21 octobre: les confesseurs de Transylvanie
Publié : dim. 02 nov. 2003 1:13
Depuis 1688, les Habsbourg contrôlaient la Transylvanie. Ces champions de la Contre-Réforme s'y trouvaient confrontés à une noblesse hongroise calviniste très riche et très puissante. De même, la plupart des bourgeois saxons de Transylvanie étaient luthériens. Il leur fallait absolument trouver un moyen de renforcer l'élément catholique contre le protestantisme. Quoi de plus efficace que d'annexer l'Eglise majoritaire en Transylvanie (l'Eglise orthodoxe roumaine) au catholicisme?
Le pouvoir sut user de la carotte et du bâton. Carotte: on promit que tous les prêtres orthodoxes qui passeraient à l'uniatisme seraient admis dans les rangs de la noblesse; on promit que les Roumains devenus uniates seraient admis à l'égalité et au partage du pouvoir dans la principauté avec les trois nations dominantes (Magyars, Saxons et Szeklers); on promit que les uniates pourraient garder leurs rites et leurs traditions et que l'union se ferait sur la base du concile de Florence de 1439, rien de plus n'étant demandé. Bâton: après avoir circonvenu le métropolite Athanase Ange qui se rallia à Rome pour des avantages matériels, on déclara purement et simplement supprimée l'Eglise orthodoxe de Translyvanie. Et on n'informa même pas les fidèles qu'ils n'étaient plus en communion avec les sièges de Bucarest et de Jassy (25 mars 1701).
Naturellement, le pouvoir impérial ne respecta aucune des promesses faites aux uniates. Cependant, la résistance orthodoxe, qui s'appuyait sur le métropolite de l'Ungrovalachie à Bucarest (dont le protopope de Brasov / Kronstadt, en résidence à Schei Brasovului, était devenu le vicaire en Transylvanie) et sur l'évêque serbe d'Arad, faiblit beaucoup après 1729. Il subsistait une vie orthodoxe en Transylvanie, mais elle avait pratiquement perdu toute visibilité.
Et puis, le 11 mars 1744 se produisit un miracle comme l'Histoire en offre peu d'exemples. Un simple moine serbe orthodoxe (certains disent que c'était un Vlaque de Bosnie), Vissarion Saraï, aidé par trois marchands aroumains de Lipova (Dima Nino, Gheorghe Nicola et Gavrila Bistro), passa du Banat en Transylvanie et se dirigea vers l'intérieur de la principauté. Partout, il prêcha contre l'uniatisme et pour la fidélité à la foi orthodoxe. Il ne savait pas un mot de roumain et prêchait en serbe, mais, même à travers un interprète, ses paroles touchaient les foules venues l'écouter. Il parlait au coeur de chacun et semblait un saint descendu d'une icône. En moins de six semaines, jusqu'à son arrestation par les autorités autrichiennes près de Sibiu / Hermannstadt, il avait pratiquement détruit l'uniatisme au sud de la Transylvanie. Dans son sillage, l'uniatisme s'écroulait, car village après village proclamait, après l'avoir écouté, son adhésion "à la foi grecque ancestrale" et chassait les prêtres uniates. Dans les anciennes églises uniates, les paysans jetaient par la fenêtre le chrême consacré par l'évêque uniate et les femmes lavaient les murs pour les purifier de l'hérésie, tandis qu'on allait chercher les prêtres orthodoxes pour les reconsacrer.
Naturellement, saint Vissarion Saraï paya par le martyre le rétablissement de l'Orthodoxie dans le sud de la Transylvanie. Torturé, "interrogé" par une commission dont faisait partie l'évêque uniate, il connut les prisons de Sibiu, Osijek (Croatie), Raab / Györ (Hongrie), avant d'être enfermé dans la terrible prison de Kufstein (Tyrol) où l'on perd toute trace de lui. Nous ne connaissons pas la date où il est mort dans les oubliettes de Kufstein. Il a été canonisé par le patriarcat de Roumanie le 28 février 1950.
La bête, pourtant frappée à mort par la prédication de saint Vissarion, ne s'avouait pas vaincue. La persécution papale continuait. Le peuple orthodoxe de Translyvanie multipliait les pétitions à la Cour de Vienne pour que prennent fin les souffrances. En 1745, le berger Oprea Miclaus de Saliste près de Sibiu et Jean Oancea de Fagaras présentèrent à Vienne une première pétition réclamant la liberté religieuse. En 1749, les Roumains de Transylvanie envoyèrent auprès de l'impératrice Marie-Thérèse une délégation de cinq paysans (Oprea Miclaus, Bucur Bârsan, Moga Triflea, Coman Banu et Constantin Petric) porteurs d'une pétition. L'impératrice refusa d'en tenir compte et assigna le berger Oprea Miclaus de Saliste à résidence forcée dans le Banat. En 1752, le berger Oprea Miclaus et le prêtre Moïse Macinic du village de Sibiel se rendirent à Vienne porteurs d'une nouvelle pétition des habitants de Saliste, demandant la liberté de conscience et un évêque orthodoxe. Reçus par l'impératrice et le chancelier Kaunitz, Oprea Miclaus et le père Macinic furent traîtreusement arrêtés et jetés dans les cachots de Kufstein où l'on perd toute trace d'eux. Le 24 juillet 1784, trente-deux ans plus tard, Stana Miclaus, la femme d'Opra, envoya une requête pour la libération de son mari à l'empereur Joseph II (qui, lui, était connu pour sa tolérance religieuse). Il lui fut répondu que la personne en question ne pouvait plus être en vie.
Saint Oprea Miclaus a été canonisé par le patriarcat de Roumanie le 28 février 1950. Saint Moïse Macinic a été canonisé le 20 juin 1992.
Le quatrième martyr , le prêtre Jean de Gales (lire Galesh), près de Sibiu, Sibiel et Saliste, fut arrêté en mai 1756 par les catholiques romains et condamné à la prison à vie par un ordre de Marie-Thérèse. Il connut les prisons de Deva et de Graz. En 1776, des négociants de Brasov parvinrent à le visiter dans la prison de Graz où il leur déclara qu'il préférait mourir en prison plutôt que d'abjurer la foi orthodoxe. On sait par le témoignage d'un moine serbe qui fut brièvement emprisonné à Graz que le prêtre Jean était toujours en vie en 1780. Il mourut à une date inconnue dans la prison de Graz. Saint Jean de Gales a été canonisé par le patriarcat de Roumanie le 20 juin 1992.
Quant au confesseur Sophrone du village de Cioara dans le département d'Alba Iulia, il était hiéromoine et vit son skite détruit en 1757. A ce moment-là, la persécution papique redoublait d'intensité. Arrêté dans les derniers jours de 1759, Sophrone fut libéré de la prison de Bobâlna près d'Orastie par l'assaut de 600 paysans orthodoxes conduits par le prêtre Jean de Salistie (13 février 1760). Avec le titre de vicaire du métropolite serbe d'Arad, Sophrone parvint à ébranler l'uniatisme dans les monts Apuseni et à organiser à Zlatna un synode de prêtres et de laïcs qui écrivit encore une pétition à Marie-Thérèse (10-11 août 1760). Cette fois-ci, la résistance des orthodoxes roumains commençait à lasser l'impératrice qui décida pour la première fois, le 20 octobre 1760, de nommer une commission pour enquêter sur la situation religieuse en Transylvanie.
Sophrone réunit un nouveau synode, à Alba Iulia, du 14 au 18 février 1761. Le synode d'Alba Iulia réclama la libération de tous ceux qui étaient en prison pour la foi (le laïc Oprea Miclaus et les prêtres Moïse Macinic de Sibiel, Jean de Gales, Jean d'Aciliu et Jean de Sadu) et la liberté religieuse pleine et entière.
En 1761, le général Nicolas-Adolphe von Bukow, envoyé extraordinaire de l'impératrice Marie-Thérèse, se décida à reconnaître la réalité, c'est-à-dire l'existence de l'Orthodoxie en Transylvanie, et à faire libérer certains des prisonniers pour la foi. L'évêque orthodoxe serbe de Buda, Mgr Denys (Novakovic) put s'installer à Sibiu, et la Transylvanie retrouva un évêque orthodoxe après soixante ans d'interruption. Mais le prix à payer fut terrible: pour affaiblir l'Orthodoxie à laquelle il venait d'attribuer une existence légale, le général von Bukow fit détruire à coups de canon TOUS les monastères et skites orthodoxes de Transylvanie et Maramures. 200 skites et monastères disparurent, y compris le célèbre monastère de Peri, stavropighie de Constantinople où avait commencé l'histoire du Maramures. Dans certains cas, on fusilla les moines au passage. Il fallut deux siècles à l'Eglise orthodoxe de Transylvanie pour retrouver une vie monastique.
Saint Sophrone passa la frontière et mena la vie monastique en Valachie. On ignore la date exacte de sa mort. Il a été canonisé le 28 février 1950 par le patriarcat de Roumanie.
On célèbre la mémoire des cinq confesseurs de Transylvanie le 21 octobre du calendrier ecclésiastique.
Le pouvoir sut user de la carotte et du bâton. Carotte: on promit que tous les prêtres orthodoxes qui passeraient à l'uniatisme seraient admis dans les rangs de la noblesse; on promit que les Roumains devenus uniates seraient admis à l'égalité et au partage du pouvoir dans la principauté avec les trois nations dominantes (Magyars, Saxons et Szeklers); on promit que les uniates pourraient garder leurs rites et leurs traditions et que l'union se ferait sur la base du concile de Florence de 1439, rien de plus n'étant demandé. Bâton: après avoir circonvenu le métropolite Athanase Ange qui se rallia à Rome pour des avantages matériels, on déclara purement et simplement supprimée l'Eglise orthodoxe de Translyvanie. Et on n'informa même pas les fidèles qu'ils n'étaient plus en communion avec les sièges de Bucarest et de Jassy (25 mars 1701).
Naturellement, le pouvoir impérial ne respecta aucune des promesses faites aux uniates. Cependant, la résistance orthodoxe, qui s'appuyait sur le métropolite de l'Ungrovalachie à Bucarest (dont le protopope de Brasov / Kronstadt, en résidence à Schei Brasovului, était devenu le vicaire en Transylvanie) et sur l'évêque serbe d'Arad, faiblit beaucoup après 1729. Il subsistait une vie orthodoxe en Transylvanie, mais elle avait pratiquement perdu toute visibilité.
Et puis, le 11 mars 1744 se produisit un miracle comme l'Histoire en offre peu d'exemples. Un simple moine serbe orthodoxe (certains disent que c'était un Vlaque de Bosnie), Vissarion Saraï, aidé par trois marchands aroumains de Lipova (Dima Nino, Gheorghe Nicola et Gavrila Bistro), passa du Banat en Transylvanie et se dirigea vers l'intérieur de la principauté. Partout, il prêcha contre l'uniatisme et pour la fidélité à la foi orthodoxe. Il ne savait pas un mot de roumain et prêchait en serbe, mais, même à travers un interprète, ses paroles touchaient les foules venues l'écouter. Il parlait au coeur de chacun et semblait un saint descendu d'une icône. En moins de six semaines, jusqu'à son arrestation par les autorités autrichiennes près de Sibiu / Hermannstadt, il avait pratiquement détruit l'uniatisme au sud de la Transylvanie. Dans son sillage, l'uniatisme s'écroulait, car village après village proclamait, après l'avoir écouté, son adhésion "à la foi grecque ancestrale" et chassait les prêtres uniates. Dans les anciennes églises uniates, les paysans jetaient par la fenêtre le chrême consacré par l'évêque uniate et les femmes lavaient les murs pour les purifier de l'hérésie, tandis qu'on allait chercher les prêtres orthodoxes pour les reconsacrer.
Naturellement, saint Vissarion Saraï paya par le martyre le rétablissement de l'Orthodoxie dans le sud de la Transylvanie. Torturé, "interrogé" par une commission dont faisait partie l'évêque uniate, il connut les prisons de Sibiu, Osijek (Croatie), Raab / Györ (Hongrie), avant d'être enfermé dans la terrible prison de Kufstein (Tyrol) où l'on perd toute trace de lui. Nous ne connaissons pas la date où il est mort dans les oubliettes de Kufstein. Il a été canonisé par le patriarcat de Roumanie le 28 février 1950.
La bête, pourtant frappée à mort par la prédication de saint Vissarion, ne s'avouait pas vaincue. La persécution papale continuait. Le peuple orthodoxe de Translyvanie multipliait les pétitions à la Cour de Vienne pour que prennent fin les souffrances. En 1745, le berger Oprea Miclaus de Saliste près de Sibiu et Jean Oancea de Fagaras présentèrent à Vienne une première pétition réclamant la liberté religieuse. En 1749, les Roumains de Transylvanie envoyèrent auprès de l'impératrice Marie-Thérèse une délégation de cinq paysans (Oprea Miclaus, Bucur Bârsan, Moga Triflea, Coman Banu et Constantin Petric) porteurs d'une pétition. L'impératrice refusa d'en tenir compte et assigna le berger Oprea Miclaus de Saliste à résidence forcée dans le Banat. En 1752, le berger Oprea Miclaus et le prêtre Moïse Macinic du village de Sibiel se rendirent à Vienne porteurs d'une nouvelle pétition des habitants de Saliste, demandant la liberté de conscience et un évêque orthodoxe. Reçus par l'impératrice et le chancelier Kaunitz, Oprea Miclaus et le père Macinic furent traîtreusement arrêtés et jetés dans les cachots de Kufstein où l'on perd toute trace d'eux. Le 24 juillet 1784, trente-deux ans plus tard, Stana Miclaus, la femme d'Opra, envoya une requête pour la libération de son mari à l'empereur Joseph II (qui, lui, était connu pour sa tolérance religieuse). Il lui fut répondu que la personne en question ne pouvait plus être en vie.
Saint Oprea Miclaus a été canonisé par le patriarcat de Roumanie le 28 février 1950. Saint Moïse Macinic a été canonisé le 20 juin 1992.
Le quatrième martyr , le prêtre Jean de Gales (lire Galesh), près de Sibiu, Sibiel et Saliste, fut arrêté en mai 1756 par les catholiques romains et condamné à la prison à vie par un ordre de Marie-Thérèse. Il connut les prisons de Deva et de Graz. En 1776, des négociants de Brasov parvinrent à le visiter dans la prison de Graz où il leur déclara qu'il préférait mourir en prison plutôt que d'abjurer la foi orthodoxe. On sait par le témoignage d'un moine serbe qui fut brièvement emprisonné à Graz que le prêtre Jean était toujours en vie en 1780. Il mourut à une date inconnue dans la prison de Graz. Saint Jean de Gales a été canonisé par le patriarcat de Roumanie le 20 juin 1992.
Quant au confesseur Sophrone du village de Cioara dans le département d'Alba Iulia, il était hiéromoine et vit son skite détruit en 1757. A ce moment-là, la persécution papique redoublait d'intensité. Arrêté dans les derniers jours de 1759, Sophrone fut libéré de la prison de Bobâlna près d'Orastie par l'assaut de 600 paysans orthodoxes conduits par le prêtre Jean de Salistie (13 février 1760). Avec le titre de vicaire du métropolite serbe d'Arad, Sophrone parvint à ébranler l'uniatisme dans les monts Apuseni et à organiser à Zlatna un synode de prêtres et de laïcs qui écrivit encore une pétition à Marie-Thérèse (10-11 août 1760). Cette fois-ci, la résistance des orthodoxes roumains commençait à lasser l'impératrice qui décida pour la première fois, le 20 octobre 1760, de nommer une commission pour enquêter sur la situation religieuse en Transylvanie.
Sophrone réunit un nouveau synode, à Alba Iulia, du 14 au 18 février 1761. Le synode d'Alba Iulia réclama la libération de tous ceux qui étaient en prison pour la foi (le laïc Oprea Miclaus et les prêtres Moïse Macinic de Sibiel, Jean de Gales, Jean d'Aciliu et Jean de Sadu) et la liberté religieuse pleine et entière.
En 1761, le général Nicolas-Adolphe von Bukow, envoyé extraordinaire de l'impératrice Marie-Thérèse, se décida à reconnaître la réalité, c'est-à-dire l'existence de l'Orthodoxie en Transylvanie, et à faire libérer certains des prisonniers pour la foi. L'évêque orthodoxe serbe de Buda, Mgr Denys (Novakovic) put s'installer à Sibiu, et la Transylvanie retrouva un évêque orthodoxe après soixante ans d'interruption. Mais le prix à payer fut terrible: pour affaiblir l'Orthodoxie à laquelle il venait d'attribuer une existence légale, le général von Bukow fit détruire à coups de canon TOUS les monastères et skites orthodoxes de Transylvanie et Maramures. 200 skites et monastères disparurent, y compris le célèbre monastère de Peri, stavropighie de Constantinople où avait commencé l'histoire du Maramures. Dans certains cas, on fusilla les moines au passage. Il fallut deux siècles à l'Eglise orthodoxe de Transylvanie pour retrouver une vie monastique.
Saint Sophrone passa la frontière et mena la vie monastique en Valachie. On ignore la date exacte de sa mort. Il a été canonisé le 28 février 1950 par le patriarcat de Roumanie.
On célèbre la mémoire des cinq confesseurs de Transylvanie le 21 octobre du calendrier ecclésiastique.