Voilà ci-dessous un article que j'ai pu lire il y a quelques années et depuis j'ai toujours voulu le partager sur un blog ou ici même. Je n'en dit pas trop pour l'instant puisque tout est dit dans le texte de présentation au début, et je vais faire de mon mieux pour recopier tout ça. En vous souhaitant une bonne semaine Sainte.
Examen critique des applications de la théologie
Professeur Jean Romanidis
(REVELETION ET EXPERIENCE DE DIEU selon les Pères)
Le sujet qui nous a été donné présuppose l’interdépendance entre, d’une part, les principes théoriques de toute discipline scientifique et, d’autre part, ses applications pratiques à la fois aux besoins de l’homme et à la vérification et promotion de ces données théoriques elles-mêmes.
Il est donc question, ici, non seulement de la recherche pure, qui vise à la connaissance pour elle-même –laquelle peut, d’ailleurs, à un moment donné, se révéler aussi utile– mais également de celle qui répond, dès à présent, aux besoins de la société en général et de l’homme en particulier.
La science moderne a développé une méthode qui consiste à combiner, par imagination, un certain nombre d’hypothèses théoriques et, ensuite, à les soumettre au test critique d’une expérimentation plusieurs fois répétable, pour voir selon quelle combinaison d’éléments et de circonstances les affectant, les résultats prédits par la théorie se produisent.
Ce fait premier, joint au développement d’instruments capables de détecter, de mesurer et d’analyser, outre les objets à notre portée, ceux qui se trouvent éloignés de plusieurs milliers de kilomètres, crée une situation proprement vertigineuse pour quiconque cherche à se tenir informé de la recherche contemporaine.
Toutefois, les méthodes utilisées avec tant de succès dans le domaine de la structure physique et biologique de l’univers, n’ont pas rencontré un succès identique dans d’autres domaines scientifiques, tels l’histoire, la sociologie, la science politique, l’économie, la psychologie, la pédagogie, la religion et la plupart des théologies.
Presque toutes les théologiens, en effet, ainsi que la plupart des philosophies, ont été balayées par l’esprit critique moderne, qui ne reconnaît plus la spéculation fondée sur une autorité, à moins que cette autorité ne puisse être formulée en axiomes vérifiés par l’expérience ; ces axiomes, à leur tour, laissent le champ ouvert à de nouvelles expérimentations et à de nouveaux axiomes.
L’idée même de vérités inchangeables et immuables, qui seraient cachées derrière, sous-jacentes, ou transcendantes à la structure observable et mesurable du réel, –ou à la réalité invisible et non-mesurable–, cette idée si chère aux système philosophiques et théologiques de tradition latine et protestante, a été sérieusement battue en brèche par une vérité dont l’évidence crève aujourd’hui les yeux : toutes les choses, quoique soumises à un modèle continu et répétitif, sont dans un perpétuel état de changement, de développement et de transformation.
Il y a quelque chose de plaisant à entendre ces groupes religieux qui, autrefois, attachaient tant de valeur aux choses qui ne changent ni ne passent, parler sans cesse aujourd’hui du changement, de ses miracles et de ses vertus, jusqu’à lui attribuer le pouvoir de rassembler les chrétiens divisés dans une unité toujours croissante et fluctuante.
Nous abordons ce sujet gardant à l’esprit (1) l’examen critique utilisé dans le champ de la recherche en général, (2) le sujet de notre conférence et (3) le titre de la présente sous-section : "La Théologie dans le Renouveau de la Vie de l’Eglise".
En tout état de cause, nous ne pouvons discuter des applications de la théologie avant d’avoir déterminé quelle théologie particulière on veut appliquer. L’examen des "applications" de la théologie commence donc par l’examen de la "théologie" qui est à appliquer.
A : EXAMEN CRITIQUE
La première question à poser est la suivante : existe-t-il, parmi les méthodes de recherche et d’expérimentation en usage dans les disciplines scientifiques et sociologiques contemporaines, une méthode que l’on puisse appliquer à la Théologie Orthodoxe et à ses applications ?
La réponse à cette question demande qu’on détermine le sujet et le but de la Théologie Orthodoxe, et leur mode d’application.
Ici, nous rencontrons la question de la nature de la théologie et des critères à utiliser pour en vérifier l’authenticité.
1) La théologie est-elle révélé de manière autoritaire, de sorte qu’elle ne puisse être mise en question et soumise à l’expérimentation critique selon les méthodes en usage dans d’autres disciplines ?
2) Ou bien est-elle une exposition d’hypothèses spéculatives qui peuvent être soumises à une expérimentation scientifique selon les méthodes usuelles et ainsi être acceptées comme des axiomes dogmatiques ?
3) Ou bien, enfin, la théologie est-elle une combinaison d’axiomes dogmatiques révélés autoritairement, mais qui peuvent être analysés par la raison pour aboutir à une compréhension plus profonde et progressivement meilleure ?
Dans ces trois possibilités, la question de la révélation elle-même présente de sérieux problèmes pour l’application de la recherche et des méthodes d’expérimentation connues et utilisées par les chercheurs d’aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que ce qui est accepté comme révélé devient le critère même (de la vérité) et ne peut être soumis à l’examen et à l’évaluation critique par les méthodes de recherche de la connaissance en usage, à moins que l’on ne démontre que cette "vérité révélé" appartient elle-même à cette même catégorie de connaissance (vérifiables par expérimentation). Dans cette hypothèse, ce que certains considèrent, à telle époque donnée, comme des dogmes et des axiomes révélés peut être, à une époque ultérieure, soit rejeté par l’examen critique scientifique (que les partisans de ces dogmes l’acceptent ou non), soit, au contraire, être acceptés au terme de cette même recherche scientifique et sociologique.
1) a) Etant donné que l’examen critique des applications de la théologie dépend directement de ce que l’on entend par "Révélation", il peut être utile de montrer ce qu’il est advenu de ces traditions latines et protestantes qui ont identifié avec la Bible soit le germe de la Révélation, soit la Révélation elle-même dans son ensemble.
Il semble que les traditions latines et protestantes étaient inévitablement destinées à recevoir le rude coup que leur porta leur propre critique biblique fondée sur la recherche historique. Cette dernière a pour but
1) De reconstruire les conditions de vie dans lesquelles ont été écrites chaque partie de la Bible ;
2) d’examiner les genres littéraires et les formes de Prédication ainsi que les méthodes utilisés par les auteurs Sacrés, pour les comparer avec les données extra-bibliques ;
3) enfin, de comparer les idées bibliques avec d’autres modèles de pensée et de croyances pour déterminer le degré d’interdépendance entre ces diverses traditions.
Mon opinion personnelle est que les résultats, bien que ruineux pour les traditions latines et protestantes, constituent une excellente purification (catharsis) et devraient être une bonne leçon pour tous ceux qui, parmi les orthodoxes, ont abandonné la tradition patristique et ont identifié la Révélation avec la Bible ou pour ceux qui pensent que tel est l’enseignement des Pères.
Au premier groupe appartiennent les "orthodoxes" fondamentalistes modernes que l’on appelle "conservateurs" ; et au second appartiennent les "orthodoxes" modernes "anti-fondamentalistes" que l’on pourrait appeler "libéraux". On doit préciser qu’aucune de ces distinctions n’est fondée sur la tradition patristique étant donné que les Pères ne sont pas "fondammentalistes".
b) 1/ La thèse latine et protestante selon laquelle la Bible est le Verbe de Dieu, ou la Révélation, vient à l’origine d’Augustin qui croyait que Dieu apparait aux prophètes par l’entremise de créatures qu’il mène à l’être afin que, par elles, il puisse être vu et entendu. Après avoir été vus et entendus, ces intermédiaires créés retournent au non-être.
Cette révélation au moyen de symboles vus et entendus, qui apparaissent pour ensuite disparaître, qui touchent l’intellect du prophète par l’entremise des sens, est la forme la plus basse de la Révélation.
2/ La forme la plus haute est "l’injection", "l’infusion" direct dans l’esprit du prophète ou de l’apôtre, du concept, de l’idée ou de l’enseignement que Dieu veut révéler.
3/ Outre ces deux formes de révélation, il y a également la vision ou l’expérience de "l’essence" divine (?) par l’âme, vision transcendant toutes les limitations physiques et sensorielles de l’espace-temps ; dans une extase non-discursive. Une telle expérience, toutefois, ne s’identifie pas nécessairement avec la Révélation, à moins que les idées et les concepts concernant Dieu ne soient reçus par l’intellect pour être transmis à d’autres. Toutefois, ce n’est pas ce qui arrive dans de telles extases qui sont habituellement associées à une perte totale du contact avec l’espace et le temps et par conséquent de leur contenu expérimental. Cette intuition extatique est prétendument une expérience de l’intellect aidé par la grâce et libéré de l’espace et du temps, c'est-à-dire des limitations physiques et sensorielles. Du point de vue patristique cette expérience est démoniaque.
Latin et Protestants s’accordent, d’ordinaire, sur les points 1 et 2, mais non pas toujours sur le point 3 qui, a été associé à la contemplation monastique, rejetée généralement par le protestantisme, et toujours par les Orthodoxes.
Ce qui est, pour nous, d’un intérêt immédiat au sujet des points 1 et 2, c’est qu’ils ont pris les traditions latines et protestantes au pièges des thèses "fondamentalistes", thèses que la critique moderne protestante et la critique latine biblique se sont appliquées à éprouver, et à détruire de fond en comble.
Le point assurément le plus faible du fondamentalisme biblique est l’idée que la Bible est non seulement divinement inspirée, mais, davantage, un livre dicté par Dieu afin d’être Sa révélation à l’homme.
Ainsi la Bible était devenue gigantesque axiome révélé qui constituait le critère absolu, non seulement pour toute question concernant Dieu et Sa relation au monde par le Christ et le Saint Esprit, mais, aussi bien, pour toute enquête sur la structure de l’univers, le processus de développement dans la nature, et l’histoire de l’homme.
L’étonnant est que, malgré les recherches de la critique moderne, la Bible reste toujours, dans la tradition latine et protestante, identifiée à la révélation par ceux qui demeurent des "croyants" au sens plus au moins traditionnel. Pourquoi cela ? Parce que la seule forme de Révélation que connaissent les Latins et les Protestants –la seule idée qu’ils en ont– est la révélation de concepts intelligibles par un intellect éclairé par la foi et la grâce.
c) Afin de faire le tour de ces observations dur l’usage de l’examen critique à l’intérieur des traditions latine et protestante, nous devons garder à l’esprit les tendances historiques générales que voici, qui jouent dans le développement des critères et des autorités qui règlent l’interprétation des Ecritures et la promulgation des formules dogmatiques et des confessions de foi.
L’identité de la Bible et de la Révélation acceptée, il faut trouver, pour définir l’interprétation dogmatique ou confessionnelle correcte de l’Ecriture, une autorité, telle qu’elle coexiste dans l’histoire avec la Bible.
La détermination de la nature et des limites de cette autorité dépend à son tour, inévitablement, du cadre de référence accepté, où la révélation a déjà été identifiées, ou réduite, à la révélation des signes linguistiques ou imagés portant sur Dieu et sur Sa relation au monde et l’homme par le Christ et le Saint Esprit. Cette révélation de mots et de symboles iconiques implique, pour tout homme, à la fois le devoir et la capacité de comprendre, par la foi et la grâce, la signification de ces mots et de ces images.
Ce qui a deux conséquences : la révélation, d’une part, s’adresse à la faculté humaine de comprendre, par la foi et la grâce ; mais d’autre part, elle est elle-même une certaine quantité d’information, donnée sous une forme complète, qui peut être possédée quantitativement à la fois par les croyants individuels et par le corps collectif de l’Eglise, voire même par les hérétiques ou les non-croyants.
Voilà pourquoi les sociétés bibliques anglaises et américaines ont une telle propension à distribuer la Bible à droite et à gauche. C’est qu’ils distribuent en effet, selon eux, la révélation de Dieu à l’homme, avec la conviction que ceux qui sont prédestinés au salut seront inspirés par le Saint Esprit pour la lire et la comprendre.
Jusqu’à l’époque de la Réforme protestante, les Latins acceptaient généralement la croyance d’Augustin selon laquelle l’Eglise est une société de fidèles prédestinés qui ont reçu le don de comprendre la révélation dans la Bible, après l’avoir acceptée par la foi. Pour Augustin, l’autorité ultime dans l’interprétation de cette révélation est l’Eglise.
Toutefois, selon Augustin, l’Eglise n’a pas dès l’origine une pleine intelligence des enseignements du Christ. De même que les croyants individuels doivent, dans un premier temps, accepter les dogmes de la foi, en faisant confiance à l’autorité de l’Eglise, pour ensuite, dans un second temps, arriver, par l’effort, à comprendre cette foi, de même l’Eglise accroît avec le temps sa propre intelligence de la révélation.
Sous-jacente à cette conception de la révélation et de sa compréhension par l croyant et l’Eglise –conception qui devint la colonne vertébrale de la tradition franco-latine, à cause surtout de la querelle du Filioque– se trouve la croyance que Dieu a donné à l’Eglise la Bible et le Saint Esprit : la Bible, pour qu’elle ait la révélation dans un livre ; le Saint Esprit, pour éclairer, elle et ses fidèles, et leur faire comprendre ce livre.
Ainsi, pour Augustin, la promesse faite par le Christ aux Apôtres de leur donner l’Esprit Saint "qui procède du Père" et qui devait les guider "dans toute la vérité", s’adresse, non pas seulement au fidèle en général, mais à l’Eglise elle-même, que l’Esprit Saint conduira "dans toute la vérité".
Ainsi, quelque 350 ans après la Pentecôte, en l’an 393, nous trouvons dans la bouche d’Augustin, s’adressant aux évêques de la Province Romaine d’Afrique réunis à Carthage, cette opinion incroyablement naïve : « Pour le Saint Esprit, toutefois, il n’y a pas eu, de la part des savants et distingués commentateurs des Saintes Ecritures, de discussion suffisamment développés et attentives sur le sujet pour que nous puissions saisir clairement ce qui constitue son individualité propre (Proprium) ».
On sait que, selon Augustin, nous devons d’abord accepter la Bible et ses dogmes par la foi et par l’autorité de l’Eglise, et ensuite faire tous nos efforts pour les comprendre.
Mais, toujours selon Augustin, celui qui se trouve réconcilié avec Dieu et devient un ami de Dieu, connaît intellectuellement, non seulement les actes et la gloire de Dieu, mais "toutes les choses cachées" de Dieu, y compris l’essence même de Dieu.
Cette opinion, Augustin l’affirme le plus clairement du monde : « Dans la mesure où nous serons réconciliés et ramenés à l’amitié divine par la charité, nous pourrons connaître toutes les choses secrètes de Dieu… » Ce qu’Augustin entend par ces mots apparaît clairement à la lumière de ce qu’il dit ailleurs, quelques années plus tard : « Je ne serai pas nonchalant à scruter la substance de Dieu, soit dans Ses Ecritures, soit par la créature ». Cette recherche de l’essence de Dieu, recherche appuyée sue les Ecritures et la philosophie, est restée la méthode théologique constante d’Augustin et est devenu le cœur même de la tradition théologique franque qu’on appelle communément, aujourd’hui, la théologie scolastique.
Toute la démarche augustinienne à l’endroit de la Bible et de la théologie se fonde sur l’idée qu’il existe des "universaux", des modèles incréés des choses, et par conséquent, qu’il y a, entre Dieu et sa créature, entre l’Incréé et le crée, une réelle analogie, de sorte que tous deux appartiennent à un seul et même système de vérité, que l’entendement humain peut concevoir, surtout lorsqu’il a reçu la révélation, et exprimer adéquatement par des mots et des images au contenu purement intellectuel.
Le premier coup ruineux porté à cette méthode d’approche fut l’œuvre des nouveaux disciples d’Aristote qui fleurirent dans le royaume frank au XIIIème siècle et qui aboutit à la synthèse thomiste harmonisant. Platon, Aristote et Augustin, auxquels elle ajoutait la lecture franque, faussée, de Denys l’Aréopagite et de Jean Damascène.
La chose étrange est que les Franks se trouvaient dans l’incapacité de voir que Denys l’Aréopagite tout comme Jean Damascène s’accordent pleinement avec les premiers Pères pour affirmer qu’il n’y a pas d’universaux incréés dont les créatures seraient les copies, parce qu’il n’existe absolument aucune analogie entre le créé et l’incréé. Cette cécité tient au fait que les Franks ont élevé Augustin au rang suprême parmi les Pères de l’Eglise et l’ont considéré comme le meilleur interprète de la Tradition Patristique, en sorte que sa théologie est censée être, non seulement identique à celle des autres Pères, mais le modèle même de toute Théologie Patristique. Telle étant la situation d’Augustin dans l’imaginaire des théologiens franks, il ne peut y avoir, pour eux, de contradiction entre Augustin et les autre Pères de l’Eglise. Augustin, raisonnent-ils, accepte les universaux platoniciens : donc les autres Pères les acceptent aussi.
Le deuxième assaut dévastateur lancé contre ces fondements platoniciens de la tradition franque et augustinienne vint des Nominalistes, puis de Martin Luther ; et finalement, ces fondements se sont effondrés pour de bon à la fin du siècle dernier, avec l’écroulement des façons classiques de comprendre la philosophie.
La science moderne a prouvé par tant de voies qu’il n’y avait pas la moindre trace de l’existence de "natures", de "formes" ou d’"espèce invariantes et immuables, qu’un doute immense s’est levé quant à la possibilité même de ces fameux archétypes immuables dont les choses de l’univers seraient les copies. Ce point acquis, il a entraîné dans une chute générale tout l’ancien système de croyance des Latins et des Protestants, leur foi en l’existence des vérités, des lois et des normes morales immuables et intangibles, toutes se trouvant réduites à de simples critères passagers dans le développement historique de la pensée humaine. Même la confiance que les Nominalistes et Luther gardaient encore dans la Bible, où ils voyaient l’immuable vérité, la loi et la norme morale révélées par Dieu, cette confiance est partie en fumée sous la pression de la critique biblique.
d. Le problème le plus sérieux, peut-être, que la tradition latine et protestante ait rencontré est le suivant : l’identification de la révélation avec la Bible, non seulement fait de cette dernière le critère par excellence de l’enseignement de l’Eglise, mais, de surcroît, il la met au-dessus des Prophètes et des Apôtres eux-mêmes. En effet, dans cette conception, les Prophètes et les Apôtres ne sont pas en eux-mêmes des docteurs enseignant infailliblement sur Dieu ; ils ne sont que les moyens et les instruments par lesquels Dieu enseigne infailliblement ce qu’il veut, au moyen de mots et d’images de contenu conceptuel. Dès lors, l’inspiration n’est plus un état spirituel continu du prophète ou de l’apôtre, mais une manière d’être momentanée, un événement limité au temps pendant lequel Dieu transmet à l’humanité une révélation concrète, faites de mots et d’images porteurs de concepts. Ainsi le prophète ou l’apôtre n’est inspiré que durant l’expérience révélatrice, qui consiste à recevoir et à coucher sur le papier la Parole de Dieu. Il peut même se faire qu’il ne comprenne pas pleinement lui-même ce qu’il reçoit et écrit, et c’est là, peut-être, la raison pour laquelle Augustin et ses partisans semblent bien affirmer que l’Eglise comprend mieux, avec le temps, le sens de l’Ecriture, que ne l’avaient fait ceux-là même qui en avaient reçu la révélation.
Quoi qu’il en soit, il est certain, dans ce cadre de présupposés, que le prophète et l’apôtre peuvent se trouver dans l’erreur, ou ne pas posséder une compréhension exacte ou totale de la révélation, lorsqu’ils ne se trouvent pas dans l’état privilégié d’inspiration, de réception, de transmission ou de copie de la Parole de Dieu.
On voit mal comment on pourrait éviter, dans un tel contexte, un questionnement sur le sens de la révélation. On pourrait certes supposer une tradition interprétative se transmettant depuis les Prophètes et les Apôtres, en même temps que la Bible. Mais, à moins que cette tradition n’ait élaboré un critère de l’inspiration et l’interprétation authentique, on n’aura jamais la garantie qu’on comprenne correctement. Les traditions latines et protestantes ont identifié cette garantie au Saint Esprit donné par Dieu à l’Eglise de par le Christ ; ce qui a conduit les premiers à centrer cette garantie dur le Pape ; et les seconds à l’idée que le Saint Esprit inspire directement des individus par des voies moins institutionnelles que les papes ou les conciles d’évêques.
Revue La Lumière du Thabor 17, Sébastopol, 1988 p.56-65