Unis ont ainsi progressivement tissé une « toile d’araignée » clandestine s’étendant à travers le monde et dans laquelle des centaines de personnes, même simplement soupçonnées de sympathie pour des organisations considérées terroristes, se sont retrouvées piégées, victimes de disparitions, de détentions secrètes et de transferts illégaux d’un État à l’autre, en particulier aussi vers des pays appliquant notoirement la torture.
6.
Cette « toile d’araignée » a pu être tissée de la sorte grâce à la collaboration ou à la tolérance de nombreux pays, parmi lesquels plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe. Cette coopération, secrète et sans aucune légitimation démocratique, a permis le développement d’un système totalement incompatible avec les principes fondamentaux du Conseil de l’Europe.
7.
Les informations et éléments de fait qui ont pu être recueillis jusqu’à ce jour, et qui encore sont en cours d’être dévoilés, indiquent clairement que les principaux éléments de cette « toile d’araignée » incluent notamment : un véritable réseau mondial de lieux de détentions secrets dans des « sites noirs » de la CIA et dans des installations navales et militaires ; un programme de « restitutions » mis au point par la CIA, prévoyant le transfert d’un État à l’autre, à bord d’avion civils, des personnes soupçonnées de terrorisme ; l’utilisation de bases aériennes militaires et d’aéronefs pour transporter des prisonniers, considérés comme du fret humain, à Guantanámo Bay à Cuba ou vers d’autres centres de détention ou pour être remis à des Etats n’hésitant pas à recourir aux traitements dégradants et à la torture.
8.
L’Assemblée condamne ce système qui exclut toute forme de protection juridique et déplore que les Etats-Unis, en privant des centaines de suspects de leurs droits élémentaires, notamment celui à un procès équitable, desservent la cause de la justice et ternissent leur réputation, chèrement acquise, de pays-phare dans l’affirmation et la défense des libertés civiles et des droits de l’homme.
9.
Certains Etats membres du Conseil de l’Europe ont sciemment aidé les Etats-Unis à mener à bien de telles opérations illégales, d’autres les ont tolérées ou n’ont tout simplement pas voulu savoir. Ils ont également déployé beaucoup d’efforts pour que ces opérations restent secrètes et ne puissent pas être soumises à des investigations nationales ou internationales.
10.
Cette collusion entre certains Etats membres du Conseil de l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique a pris plusieurs formes. Ayant procédé à une analyse juridique et factuelle d’une série de cas d’allégations de détention secrète et de transferts illégaux, l’Assemblée a identifié des exemples dans lesquels des Etats membres du Conseil de l’Europe ont commis, sciemment ou du moins par dol éventuel, un ou plusieurs des actes qui suivent, en violation de leurs obligations internationales de respect des droits de l’homme, tel qu'expliqué dans l'exposé des motifs1 :
1 Voir Doc …
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Doc. 10957
10.1.
détenir secrètement une personne sur le territoire européen pendant une période indéfinie, priver cette personne de ses droits fondamentaux et refuser de lui accorder des garanties juridiques procédurales comme l’habeas corpus ;
10.2.
capturer une personne et la remettre aux Etats-Unis, sachant que cette personne serait transférée illégalement dans un centre de détention administré par les Etats-Unis ;
10.3.
autoriser le transport illégal de détenus à bord d’aéronefs civils traversant l’espace aérien européen ou survolant le territoire européen pour procéder à des opérations de « restitution » ;
10.4.
communiquer des informations ou des renseignements aux Etats-Unis sachant délibérément qu’ils serviraient à effectuer une opération de « restitution » ou à maintenir une personne en détention secrète ;
10.5.
participer directement aux interrogatoires de personnes faisant l’objet d’une « restitution » ou maintenues en détention secrète ;
10.6.
accepter ou utiliser des informations collectées au cours d’interrogatoires de détenus, avant, pendant ou après que les détenus en question aient été menacés ou soumis à la torture ou à d’autres formes de violation des droits de l’homme ;
10.7.
accorder l’accès à des aéroports civils ou à des terrains d’aviation militaires servant de points de transit, véritables plates-formes pour des opérations de « restitution » ou d’autres opérations illégales de transfert de détenus, et faciliter la préparation et le décollage d’un aéronef effectuant une telle opération à partir de ce point de transit ;
10.8.
accorder l’accès à des aéroports civils ou à des terrains d’aviation militaires servant d’ «escale » à des opérations de « restitution » au cours desquelles un aéronef atterrit brièvement pendant le vol aller et retour qu’il effectue, par exemple, pour faire le plein de carburant.
11.
Les demandes d’informations sur la véritable nature et la portée de ces opérations illégales se sont heurtées à l’obstruction ou à une fin de non-recevoir de la part des Etats-Unis et de ses partenaires européens. Les autorités de la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe ont démenti leur participation dans de nombreux cas sans, toutefois, procéder à de véritables enquêtes ou à des recherches sérieuses.
12.
Dans d’autres exemples, des motifs de sécurité nationale ou de secret défense ont été avancés pour ne pas donner suite à des demandes d’information. L’Assemblée est d’avis que ni la sécurité nationale, ni le secret d’État ne peuvent être invoqués de façon aussi catégorique et systématique dans le but de protéger ces opérations illégales et de les soustraire à un contrôle judiciaire et parlementaire approfondi.
13.
L’Assemblée dénonce la violation généralisée des obligations positives qui incombent à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe d’enquêter sur de telles allégations d’une manière aussi complète qu’approfondie. De nombreux éléments de faits, documentés et convergents, démontrent désormais d’une façon incontestable l’existence de détentions secrètes et de transferts illégaux de personnes privées de tout droit impliquant des Etats européens et exigent par conséquent un examen approfondi et des réponses urgentes de la part des organes exécutifs et législatifs de tous les pays concernés.
14.
Bien que saisie dans le cadre d’allégations se référant à des faits bien précis, l’Assemblée ne peut pas passer sous silence d’autres dénonciations qui font état de l’existence d’autres centres de détention secrets en Europe, apparemment instituées dans le cadre de la « guerre au terrorisme ». En particulier, l’Assemblée exprime sa très vive préoccupation au sujet des cas de détentions secrètes dans le Caucase du Nord dénoncés dans différents rapports. Le Comité européen pour la prévention de la torture a publié une déclaration publique à ce sujet en 2003, qui a récemment été complétée par de nouveaux témoignages détaillés de victimes et des allégations crédibles d’organisations non gouvernementales. Il est à l’évidence nécessaire de poursuivre avec rigueur le travail d’enquête et d’analyse portant sur les détentions secrètes dans le Caucase du Nord.
15.
L’Assemblée déplore également que des centres de détention établis au Kosovo n’aient pas pu être accessibles, jusqu’à ces jours derniers, au Comité européen pour la prévention de la torture ; cela apparaît d’autant plus intolérable que la communauté internationale est intervenue dans cette région dans le but déclaré de rétablir l’ordre, la paix et le respect des droits de l’homme.
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16.
L’objectif central et le souci principal de l’Assemblée est d’empêcher que des violations analogues à celles établies par la présente résolution puissent à nouveau se produire dans l’avenir.
17.
En conséquence, l’Assemblée se félicite que le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe ait fait usage aussi rapidement et complètement que possible du pouvoir d’enquête dont il dispose en vertu de l’article 52 de la CEDH.
18.
L’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe à prendre les mesures suivantes :
18.1.
revoir d’une façon critique les dispositions concernant l’organisation des services de renseignements afin d’assurer à la fois une meilleure efficacité et une surveillance plus incisive apte à empêcher des abus ; la collaboration avec les services étrangers et l’activité de ces derniers sur le territoire national doivent également être clairement réglementées ;
18.2.
s’assurer que les lois régissant le secret d’État protègent les personnes qui révèlent les activités illégales des organes de l’État («whistleblowers») contre d’éventuelles sanctions disciplinaires ou pénales ;
18.3.
entamer un examen des accords bilatéraux signés entre les Etats membres du Conseil de l’Europe et les Etats-Unis, notamment ceux concernant la situation des forces américaines stationnées en Europe et l’utilisation d’infrastructures militaires ou autres, afin de s’assurer que ces accords sont pleinement conformes aux normes internationales de protection des droits de l’homme ;
18.4.
exhorter les Etats-Unis à démanteler leur système de détention secrète et de transferts illégaux de détenus entre Etats et à coopérer plus étroitement avec le Conseil de l’Europe en vue de mettre en place des moyens communs pour lutter contre la menace terroriste conformément aux normes internationales de protection des droits de l’homme et au respect de l’État de droit.
19.
L’Assemblée demande aussi, conjointement aux Etats-Unis d’Amérique qui jouissent du statut d’observateur auprès du Conseil de l’Europe, et aux Etats membres du Conseil de l’Europe, alliés de longue date dans la résistance à la tyrannie et dans la défense des droits de l’homme et de l’État de droit, de :
19.1.
lancer un signal fort à la communauté internationale, en démontrant que le terrorisme peut être vaincu par des moyens légaux et de prouver ainsi la supériorité du modèle démocratique fondé sur le respect de la dignité de l’homme;
19.2.
coopérer plus étroitement en vue de rechercher et d’adopter les instruments les plus efficaces, aussi bien préventifs que répressifs, pour faire face à la menace terroriste conformément aux normes internationales de protection des droits de l’homme et au respect de l’État de droit ;
19.3.
harmoniser la définition de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants avec celle utilisée par le Comité des Nations unies contre la torture ;
19.4.
interdire la remise de personnes soupçonnées de collusion avec des organisations terroristes à des pays qui pratiquent la torture et qui n’offrent aucune garantie d’un procès équitable ;
19.5.
présenter des excuses officielles et accorder des réparations aux victimes de détentions illégales à l’égard desquelles aucune accusation formelle n’a été formulée et aucune procédure judiciaire n’a été entamée ;
19.6.
renoncer à toute poursuite à l’encontre des fonctionnaires, anciens fonctionnaires et journalistes qui ont contribué, par leurs déclarations et leurs informations, à faire connaître le système de détentions illégales et de mauvais traitements ;
20.
L’Assemblée demande à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme de créer dans les plus brefs délais une Sous-commission ad hoc dans le but de poursuivre les recherches au sujet des allégations de détentions secrètes et de transferts illégaux entre Etats membres du Conseil de l’Europe, compte tenu que de nouveaux faits sont encore en train d’être établis.
21.
L’Assemblée exhorte également ses membres à demander à leurs parlements nationaux respectifs de mener des enquêtes rigoureuses, notamment dans les Etats qui n’ont pas donné suite, ou l’ont fait d’une façon insuffisante, aux demandes d’informations successives.
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22.
L’Assemblée doit constater, dans le contexte de ces recherches au sujet des détentions secrètes, qu’elle ne dispose pas de moyens d’investigation appropriés, analogues notamment à ceux qui sont fournis aux enquêtes parlementaires menées dans les Etats membres, en particulier le pouvoir d’assigner des témoins et d’exiger l’édition de documents, et demande que cette question soit examinée.
23.
Enfin, l’Assemblée exprime sa gratitude aux institutions pertinentes de l’Union européenne (Commission européenne, Parlement européen et Centre Satellitaire de l’Union européenne), sans oublier Eurocontrol, pour leurs contributions inestimables à la présente enquête, et réaffirme le rôle de gardien des droits de l’homme joué par le Conseil de l’Europe au sein de l’espace européen.
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B. Projet de recommandation
1.
L’Assemblée parlementaire se réfère à sa résolution... (2006) sur les allégations de détention secrète et de transferts illégaux entre Etats membres du Conseil de l’Europe.
2.
L’Assemblée rappelle également sa Résolution 1433 (2005) ainsi que sa recommandation concernant la légalité de la détention de personnes par les Etats-Unis à Guantanamo Bay.
3.
L’Assemblée exhorte le Comité des Ministres à rédiger une recommandation aux Etats membres du Conseil de l’Europe contenant :
3.1. des mesures communes de protection accrue des droits de l’homme des personnes soupçonnées d’actes terroristes et qui sont capturées, détenues ou transportées sur le territoire d’Etats membres du Conseil de l’Europe ;
3.2. un ensemble d’obligations minimales propres à des clauses de protection des droits de l’homme qui seraient incluses dans les accords bilatéraux et multilatéraux conclus avec des tierces parties, notamment ceux concernant l’utilisation d’installations militaires sur le territoire des Etats membres du Conseil de l’Europe.
4.
L’Assemblée demande instamment :
4.1. que soit prise sans tarder l’initiative pour mettre au point au niveau international, notamment en collaboration avec les Etats-Unis - qui jouissent du statut d’Observateur auprès du Conseil de l’Europe - une véritable stratégie globale pour faire face à la menace terroriste, en se fondant notamment sur des instruments conformes aux principes fondamentaux de notre patrimoine commun en matière de démocratie, de respect de droits de l’homme et de primauté du droit ;
4.2. que soit évaluée et éventuellement proposée l’institution d’une juridiction internationale compétente pour juger les personnes accusées de terrorisme, lorsque les Etats ne sont pas à même ou ne veulent pas poursuivre ces actes, en considérant notamment la possibilité d’attribuer cette nouvelle compétence à la Cour pénale internationale, en incitant une nouvelle fois les Etats-Unis et les autres Etats qui ne l’ont pas encore fait, à y adhérer.
5.
L’Assemblée recommande enfin que le Comité des Ministres examine les moyens d’améliorer la capacité du Conseil de l’Europe de réagir rapidement et efficacement aux allégations de violation systématique des droits de l’homme et impliquant plusieurs Etats membres.
6
Doc. 10957
III. Exposé des motifs
par M. Dick Marty, rapporteur
Table des matières:
1. Les droits de l’homme : une simple option pour le beau temps ? ................................ 9
1.1. Le 11 septembre 2001 ....................................................................................... 9
1.2. Guantanamo Bay ............................................................................................... 10
1.3 Des prisons secrètes de la CIA en Europe ? ..................................................... 10
1.4. La réaction du Conseil de l’Europe .................................................................... 11
1.5 Le Parlement Européen ..................................................................................... 11
1.6. Rapporteur ou enquêteur ? ............................................................................... 12
1.7. Antiaméricanisme ? ........................................................................................... 13
1.8 Des preuves ? ................................................................................................... 13
2. La « toile d’araignée » mondiale .................................................................................. 14
2.1 L’évolution du programme de restitutions........................................................... 14
2.2 Les composantes de la toile d’araignée ............................................................ 17
2.3 Établissement d’une base de données du mouvement des avions ................... 18
2.4 Le fonctionnement de la toile d’araignée ........................................................... 19
2.5 Opérations de restitution successives et détentions secrètes............................ 20
2.6. Centres de détention en Roumanie et en Pologne............................................. 20
2.6.1 Le cas de la Roumanie......................................................................... 20
2.6.2. Le cas de la Pologne............................................................................ 21
2.7. Les conséquences des restitutions sur le plan humain...................................... 23
2.7.1. Les méthodes de la CIA ou quel est le sort réservé à un
détenu durant sa restitution ?................................................................... 23
2.7.2. Les conséquences de la restitution et de la détention secrètes
sur les individus et sur leur famille........................................................ 26
3. Des exemples concrets documentés de restitutions.................................................... 27
3.1. Khaled El-Masri.................................................................................................. 27
3.1.1. Témoignage de Khaled El-Masri .......................................................... 27
3.1.2. Éléments de corroboration du témoignage........................................... 28
3.1.3. Le rôle de l'« ex-République yougoslave de Macédoine »................... 29
3.1.3.1. La position des autorités...................................................... 29
3.1.3.2. Des éléments supplémentaires............................................ 31
3.2. Les « six Algériens ».......................................................................................... 35
3.3. Ahmed Agiza et Mohammed Alzery (El Zari)..................................................... 38
3.4. Abou Omar......................................................................................................... 40
3.5. Al-Rawi et El-Banna........................................................................................... 40
3.6. Maher Arar.......................................................................................................... 42
3.7. Muhammad Bashmila et Salah Ali Qaru............................................................. 44
3.8. Mohammed Zammar.......................................................................................... 44
3.9. Binyam Mohamed al Habashi............................................................................. 45
4. Les lieux de détention secrets...................................................................................... 48
4.1. Les images satellitaires...................................................................................... 48
4.2. Les mouvements d’avions documentés............................................................. 48
4.3. Les témoignages................................................................................................ 49
4.4. Évaluation .......................................................................................................... 49
5. Détentions secrètes en République tchétchène........................................................... 49
5.1. Les travaux du Comité européen pour la prévention de la Torture (CPT).......... 49
5.2. Des témoignages récents accablants ................................................................ 50
6. L’attitude des gouvernements ...................................................................................... 50
7. Cas individuels : procédures judiciaires en cours ........................................................ 52
7.1. Exemple positif : le parquet de Milan (affaire Abou Omar) ................................ 52
7.2. A suivre : le parquet de Munich (affaire El-Masri) et de Zweibrücken ...............
(affaire Abou Omar) ........................................................................................... 52
7.3. A suivre également : l’affaire Al Rawi et El Banna ............................................ 53
7.4. Suède : quelles suites de l’affaire Agiza et Alzery ? .......................................... 53
7.5. Espagne ............................................................................................................ 53
7.6. La plainte de El-Masri aux Etats-Unis ............................................................. 53
8. Les enquêtes parlementaires ...................................................................................... 53
8.1. Allemagne .......................................................................................................... 54
8.2. Royaume-Uni ..................................................................................................... 54
8.3. Pologne : enquête parlementaire, en secret ...................................................... 55
8.4. Roumanie et l'« ex-République yougoslave de Macédoine »:
aucune enquête parlementaire .......................................................................... 55
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Doc. 10957
9. L'engagement contre le terrorisme .............................................................................. 55
9.1.
La lutte contre le terrorisme : une nécessité absolue ........................................ 55
9.2.
La force de l’unité et du droit ............................................................................. 56
10. Perspectives juridiques ................................................................................................ 58
10.1. Le point de vue des Etats-Unis .......................................................................... 58
10.2. Le point de vue du Conseil de l’Europe : ........................................................... 60
10.2.1
La Commission européenne pour la démocratie par le droit
(Commission de Venise) ...................................................................... 60
10.2.2
Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe (art. 52 CEDH) ............ 62
11. Conclusion ................................................................................................................... 63
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Doc. 10957
1. Les droits de l’homme : une simple option pour le beau temps ?
1.1. Le 11 septembre 2001
1.
Les tragédies qui ont eu lieu le 11 septembre 2001 marquent incontestablement le début d’un nouveau et important chapitre de l’interminable et dramatique histoire du terrorisme. Une histoire marquée par le recours à la violence indiscriminée, déclenchée pour créer un climat d’insécurité et de terreur dans le dessein de s’attaquer au système politique et social en place. Des actions spectaculaires et très meurtrières atteignent pour la première fois des cibles hautement symboliques au coeur même des Etats-Unis d’Amérique, l’Etat le plus puissant du monde. L’Europe, quant à elle, a déjà une longue et douloureuse expérience en matière de terrorisme, avec de nombreuses victimes et des actions de grande envergure notamment en Italie2, en Allemagne, en Espagne, au Royaume-Uni, en France et, plus récemment, en Russie.
2.
Si les Etats du Vieux Continent ont fait face à ces menaces en se fondant essentiellement sur les institutions et l’ordre juridique en place3, les Etats-Unis semblent avoir fait un choix fondamentalement différent : estimant que ni les instruments classiques de la justice, ni ceux qui sont prévus par le droit de la guerre n’étaient à même de contrer efficacement les formes nouvelles du terrorisme international, ils ont décidé de recourir à de nouveaux concepts juridiques. Ces derniers se fondent, notamment, sur un Décret militaire relatif à la détention, le traitement et le jugement de certains citoyens non américains dans la lutte contre le terrorisme signé par le Président Bush le 13 novembre 20014. Il est ainsi significatif de relever, qu’à ce jour, une seule personne a été appelée à répondre devant la justice pour les attentats du 11 septembre : une personne, qui, ce jour-là, était par ailleurs déjà en prison, à la disposition de la justice depuis plusieurs mois5. Des centaines d’autres personnes sont par contre toujours privées de liberté, sous autorité américaine mais en dehors du territoire national, dans un cadre normatif incertain, en tout cas irrémédiablement contraire aux principes envisagés par tous les instruments de droit international en matière de respect des droits fondamentaux, y compris par le droit interne des Etats-Unis (ce qui explique l’existence de ces centres de détention au-dehors du pays). La philosophie de l’administration en place semble avoir été bien résumée par ce titre : No Trials for Key Players : Government prefers to interrogate bigger fish in terrorism cases rather than charge them6.
3.
Cette conception juridique est totalement étrangère à la tradition et à la sensibilité européennes et est manifestement contraire à la Convention européenne des Droits de l’Homme ainsi qu’à la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’ancien adage de Cicéron, inter arma silent leges, semble avoir gangrené même des organismes internationaux, pourtant censés assurer la primauté du droit et l’équité de la justice. Il est franchement inquiétant de devoir constater que le Conseil de Sécurité de l’ONU sacrifie les principes essentiels en matière de droits fondamentaux au nom de la lutte contre le terrorisme. L’établissement de listes, dites noires, de personnes et de sociétés soupçonnées d’entretenir des rapports avec des organisations considérées terroristes, ainsi que l’application des sanctions qui en découlent violent manifestement tous les principes du droit fondamental à un procès équitable : aucune accusation précise, pas de droit d’être entendu, inexistence du droit de recours, aucune procédure prévue de radiation de la liste7.
2 Au cours de la période 1969 – 1987, l’Italie a compté plus de 14.500 actes de violence dus à une motivation politique, avec 419 morts et 1.181 blessés (données du Ministère de l’Intérieur).
3 Rappelons la phrase célèbre de l’ancien Président de la République italienne, Sandro Pertini : l’Italie peut affirmer avec fierté d’avoir battu le terrorisme dans les palais de justice, pas dans les stades.
4 Au sujet des différentes décisions prises par l’Administration américaine à la suite des attentats du 11 septembre, je me permets de renvoyer le lecteur à l’excellent rapport de Kevin McNamara, Légalité de la détention des personnes par les Etats-Unis à Guantanamo Bay, accompagnant la résolution et la recommandation adoptées par l’APCE le 26 avril 2005 (Doc 10497).
5 Il s’agit de Zacarias Moussaoui, un français d’origine marocaine, condamné à la réclusion à perpétuité par un grand jury de Virginie le 3 mai 2006 ; les jurés n’ont pas suivi les réquisitions des procureurs fédéraux qui avaient demandé la peine de mort (et ont ainsi aussi déjoué le piège du prévenu qui, manifestement, voulait être condamné à mort pour apparaître comme martyr). Selon un document de l’administration américaine, maintenant déclassifié, il apparaît que six membres importants d’Al-Qaïda, ayant directement participé à l’organisation et au financement des attaques du 11 septembre, ont été capturés par les Etats-Unis. Bien que plus impliqués que Moussaoui, ceux-ci ne sont pas appelés à répondre de leurs actes devant la justice américaine (v. aussi Le Monde du 22 avril 2006).
6 Los Angeles Times du 4 mai 2006.
7 La Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’APCE a été saisie d’une proposition de résolution (doc. 10856) soulevant le problème des listes noires du Conseil de Sécurité de l’ONU et présentera prochainement un rapport sur ce sujet.
9
Doc. 10957
1.2. Guantanamo Bay
4.
A Guantanamo Bay, sur l’île de Cuba, quelques centaines de personnes sont détenues sans bénéficier d’aucune des garanties prévues par la procédure pénale d’un Etat fondé sur le principe de la primauté du droit ou par les Conventions de Genève en matière de droit de la guerre. Ces personnes ont été arrêtées en des circonstances inconnues, remises par des autorités étrangères en dehors de toute procédure d’extradition ou enlevées illégalement par des services spéciaux dans différents pays. Elles sont considérées comme des ennemis combattants, selon une nouvelle définition introduite par l’Administration américaine8.
5.
L’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a vivement condamné cet état des choses : elle a adopté à l'unanimité le 26 avril 2005 la Résolution 1433 (2005) ainsi que la Recommandation 1699 (2005), dans lesquelles elle demande instamment au gouvernement des Etats-Unis de mettre fin à cette situation et de veiller aux principes de l’Etat de droit et des droits de l’homme. Elle constate, par ailleurs, que les Etats-Unis ont fait usage de la pratique illégale de la détention secrète. Dans sa réponse du 17 juin 2005 (doc. 10585), le Comité de Ministres exprime son soutien total à toutes ces initiatives et à tous les efforts visant à ce que les personnes détenues à Guantánamo Bay soient libérées dans les plus brefs délais ou traduites devant un tribunal indépendant et impartial pour y être équitablement jugées. Il invite instamment le Gouvernement des Etats-Unis à faire en sorte que les droits de tous les détenus soient garantis et que le principe de la prééminence du droit soit pleinement respecté. Il exprime pour sa part la détermination de tous les Etats membres à assurer pleinement le respect des droits des personnes libérées qui relèvent désormais de leur juridiction. Le Comité des Ministres a adressé un message en ces termes au Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique9. À notre connaissance, aucune réponse n’est parvenue.
6.
Le Comité contre la Torture de l’ONU s’est également prononcé encore tout récemment pour la fermeture du centre de détention de Guantanamo, déplorant son caractère secret ainsi que le fait qu’il ne soit pas accessible au CICR10.
1.3. Des prisons secrètes de la CIA en Europe ?
7.
Telle est la nouvelle diffusée au début du mois de novembre 2005 par l’ONG américaine Human Rights Watch (HRW), par le Washington Post ainsi que par la chaîne ABC. Alors que le Washington Post ne mentionne pas expressément les pays qui abritent ou auraient abrité de tels centres de détention, se référant génériquement à l’Europe de l’Est, le rapport de HRW indique qu’il s’agit de la Pologne et de la Roumanie. Le 5 décembre 2005, ABC rapporte à son tour l’existence de centres de détention secrets en Pologne et en Roumanie, lesquels auraient été fermés suite aux révélations du Washington Post. Selon ABC, 11 suspects détenus dans ces centres auraient alors été transférés dans des infrastructures de la CIA en Afrique du Nord. Ces suspects auraient été soumis aux techniques d’interrogatoire les plus dures (dites « techniques renforcées d’interrogatoire »).
8.
Il est intéressant de relever que cette dépêche d’ABC, confirmant l’utilisation de camps de détention secrets en Pologne et en Roumanie par la CIA, n’a été disponible sur Internet qu’un très court laps de temps, avant d’être retirée suite à l’intervention des avocats des propriétaires de la chaîne. Le Washington Post admettra par la suite avoir disposé des mêmes informations, mais avoir renoncé à indiquer expressément la Pologne et la Roumanie suite à un accord passé avec le Gouvernement. Il est ainsi établi qu’il y a eu d’importantes pressions pour qu’on ne cite pas expressément ces pays. On ne connaît pas quels ont été les arguments qui ont convaincu les organes d’information. Bornons nous à constater qu’il s’agit indiscutablement de faits troublants qui mettent en question les principes de la liberté et de l’indépendance
8 Suite à une injonction d’un tribunal américain, qui s’est basé sur des dispositions du droit de la presse, le Pentagone a publié pour la première fois en avril 2006 la liste des noms, avec l’indication de la nationalité, de 558 personnes détenues à Guantanamo. Une deuxième liste a été publiée le 15 mai 2006 avec l’identité de 759 personnes. Le Pentagone a cependant refusé de préciser si cette liste était exhaustive et comportait les noms de tous les prisonniers ayant transité par Guantanamo. Ceci laisse la possibilité que des détenus n'ayant pas été encore identifiés aient été incarcérés à Guantanamo par d'autres agences gouvernementales. Aucune instance externe n’est à même de confirmer si cette liste est vraiment complète.
9 Les Etats-Unis d’Amérique ont le statut d’Etat observateur auprès du Comité des Ministres depuis le 10 janvier 1996.
10 The Committee was concerned by allegations that the State party had established secret detention facilities, which were not accessible to the International Committee of the Red Cross. The Committee recommended that the United States cease to detain any person at Guantánamo Bay and that it close that detention facility, permit access by the detainees to judicial process or release them as soon as possible, ensuring that they were not returned to any State where they could face a real risk of being tortured (Communiqué de presse du 19 mai 2006,
http://www.unog.ch/unog/website/news_me ... enDocument ).
10
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de la presse. Dans ce contexte, il n’est pas sans intérêt de mentionner que, juste avant la publication des révélations de la journaliste Dana Priest au début du mois de novembre 2005, l’éditeur du Washington Post aurait été invité à une audience à la Maison Blanche avec le Président Bush11.
1.4. La réaction du Conseil de l’Europe
9.
La réaction a été immédiate. Le Président de l’APCE a tout de suite assumé une position très ferme et a invité la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme à se saisir sans tarder de l’affaire. C’est ce qu’elle a fait dès sa séance du 7 novembre 2005. Le Secrétaire Général du Conseil a, quant à lui, mis en oeuvre la procédure prévue à l’article 52 de la Convention européenne des Droits de l'Homme (CEDH). La Commission des questions juridiques et des droits de l’homme a, d’autre part, donné mandat à la Commission de Venise d’établir un avis sur les obligations et la responsabilité des Etats membres du Conseil de l’Europe concernant les lieux de détention secrets et le transport interétatique de prisonniers. Une collaboration s’est également établie avec le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
10.
La Commission de l’Union Européenne, par le biais de son Vice Président Franco Frattini, a exprimé son plein soutien à l’initiative du Conseil de l’Europe. Le soutien de la Commission de l’UE s’est révélé précieux pour l’obtention des informations nécessaires de la part d’Eurocontrol ainsi que du Centre Satellitaire de l’UE. La référence à des pays européens nommément indiqués a subitement provoqué un très grand intérêt médiatique. Ces faits – détentions secrètes et renditions – avaient pourtant été dénoncés depuis un certain temps déjà, soit par l’APCE même, notamment avec la résolution et la recommandation concernant Guantanamo Bay, ci-dessus citées – textes qu’on ne saurait assez conseiller de relire - soit par des rapports très précis établis par des ONG, des professeurs d’université et des journalistes connus pour leur travail très sérieux12. Ces révélations avaient été accueillies avec une étrange indifférence aussi bien par les médias que par les gouvernements et les milieux politiques en général.
1.5. Le Parlement Européen
11.
Les députés du Parlement Européen se sont également inquiétés face au nombre croissant d’indices indiquant que des pays, ou du moins des infrastructures, et le territoire européens, avaient été le théâtre de violations systématiques des droits de l’homme. Au début de 2006 a été ainsi instituée une Commission temporaire composée de 46 membres chargée d’enquêter sur les allégations au sujet de l’existence de prisons de la CIA en Europe où des personnes soupçonnées de terrorisme auraient été détenues et torturées13.
12.
Dans ma précédente note d’information, j’avais salué cette initiative, estimant qu’elle s’inscrivait tout à fait dans la volonté du Conseil de l’Europe de rechercher la vérité. La coopération avec la Commission temporaire s’est révélée excellente, aussi bien au niveau des secrétariats respectifs qu’avec le président
11 Cette rencontre, ainsi que d’autres pressions similaires, a été rendu publique par un éditorialiste reconnu dans un article du Washington Post à la fin de l’année dernière. L’éditeur du Washington Post, Leonard Downie Jr, aurait dit : we met with them on more than one occasion… The meetings were off the record for the purpose of discussing national security issues in [Dana Priest’s] story: Howard Kurtz, Bush Presses Editors on Security, The Washington Post, 26 December 2005; available at:
http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/co ... 65_pf.html.
12 Mentionnons les rapports de Human Rights Watch (Briefing paper, octobre 2004 : The United States’ ‘Disappeared’: The CIA’s Long-Term Ghost Detainees) et d’Amnesty International (rapport AMR51/051/2006 du 5 avril 2006 : Below the radar: secret flights to torture and ‘disappearance’), ainsi que de nombreux articles qui décrivent dans le détail les nouvelles méthodes de la lutte contre le terrorisme, notamment des extraordinary renditions; citons, à titre d’exemple, les contributions dans le Corriere della Sera par Paolo Biondani et Guido Olimpio, ce dernier les ayant réunies et réélaborées dans un livre très documenté (Operazione Hotel California, Feltrinelli, 2005), ainsi que les articles de Stephen Grey (America’s Gulag, The New Statesman, 17 mai 2004; US Accused of Torture Flights, The Sunday Times, 14 novembre 2004; Les Etats-Unis inventent la délocalisation de la torture , le Monde Diplomatique, avril 2005) ; Alfred McCoy (Cruel Science. CIA Torture and U.S. Foreign Policy, New England Journal of Public Policy, Boston, 2004, article qui a été par la suite développé et publié sous forme de livre publié aussi en allemand Foltern und foltern lassen, Zweitausendeins, 2005 ; Torture by Proxy : international and Domestic Law Applicable to « Extraordinary Renditions », rapport publié en 2004 par The Committee on International Human Rights of the Association of the Bar of the City of New York and The Center for Human Rights and Global Justice, New York University School of Law, dont la conclusion ne pouvait être plus claire : Extraordinary Rendition is an illegal practice under both domestic and international law, and that, consistent with U.S. policy against torture, the U.S. government is duty bound to cease all acts of Extraordinary Rendition, to investigate Extraordinary Renditions that have already taken place, and to prosecute and punish those found to have engaged in acts that amount to crimes in connection with Extraordinary Rendition.
13 Temporary Committee on the alleged use of European countries by the CIA for the transport and illegal detention of prisoners (TDIP;
http://www.europarl.eu.int/comparl/temp ... ult_en.htm).
11
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Carlos Miguel Coelho et le rapporteur Claudio Fava. J’ai eu l’occasion de m’adresser aux membres de la Commission du Parlement Européen au cours d’une audition publique.
13.
Le 24 avril 2006 la Commission temporaire a présenté un projet de rapport intérimaire qui confirme les indices d’actes illégaux commis par la CIA en Europe. Ces premiers résultats confirment largement les premières constatations que nous avons consignées dans notre note d’information du 24 janvier 2006. Le rapporteur Claudio Fava, en présentant le rapport intérimaire, a fait état de plus de mille vols affrétés par la CIA (qui) ont transité par l’Europe, souvent pour y opérer des « restitutions extraordinaires »14. Lors d’une conférence de presse, M. Fava, a précisé que, conformément à des informations qui lui avaient été confiées par un agent des services américains, 30 à 50 personnes auraient été enlevées par la CIA en Europe et que la CIA n’aurait pas pu procéder à ces enlèvements sans l’accord des Etats européens15. La Commission temporaire conclut à la poursuite des travaux16.
1.6. Rapporteur ou enquêteur ?
14.
Le rapporteur a souvent été considéré comme un enquêteur, voire un enquêteur spécial. Il n’est dès lors pas inutile de rappeler que le rapporteur n’a joui et ne jouit d’aucun pouvoir particulier d’enquête, notamment d’aucune faculté de recourir à des moyens coercitifs ou d’exiger l’édition de documents particuliers. Le rapporteur a ainsi procédé surtout à un travail d’analyse et de contacts. Il a soumis une série de questions aux gouvernements par le biais des délégations parlementaires nationales, invitant aussi ces dernières à porter le débat sur le plan national. Plusieurs actes parlementaires ont été ainsi présentés dans de nombreux Etats pour obtenir ou exiger des informations des différents gouvernements. Dans quelques pays des commissions parlementaires d’enquête ont été spécialement créées. Le travail de quelques ONG s’est révélé très précieux, souvent même plus complet et plus fiable que les informations fournies par les gouvernements. Une contribution importante a été également donnée par de nombreux journalistes qui ont enquêté sur le terrain, souvent des mois durant. Le rapporteur a pu également bénéficier d’informations qui ne lui ont été confiées qu’avec l’assurance de confidentialité et de la protection des sources. Les éléments ainsi reçus ne peuvent évidemment pas être présentés comme des preuves ; ils ont cependant permis d’orienter les recherches dans certaines directions plus précises et ils m’autorisent à affirmer avec certitude que la recherche de la vérité au sujet de ce qui s’est vraiment passé en Europe avec des personnes suspectées de terrorisme ne s’épuisera certainement pas avec le présent rapport.
15.
Pour ce travail, le rapporteur a pu compter sur le très grand engagement du chef ainsi que d’un collaborateur du secrétariat de la Commission – déjà bien absorbés par les nombreuses autres tâches liées au fonctionnement de la commission et à la rédaction de plusieurs autres rapports – ainsi que d’un autre jeune collaborateur qui a pu finalement être temporairement détaché expressément à cette recherche (et qui s’est révélé très précieux). Je ne peux que leur exprimer toute ma gratitude pour la remarquable compétence dont ils ont fait preuve ainsi que pour leur extraordinaire disponibilité.
16.
J’ai été désigné formellement comme rapporteur le 13 décembre 2005. Les instances du Conseil ont estimé que le rapport devait être présenté dans les plus brefs délais. Cette rapidité, en considération surtout de l’ampleur et de la complexité du sujet, ainsi que des moyens extrêmement modestes à disposition, ne permet certainement pas de présenter un compte-rendu complet des différents aspects de ce qui s’est réellement passé. D’autre part, on est encore bien loin de connaître tous les détails des « restitutions extraordinaires » et des conditions dans lesquelles les personnes enlevées ont été détenues et interrogées en Europe. Il est ainsi fort probable que le Conseil de l’Europe devra se pencher à nouveau sur ce dossier. Les éléments connus à ce jour – et qui s’enrichissent de nouveaux éléments semaine après semaine – non seulement justifient, mais exigent que les Etats membres procèdent finalement à l’ouverture d’enquêtes sérieuses sur leur implication, directe ou indirecte.
17.
Comme je l’ai déjà indiqué dans ma note précédente, on doit sérieusement se demander si l’Assemblée ne devrait pas se donner d’autres moyens pour affronter des affaires d’une telle complexité. Lorsque les recherches portent sur des possibles violations des droits de l’homme, qui ne se limitent pas à des cas individuels (pour lesquels la Cour européenne des Droits de l’Homme est compétente) et qui dépassent les frontières, tendant ainsi à échapper aux procédures nationales, on est en droit de s’interroger sur l’efficacité des instruments actuels. Au lieu d’un seul parlementaire rapporteur soutenu par les
14 Le Monde du 27 avril 2006.
15 Le Monde du 18 mai 2006.
16 La proposition de résolution du Parlement Européen annexée au rapport intérimaire peut être consultée sur
http://www.europarl.europa.eu/comparl/t ... ort_fr.pdf. Je tiens à remercier la Commission Temporaire et le Rapporteur M. Fava d’avoir permis la participation d’un membre de mon équipe lors des visites en Macédoine et aux Etats-Unis.
12
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ressources ordinaires du secrétariat de la commission, déjà largement débordé par d’autres rapports en cours, on pourrait sérieusement se demander si la constitution d’une véritable commission d’enquête, assistée d’experts et munie de véritables droits d’investigation ne serait pas une solution meilleure et mieux à même de faire face à ces nouveaux et importants défis.
18.
Nous avons affronté ce travail avec détermination et avec un souci constant d’objectivité, conscients de l’énormité de la tâche qui nous a été confiée et des moyens franchement dérisoires à disposition, conscients aussi des dangers d’être manipulés. L’esprit qui nous a animé n’a nullement été celui de constituer des dossiers à charge dans le but de condamner ou de stigmatiser. Ce qui nous a guidé, c’est en revanche la volonté de rechercher la vérité pour réaffirmer les valeurs en défense desquelles a toujours oeuvré le Conseil de l’Europe ainsi que pour empêcher que de tels faits puissent se répéter.
1.7. Antiaméricanisme ?
19.
Ce reproche, assez souvent adressé lorsqu’on exprime des critiques au sujet des violations des droits fondamentaux commises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, nous paraît franchement grotesque et nullement pertinent. C’est oublier que les premières dénonciations concernant aussi bien la création du centre de détention de Guantanamo Bay, que le recours aux « extraordinary renditions », ou à l’usage de la torture, ont été tout d’abord exprimées avec vigueur par des journalistes, des ONG et des hommes politiques américains, souvent grâce à des informations précises rendues publiques par des sources à l’intérieur de l’administration, voire des services de renseignement eux-mêmes. Le débat a été, et nous paraît aujourd’hui encore, bien plus vivace aux Etats-Unis qu’en Europe, du moins dans certains milieux et dans certains médias.
20.
La Cour Suprême des Etats-Unis a d’ailleurs elle-même rappelé, dans un jugement remarquable de juin 2004, que l’enjeu dans ce cas n’est rien de moins que celui de l’essence d’une société libre. Si cette nation reste attachée aux idéaux symbolisés par son drapeau, elle ne doit pas utiliser les armes des tyrans pour résister à un assaut des forces de la tyrannie17. Un rappel fort qui exprime la grande tradition démocratique et l’engagement exemplaire des Etats-Unis d’Amérique en matière de droits de l’homme. Les Etats-Unis sont et restent un pays profondément démocratique. Les critiques adressées à certains choix de l’Administration actuelle expriment en fait aussi le souci de voir un pays qui assume indiscutablement un rôle d’exemple et de modèle dans le monde commettre ce que nous considérons des erreurs qui portent atteinte non seulement à des principes fondamentaux mais qui constituent aussi une stratégie contreproductive dans la lutte contre le terrorisme.
1.8. Des preuves ?
21.
Il est pour le moins paradoxal que l’on s’attende à l’administration de preuves, au sens juridique du terme, de la part d’instances – le Conseil de l’Europe et le Parlement Européen – qui ne disposent d’aucun véritable pouvoir d’investigation. Ces organismes ont été en fait conduits à entreprendre ces recherches faute d’une volonté et d’un engagement suffisants des institutions nationales qui auraient pu, et dû, faire toute la lumière sur ces allégations qui, dès le début, ne sont nullement apparues dépourvues de tout fondement.
22.
Jusqu’à ce jour, aucune preuve formelle ne permet d’affirmer que des centres secrets de détention de la CIA aient existé en Pologne, en Roumanie ou dans d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe, même si des indices sérieux continuent à subsister et à se renforcer. Il apparaît néanmoins certain qu’un nombre non précisé de personnes, considérées membres ou complices de mouvements terroristes, ont été arbitrairement et illégalement arrêtées et/ou détenues et transportées sous la responsabilité de services agissant au nom ou pour le compte des autorités américaines. Ces faits se sont déroulés dans des aéroports et dans l’espace aérien européens et ont été rendus possible soit grâce à de graves négligences au niveau du contrôle, soit par une participation, plus ou moins active, d’un ou plusieurs services étatiques d’Etats membres du Conseil.
23.
Le silence et les réticences évidentes des instances qui auraient pu donner les renseignements nécessaires permettent légitimement de penser que ces cas sont plus nombreux que ce qu’il est possible de prouver à ce jour. En réalité, l’état de fait tel qu’il apparaît établi aujourd’hui déjà – et que nous allons illustrer tout au long de ce rapport – ainsi que l’absence manifeste d’enquêtes sérieuses de la part des autorités nationales concernées, impliquent, à mon avis, le renversement de la charge de la preuve : dans une telle situation il appartient désormais aux autorités polonaises et roumaines de procéder à une enquête indépendante et approfondie, et d’en rendre publics non seulement le résultat, mais aussi la méthode et les
17 Paroles de la Juge Sandra Day O’Connor dans l’affaire José Padilla, jugée par la Cour Suprême le 28 juin 2004.
13
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différentes étapes du travail d’enquête18. Si des preuves au sens classique du terme ne sont pas encore disponibles à ce jour, de nombreux éléments, cohérents et convergents, indiquent que de tels centres secrets de détention ont bel et bien existés en Europe. Une telle affirmation ne prétend pas être le jugement d’une cour pénale, qui nécessite une preuve au-delà du doute raisonnable dans le sens anglo-saxon (beyond reasonable doubt) ; il reflète plutôt une conviction basée sur l’évaluation soigneuse du rapport des probabilités (balance of probabilities), ainsi que sur une déduction logique des éléments de fait clairement établis. Il ne s’agit pas de déclarer les autorités de ces pays « coupables » d’avoir toléré des lieux secrets de détention, mais de les tenir pour « responsables » dans le sens d’une violation de l’obligation positive d’investiguer des allégations sérieuses.
2. La « toile d’araignée » mondiale19
24.
Le système de localisation, d’arrestation et de détention des personnes suspectées d’actes terroristes, au centre de ce rapport, n’a pas été créé du jour au lendemain. Il n’a pas non plus surgi du néant au lendemain des attaques du 11 septembre 2001.
25.
J’ai choisi la métaphore de la « toile d’araignée à travers le monde » comme le leitmotiv de mon rapport. En effet, depuis plusieurs années, cette toile a été progressivement tissée au moyen de tactiques et de techniques qui ont dû être élaborées pour faire face aux nouveaux foyers de guerre, au nouveau cadre des combats et à une menace imprévisible.
26.
Les principaux architectes de la toile, les Etats-Unis, ont depuis longtemps les moyens de capturer des personnes-cibles à l’étranger et de les transférer en différents endroits de la planète. Au milieu des années 90, à travers son agence centrale de renseignements, la CIA, les Etats-Unis ont mis en place un programme de « restitutions » chargé de ces opérations. La CIA avait pour mission de nettoyer les rues des personnes soupçonnées de terrorisme à l’étranger, en les transférant dans d’autres pays, le plus souvent dans leur pays d’origine, où elles étaient recherchées pour être jugées ou tout simplement privées de leur liberté sans aucune forme de procès.
2.1. L’évolution du programme de restitutions
27.
Au cours d’une récente mission aux Etats-Unis, un de mes collaborateurs est entré en contact avec plusieurs « sources internes » des renseignements américains. Le témoin le plus éminent est M. Michael Scheuer. C’est lui qui a conçu le programme de restitutions d'origine dans les années 90, sous la présidence Clinton, et est resté employé par la CIA jusqu’en novembre 200420. Des extraits du témoignage de M. Scheuer sont ici repris à la lettre, déclarations par ailleurs souvent confirmées par des preuves concrètes ou par d’autres sources mentionnées ci-dessous21.
18 L’idée du renversement de la charge de la preuve, quand les autorités concernées ne remplissent pas leurs obligations positives d’investigation n’est pas nouvelle : l’article 39 du Règlement de la Commission Inter-Américaine des Droits de l’Homme prévoit que les faits allégués dans une requête, transmis à l’Etat en question, sont présumés véridiques si l’Etat n’a pas donné des informations pertinentes en réponse, pendant le délai imparti par la Commission à cet effet, pour autant que d’autres preuves ne justifient pas un résultat différent. Au sein du Conseil de l’Europe, cette idée a été appliquée dans le Rapport des Experts Indépendants du Secrétaire Général (MM. Alkema et Trechsel) sur les prisonniers politiques en Azerbaïdjan (doc SG/Inf (2001)34 Addendum I), dans lequel il est indiqué que les cas ont été soumis aux autorités pour leurs commentaires et observations et qu’en l’absence d’observations substantielles des autorités, les experts ont dû se baser sur des allégations plausibles provenant d’autres sources (id., p. 20).
19 Cette section doit être lue en même temps que la carte nommée : la toile d’araignée mondiale des détentions secrètes et des transferts illégaux de détenus, et annexée au présent rapport.
20 M. Scheuer était responsable de l’unité Ben Laden du centre antiterroriste de la CIA pendant quatre ans, entre août 1995 et juin 1999. De septembre 2001 à novembre 2004, il a occupé le poste de conseiller spécial du responsable de l’unité Ben Laden. Il est connu pour être une pointure en matière de restitution. Pour cette enquête, M. Scheuer nous a gracieusement octroyé un entretien personnel de trois heures à Washington DC en mai 2006. Contrairement à de nombreuses sources issues des renseignements que mon équipe a rencontrées, il a accepté de nous parler on the record et a évoqué de manière détaillée son expérience de terrain au sein du programme de restitution. Le rapporteur est en possession d’une transcription de cet entretien.
Les extraits cités dans le présent rapport sont présentés comme suit : Michael Scheuer, ancien chef de l’unité Ben Laden, au sein du centre de lutte contre le terrorisme de la CIA.
21 Je souhaite également souligner l’excellent travail des diverses organisations non gouvernementales et des institutions académiques dans la recherche sur l’évolution de la restitution. Je souhaite également les remercier d’avoir bien voulu rencontrer mon équipe et de partager avec elle leurs points de vue de première main. Plus particulièrement, les groupes comme Center for Human Rights and Global Justice de la faculté de droit de l’Université de New York (NYU), Human Rights First, Amnesty International, Human Rights Watch and Cage Prisoners ont publié des documents de travail très utiles.
14
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28.
La cible stratégique du programme de restitution de la CIA a toujours été, et demeure, le réseau terroriste international connu sous le nom d’Al Qaïda. Selon les Etats-Unis, Al Qaïda est composé d’un ensemble nébuleux de cellules répandues à travers le monde, au sein desquelles des « opérateurs » participent à la mise en oeuvre des attaques terroristes. En 1995, le Conseil national de sécurité américain est alarmé par les intentions apparemment sérieuses qu’avait Ousama Ben Laden de se doter d’armes de destruction massive. Il met alors en place le programme « restitutions », en collaboration avec Scheuer et d’autres, afin de faire tomber Al Qaïda, démanteler les cellules et emprisonner les dirigeants d’Al Qaïda.
29.
Les restitutions étaient conçues, du moins à l’origine du programme, dans le respect de l’interprétation que les Etats-Unis donnent de leurs engagements juridiques22. Les conditions préalables au lancement d’une opération de restitution avant les événements du 11 septembre étaient :
•
des poursuites judiciaires en cours à l’encontre du suspect, généralement mêlé à des actes terroristes dans son pays d’origine ;
•
un « dossier » CIA, ou un profil du suspect établi sur la base de renseignements antérieurs et en principe contrôlés par des juristes ;
•
un pays prêt à apporter son aide pour l’arrestation du suspect sur son territoire ; et
•
un endroit où le transférer après son arrestation.
30.
Comme politique générale, on demandait uniquement aux pays de réception de fournir aux Etats-Unis des assurances diplomatiques que les suspects seraient traités conformément à leurs lois nationales. Après le transfert, les Etats-Unis ne cherchaient aucunement à contrôler les conditions de détention des détenus23.
31.
D’après Scheuer, l’obtention de renseignements n’était pas la priorité du programme d’avant le 11 septembre.
Il n’a jamais été question de parler à ces individus. D’après la CIA, l’opération était réussie quand on attrapait quelqu’un qui constituait un danger pour nous ou nos alliés, et qu’on saisissait tous ses documents. Nous savions qu’en cas d’arrestation l’individu était formé pour mentir ou donner de nombreuses informations sur lesquelles on enquêterait pendant des mois sans aucun résultat. Avant le 11/9, les interrogatoires n’avaient que peu d’intérêt24.
32.
On sait que plusieurs Etats membres du Conseil de l‘Europe ont coopéré de façon rapprochée avec les Etats-Unis dans le cadre des opérations de son programme de restitutions, sous la présidence Clinton25. En effet, le gouvernement du Royaume-Uni a indiqué au Conseil de l’Europe26 qu’un système de notification préalable existait dans les années 90 grâce auquel les Etats-Unis notifiaient les escales volontaires ou le survol de l’espace aérien avant une opération de restitution27.
33.
Le mécanisme de la restitution ne constitue pas nécessairement un manquement à la législation internationale des droits de l’homme. D’autres Etats ont également fait valoir leur droit à arrêter un individu suspecté d’actes terroristes sur un territoire étranger afin de le livrer à la justice, si les moyens de la coopération ou de l’assistance judiciaire internationales ne pouvaient pas aboutir au résultat souhaité28.
22 Voir infra, la section intitulée Le point de vue des Etats-Unis, dans le titre 10.1.
23 Dans ma Note d’information II de janvier 2006, j’ai cité plusieurs déclarations d’anciens agents de la CIA qui admettaient que certains traitements réservés aux détenus dépassaient les standards internationaux des droits de l’homme. M. Scheuer a dit à mon représentant : je laisse mes états d’âme à la maison.
24 Michael Scheuer, ancien chef de l’unité Ben Laden, au sein du centre de lutte contre le terrorisme de la CIA, entretien mené par le représentant du Rapporteur. Voir supra, note 19.
25 Cf. Jane Mayer, Outsourcing Torture : The secret history of America’s ‘extraordinary rendition’ program, in The New Yorker, 14 et 21 février 2005. Mayer fait référence aux affaires de restitution bien renseignées au cours desquelles la Croatie (1995) et l’Albanie (1998) ont collaboré avec les Etats-Unis pour appréhender les suspects, pp. 109-110. M. Scheuer a donné un exemple supplémentaire impliquant l’Allemagne, où le suspect nommé Mahmoud Salim, alias Abou Hajer, a été arrêté par la police bavaroise.
26 Cf. Jack Straw, secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Written Ministerial Statement – Enquiries in respect of rendition allegations, annexé à la réponse faite par le Royaume-Uni à l’enquête ouverte par le Secrétaire Général et menée en vertu de l’article 52. Dispon