Claude le Liseur a écrit :Certes, mais il ne faut pas oublier qu'ils ont aussi une citadelle en Syrie, la Montagne des Druzes (arabe جبل الدروز jabal-al-drouz) au sud de Damas. Ce territoire avait, lui aussi, été organisé en État autonome par les Français en 1921, avant d'être réuni à la Syrie en 1936 (sous le nom d'État du Djebel druze de 1927 à 1936).
Il ne faudrait pas non plus oublier de mentionner la présence d'une communauté druze dans le nord d'Israël (Galilée). Les druzes sont les seuls Arabes israéliens à servir dans l'armée israélienne (ce que ne font ni les sunnites, ni les chrétiens). La présence d'officiers druzes israéliens dans le corps expéditionnaire israélien envoyé au Liban en 1982 a été un atout pour le chef druze libanais Walid Joumblatt lorsqu'il a liquidé les villages chrétiens (maronites et orthodoxes) du Chouf en 1983 (cf. le livre de Péroncel-Hugoz Une croix sur le Liban).
Pour mémoire, rappelons que, sur le territoire de l'État d'Israël, on comptait en 1985 72'000 druzes (cf. Doris Bensimon et Eglal Errera,
Israéliens. Des Juifs et des Arabes, Complexe, Bruxelles 1989, p. 359). Le Golan (territoire syrien occupé par Israël depuis 1967) comptait 14'000 druzes en 1980 (cf. Bensimon et Errera,
op. cit., p. 365)- mais ceux-ci, n'ayant pas le passeport israélien, ne font pas le service militaire dans l'armée israélienne. Le service militaire dans l'armée israélienne est obligatoire pour les druses depuis 1955, et ce, à leur propre demande (cf. Bensimon et Errera,
op. cit., p. 363.)
Le port des armes, dont les Juifs ont été privés pendant les périodes de persécution - au Moyen Age, par exemple - devient signe de force. A l'exception des bédouins et des Circassiens, les membres des minorités arabes d'Israël n'ont pas l'autorisation de se servir d'armes à feu. Le service militaire ne leur est d'ailleurs pas demandé. Cela est compréhensible, il serait inacceptable pour les Arabes israéliens de se battre pour l'Etat d'Israël, contre d'autres arabes. (Bensimon et Errera, op. cit., p. 364).
En fait, d'autres Arabes israéliens - en l'occurrence les bédouins - sont aussi autorisés à servir dans l'armée israélienne, mais il semble que ce soit moins fréquent que dans le cas des druses.
Contrairement aux paysans et aux citadins musulmans, le bédouin peut se porter volontaire dans l'armée israélienne et effectuer son service militaire. Pourtant, comme pour le Druze, l'intégration du bédouin à la société juive reste limitée et le bédouin va développer un sentiment de frustration face à ses concitoyens juifs. (Bensimon et Errera, op. cit., pp. 430 s.)
Je signale au passage qu'une partie importante des bédouins de Jordanie sont chrétiens (orthodoxes, uniates ou latins). Il semble en revanche que tous les bédouins d'Israël soient musulmans sunnites.
En revanche, il y a sur le territoire de l'État d'Israël une petite minorité qui est de confession sunnite, mais qui n'est pas d'ethnie arabe, et qui fait son service militaire obligatoire dans l'armée israélienne: les légendaires Circassiens ou Tcherkesses, descendants de populations caucasiennes repliées dans l'Empire ottoman en 1864 et dont une partie fut installée par les Turcs en Palestine, en Syrie et en Jordanie. Ils jouent un rôle politique important en Jordanie, où ils font partie des soutiens fidèles du trône hachémite. C'est une population qui a un type physique très différent des autres populations de la région en ce qu'il évoque plutôt le nord de l'Europe. (Le colonel Lawrence, arrêté par les Turcs, réussit à se faire passer pour un Circassien. On sait par ailleurs qu'à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, il y eut plusieurs cas d'esclaves circassiennes qui furent les compagnes de sultans ottomans, de beys de Tunis et de sultans du Maroc.) L'émigration de ces populations circassiennes dans l'Empire ottoman au XIXe siècle était sans doute plutôt la conséquence de leur hostilité à la Russie que d'un amour immodéré pour le sultan-calife ou de convictions panislamistes comme celles qui existaient chez leurs voisins tchétchènes. Même si l'écrasante majorité des Tcherkesses sont musulmans sunnites - on ne rencontre de chrétiens parmi eux que dans leur émigration venue de l'Empire russe en Occident après 1917, ainsi que dans quelques villages tcherkesses sur le territoire de la république d'Ossétie du Nord -Alanie de la Fédération de Russie -, ils semblent être aujourd'hui tout à fait imperméables au wahhabisme comme leurs ancêtres le furent autrefois au mouridisme de l'imâm Chamyl et ne pas manifester d'hostilité particulière à l'égard de leurs voisins chrétiens (dans le Caucase ou au Moyen-Orient) ou juifs (en Israël).
En 1989, Doris Bensimon et Eglal Errera (
op. cit., p. 334) estimaient le nombre des Circassiens en Israël à 3'000 personnes, habitant deux villages de Galilée: Kafr Kama et Rihaniyya.
Le lien avec le message que j'avais posté sur le présent fil le 13 janvier 2010 à 15 heures 53 réside dans le fait que des combattants circassiens installés par les Turcs en Syrie aidèrent les Français lors de la pacification du Djebel druze au début des années 1920:
Au cours d'opérations de pacification en Syrie et dans le Djebel druze en 1920, le général français Philibert Collet (1896-1945) s'est appuyé sur des unités de cavalerie tcherkesses qui se sont particulièrement distinguées. (Amjad M. Jaimoukha et Michel Malherbe, Parlons tcherkesse, L'Harmattan, Paris 2009, p. 140.)
Il en résulta la naissance d'escadrons de cavaliers tcherkesses dans l'armée française du Levant, dont l'uniforme on ne peut plus pittoresque apparaît dans un des ouvrages de Liliane et Fred Funcken qui enchantèrent mon enfance (Liliane et Fred Funcken,
L'uniforme et les armes des soldats de la guerre 1939-1945, tome 1, Casterman, Tournai 1972, personnage n° 5 de la planche de la page 33). Il est évidemment surprenant de découvrir que l'armée française, voici à peine 70 ans, comptait une unité de cavaliers musulmans non arabes habillés dans ce style caucasien que les Occidentaux associent aux Cosaques parce qu'on l'avait donné comme uniforme à certaines unités cosaques de la cavalerie du Tsar - alors que les Cosaques historiques étaient habillés à l'ukrainienne ou à la russe, pas à la caucasienne. Ainsi que je l'ai déjà dit, le passé colonial de la Grande-Bretagne, de la Russie ou de la France recèle parfois de ces surprises...