Pour mémoire, je viens de découvrir qu'aux élections fédérales du 23 octobre 2011 (quarante-neuvième législature) , une liste
Konfessionlose.ch.Liste für di Trennung von Staat und Kirche (Sans confession.ch. Liste pour la séparation de l'Eglise et de l'Etat) s'était présentée pour le Conseil national dans la circonscription de Zurich (cf. Rapport du Conseil fédéral au Conseil national sur les élections au Conseil national pour la 49e législature du 9 novembre 2011, pages 34 et 35, in Feuille fédérale 2011 page 7610).
Les résultats furent très faibles: de 803 à 2'474 suffrages nominatifs pour les candidats de la liste, plus 1'036 suffrages non nominatifs, soit un total cumulé de 43'182 suffrages pour la liste, sur 13'860'834 suffrages exprimés par les 410'122 votants, donc environ 0,3% des suffrages exprimés. Pour mémoire, cette année-là, cette circonscription avait donné 11 sièges à l'Union démocratique du centre (en l'occurrence sous l'appellation allemande de
Schweizerische Volkspartei - parti du peuple suisse), 7 sièges au parti socialiste, 4 au parti libéral-radical, 4 aux Verts libéraux, 3 aux Verts, 2 au parti démocrate-chrétien, 2 au parti bourgeois démocrate et 1 au parti évangélique populaire, et les candidats de la liste arrivés en tête (UDC) recueillaient entre 145'776 voix (Natalie Rickli) et 99'246 voix (Rochus Burtscher), avec 121'486 suffrages nominatifs pour le dernier élu (Hans Kaufmann). Le candidat (ou plutôt la candidate) qui était élu avec le moins de voix était Maja Ingold du parti évangélique populaire, avec 32'302 suffrages nominatifs, soit encore treize fois plus de voix que la meilleure candidate de la liste pour la séparation de l'Eglise et de l'Etat Franziska Illi.
Plus de trente ans auparavant, sous l'empire de la Constitution fédérale du 19 avril 1874, une initiative populaire fédérale du 17 septembre 1976 pour la séparation complète de l'Etat et de l'Eglise avait été repoussée, le 2 mars 1980, par 1'052'575 non (et 26 cantons) contre 281'475 oui (et 0 canton) (résultats ici:
https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/va/19 ... et299.html ). Le texte de l'initiative était le suivant (source:
https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/vi/vis126t.html ):
La constitution fédérale est complétée par l'article 51 ci-après:
Art. 51
L'Eglise et l'Etat sont complètement séparés.
Dispositions transitoires
1Un délai de deux ans, à compter de l'entrée en vigueur de l'article 51 de la constitution, est accordé aux cantons pour la suppression des rapports existant entre l'Eglise et l'Etat.
2Dès l'entrée en vigueur de l'article 51 de la constitution, les cantons ne peuvent plus percevoir d'impôts ecclésiastiques.
L'Assemblée fédérale avait recommandé au peuple et aux cantons de rejeter l'initiative par arrêté du 23 mars 1979 (in Feuille fédérale 1979 page 659
https://www.amtsdruckschriften.bar.admi ... d=10102420 ) suite à un message du Conseil fédéral du 6 septembre 1978 (in Feuille fédérale 1978 pp. 669-702, ici
https://www.amtsdruckschriften.bar.admi ... d=10102254 ). Ce message est intéressant parce qu'il contient un rappel historique et une comparaison européenne des rapports entre l'Eglise et l'Etat, et des raisons, dont beaucoup sont devenus anachroniques, de voter non:
Dans les cantons, les conséquences varieraient selon les régimes en vigueur.
Les économies réalisées du fait que toutes sortes de contributions de l'Etat aux Eglises (avantages fiscaux, subventions financées par l'impôt général) tomberaient, ne suffiraient pas, estime-t-on dans de nombreux cantons, à couvrir les dépenses des activités sociales et charitables qu'ils devraient assumer à la place des Eglises. Là où les prestation de l'Etat sont dues en vertu de titres historiques, il faudrait les racheter. Dans certains cantons, ce rachat causerait des difficultés juridiques et financières. Dans plusieurs cas, les problèmes de succession se poseraient de façon particulièrement grave: il n'est pas certain que les associations privées qui se substitueraient aux anciennes Eglises officielles puissent reprendre à leur compte les engagements contractés par les Eglises en qualité de collectivité publiques. Dans les cantons où les ecclésiastiques sont des fonctionnaires de l'Etat, il faudrait modifier la législation pour abolir ce statut.
En résumé, il ressort des réponses à la consultation que les cantons et les communes ne peuvent évaluer avec précision, chiffres à l'appui, les effets
qu'aurait l'initiative sur l'état du personnel et les finances; mais ils estiment, d'une façon générale, que les conséquences seraient très lourdes.
(page 701: on se demande comment les cantons de Genève et de Neuchâtel, qui ont séparé les Eglises de l'Etat en 1907, respectivement en 1941, ont fait pour survivre jusqu'à maintenant...)
Une partie du message se lit évidemment comme une attaque contre les communistes et le bloc soviétique à une époque où la Suisse n'avait pas peur de dire ce qu'elle pensait du péril rouge. Ce passage ("société pluraliste", les "valeurs fondamentales tirées des Ecritures Saintes sont essentielles pour l'Etat") est devenu totalement anachronique, maintenant qu'il n'y a plus de bloc soviétique et partant plus d'athéisme d'Etat en Europe, que la pratique religieuse s'est effondrée en Europe occidentale et que l'on craint plutôt le péril vert que le péril rouge.
Lors de la procédure de consultation, les adversaires de l'initiative ont tous
insisté sur le rôle précieux de l'Eglise dans l'Etat et la société pluraliste. Voici,
résumées, quelques-une de leurs remarques:
- Les Eglises officielles entretiennent et soutiennent de nombreuses œuvres
sociales et charitables. Elles sont au service de chacun et leurs activités sont
multiples: jardins d'enfants, aide à la jeunesse, aide familiale, organisations
de tout genre, formation des adultes, consultation familiale, Main tendue,
assistance aux personnes âgées, aux malades, aux invalides, aux pauvres et à
toutes les catégories de personnes démunies, vivant en marge de la société ou
dans la détresse morale. Mais les prestations des Eglises ne s'arrêtent pas là.
Elles défendent des valeurs fondamentales, tirées des Ecritures Saintes, qui
sont essentielles pour l'Etat. Avant toute chose, il y a le respect de la dignité
humaine et de la liberté d'autrui, puis l'amour, la vérité, la paix, la justice et la
solidarité. En maintenant et en transmettant ces valeurs, les Eglises ont, dans
l'Etat et la société, une haute responsabilité à assumer. Ces valeurs ne sont pas
de celles dont on dispose librement. Elles sont l'expression d'un humanisme et
contribuent de façon essentielle à concilier le droit avec la morale personnelle.
Ainsi, le citoyen ne se contente pas d'obéir au droit, il est amené à l'approuver
intérieurement.
- Evidemment, si l'initiative était acceptée, les Eglises officielles ne disparaîtraient
pas pour autant. Mais les conséquences seraient regrettables: les
Eglises devraient renoncer à de nombreuses activités utiles ou m6me les
abandonner complètement. On ne pourrait impunément les réduire à la
mendicité - pour reprendre une expression très vive, entendue lors de la
procédure de consultation - et attendre d'elles qu'elles remplissent, comme
autrefois, leurs tâches. Ce seraient les couches les plus défavorisées de la
population qui, les premières, en supporteraient les conséquences. Cette
situation serait contraire aux intérêts et de l'Etat et des particuliers. Les
cantons craignent de ne pouvoir combler, sans recourir à des moyens supplémentaires,
toutes les lacunes qui en résulteraient. D'ailleurs, plus l'activité des
Eglises est rejetée hors de la vie publique, plus l'appauvrissement spirituel de
l'homme devient évident.
(pages 697 sq.)
Deux raisons restent toujours valables, d'abord celle liée au caractère idéologique (et non juridique) chrétien (mais non confessionnel) de la Confédération:
Tous les pactes fédéraux depuis l'acte de fondation de la Confédération commencent par une invocation à Dieu. Seuls les actes de la République
helvétique et de la Médiation, qui nous étaient imposés de l'étranger, ont interrompu cette tradition. Le Pacte fédéral de 1815 l'a reprise et elle s'est
perpétuée dans les constitutions de 1848 et 1874. Ce problème du contenu et de la forme du préambule a été discuté très en détail dans la Commission d'experts pour la revision totale de la constitution fédérale. Le projet de constitution, qui est issu de ces travaux, maintient l'invocation.
Les avis divergent sur la portée juridique d'un tel préambule. S'il n'a pas de valeur normative, pense la doctrine dominante, il rappelle du moins le fondement chrétien de notre Etat et suggère l'existence d'un ordre des valeurs supérieur à notre système juridique (cf. Steiner, Die Präambel der schweizerischen Bundesverfassung, dans St. Galler Festgabe zum Schweizerischen Juristentag 1965, p. 425 s.).
(page 674)
Les premières difficultés surgissent au sujet du préambule. Nous avons examiné, sous chiffre 411, le problème de la portée juridique du préambule.
Celui qui voit dans l'invocation à Dieu le rappel du fondement chrétien de notre Etat, considérera cette formule comme incompatible avec le principe énoncé dans l'initiative. Celui qui, au contraire, ne voit dans l'invocation aucune obligation envers une conception philosophique déterminée, mais une simple référence au «patrimoine d'une humanité sécularisée», ne sera pas heurté et admettra la présence simultanée de ces deux idées.
(page 688)
Rappelons en effet que l'invocation "Au nom de Dieu Tout-Puissant!" figure toujours dans le préambule de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999, encore que je trouve qu'elle a un caractère déiste plutôt que réellement chrétien:
Au nom de Dieu Tout-Puissant!
Le peuple et les cantons suisses,
conscients de leur responsabilité envers la Création,
résolus à renouveler leur alliance pour renforcer la liberté, la démocratie, l'indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d'ouverture au monde,
déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans le respect de l'autre et l'équité,
conscients des acquis communs et de leur devoir d'assumer leurs responsabilités envers les générations futures,
sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres,
arrêtent la Constitution que voici:
A comparer avec la Constitution de la République hellénique de 1975 dont le préambule rappelle le caractère chrétien orthodoxe de l'Etat (traduction française officielle sur le site du Parlement grec
https://www.hellenicparliament.gr/UserF ... alliko.pdf ):
Au nom de la Trinité Sainte,
Consubstantielle et Indivisible
Texte grec original (source
https://synagonism.net/law/gr/s.2008.html ):
Eις τo όνoμα της Aγίας και Oμooυσίoυ και Aδιαιρέτoυ Tριάδoς
caractère chrétien orthodoxe encore confirmé par l'article 3 alinéa 1
La religion dominante en Grèce est celle de l’Église Orthodoxe Orientale du Christ. L’Église Orthodoxe de Grèce, reconnaissant pour Chef
Notre Seigneur Jésus-Christ, est indissolublement unie, quant au dogme, à la Grande Église de Constantinople et à toute autre Église chrétienne
du même dogme, observant immuablement, comme celles-ci, les saints canons apostoliques et synodiques ainsi que les saintes traditions. Elle est
autocéphale et administrée par le Saint-Synode,qui est composé des Évêques en fonction, et par le Saint-Synode Permanent qui, émanant de celui-ci, est constitué comme il est prescrit par la Charte Statutaire de l’Église, les dispositions du Tome Patriarcal du 29 juin 1850 et de l’Acte Synodique
du 4 septembre 1928 étant observées.
Texte grec original:
Επικρατούσα θρησκεία στην Ελλάδα είναι η θρησκεία της Ανατολικής Ορθόδοξης Εκκλησίας του Χριστού.
Η Ορθόδοξη Εκκλησία της Ελλάδας, που γνωρίζει κεφαλή της τον Κύριο ημών Ιησού Χριστό, υπάρχει αναπόσπαστα ενωμένη δογματικά με τη Μεγάλη Εκκλησία της Κωνσταντινούπολης και με κάθε άλλη ομόδοξη Εκκλησία του Χριστού· τηρεί απαρασάλευτα, όπως εκείνες, τους ιερούς αποστολικούς και συνοδικούς κανόνες και τις ιερές παραδόσεις.
Είναι αυτοκέφαλη, διοικείται από την Ιερά Σύνοδο των εν ενεργεία Αρχιερέων και από τη Διαρκή Ιερά Σύνοδο που προέρχεται από αυτή και συγκροτείται όπως ορίζει ο Καταστατικός Χάρτης της Εκκλησίας, με τήρηση των διατάξεων του Πατριαρχικού Τόμου της κθ' (29) Ιουνίου 1850 και της Συνοδικής Πράξης της 4ης Σεπτεμβρίου 1928.
Deuxième raison avancée par le Conseil fédéral en 1978 qui reste valable quarante ans plus tard: le fédéralisme (ou, en réalité, le degré de sous-développement de certains cantons que je ne nommerai pas par rapport à Zurich, Bâle-Ville ou Genève...):
II est impressionnant de constater avec quelle fermeté les cantons refusent l'initiative. L'atteinte à leur souveraineté cantonale est le principal argument invoqué en l'occurrence. C'est aussi celui qu'avancent les partis politiques. Les cantons s'opposent énergiquement à ce que la souveraineté en matière ecclésiastique leur soit retirée et que la Confédération impose le principe de la séparation de l'Etat et de l'Eglise.
Cette souveraineté est l'une de celles auxquelles la Confédération n'a, depuis la création de l'Etat fédéral, jamais touché. Il n'y a eu qu'une seule exception, la revision totale de 1874, qui a renforcé les articles confessionnels, du reste partiellement supprimés en 1973. Le système actuel donne aux cantons une grande liberté dans l'organisation de leurs rapports avec l'Eglise. Chacun peut ainsi tenir compte de son passé confessionnel et de son tempérament politique. Comme nous l'avons exposé sous chiffre 42, chaque canton a un régime ecclésiastique qui a son caractère propre. L'évolution s'est faite selon les cantons. Seuls Genève (en 1907) et Neuchâtel (en 1941) ont instauré une certaine séparation entre l'Etat et l'Eglise. Avons-nous des raisons suffisantes de rompre cette évolution, d'imposer un droit fédéral qui substitue à des régimes issus de l'histoire un système si rigoureux qu'il n'a rencontré la faveur d'aucun canton et d'aucun pays occidental?
En toute conscience, on ne pourrait répondre oui à cette question que si le partage actuel des compétences avait de tels défauts que seule une revision constitutionnelle dans le sens de l'initiative puisse les corriger. Mais ce n'est pas le cas.
(pages 693 sq.)
Le moins que l'on puisse dire est que le soutien de la gauche à l'initiative était mitigé, puisque si
Le Parti socialiste estime, pour sa part, que «certaines demandes des auteurs de l'initiative» sont justifiées et qu'il faudrait les réaliser par la voie de la législation fédérale; deux exemples sont cités: les conditions chicanières qu'il faut remplir pour sortir d'une Eglise et l'assujettissement à l'impôt de personnes qui ne sont pas membres d'une Eglise officielle. (page 700)
le même parti socialiste, comme sept autres partis alors représentés à l'Assemblée fédérale (PDC, parti radical démocratique, UDC, parti évangélique démocratique et les formations aujourd'hui défuntes qu'étaient le parti libéral, le mouvement républicain et l'Alliance des indépendants) rejetait l'initiative. Les deux formations communistes (Parti du travail et Parti socialiste autonome) n'avaient pas daigné répondre lors de la procédure de consultation, et l'Action nationale n'avait pas exprimé d'avis (page 693).
En bref, avec la claque de 1980 et les risibles 0,3% de la liste pour la séparation de l'Eglise et de l'Etat dans le canton de Zurich en 2011, l'Eglise catholique romaine, les Eglises protestantes nationales (vidées de leur fidèles soit par la déchristianisation, soit au contraire par les Eglises évangéliques) et l'Eglise catholique chrétienne (qui n'est qu'un accident de l'Histoire comme la plupart des autres Eglises de l'Union d'Utrecht) vont poursuivre leur inexorable déclin sans que personne ne mette en cause leur subventionnement étatique et mourront sans doute très riches. Opulentes et exsangues. (Au point de vue sociologique, je ne me fais en revanche aucun souci pour le judaïsme, désormais aussi religion d'Etat dans les cantons de Bâle-Ville, Berne, Saint-Gall et Vaud.)