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Questions sur l'orthodoxie

Publié : ven. 05 mars 2010 14:58
par Thomas Caesariensis
Chers membres du forum,

Ainsi que l'indique ma courte introduction, je suis (ou, jusqu'à très récemment, étais) un catholique romain, et me rapproche de plus en plus de l'orthodoxie ; voilà pourquoi j'ai quelques questions à vous poser.
  • 1. Que répondriez-vous à un catholique qui, interrogé sur le fondement de sa croyance en des doctrines inconnues au sein de l'Église des Pères (telles que l'infaillibilité papale), ferait appel à la notion de « développement de la doctrine », et à l'exemple de la doctrine de l'union hypostatique des deux natures du Christ dont les Apôtres n'avaient entendu parler, ou encore à celui de l'éclaircissement progressif de la non-subordination du Fils et du Saint-Esprit au Père ?
    2. En portant mes regards vers l'Est, laquelle des Églises, entre l'Église orthodoxe, celles des trois conciles et celle de Perse, devrais-je considérer comme étant le Corps Mystique de Notre-Seigneur, et pourquoi ?
    3. Que répondriez-vous aux catholiques qui soutiennent que le rejet par l'Église orthodoxe des conciles de Lyon et de Florence, qu'Elle avait (apparemment) acceptés, dément Sa prétention à l'infaillibilité ?
    4. L'orthodoxie a-t-elle des traditions théologiques qui tentent de réconcilier la prédestination et le libre arbitre ? Quel regard portent les orthodoxes sur le molinisme (mon point de vue) et l'augustinisme ?
    5. Si je deviens orthodoxe, devrai-je être rebaptisé ?
Je serai reconnaissant de toute suggestion de livres que vous pourrez faire (particulièrement en ce qui regarde l'histoire ecclésiastique, qui est essentiellement ce sur quoi portent mes trois premières questions).

Je vous prie de m'excuser si ces questions vous paraissent refléter quelque désinvolte impertinence ; là n'est point mon intention. Je vous remercie d'avance des réponses que vous y saurez apporter.

Priez s'il vous plaît pour moi.

Dieu vous bénisse,

Thomas

Re: Questions sur l'orthodoxie

Publié : ven. 05 mars 2010 18:21
par Dorian
...

Re: Questions sur l'orthodoxie

Publié : ven. 05 mars 2010 21:46
par Claude le Liseur
Thomas Caesariensis a écrit :Chers membres du forum,

Ainsi que l'indique ma courte introduction, je suis (ou, jusqu'à très récemment, étais) un catholique romain, et me rapproche de plus en plus de l'orthodoxie ; voilà pourquoi j'ai quelques questions à vous poser.
  • 1. Que répondriez-vous à un catholique qui, interrogé sur le fondement de sa croyance en des doctrines inconnues au sein de l'Église des Pères (telles que l'infaillibilité papale), ferait appel à la notion de « développement de la doctrine », et à l'exemple de la doctrine de l'union hypostatique des deux natures du Christ dont les Apôtres n'avaient entendu parler, ou encore à celui de l'éclaircissement progressif de la non-subordination du Fils et du Saint-Esprit au Père ?
    2. En portant mes regards vers l'Est, laquelle des Églises, entre l'Église orthodoxe, celles des trois conciles et celle de Perse, devrais-je considérer comme étant le Corps Mystique de Notre-Seigneur, et pourquoi ?
    3. Que répondriez-vous aux catholiques qui soutiennent que le rejet par l'Église orthodoxe des conciles de Lyon et de Florence, qu'Elle avait (apparemment) acceptés, dément Sa prétention à l'infaillibilité ?
    4. L'orthodoxie a-t-elle des traditions théologiques qui tentent de réconcilier la prédestination et le libre arbitre ? Quel regard portent les orthodoxes sur le molinisme (mon point de vue) et l'augustinisme ?
    5. Si je deviens orthodoxe, devrai-je être rebaptisé ?
Je serai reconnaissant de toute suggestion de livres que vous pourrez faire (particulièrement en ce qui regarde l'histoire ecclésiastique, qui est essentiellement ce sur quoi portent mes trois premières questions).

Je vous prie de m'excuser si ces questions vous paraissent refléter quelque désinvolte impertinence ; là n'est point mon intention. Je vous remercie d'avance des réponses que vous y saurez apporter.

Priez s'il vous plaît pour moi.

Dieu vous bénisse,

Thomas

Tout en vous renouvelant le conseil d'utiliser la fonction Rechercher du forum (en haut à droite de votre écran), quelques très brèves réponses, en partant du principe que le plus bref sera le meilleur:

1. L'union hypostatique des deux natures du Christ, la non subordination du Fils et du Saint-Esprit au Père étaient naturellement connues des Apôtres. Le présupposé que les catholiques romains ont inventé pour justifier leur rupture avec la Tradition apostolique, c'est qu'il y aurait eu un développement progressif des dogmes. C'est faux. Tout a été transmis par le Christ aux Apôtres dès le début. On n'a pas réuni les conciles pour le plaisir de se quereller, mais parce qu'il fallait réaffirmer, si possible en des formules percutantes que tout le monde pouvait retenir, des points de doctrine qui étaient remis en cause par des hérétiques. Un exemple très simple: reprenez l'histoire de la crise iconoclaste qui a mené aux définitions dogmatiques du concile de Nicée de 787. Si l'on suit le raisonnement que vous rapportez dans votre question, on devrait admettre que le concile de Nicée se serait réuni en 787 pour proclamer la vénération des icônes qui aurait été inconnue auparavant... Bien sûr que non: la vénération des icônes est aussi ancienne que le christianisme; elle a été violemment contestée par les iconoclastes à partir de 726; le concile s'est réuni pour rappeler une bonne fois pour toutes quel avait été le dépôt de la foi qui avait été remis en cause par les iconoclastes. Non, l'Église orthodoxe n'a pas réuni les conciles pour le plaisir de débattre, et là encore, cet exemple est intéressant: il y avait probablement des iconoclastes bien avant 726, mais c'est à partir de ce moment-là que leur pression est devenue intolérable et qu'il a fallu réagir.
Au contraire, la théorie du développement progressif des dogmes inventée par les catholiques romains justifie la réunion de conciles pour proclamer de nouveaux dogmes, voire la proclamation de nouveaux dogmes par simple décision pontificale (cf. le dogme de l'Immaculée Conception),ce qui est très différent des grandes définitions de la foi orthodoxe qui réaffirmaient le dépôt dogmatique face à des attaques devenues insupportables. Au XIXe siècle, les catholiques se moquaient même de l'Église orthodoxe parce qu'elle n'aimait pas dogmatiser (cf. ce qu'écrivait à ce sujet Leroy-Beaulieu dans L'Empire des tsars et les Russes); aujourd'hui, ils s'en prennent à l'Église orthodoxe parce qu'elle continue à croire ce qu'elle a toujours cru, alors qu'eux-mêmes n'ont eu que trop tendance, ces dernières décennies, à balancer dogmes et discipline après avoir, au cours des siècles précédents, dogmatisé sur trop de choses... et à mauvais escient.

2. L'Église orthodoxe, nous répondrons-vous parce que nous sommes orthodoxes; un Copte vous dira les Églises monophysites; un Assyrien l'Église nestorienne... C'est celle de vos questions qui appellerait les plus longs développements. Plutôt que de me lancer dans de très longues explications christologiques, je vous invite d'abord à lire l'horos du concile de Chalcédoine posté sur la partie Textes liturgiques du présent forum (ici: viewtopic.php?f=8&t=2428 ). Comparez ensuite avec des professions de foi monophysites ou nestoriennes et comparez. Cela vous permettra déjà de vous aider à vous former une opinion. Notre conviction, en tant qu'orthodoxes, est que nous avons gardé le dépôt des Apôtres aussi en matière de christologie et que les Églises vieilles-orientales se sont, à tort, séparées de l'Église une, sainte, catholique et apostolique - l'Église orthodoxe.

3. Mais l'Église orthodoxe n'a jamais accepté les conciles de Lyon et de Florence ! Pour comprendre l'histoire de l'Église orthodoxe, vous devez absolument vous libérer de la vision catholique romaine qui confond l'Église et sa hiérarchie. Le peuple orthodoxe est le gardien de la foi, proclamait l'encyclique des patriarches orientaux de 1848; le patriarche de Constantinople Jean Vekkos a trahi la foi orthodoxe à Lyon, comme son lointain prédécesseur Nestorius avait aussi trahi la foi orthodoxe; ils n'engageaient qu'eux-mêmes. Relisez la vie de saint Maxime le Confesseur, confessant la foi orthodoxe à un moment où Rome et Constantinople soutenaient momentanément le monothélisme. Ou souvenez-vous des orthodoxes d'Ukraine, privés de leur hiérarchie par l'imposition forcée de l'uniatisme par l'occupant polonais en 1596, et qui réussirent à conserver leur foi jusqu'au rétablissement secret de leur hiérarchie en 1620. Si l'on suit le raisonnement que vous rapportez, la trahison des évêques d'Ukraine en 1596, ou celle d'Athanase Ange (surnommé depuis Satanasie) en Transylvanie en 1701, impliquaient que l'Église orthodoxe d'Ukraine et celle de Transylvanie se seraient ralliées à l'uniatisme; c'est évidemment faux; le peuple, ou du moins la major et sanior pars du peuple, a conservé sa foi, auprès de longs combats, jusqu'au rétablissement d'un épiscopat orthodoxe que l'oppresseur a dû reconnaître (en 1632 en Ukraine, en 1761 en Transylvanie).

4. L'augustinisme n'est pas reçu dans l'Orthodoxie. Augustin d'Hippone figure au calendrier des saints, mais ses écrits n'ont eu aucune influence dogmatique. L'Église orthodoxe professe la synergie entre Dieu et l'homme. Le Père latin qui vous permet sans doute de comprendre le mieux la doctrine orthodoxe sur ce point est saint Jean Cassien.

5. La doctrine orthodoxe traditionnelle est qu'il n'y a pas de sacrements à part entière sans la foi orthodoxe, même si des communautés chrétiennes qui se sont séparées de cette foi peuvent conserver des traces de la grâce divine à un degré ou un autre. Le Credo nous le rappelle d'ailleurs: je confesse un seul baptême - c'est-à-dire le baptême de l'Église. L'Église est libre de recevoir les chrétiens hétérodoxes qui retournent à elle par le baptême, la chrismation ou la profession de foi suivie de la communion, voire par l'imposition des mains, et la pratique varie selon les temps et les lieux. En 1839, si mes souvenirs sont bons, un évêque uniate de Biélorussie qui revenait à l'Orthodoxie avait été reçu par le baptême, tandis que ses fidèles étaient reçus par la simple profession de foi, tout simplement pour des raisons pratiques. Au XIXe siècle, l'anglican Palmer avait pris comme prétexte, pour ne pas pousser jusqu'au bout la volonté de conversion qu'il affichait, le fait que l'Église orthodoxe russe lui avait répondu qu'elle le recevrait par la chrismation, tandis que le patriarcat de Constantinople lui avait répondu qu'il le recevrait par le baptême. Palmer glosait à l'infini sur cette différence de pratique, sans se rendre compte que la conversion effectuée par les Russes était reconnue par Constantinople, et vice-versa, et parce qu'il ne voulait pas sortir d'une conception juridique de l'Église pour entrer dans sa dimension sotériologique: en vertu du pouvoir de lier et de délier à elle donnée par NSJC, l'Église orthodoxe peut affermir ce qui est chancelant, rectifer ce qui est erroné et amener à sa perfection ce qui est ébauché,comme Elle le veut et selon les modalités qu'Elle veut. Et Palmer oubliait qu'il y eut un temps, auparavant, où Constantinople recevait par chrismation et les Russes par baptême...
Le problème est qu'à l'heure actuelle, dans l'immense confusion qui s'instaure petit à petit au sein de l'Église, certains confondent ce qui a été accordé par économie avec une règle, et se mettent à développer toute une théorie non traditionnelle de la validité des sacrements hétérodoxes parce que l'on a reçu Untel ou Untel par la profession de foi plutôt que par le baptême ou la communion.

Voici un texte intéressant de l'archimandrite Placide Deseille, à l'origine publié dans la revue Le Messager orthodoxe, sur cette question:
La question du baptême.

Au cours des premiers entretiens que nous avions eus, au sujet de notre entrée dans l’Orthodoxie, avec le Père Emilianos, Higoumène de Simonos Petra, celui-ci ne nous avait pas caché qu’à ses yeux, le mode normal et le plus indiqué d’entrer dans l’Église orthodoxe était le baptême. Je n’avais jamais réfléchi à cet aspect de l’ecclésiologie orthodoxe, et, sur le moment, j’en fus très surpris. J’étudiais soigneusement le problème, à partir des sources canoniques et patristiques. Plusieurs articles écrits par des théologiens ou des canonistes catholiques ou orthodoxes me parurent très éclairants.
Après mûr examen de la question, et avec le plein accord de notre Higoumène, il fut donc décidé, le moment venu, que notre entrée dans l’Église orthodoxe se ferait par le baptême. Le fait a suscité ensuite, dans des milieux catholiques ou orthodoxes peu au courant de la tradition théologique et canonique de l’Église grecque, étonnement et parfois indignation. De nombreuses informations inexactes ayant été diffusées à ce sujet, il me semble nécessaire de donner ici quelques indications historiques et doctrinales qui aideront à bien interpréter les faits.
Dès le IIIe siècle, deux usages se trouvaient en présence dans l’Église pour la réception des hétérodoxes: la réception par l’imposition des mains (ou par la chrismation), et la réitération du rite baptismal déjà reçu dans l’hétérodoxie. Rome n’admettait que l’imposition des mains, et condamnait vigoureusement la réitération du baptême des hérétiques. Les Églises d’Afrique et d’Asie tenaient au contraire pour la seconde pratique, dont les plus fervents défenseurs étaient St Cyprien de Carthage et St Firmilien de Césarée. Ils insistaient sur le lien qui existe entre les sacrements et l’Église. Pour eux, un ministre qui s’écartait de la profession de foi de l’Église s’écartait en même temps de l’Église elle-même, et ne pouvait plus en détenir les sacrements authentiques.

A partir du Ive siècle, la doctrine romaine sur la validité des sacrements des hétérodoxes, soutenue par l’autorité, exceptionnelle dans tout l’Occident, de St Augustin, s’imposa à l’ensemble de l’Église latine, du moins en ce qui concerne le baptême, car la question de la validité des ordinations sacerdotales reçues dans l’hétérodoxie ne fut communément admise en Occident qu’au XIIIe siècle.
En Orient au contraire, grâce surtout à l’influence de St Basile, l’ecclésiologie et la théologie sacramentaire de St Cyprien ne cessèrent jamais d’être considérées comme plus conformes à la tradition et à l’esprit de l’Église que la doctrine de St Augustin. La réception des hétérodoxes par le baptême restait la norme idéale (acribie); cependant, tenant compte de la pratique des Églises où l’on reconnaissait le baptême des hétérodoxes qui ne niaient pas les fondements mêmes de la foi (la doctrine trinitaire), on acceptait, quand des raisons d’économie (c’est-à-dire de condescendance envers la faiblesse humaine) le demandaient, de les recevoir par l’imposition des mains ou la chrismation.

Le principal fondement canonique de la non-reconnaissance en acribie des sacrements des hétérodoxes est le 46e canon apostolique, qui déclare: «L’évêque, le prêtre ou le diacre qui a reconnu le baptême ou l’oblation des hérétiques, nous prescrivons qu’il soit déposé.» Ces canons apostoliques, confirmés par le Vie concile œcuménique (in Trullo), constituent la base du droit canonique orthodoxe. La pratique de l’économie dans certains cas s’autorise du canon! de St Basile le Grand.
A une époque tardive (XVIIe siècle), l’Église orthodoxe russe subit une très forte influence latine, et se rallia partiellement à la thèse augustinienne. Elle décida alors de recevoir les catholiques dans l’Orthodoxie seulement par la confession et une profession de foi. Du point de vue de la théologie orthodoxe traditionnelle, ceci ne peut être admis que comme un recours très large au principe de l’économie.
Ainsi s’expliquent les contradictions apparentes que l’on peut relever dans les textes canoniques des Conciles et des Pères, ainsi que dans la pratique des Églises orthodoxes à travers les siècles. En ce qui concerne la pratique actuelle, la réception des catholiques par le baptême est prescrite très clairement par le Pidalion, recueil canonique officiel des Églises de langue grecque, où le texte des canons est accompagné de commentaires de St Nicodème l’Hagiorite, d’une très grande autorités Pour les territoires relevant du Patriarcat de Constantinople, le décret prescrivant la rebaptisation des catholiques n’a jamais été aboli. Quant à l’Église de Grèce, «ceux qui veulent embrasser l’Orthodoxie doivent être invités à la rebaptisation et seulement là où c’est irréalisable, ils peuvent être reçus par l’onction du Saint Chrême.»
Là encore, je vous invite à utiliser la fonction Rechercher du forum, avec des mots-clés comme chrismation, baptême, etc., parce que feu Jean-Louis Palierne, entre autres, avait beaucoup écrit à ce propos sur le présent forum.
Les communautés orthodoxes qui sont présentes en Europe occidentale reçoivent en général les hétérodoxes par la chrismation.

Suggestion de livres: http://www.forum-orthodoxe.com/livres_et_textes.php

Re: Questions sur l'orthodoxie

Publié : sam. 06 mars 2010 17:03
par Thomas Caesariensis
Chers amis,

Merci beaucoup de vos réponses.

Je vais à Paris le mois prochain ; me serait-il possible de rencontrer un prêtre orthodoxe avec lequel je puisse traiter des sujets qui forment la matière de mes considérations actuelles ? Y en a-t-il un qui ait une connaissance particulière des soucis qui habitent les catholiques romains approchant l'Église orthodoxe ?

Dieu vous bénisse,

Thomas

Re: Questions sur l'orthodoxie

Publié : dim. 07 mars 2010 0:27
par Dorian
Des prêtres orthodoxes il y en a à Paris, vous pourrez en rencontrer donc.

Re: Questions sur l'orthodoxie

Publié : dim. 07 mars 2010 9:25
par Anne Geneviève
Cherchez plutôt les prêtres qui desservent les paroisses francophones car ce sont eux qui reçoivent le plus souvent des gens en recherche venus du monde catholique romain et donc les plus aptes à comprendre votre questionnement, y compris déjà sur le plan linguistique.

Ce site pourra vous aider :
http://www.orthodoxesaparis.org/eglises ... oisses.htm

Re: Questions sur l'orthodoxie

Publié : dim. 07 mars 2010 12:50
par Thomas Caesariensis
Merci, Anne Geneviève.