Un suicide qui interpelle

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patrik111
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Un suicide qui interpelle

Message par patrik111 »

Voici longtemps que je ne me suis pas exprimé sur ce forum et je demande pardon à ceux à qui je n'ai pas répondu. Mais je continue à y venir pour relire d'anciens sujets et pour me nourrir, même si je ne suis pas tout à fait l'un des vôtres. Je crois en Jésus, le Christ, le Fils du Dieu vivant, mais, que l'on me pardonne, je continue à chercher son Église. Cela dit, je ne crois plus depuis longtemps aux messages contradictoires successifs de l'Église romaine. Que l'on me pardonne ces quelques lignes que je crois nécessaires en préambule puisque, après tout, cela ressemble bien à une reprise de contact.

Mais mon sujet de ce soir est tout autre. Peut-être certains d'entre vous ont entendu parler du «suicidé de Notre-Dame», Dominique Venner, païen forcené mais digne de respect pour l'intégrité de sa conduite. Cet homme, qui, toute sa vie, a rejeté le christianisme qu'il croyait connaître (on verra plus loin pourquoi j'ajoute cette mention restrictive) a décidé de se suicider à Notre-Dame, la cathédrale parisienne, apparemment en pleine connaissance de cause. Il faut savoir que le seul secours spirituel qu'il invoquait pour l'Occident (seul objet de son souci, à lui qui disait respecter les différences des autres cultures et civilisations) était, tenez-vous bien, le retour à Homère et à ses valeurs héroïques.

Il a donné comme raison à son suicide la protestation contre ce que, à la suite de Renaud Camus, il appelait le «grand remplacement», à savoir, le changement de population consistant à remplacer les peuples européens de souche par une immigration incontrôlée provenant essentiellement du Sud.

Mais voici ce qu'il écrit, et qui m'amène à poser une question ici.

«Si les Européens ont pu accepter si longtemps l’impensable, c’est qu’ils ont été détruits de l’intérieur par une très ancienne culture de la faute et de la soumission. [ ...] Je souhaite qu’à l’avenir, au clocher de mon village comme à ceux de nos cathédrales, on continue d’entendre la sonnerie apaisante des cloches. Mais je souhaite plus encore que changent les invocations entendues sous leurs voûtes. Je souhaite que l’on cesse d’implorer le pardon et la pitié pour en appeler à la vigueur, à la dignité et à l’énergie.»

Ce souhait, les orthodoxes ne peuvent-ils le faire leur? Ou, en d'autres termes, cette «culture de la faute et de la soumission» qu'il rejette, n'est-ce pas l'enseignement mortifère de l'augustinisme et d'une certaine culture romaine, source majeure de l'athéisme occidental moderne?

Et Venner, quel christianisme a-t-il rencontré? Jamais je ne l'ai entendu mentionner l'orthodoxie. Il est pareil à un très grand nombre de gens, dont j'étais encore naguère, qui n'ont jamais connu que l'Église romaine, laquelle ils ont rejetée, et on peut les comprendre. Quand les catholiques romains comprendront-ils que leur Église porte une responsabilité MAJEURE dans l'athéisme moderne? Je m'empresse de dire que les hérésies et le schisme romains ne sont pas la seule cause de l'athéisme moderne, mais ils n'en restent pas moins, à mes yeux, un ingrédient important dans les causes de ce dernier.

Quoi qu'il en soit, vos avis feront plus que m'intéresser. J'en ai vraiment besoin. Merci par avance.
Patrik111
Claude le Liseur
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Re: Un suicide qui interpelle

Message par Claude le Liseur »

Le premier élément qui me vient à l'esprit à propos de la mort de Dominique Venner est qu'il ne s'agit pas d'un suicide comme les autres et qu'il s'agit plutôt d'une oblation comme la pratiquaient ces généraux romains de la République qui, selon un très ancien rite, offraient leur vie en sacrifice propitiatoire pour le succès de leur armée. On est en dehors des catégories habituelles du suicide. Maintenant, il est aussi permis de s'interroger sur l'utilité d'un tel sacrifice et j'y viendrai plus bas.

Le deuxième élément à rappeler à propos du suicide de Dominique Venner est qu'il n'a pas choisi Notre-Dame-de-Paris par intention blasphématoire ou militantisme anti-chrétien. Tout en étant étranger au christianisme en général et au papisme en particulier, il voyait dans Notre-Dame-de-Paris ce que toute personne sensée (donc ni François Mollande, spécialiste des plaisanteries douteuses à Lourdes, ni Manov Gazov Valls, spécialiste de la répression des manifestations pacifiques) y voit: un grand monument construit par le peuple français. Feu Dominique Venner était donc sensible au symbole national, culturel, à défaut d'être sensible à la dimension religieuse. Encore que je me demande s'il y avait vraiment une dimension religieuse dans cette concurrence que se livraient toutes les villes de France, d'Allemagne et d'Italie pour avoir la cathédrale la plus grande à l'époque de l'architecture dite gothique.

Sans porter aucun jugement de valeur, le choix qu'a fait Venner de Notre-Dame comme lieu de son propre sacrifice montre aussi l'impasse du néo-paganisme et du nationalisme laïc: dans la plupart des villes d'Europe, la seule chose qu'il y a à voir, c'est une église ou une cathédrale. (Je m'en suis rendu compte un soir, il y a dix-sept ans, quand je faisais le guide touristique pour un musulman sunnite égyptien et que je ne trouvais rien d'intéressant à lui montrer, si ce n'est des églises pour lesquelles il n'avait pas d'hostilité, mais qui ne lui disaient absolument rien. Vu l'esthétique gouvernementale en vigueur, ce n'est pas les mosquées du socialisme français, de la démocratie chrétienne allemande ou du centrisme humaniste démocrate belge qui changeront cet état de fait. ) Il est impossible de faire l'impasse sur les siècles de ferveur chrétienne et les néo-païens ne progressent guère dans leur construction d'une identité qui se passerait de l'héritage chrétien. Si l'on veut interpeller un peuple d'Europe, on est toujours obligé de le faire sur le parvis de la cathédrale, ou sur les dernières marches de l'autel. C'est comme cette République française de plus en plus rouge et christianophobe, devenue sa propre caricature (il est évident que la République du Pingouin n'a plus grand'chose à voir avec celle de Monsieur Thiers, de la blanche hermine Raymond Poincaré ou de Mongénéral et se veut une reproduction pathétique et émasculée des excès de la Convention de 1792-1795, nous montrant une fois de plus que Marx avait raison en écrivant que l'Histoire se produit sous forme de tragédie, puis se répète sous forme de farce), mais qui n'a rien d'autre à proposer à l'admiration du monde que le château du Roi-Soleil. On notera d'ailleurs que Flamby a emménagé dans un pavillon qui donne sur le château de Versailles, comme un hommage du vice à la vertu.

Venner s'est très clairement expliqué sur les raisons de son acte et, dans une certaine mesure, il s'est comporté en samouraï d'Occident, comparaison qui revenait depuis un certain temps dans ses écrits. Je redoute, bien sûr, que son geste ne soit une reproduction de celui de Mishima Yukio, qui avait espéré réveiller le Japon par son suicide symbolique, sans que cela aboutisse au résultat espéré. Peut-être en ira-t-il autrement dans la mesure où je soupçonne toujours une pose chez Mishima, tandis que Venner était absolument sincère, qu'il avait suivi la même trajectoire rectiligne depuis le début et que ceci aura peut-être été un obstacle aux ricanements sur commande destinés à faire oublier la portée de son acte. Seul l'avenir nous dira s'il aura atteint ou pas son objectif qui était, comme vous le relevez dans le titre de votre message, d'interpeller.
Claude le Liseur
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Re: Un suicide qui interpelle

Message par Claude le Liseur »

patrik111 a écrit : Ce souhait, les orthodoxes ne peuvent-ils le faire leur? Ou, en d'autres termes, cette «culture de la faute et de la soumission» qu'il rejette, n'est-ce pas l'enseignement mortifère de l'augustinisme et d'une certaine culture romaine, source majeure de l'athéisme occidental moderne?

Et Venner, quel christianisme a-t-il rencontré? Jamais je ne l'ai entendu mentionner l'orthodoxie. Il est pareil à un très grand nombre de gens, dont j'étais encore naguère, qui n'ont jamais connu que l'Église romaine, laquelle ils ont rejetée, et on peut les comprendre. Quand les catholiques romains comprendront-ils que leur Église porte une responsabilité MAJEURE dans l'athéisme moderne? Je m'empresse de dire que les hérésies et le schisme romains ne sont pas la seule cause de l'athéisme moderne, mais ils n'en restent pas moins, à mes yeux, un ingrédient important dans les causes de ce dernier.

Quoi qu'il en soit, vos avis feront plus que m'intéresser. J'en ai vraiment besoin. Merci par avance.

Je suis d'accord avec vous sur ce point. Venner faisait partie de ces gens qui n'ont jamais rencontré l'Orthodoxie, qui ne l'ont jamais évoquée autrement qu'à travers la seule Eglise orthodoxe russe envisagée sous le prisme politique et nationaliste et jamais sous le prisme spirituel. Je me souviens d'une énorme bêtise que François-Georges Dreyfus avait écrite à propos de l'Eglise orthodoxe russe dans la revue de Venner, où il la décrivait comme à la fois mystique, intolérante et nationaliste. Or, dans toutes les Eglises locales orthodoxes, le courant phylétiste, adepte du nationalisme religieux, est toujours le plus "tolérant" en paroles, le plus adogmatique, le plus ami de l'Occident en tant qu'entité abstraite et le plus ennemi des Occidentaux en tant que personnes qui, elles aussi, ont droit à la vérité.

Je pense que Venner était profondément marqué par l'analyse du catholicisme français qui, sur la longue durée historique, a presque toujours été persécuteur (les protestants des Cévennes en savent quelque chose*) et rarement persécuté, avant de sombrer dans un sentimentalisme fade dont on ne peut, à vue humaine, jamais attendre le moindre appel à la résistance. Notre clergé orthodoxe n'est pas très brillant, mais au moins, je vois en Grèce des évêques et des prêtres qui s'engagent aux côtés du peuple dans la lutte contre une politique qui menace la survie même de la population. Je n'attends naturellement pas le millième de ce début de réaction de la part du clergé romain en France (ou en Suisse, ou en Belgique, ou en Allemagne - les choses sont un peu différentes en Italie) et je comprends sans peine la réflexion de Dominique Venner.

Pourtant, quand l'Eglise catholique romaine en France a eu à son tour à subir l'épreuve et à mener le combat suprême pour sa survie, de juillet 1790 à novembre 1799, elle s'est magnifiquement battue: c'est 126 évêques sur 130 refusant de prêter serment à la Constitution civile du clergé, c'est les prêtres réfractaires massacrés ou déportés en Guyane. On dirait que l'actuel clergé romain en France n'a de cesse que de faire disparaître le souvenir de cette résistance héroïque à l'Etat-Moloch. Peut-être parce que cette Eglise-là était gallicane et non ultramontaine?

Alors oui, si Venner avait compris que tous les christianismes ne se valent pas, il aurait pu découvrir la tradition de résistance et de résilience d'une Eglise orthodoxe qui, depuis maintenant quatorze siècles, est partout et toujours en lutte pour la vie.

* Dans L'Ancien Régime, Taine montre bien que le clergé du XVIIIe siècle était acharné à ce que se poursuivît la persécution contre les protestants et qu'il usait de tous les moyens de pression (surtout financiers) sur la monarchie chaque fois que le pouvoir politique voulait faire un pas vers la tolérance. On voudrait récrire l'Histoire en nous faisant accroire la légende d'un clergé tolérant et d'un pouvoir politique fanatique. C'est plutôt l'inverse qui était vrai.
Nikolas
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Re: Un suicide qui interpelle

Message par Nikolas »

Bonjour Patrik et heureux de vous lire à nouveau.

Je ne saurais vous apporter de réponse sur les espérances et les convictions d'un homme dont je ne connaissais pas le nom il y a encore quelques minutes, bien que j'ai vaguement entendu parler de ce fait divers. Mais il me paraît évident que "cette culture de la faute et de la soumission" qu'il rejetait, faisait effectivement référence au christianisme que j'appellerai maladroitement augustino-légaliste du catholicisme-romain, comme vous l'avez remarqué.

Je voulais seulement dire qu'un point de l'analyse de Claude me semble erroné ou incomplet en ce qui concerne le choix du lieu.
Claude le Liseur a écrit :Le premier élément qui me vient à l'esprit à propos de la mort de Dominique Venner est qu'il ne s'agit pas d'un suicide comme les autres et qu'il s'agit plutôt d'une oblation comme la pratiquaient ces généraux romains de la République qui, selon un très ancien rite, offraient leur vie en sacrifice propitiatoire pour le succès de leur armée. On est en dehors des catégories habituelles du suicide. Maintenant, il est aussi permis de s'interroger sur l'utilité d'un tel sacrifice et j'y viendrai plus bas.

Le deuxième élément à rappeler à propos du suicide de Dominique Venner est qu'il n'a pas choisi Notre-Dame-de-Paris par intention blasphématoire ou militantisme anti-chrétien. Tout en étant étranger au christianisme en général et au papisme en particulier, il voyait dans Notre-Dame-de-Paris ce que toute personne sensée (donc ni François Mollande, spécialiste des plaisanteries douteuses à Lourdes, ni Manov Gazov Valls, spécialiste de la répression des manifestations pacifiques) y voit: un grand monument construit par le peuple français. Feu Dominique Venner était donc sensible au symbole national, culturel, à défaut d'être sensible à la dimension religieuse. Encore que je me demande s'il y avait vraiment une dimension religieuse dans cette concurrence que se livraient toutes les villes de France, d'Allemagne et d'Italie pour avoir la cathédrale la plus grande à l'époque de l'architecture dite gothique.

Sans porter aucun jugement de valeur, le choix qu'a fait Venner de Notre-Dame comme lieu de son propre sacrifice montre aussi l'impasse du néo-paganisme et du nationalisme laïc: dans la plupart des villes d'Europe, la seule chose qu'il y a à voir, c'est une église ou une cathédrale. (Je m'en suis rendu compte un soir, il y a dix-sept ans, quand je faisais le guide touristique pour un musulman sunnite égyptien et que je ne trouvais rien d'intéressant à lui montrer, si ce n'est des églises pour lesquelles il n'avait pas d'hostilité, mais qui ne lui disaient absolument rien. Vu l'esthétique gouvernementale en vigueur, ce n'est pas les mosquées du socialisme français, de la démocratie chrétienne allemande ou du centrisme humaniste démocrate belge qui changeront cet état de fait. ) Il est impossible de faire l'impasse sur les siècles de ferveur chrétienne et les néo-païens ne progressent guère dans leur construction d'une identité qui se passerait de l'héritage chrétien. Si l'on veut interpeller un peuple d'Europe, on est toujours obligé de le faire sur le parvis de la cathédrale, ou sur les dernières marches de l'autel.
Certes le choix de Notre Dame de Paris était murement réfléchi. Une des plus belles cathédrales gothique de France, peut être la plus connue. Peut être y voyait il aussi, surement, "un grand monument construit par le peuple français" comme l'écrit Claude. Et qu'étant l'un des monuments historiques le plus connu de France, un lieu marquant de la culture chrétienne Française, un lieu saint du christianisme car y sont conservés des reliques de la Passion, un lieu situé au plein coeur de la capitale Française, ect... tout cela en faisait un lieu hautement symbolique en générale et surement pour lui également.

Mais il me semble qu'un autre élément, et non des moindres, l'a poussé à choisir ce lieu, pour effectuer son "oblation" comme Claude l'évoquait, en païen qu'il était. En effet, comme le souligne cet article de L'Express ( http://www.lexpress.fr/actualite/politi ... 63614.html ) consacré au suicide de D. Venner, Notre Dame de Paris a probablement été édifié sur un temple païen. Le fait également qu'il se soit "sacrifié" près du chœur comme le souligne l'article, nous rappel que c'est près de là qu'en Mars 1711 dans les fondations de l'autel que fut découvert lors de fouille le pilier des Nautes. Daté du Ier siècle et dédié à des divinités gauloises et romaines, ce pilier est peut être un assemblage d'autels. Il s'agit aussi du plus vieux monuments de Paris, aujourd'hui visible au musée de Cluny. L'île de la Cité où se trouve Notre Dame et où se trouvait le temple païen gallo-romain est aussi considéré comme étant le cœur de l'antique cité gallo-romaine de Lutèce.
Ce qui fait de Notre Dame un lieu encore plus indiqué pour un païen souhaitant ce "sacrifier", peut être plus encore qu'un monument chrétien si célèbre soit-il et symbolique d'une culture chrétienne occidentale que cet homme rejetait.
Claude le Liseur
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Re: Un suicide qui interpelle

Message par Claude le Liseur »

Nikolas a écrit : Mais il me semble qu'un autre élément, et non des moindres, l'a poussé à choisir ce lieu, pour effectuer son "oblation" comme Claude l'évoquait, en païen qu'il était. En effet, comme le souligne cet article de L'Express ( http://www.lexpress.fr/actualite/politi ... 63614.html ) consacré au suicide de D. Venner, Notre Dame de Paris a probablement été édifié sur un temple païen. Le fait également qu'il se soit "sacrifié" près du chœur comme le souligne l'article, nous rappel que c'est près de là qu'en Mars 1711 dans les fondations de l'autel que fut découvert lors de fouille le pilier des Nautes. Daté du Ier siècle et dédié à des divinités gauloises et romaines, ce pilier est peut être un assemblage d'autels. Il s'agit aussi du plus vieux monuments de Paris, aujourd'hui visible au musée de Cluny. L'île de la Cité où se trouve Notre Dame et où se trouvait le temple païen gallo-romain est aussi considéré comme étant le cœur de l'antique cité gallo-romaine de Lutèce.
Ce qui fait de Notre Dame un lieu encore plus indiqué pour un païen souhaitant ce "sacrifier", peut être plus encore qu'un monument chrétien si célèbre soit-il et symbolique d'une culture chrétienne occidentale que cet homme rejetait.
Bien vu. Je ne connaissais pas les détails que vous donnez. Cela pourrait en effet expliquer beaucoup dans le choix ultime de Dominique Venner.
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