Le péché originel dans l'orthodoxie

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Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Blaise a écrit :Concernant la question de la « satisfaction » du Christ, je prends acte de son refus par l’Orthodoxie. Mais j’aimerais préciser qu’il n’existe pas une théologie de la satisfaction, et qu’elle ne se résume pas au seul Anselme. De plus sa compréhension pénale est pour ainsi dire morte aujourd’hui.
Vous mettez là l'accent sur une différence importante entre l'Orthodoxie et le catholicisme romain. Dans la mesure où, du point de vue orthodoxe, il y a un dépôt de la foi transmis de manière ininterrompue depuis le temps où le Verbe s'est fait chair et a vécu parmi nous, il n'y a aucun intérêt à rajouter à ce dépôt de nouveaux éléments avant de les laisser "mourir". Il en va pour la théologie de la satisfaction comme pour les limbes: l'Orthodoxie ne comprend pas pourquoi il faudrait rajouter de nouveaux enseignements, les imposer comme vérités pendant des siècles, puis les abandonner - ou les laisser "pour ainsi dire" mourir, peut-être parce que l'on ne veut pas reconnaître que l'on a fait fausse route -, sans se soucier des conséquences terribles que de tels enseignements ont eu sur la vie des fidèles.

Toutefois, vous seriez surpris de constater que la compréhension pénale de la théologie de la satisfaction, en perte de vitesse dans le monde catholique romain comme dans le monde protestant, est promue par certains évêques de l'Eglise orthodoxe qui y voient une manière de se rapprocher de certains Etats, dans une étrange confusion entre politique et religion. Par exemple, le métropolite du Banat, Mgr Nicolas (Corneanu), l'évêque qui a le plus proclamé que tout était politique, y compris la théologie dogmatique, a diffusé dans les années 2000 un catéchisme de son cru qui faisait la promotion de ce que vous appelez la compréhension pénale de la théologie de la satisfaction. Je vous accorde qu'on est, bien sûr, très éloigné d'Augustin, d'Anselme, de Palamas et de toute forme de spiritualité - que celle-ci fut orthodoxe ou non -, mais il faut quand même mentionner de tels faits pour donner une idée de la situation lamentable de l'Eglise orthodoxe à l'heure actuelle, faite de politisation excessive, d'apologie de la tribu et de délitement de la Tradition.

En revanche, on ne peut ni juger la théologie orthodoxe d'après de tels personnages dont on peut souhaiter qu'ils resteront, sur la longue durée de l'Histoire de l'Eglise, de tristes exceptions, ni faire à de grands saints, qui eux, sont représentatifs de l'Orthodoxie, des reproches qui portent à faux et sont en fait des contresens. J'y viens maintenant.

Blaise a écrit :Je vous demanderai de développer ce dernier point que j’ai du mal à bien saisir dans ses différentes implications. Ce qui est certain, c’est qu’Augustin (et à sa suite la théologie latine), contrairement à Grégoire Palamas, qui distinguait essence incognoscible et énergies incréées, a enseigné la possibilité de la vision de Dieu selon l’essence. Face à l’audace spéculative d’un Palamas, c’est lui en l’occurrence qui s’est montré le plus sobre. Vous lui reprochez en somme de s’être aligné sur un concept philosophique. Malgré tout, la plupart des autres Pères ont aussi fait un usage assez constant des philosophes antiques, déjà saint Paul… le tout étant de savoir christianiser des catégories païennes et ne pas se laisser enfermer par les limites rationalistes qu’elles peuvent imposer. Autant vous dire, par conséquent, que je ne partage pas l’opinion excessive de Blaise Pascal.

Lorsque vous parlez d'"audace spéculative" chez saint Grégoire Palamas, vous ne tenez pas compte des principes de base de la théologie orthodoxe et ce que vous écrivez va à l'inverse de toute la vie et de tout l'enseignement de saint Grégoire Palamas. Il serait inconséquent qu'après avoir reproché pendant des siècles à l'Orthodoxie de ne pas avoir de "système", de ne pas avoir de scolastique, de ne pas être portée sur la spéculation, on lui fasse maintenant, dans des intentions que je discerne mal, le reproche inverse en lui attribuant des conceptions qui lui sont complètement étrangères.

Au XIXe siècle, quand Leroy-Beaulieu écrivait L'Empire des tsars et les Russes, il reprochait à l'Eglise orthodoxe son peu d'empressement à dogmatiser et y voyait une cause d'infériorité par rapport au catholicisme romain. Il serait malvenu de lui prêter maintenant les tendances contraires. On peut critiquer l'Orthodoxie, mais encore faut-il parler de l'Orthodoxie telle qu'elle est.

Vous ne trouverez pas dans l'Orthodoxie de système théologique à la Thomas d'Aquin, ni de "magistère". Ce sont des notions qui lui sont étrangères.

La théologie orthodoxe est basée sur l'expérience et sur la continuité de cette expérience. En particulier, il est pour le moins étonnant d'imaginer une "audace spéculative" chez saint Grégoire Palamas, l'homme qui, précisément, a proclamé: "Toute parole peut détruire une autre parole, mais aucune parole ne peut détruire la vie". Vous me semblez prêter en gros à saint Grégoire Palamas les conceptions qui furent celles de ses adversaires Barlaam, Akyndinos et Nicéphore Grégoras. C'est une bien étrange entrée en matière.
Blaise
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Message par Blaise »

Lecteur Claude,

Pour l’Eglise catholique également, « il y a un dépôt de la foi transmis de manière ininterrompue depuis le temps où le Verbe s'est fait chair et a vécu parmi nous […] » Là où nous divergeons fondamentalement c’est dans le second membre de votre phrase : « il n'y a aucun intérêt à rajouter à ce dépôt de nouveaux éléments avant de les laisser "mourir". » Vous devez penser à ce qu’écrivait Vincent de Lérins de façon si synthétique, « il faut veiller soigneusement à s’en tenir à ce qui a été cru partout, et toujours, et par tous. » Cependant Vincent de Lérins, aussi vénérable soit-il, était de son temps. De même Irénée de Lyon, que j’aurais pu citer. Ils mettaient en exergue la permanence du dépôt de la foi, et ils avaient raison, mais au risque d’occulter les développements dogmatiques à l’œuvre depuis les premiers siècles du christianisme. C’est pourquoi l’attitude qui consiste à soutenir que les Pères de l’Eglise et les docteurs auraient été des récepteurs passifs ne me semble pas soutenable au regard de l’histoire. La fidélité à la tradition, sa nécessaire interprétation à une époque donnée, notamment lorsque l’Eglise est confrontée aux hérésies, est inévitable. Ce qu’ont fait les Pères et ce que continuent de faire les théologiens. Par conséquent la théologie est traversée de courants et d’opinions divers, susceptibles de se révéler être des impasses, voire être carrément hérétiques. Pourquoi le nier ? nous ne sommes pas de purs esprits. Cela fait partie de notre condition humaine et aussi de notre propension, consécutive au péché originel, à nous égarer loin de la vérité ou à nous perdre dans des questions oiseuses. Je peux donner des exemples célèbres : Origène, qui malgré son désir de servir fidèlement l’Eglise (et il est allé jusqu’au martyr) s’est vu condamner post-mortem par l’Eglise ; Tertullien, témoin précieux de l’Eglise des premiers siècles, référence incontournable pour la discipline théologique alors en gestation, et qui a pourtant fini schismatique et hérétique, injuriant les « psychiques » comme il disait. Il existe aussi des opinions théologiques qui, sans être hérétiques à strictement parler, ne permettent pas une saisie suffisamment rigoureuse du mystère. C’est pourquoi le Magistère –c’est-à-dire le pouvoir d’enseignement conféré par le Christ à l’Eglise, et dont la charge revient aux évêques en union avec le Pape, est nécessaire pour dire quelles doctrines doivent être crues ou écartées. La transmission du dépôt est insuffisante pour s’assurer de l’orthodoxie de celui-ci : car il faut bien s’assurer qu’il n’a pas été altéré et déformé au cours du temps. Il s’agit de discerner entre développement légitime et ajout de croyances hétérogènes.

Je n’ai pas réellement eu l’intention de me livrer à une attaque en règle de Grégoire Palamas. Et j’avais encore moins l’ambition d’en tirer une généralisation au sujet de l’Orthodoxie. Il s’agissait d’une simple comparaison entre deux hommes, l’un mettant l’accent sur l’unité divine (Augustin) et l’autre sur son absolue transcendance (Grégoire). Il y avait sans doute un brin de polémique dans mon propos, mais qui restait superficiel. Donc inutile de s’y attarder.

Je pense d’ailleurs que ma dernière intervention ne mérite pas de réponse. Nous risquerions de nous écarter du sujet de ce fil.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Blaise a écrit :C’est pourquoi le Magistère –c’est-à-dire le pouvoir d’enseignement conféré par le Christ à l’Eglise, et dont la charge revient aux évêques en union avec le Pape, est nécessaire pour dire quelles doctrines doivent être crues ou écartées. La transmission du dépôt est insuffisante pour s’assurer de l’orthodoxie de celui-ci : car il faut bien s’assurer qu’il n’a pas été altéré et déformé au cours du temps. Il s’agit de discerner entre développement légitime et ajout de croyances hétérogènes.
Deux questions:

1) Quel est l'intérêt d'une apologie du "magistère" papal sur un forum consacré à l'Eglise orthodoxe?

2) En quoi le "Magistère", "dont la charge revient aux évêques en union avec le Pape", s'assure que le dépôt n'a pas "été altéré ou déformé au cours du temps", lorsqu'il l'altère ou le déforme lui-même ? (Exemple du Filioque contraire aux décisisons conciliaires antérieures, contraire à l'Ecriture et condamné, entre autres, par Léon III, avant d'être rendu obligatoire, sans même reprendre l'exemple cité plus haut des limbes ajoutées au dépôt de la foi, puis escamotées.) Quand vous parlez de "discernement entre développement légitime et ajout de croyances hétérogènes", en voilà de beaux exemples.
Blaise
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Message par Blaise »

Lecteur Claude

Vous n’allez tout de même pas me reprocher de prendre la peine de vous répondre. De plus, j’ai à peine parlé du Pape. « apologie », votre expression est un peu excessive. Pas un seul instant je n’ai pensé vous convertir en quelques lignes. L’orthodoxie ne vit pas dans une bulle, et d’ailleurs sur ce forum Orthodoxe vous parlez à tout bout de champ du Catholicisme. Pourquoi pas moi ?

Vous faites dériver la discussion vers d’autres sujets qui, s’ils peuvent être connexes, nous éloignent de celui qui, en l’occurrence, m’intéresse : le péché originel.

Le cas du Filioque ne doit pas être mis sur le même plan que les limbes, car il s’agit d’un dogme. Les limbes, elles, étaient une simple opinion théologique permettant de résoudre la difficulté posée par le sort des nouveaux-nés morts sans baptême. Et encore, la faveur dont a bénéficié le concept des limbes a varié au cours des siècles. Proposées au vote au Concile Vatican I, les limbes ont été écartées par le pape Pie IX qui n’a pas été convaincu de la solidité de leur argumentation.

Je ne dispose pas d’une bonne connaissance du dossier historique du Filioque pour le traiter correctement. Je n’ai pas encore eu l’occasion de creuser suffisamment la question. Néanmoins, c’est dans un Concile œcuménique réunissant latins et Grecs, le Concile de Florence (1445) qu’a été déclaré : « Nous définissons de plus que l'explication contenue dans ces mots " et du Fils " a été ajoutée au symbole de façon licite et raisonnable afin d'éclairer la vérité et par une nécessité alors pressante. » Et l’Eglise Latine n’a jamais remis en cause la validité de ce Concile.

J’insiste : évitons de disperser la discussion. Revenons au péché originel. D’autant plus que dans les jours qui suivent, le temps dont je dispose va aller diminuant.
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Malheureusement, Blaise, j'ai très mal au dos depuis deux jours (arthrose... la vieillerie, quoi...) et le clavier m'est trop pénible pour que je me lance dans de longs messages avant que la crise soit passée, vous me pardonnerez.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
voloc
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péché originel

Message par voloc »

Chers amis, à vous grâce et paix en abondance.

Concernant ce thème j'aime me référer à Isaac le Syrien.

"Le mystère caché dans le Dessein de salut de notre Seigneur, mes bien-aimés, est plus élevé que la remission des péchés ou l'abolition de la mort."

Dans son livre, Hilarion Alfeyev, souligne bien qu'aux yeux d'Isaac, la Rédemption signifie avant tout la restauration de la primauté de l'amour existant aux origines entre Dieu et le monde créé.
Cette primauté fut abolie par la chute, l'homme ne se comportant plus en enfant de Dieu mais en serviteur désobéissant. Dieu est cependant resté leur Père, et son amour de Père rappelle les hommes à cet état originel.

Et aussi dans un chapitre sur la connaissance, selon Isaac, l'Incarnation du Sauveur et sa mort sur la croix eurent lieu:
"non pas pour nous racheter de nos péchés, ni pour aucune autre raison, mais uniquement afin que le monde se rendît compte de l'amour que Dieu porte à sa création. Si cette aventure étonnante ne se fût produite que pour le pardon des péchés, tout autre moyen eut suffi pour nous racheter. Quelle objection l'eut empêché d'accomplir par une mort ordinaire ce qu'il a fait ? Mais il n'a nullement voulu d'une mort ordinaire, afin que tu puisses te rendre compte de la nature de ce mystère. Au contraire, il a goûté la mort dans les souffrances cruelles de la croix. Quelle nécessité y avait-il à ces outrage et à ces crachats dont il fut abreuvé ? La mort à elle seule aurait suffi pour notre rédemption - et surtout la mort de quelqu'un comme lui - sans tout ce qui s'y ajouta. Quelle sagesse que celle de Dieu ! Et comme elle est pleine de vie ! Tu peux maintenant comprendre et réaliser pourquoi la venue de notre Seigneur eut lieu avec tous les événement qui s'ensuivirent, y compris pourquoi lui-même formula clairement son projet de sa propre bouche: "Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique" (Jn 3,16) se référant ainsi à l'Incarnation et au renouveau qu'il apporta."


Source: "l'univers spirituel d'Isaac le Syrien" H.Alfeyev
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