Unitas Fratrum: une blessure de l'Histoire?

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Claude le Liseur
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Unitas Fratrum: une blessure de l'Histoire?

Message par Claude le Liseur »

J'ai entre les mains une brochure de John S. Groenfeldt, publiée par l'Eglise morave en Amérique, Becoming A Member of the Moravian Church, Bethlehem PA, 2000. L'auteur est mort en 1995 et la préface indique qu'il s'agit de la deuxième édition d'un livre publié en 1961 et révisé en 1976.

L'Eglise morave ou Unité des Frères est une petite communauté protestante, très affaiblie en Europe, aujourd'hui surtout présente dans les Amériques, et connue à travers la figure du comte Zinzendorf au XVIIIe siècle et l'important travail missionnaire accompli dès cette époque auprès de populations négligées comme les Noirs des Treize Colonies et des Antilles.

Ce qui intéressera particulièrement un lecteur orthodoxe, c'est que l'Unité des Frères est directement issue de la réforme hussite et est probablement la seule héritière historique de Jan Hus et de Comenius. Or, beaucoup d'orthodoxes, et en particulier l'actuel primat de l'Eglise orthodoxe des Pays tchèques et de la Slovaquie, le métropolite Christophe, ont exprimé ou expriment l'idée que Jean Hus et Jérôme de Prague n'avaient rien fait d'autre que de réclamer le retour à la tradition orthodoxe (cf. http://journeytoorthodoxy.com/2011/11/j ... -slovakia/ ). Il est donc intéressant d'examiner, à travers une publication officielle de l'Unité des Frères, si l'Eglise morave a conscience de son lointain passé orthodoxe.

Ô surprise, c'est bien le cas, et c'est expliqué dès le deuxième paragraphe consacré à l'histoire de l'Unitas Fratrum (Groenfeldt, op. cit., p. 15):
The story of our church begins in ancient Bohemia and Moravia. These lands, in the central part of Europe, had originally been won for Christ by missionaries of the Eastern or Orthodox branch of the Christian Church, but after a time they came under control of the Western or Roman branch of the ancient Church. In spite of the attempts of the Roman Church to make them adhere to Roman practices, the churches in Bohemia and Moravia continued to treasure much of the heritage that had come down to them from the Eastern Church, and this gave them a spirit of independence. Consequently, they were quick to react against the corruption that marked the Roman Church of the fourteenth and fifteenth centuries.
Ma traduction:

L'histoire de notre église commence dans les anciennes Bohême et Moravie. Ces terres, au centre de l'Europe, avaient d'abord été gagnées au Christ par des missionnaires de la branche orientale ou orthodoxe de l'Eglise chrétienne, mais, plus tard, elles passèrent sous la mainmise de la branche occidentale ou romaine de l'Eglise ancienne. En dépit des tentatives de l'Eglise romaine pour les faire adhérer aux usages romains, les églises en Bohême et en Moravie continuaient à chérir une grande partie de l'héritage qu'elles avaient reçu de l'Eglise orientale, et elles en retirèrent un esprit d'indépendance. Par conséquent, elles furent promptes à réagir contre la corruption qui marquèrent l'Eglise romaine aux quatorzième et quinzième siècles.

Voilà enfin une confession protestante qui se souvient d'avoir été orthodoxe, et voici des lignes auxquelles un orthodoxe pourrait souscrire pour la plus grande part (sauf la théorie des branches). Et pourtant, il n'y a pas de conversion de Frères moraves vers l'Orthodoxie, ou seulement d'une manière marginale. A vue humaine, on ne voit pas de retour de l'Unité des Frères dans le sein de l'Eglise orthodoxe.
Ceci doit nous amener à nous interroger. Voici des protestants qui ont - cas rare - conscience que leurs ancêtres furent orthodoxes, et voici que cette conscience reste quelque chose de théorique qui n'a pas de conséquences réelles. Je pense que cette situation s'explique par deux facteurs dont nous devons tenir compte en tant que témoins de l'Orthodoxie dans des contrées d'où elle fut chassée il y a mille ans:

a) notre faible capacité à montrer aux autres un visage accueillant, à faire comprendre, par exemple, aux Moraves, que le chemin que leurs ancêtres furent contraints à faire dans un sens, ils peuvent maintenant librement le faire dans l'autre, que la porte est toujours ouverte, et que l'Eglise orthodoxe n'est pas qu'une confédération d'Eglises locales liées à une ethnie et à un pouvoir politique ;

b) le problème des blessures de l'Histoire; il s'agit de communautés qui ont vécu des siècles en dehors de l'Orthodoxie, qui ont souffert pour préserver leur spécificité, et l'accueil de personnes ou de paroisses issues de ce type de communautés (l'Unité des Frères n'est qu'un exemple, mais il s'agit dune des communautés les plus respectables et respectées), voire une éventuelle réunion à l'Eglise orthodoxe, impliquera aussi de tenir compte de l'Histoire spécifique de ces communautés. On ne pourra pas faire comme si ces siècles d'Histoire séparée n'avaient pas existé. Il faudra aussi permettre à ceux qui voudraient nous rejoindre de garder le souvenir de ce que leur communauté d'origine a fait de positif pour Celui qui est la Voie, la Vérité et la Vie.
JeremyF
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Re: Unitas Fratrum: une blessure de l'Histoire?

Message par JeremyF »

Merci pour cette réflexion. Cela fait un bout de temps que je me demandais si Jean Hus n'était pas un martyr de l'Orthodoxie, tant son histoire m'a chamboulé. Ta publication y répond en partie.
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