La prise de Jérusalem par les Sassanides (614)

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Claude le Liseur
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Re: La prise de Jérusalem par les Sassanides (614)

Message par Claude le Liseur »

J-Gabriel a écrit : mer. 03 févr. 2010 23:03
Claude le Liseur a écrit : Rencontres qui auraient été plus fructeuses si les Sassanides n'avaient décidé de fonctionner comme barrière plutôt que comme passage.
Peu après que vous avez commencé cette rubrique en fin décembre, j’ai commencé à lire sur Héraclius avec quelques livres dont je dispose, notamment "L’EGLISE DES TEMPS BARBARES", Daniel-Rops et "Unité de l’Empire et divisions des Chrétiens", père Jean Meyendorff.
Je voudrai juste, ici, ajouter une note relevé dans le livre de l’historien Daniel-Rops (kto).

C’est dans le contexte de la victoire de l’empereur romain Héraclius sur le roi des perses Chosroès II.
Rappelons que c’est depuis cette victoire qu’Héraclius et ses successeurs portent officiellement le titre de Basileus –équivalent de Roi des Rois– qui, auparavant, ne leur était donné que dans l’usage courant et ne figurait jamais dans les protocoles officiels.

Daniel-Rops
On remarque ainsi que jusqu'à la chute des Sassanides, la Perse devait être considéré comme le centre du monde.
Voici ce que Louis Bréhier écrit à ce sujet dans un livre daté (1949) et orienté (dans un sens uniatisant), mais très complet:
Cependant, dès l'origine de l'Empire on employait dans le langage courant et principalement en Orient, pour désigner le souverain, des termes qui impliquaient à son égard une sujétion complète, voire l'obéissance d'esclaves pour leur maître: dominus (κύριος ), δεσπότης, et même βασιλεύς, roi (expression soigneusement proscrite à Rome depuis l'assassinat de César),reviennent sans cesse dans les textes littéraires et dans les inscriptions des deux premiers siècles, et, à partir du IVe siècle, apparaissent dans les documents officiels, dans les édits, sur les monnaies, mais non dans les protocoles, qui sont seuls qualifiés pour donner aux souverains leur véritable titre. Justinien, dont nous avons rappelé la formule protocolaire, emploie le terme de βασιλεία pour désigner son pouvoir et l'on se sert du même mot pur dater les années de règne d'un empereur. Le titre de basileus devient même l'apanage exclusif de l'empereur; les chefs barbares qui portent la couronne doivent se contenter du titre latin de rex, que l'on s'est empressé de transcrire en grec. Seul le souverain de la Perse, d'après une tradition immémoriale, a droit officiellement au titre de basileus.

(Louis Bréhier, Les institutions de l'empire byzantin, collection L'évolution de l'humanité, n° 20, Albin Michel, Paris 1970 (1re édition Paris 1949), pp. 45 s.; souligné par moi)
Claude le Liseur
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Re: La prise de Jérusalem par les Sassanides (614)

Message par Claude le Liseur »

Bréhier doit cependant être la source du passage de Daniel-Rops cité par Jean-Gabriel dans son message du 4 février 2010 - il y a neuf ans jour pour jour:

Ce fut Héraclius, après sa victoire sur la Perse, qui modifia le premier le protocole impérial et lui donna la forme définitive qu'il conserva, avec peu de variantes, jusqu'à la fin de l'Empire. Les protocoles en grec ou en latin de ses édits antérieurs à 629 sont encore semblables à ceux de Justinien. c'est dans cette même année, où l'on assiste au retour triomphal à Constantinople du vainqueur de la Perse, qu'une nouvelle formule apparaît sur une constitution publiée au nom de l'empereur et de son fils, le Nouveau Constantin, qualifiés de πιστοὶ ἐν Χριστῷ βασιλεῖς. Pour la première fois, le mot basileus devient le titre légal du souverain et il semble bien que dans la pensée d'Héraclius, ce changement soit comme la consécration de la victoire qu'il a remportée sur celui que se targuait jusque-là d'être le grand roi, l'unique basileus.

(Louis Bréhier, Les institutions de l'empire byzantin, collection L'évolution de l'humanité, n° 20, Albin Michel, Paris 1970 (1re édition Paris 1949), p.46.)
Bréhier explique toutefois que le titre de basileus n'apparut sur les monnaies d'argent et de bronze que sous Constantin V Copronyme (741-775) et sur les pièces d'or que sous l'infortuné Constantin VI (780-797).
Claude le Liseur
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Re: La prise de Jérusalem par les Sassanides (614)

Message par Claude le Liseur »

Encore une autre source à propos de l'estime toute spéciale que se portaient les deux ennemis héréditaires perse et romain:



Dix ans plus tard, peu avant la reprise des persécutions, la convocation d'un second Synode fut due, de nouveau, à l'initiative d'un évêque occidental, Acace d'Amid, qui, tout comme Marutha avant lui, était venu en tant qu'ambassadeur de l'empereur Théodose II pour régler certains points de litige entre les Empires perse et romain, "les épaules fortes qui portent le monde".


Herman Teule, Les Assyro-Chaldéens, collection Fils d'Abraham, Brepols, Turnhout 2008, p. 15.
Et, oui, du point de vue assyrien, Amid, l'actuelle Diyarbakır, est une ville "occidentale".

On comprend la logique qui a prévalu à l'époque, et qui est faussée dans nos esprits par des siècles de désinformation: deux Empires, perse et romain; deux Eglises, l'Eglise d'Occident (= essentiellement les patriarcats de Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem, plus quelques Eglises autocéphales à l'existence plus ou moins durable comme Justiniana Prima, Carthage, la Géorgie, l'Arménie, l'Albanie du Caucase, les chrétientés celtiques...) et l'Eglise d'Orient (= le ressort du patriarcat de Séleucie-Ctésiphon).

Toute personne qui utilise le terme "Eglise d'Orient" pour désigner l'Eglise orthodoxe ou les anciennes Eglises monophysites proches de nous commet une erreur. Le terme devrait être utilisé pour la seule vraie Eglise d'Orient, le patriarcat de Séleucie-Ctésiphon, même s'il est réduit à peu de choses de nos jours et même si les Assyriens restés (ou plutôt revenus) dans la communion orthodoxe ne se manifestent qu'à travers un seul lieu de culte en Géorgie.

La chance de l'Eglise d'Occident est qu'elle a réussi à devenir majoritaire dans un grand nombre de pays, de l'Irlande à l'Ethiopie et du Portugal à la Russie. Le malheur de l'Eglise d'Orient, c'est qu'elle n'est devenue majoritaire nulle part. En la sachant repliée depuis le XIVe siècle sur son petit noyau assyro-chaldéen de langue syriaque, qui peut penser qu'elle eut autrefois des évêques à Pékin et au Tibet ?
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