J-Gabriel a écrit :Voilà quelques données (encore vont suivrent) sur les ébionites, et aussi une de leur dissidence les elkhasaïtes dont on parle plus haut.
Les sectes judéo-chrétiennes.
Les juifs ayant été, géographiquement et psychologiquement, les premiers adeptes de la foi nouvelle, il est tout naturel que le judaïsme n’ait pas, sans combat, abandonné ceux des ses principes qui pouvaient paraître conciliables avec la doctrine chrétienne.
A l’époque apostolique, il existait deux tendances dans le judéo-christianisme : l’une considérait que l’Evangile n’avait pas supprimé la Loi et qu’on devait, par exemple, conserver le rite de la circoncision ; l’autre, plus modérée, admettait, pour les Gentils convertis au christianisme, la possibilité de ne pas observer les prescriptions légales du mosaïsme.
Si l’on s’en tenait à la première opinion, on faisait du christianisme une sorte de secte juive ; dans le cas contraire, on créait deux catégories de chrétiens, les uns « intégraux », les autres judaïsants. Ce fut, du reste, ce qui se produisit dans les débuts : les prosélytes de la justice se soumettaient à toutes les prescriptions de la loi mosaïque, la circoncision se combinant avec une initiation dont le baptême semble avoir fait partie, tandis que les prosélytes de la porte, anciens païens, ne pouvaient pénétrer que dans la première enceinte du Temple et en passant par la « porte des Gentils » ; ce sont eux que les Actes de Apôtres dénomment « hommes pieux », « hommes craignant Dieu ».
En véritable précurseur de l’Eglise universelle, Paul l’ « apôtre des Gentils », s’opposait à ceux qui, « venus de Judée », disaient : « Si vous n’êtes circoncis selon la foi de Moïse, vous ne pouvez être sauvés. » Il fit prévaloir son point de vue à l’assemblé qui réunit à Jérusalem les apôtres et les anciens. Les « zélateurs de la foi », cependant, continuèrent leur agitation à Antioche et en Galatie ; pour eux, partisans attardés du judaïsme pharisaïque, la nation juive devait avoir encore un avenir de gloire sous le règne du Roi-Messie. Ce syncrétisme judéo-chrétien était un édifice trop fragile pour résister à la poussée triomphante de la nouvelle religion cosmopolite. Il se maintint encore, il est vrai, au IIe et au IIIe siècle, mais il devait bientôt disparaître, incapable qu’il était de résoudre le dilemme : juif ou chrétien.
On distingua, dans le judéo-christianisme, la tendance modérée et la tendance radicale. La première était représentée par les nazaréens, dont la doctrine se réclamait de l’apôtre Jacques. C’étaient des israélites fidèles, mais qui réussissaient à combiner la perfection évangélique avec l’observation minutieuse des commandements de l’ancienne Loi. La ruine de Jérusalem et la destruction du Temple (en l’an 70) n’abattirent pas leur nationalisme et leur rêve messianique. Leur centre était la ville sainte, où ils avaient un évêque ; le dernier disparut lors de la répression par les Romains de la révolte de Bar-Kochéba (135). Ils se servaient d’un Evangile écrit en araméen et dont le texte est malheureusement perdu.
Les nazaréens peuvent être considérés comme orthodoxes en ce sens qu’ils ne rejetaient rien des principes du christianisme. Mais l’autre tendance judéo-chrétienne, celle des ébionites, était nettement hérétique. L’origine de leur nom, sans doute dérivé de l’hébreu ébion (« pauvre »), n’a pas été éclaircie. Comme les « zélateurs de la foi », ils faisaient de la circoncision et des pratiques légales une condition nécessaire du salut. En outre, ils rejetaient la conception surnaturelle et la divinité du Christ qui, né naturellement de Joseph et de Marie, était devenu Fils de Dieu par son baptême dans le Jourdain. Ils se rapprochaient de la secte israélite des esséniens par leur continence alimentaire et leurs fréquentes ablutions.
Une variété curieuse de l’ébionisme est l’elcésaïsme, où se mêlent aux idées judéo-chrétiennes la gnose, la magie et l’astrologie. Son livre sacré, révélé par un ange et apporté du fond de l’Orient par le sage Elcésaï, enseignait que le Fils de Dieu, seigneur des anges, avait eu plusieurs avatars, d’Adam à Jésus. Le candidat à la secte devait réciter la formule suivante : « J’atteste le Ciel, l’eau, les esprits saints, les anges de la prière, l’huile, le sel et la terre, que dorénavant je m’abstiendrai de pécher, de forniquer, de voler, d’injurier, de désirer ou de haïr le prochain, de rompre les pactes et de me complaire aucun mal » Le néophyte était alors plongé tout habillé dans l’eau baptismale. Si l’elcésaïte retombait dans le péché, il pouvait s’en relever par un nouveau baptême, dit bain de réconciliation.
G. Welter "Histoire des sectes chrétiennes", Payot, 1950. p. 28, 29 et 30.
Concernant les ébionites on voit que ceux-ci disent que le Christ a été pécheur jusqu’au moment de son baptême dans le Jourdain. A ce propos dans leur Evangile il est d’ailleurs écrit ceci : « Tu es mon fils bien-aimé, je t’ai engendré aujourd’hui » !!! au lieu de « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai trouvé mon plaisir. » Matth. 3: 17 , (Darby).
Pour les elkhasaïtes il y a aussi
ici et si le lien ne vous conduit pas à la bonne pages, il faut chercher avec
ELCESAITES (c'est par ordre alphabétique)
Encore une fois, merci de votre travail. Voici un exemple concret qui va vous montrer que l'hypothèse de la survie des ébionites, ou d'une secte judéo-nazaréenne du même genre, jusqu'au VIIe siècle et de leur transformation progressive, à partir de l'an 622, en autre chose que nous savons, n'est pas qu'un fantasme de Grégoire Felix, de Patricia Crone ou de ... Claude le Liseur.
Welter, que vous citez, écrit:
Ce syncrétisme judéo-chrétien était un édifice trop fragile pour résister à la poussée triomphante de la nouvelle religion cosmopolite. Il se maintint encore, il est vrai, au IIe et au IIIe siècle, mais il devait bientôt disparaître, incapable qu’il était de résoudre le dilemme : juif ou chrétien.
Moribondes au IIIe siècle, ces sectes judéo-nazaréennes ?
Mais voici une inscription d'un chah sassanide, le Roi des Rois Kartir:
La persécution qui vise les manichéens tend à faire oublier celles qui ont en même temps pour cibles les fidèles des autres religions, sans doute plus nombreux en Iran qu'on ne serait tenté de le croire, et c'est Kartir lui-même qui attire notre attention sur elles, dans l'une des quatre inscriptions que nous conservons de lui et qui, écrites en moyen perse - et non bilingues ou trilingues -, attestent son nationalisme. Datant des années 276-280, longue de dix-neuf lignes et gravée sur la «Kaaba de Zoroastre», en-dessous d'un texte de Chapur, celle-ci, la plus intéressante, souligne la puissance et la gloire de son auteur, et, ce qui nous intéresse plus, exalte ses actions en faveur du mazdéisme: «Les doctrines d'Ahriman et des démons furent écartées de l'Empire et y furent anéanties : juifs, sramans [bouddhistes], brahmanes, nazaréens, chrétiens, maktiks [gens inconnus], zandiks [manichéens ?] furent abattus [...] beaucoup de feux [...] furent fondés, beaucoup de mariages consanguins furent contractés, beaucoup d'infidèles devinrent fidèles». (Jean-Paul Roux, Histoire de l'Iran et des Iraniens, Fayard, Paris 2009 [1re édition Paris 2006], p. 215.)
Cette inscription appelle, à mon sens, deux remarques, l'une périphérique au sujet qui nous occupe, l'autre en rapport direct.
1) Au passage, on constatera une fois de plus l'oubli de l'Inde dans l'histoire occidentale, l'occultation de tant de siècles de rapports fructueux entre l'Inde et le monde méditerranéen, via le monde iranien. Rencontres qui auraient été plus fructeuses si les Sassanides n'avaient décidé de fonctionner comme barrière plutôt que comme passage. On a oublié les missionnaires bouddhistes envoyés par Asoka à Alexandrie. On a oublié que Chosroès II, après sa chute en 628, fut détenu dans un endroit qui s'appelait la Maison de l'Hindou. Il y avait donc, dans l'Iran et la Mésopotamie de la fin du IIIe siècle, des bouddhistes et des hindouistes. On peut même se demander si les hindouistes mentionnés dans l'inscription de Kartir n'était pas les derniers descendants de l'aristocratie indo-iranienne de l'ancien royaume du Mitanni, ces adorateurs des
devas déjà persécutés du temps des Achéménides ? Après tout, le sud de la Caspienne fut longtemps une région rebelle, où l'Islam, par exemple, ne put prendre pied que plus de deux siècles après sa conquête du reste de l'Empire sassanide. Alors, pourquoi ne pas supposer qu'en plus des immigrants venus de l'Inde et des hindouistes des provinces orientales de l'Empire sassanide, il y avait encore, au IIIe siècle, au sud de la Caspienne, des poches d'hindouistes issus de l'aristocratie indo-aryenne de l'ancien royaume du Mitanni ? (Le sujet a déjà été abordé sur le présent forum, dans le fil
Orthodoxie et bouddhismes, ici:
viewtopic.php?f=1&t=1532&start=0 ).
2) L'inscription de Kartir distingue bien les nazaréens des chrétiens. Selon M. Welter, les sectes judéo-nazaréennes étaient déjà en mauvaise posture dans leur terroir palestinien au IIIe siècle. Or, l'inscription de Kartir nous les montre ayant gagné le plateau iranien à la fin du IIIe siècle. C'est une expansion missionnaire fort considérable pour une hérésie moribonde. Si les judéo-nazaréens (ébionites ou autres) avaient réussi à menacer le mazdéisme dans l'Iran de la fin du IIIe siècle, survivant visiblement aux répressions romaines de 70 et de 135, qu'y a-t-il d'absurde à penser qu'ils se seraient maintenus dans leur terroir de Palestine jusqu'au début du VIIe siècle... disons jusqu'en 622, en attendant leur brillant retour dans leur patrie en 634, sous la conduite d'un chef dont tous les chroniqueurs de l'époque attestent qu'il était vivant en 634, et que les manuels de nos écoles présentent comme mort en 632 (cf.
viewtopic.php?f=1&t=2432) ?
En tant que francophones, nous ne devrions pas non plus oublier l'aventure des Vaudois du Piémont, chassés de leurs vallées en 1685 par Victor-Amédée II sous la pression de Louis XIV, et qui y opérèrent en 1689 leur «glorieuse rentrée» (cf. pasteur Giorgio Tourn,
Les Vaudois, Brepols, Turnhout 2001, p. 17). Un tel exemple bien attesté montre que l'hypothèse de Grégoire Felix et d'autres chercheurs n'est pas si absurde.