Re: Le pape: le successeur de Pierre?
Publié : ven. 23 avr. 2010 0:14
L’article ci-dessous est publié dans cette rubrique mais fait suite à une question posée depuis une autre rubrique.
συμφωνεῖν infinitif présent actif du verbe συμφωνέω : résonner ensemble (Symphonie).
συνέρχεσθαι infinitif présent moyen ou passif du verbe συνέρχομαι : venir ou aller ensemble.
PS : des commentaires suivront, mais il y a encore d’autres falsifications à proposer (une fois, pas tout de suite).
Voilà un texte qui évoque des falsifications, parue dans un livre : REGARDS SUR L’ORTHODOXIE, Mélanges offerts à Jacques Goudet, Ed. l’Age d’HommeThomas Caesariensis a écrit :(D'ailleurs, je vous serais fort redevable de tout renseignement sur les diverses falsifications romaines des écrits des Pères de l'Église dans le sens de l'établissement d'une supériorité de l'évêque de Rome sur les autres, telle l'apparente falsification du paragraphe iv du traité De unitate ecclesiæ de saint Cyprien de Carthage, la grande majorité de celles auxquels il est fait allusion sur ce forum portant sur le Filioque, et le fil « Urbain IV et les ateliers de falsifications! » ne faisant pas mention d'œuvres consacrées à la question.)
Je remercie un intervenant du forum pour les termes en grec, ainsi que quelqu’un d’autre pour une question de latin.Grâce à l’obligeance d’un ami, me parvient au courrier un extrait de l’hebdomadaire connu dans la région Rhône-Alpes pour diffuser des informations religieuses, "L’Essor ", daté du 28 juin 1996*.
*( -En introduction à notre brève étude, nous nous sommes longuement attardé sur cet article de presse qui nous semble être, parmi tant autres écrits, un révélateur parfait des incohérences auxquelles on aboutit, soit, lorsque l’on n’est pas spécialiste, par ignorance du sujet que l’on traite, soit à cause d’erreurs de traduction ou d’interprétation dues à des spécialistes, erreurs sans doute involontaires à l’origine, mais qui, reprises d’une édition sur l’autre, acquièrent de ce fait un semblant d’auto-rité que rien ne justifie, et débouchent sur de véritables contre-vérités particulièrement dommageables, voire scandaleuses, comme c’est le cas dans le passage de saint Irénée que nous étudions. Dans l’exemple présent, l’inexactitude génère des conséquences d’autant plus graves que le texte grec de l’œuvre de saint Irénée disparu a été rétabli… d’après la version erronée et tendancieuse que nous dénonçons ! Dans l’introduction, nous avons transcrit en italique quelques unes des nombreuses erreurs de l’article de "L’Essor ".)
Il s’agit d’un article dans lequel les inexactitudes, voire les erreurs, sont une sorte de trahison à l’égard de celui à qui il est consacré, saint Irénée.
Le second évêque de Lyon, né à Smyrne "en Grèce"(nous dirions plutôt en "Asie mineure"), sans doute vers 140 (et non "en 120 "), donc asiate (et non "asiatique"), aurait été chargé par Pothin de porter au "pape" (nous dirions "évêque") de Rome, "une lettre écrite par les chrétiens persécutés de Lyon" (sans doute la fameuse "Lettre des chrétiens de Vienne et de Lyon à leurs frères d’Asie mineure") relatant la mort des martyrs, dont celle de Pothin lui-même. Peu importe cette invraisemblance pourvu que soit mis en valeur le rôle de Rome, alors qu’à l’époque l’Eglise locale de Lyon ne tirait ses origines, et son existence, que de l’Orient.
Quant au successeur de Pothin, Irénée, rentré de Rome (sic) "en 177" (confusion évidente avec l’année de la grande persécution des chrétiens lyonnais), il serait resté "vingt-cinq ans à Lyon jusqu’à sa mort en déportation sur les bords de la Mer Noire" (?)… avant d’être martyrisé à Lyon en 202, (c’est-à-dire la même année), "à 82 ans" (confusion possible avec l’âge auquel, disent certains, serait mort Pothin), non sans avoir tenu à Lyon, "un concile" (dont nous apprenons ainsi l’existence) au sujet du jour auquel on devait célébrer la Pâque, soit le premier jour de la pleine lune après l’équinoxe de printemps, soit le dimanche suivant, et non "le 14 de la lune après l’équinoxe", ainsi que l’écrit l’auteur de l’article (confusion probable avec le 14 nisân ?).
Passons sur ces interprétations erronées, sinon tendancieuses, pour frémir à l’affirmation la plus osée, dont la même intention laudative à l’égard de Rome, est évidente : "On le (saint Irénée) considère comme un des principaux fondateurs de l’Eglise romaine."
Comment, à la lecture de cette phrase, ne pas être emporté par une "sainte colère" ? Pourquoi cette expression d’ "Eglise romaine" à l’époque où l’Eglise était constituée d’Eglise locales ? Mieux vaudrait parler de l’"Eglise qui était à Rome", laquelle n’a jamais eu saint Irénée comme "un de ses principaux fondateurs". Voici les Apôtres Pierre et Paul bien oubliés, ainsi que Lin, premier évêque de la capitale impériale !
Apaisons notre irritation (provisoirement du moins), nous rappelant que, tout compte fait, cette façon d’arranger l’histoire en fonction des opportunités, voire en raison d’exigences apologétiques, par exemple le souci d’attribuer au pape de Rome une primauté d’autorité, bien qu’elle n’ait aucun fondement canonique, est dorénavant suffisamment connue, pour être démasquée et dénoncée.
Aussi, nous contenterons-nous d’évoquer un seul souvenir : c’était en 1984, alors que nous, orthodoxes, étions tout à la joie de pouvoir acquérir, à peu de frais, la traduction complète de l’ouvrage d’Irénée "Contre les Hérésies", parue aux éditions du Cerf. Joie bientôt mêlée de déception et de tristesse en constatant que le paragraphe 2 du chapitre III, Livre III, était traduit comme dans l’édition de "Source chrétiennes" 1974.
"Ad hanc enim ecclesiam propter potentiorem principalitatem necesse est omnen conuenire ecclesiam hoc est eos qui sunt undique fideles in qua semper ab his qui sunt undique conseruata est ea quae est ab apostolis traditio."
Traduction : "Sources Chrétiennes"
Adelin Rousseau et Louis Dutreleau
"Car avec cette Eglise, en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s’accorder toute Eglise, c’est-à-dire les fidèles de partout, - elle en qui toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des Apôtres."
Traduction : René Chabrier,
Traduction approuvée par des universitaires, plus spécialement, Monsieur le Professeur Michel Rambaud, latiniste de réputation internationale, maintenant décédé et Monsieur le Professeur Paul Burguière, collaborateur de "Sources chrétiennes", agrégé, docteur-ès-lettres.
"En effet, vers cette Eglise, en raison d’une prééminence faisant suffisamment autorité, il est nécessaire que converge toute Eglise (c’est-à-dire ceux qui, venus de partout, ont la Foi), toute Eglise dans laquelle toujours par ceux qui sont originaires de partout, a été conservée la Tradition, celle dont l’existence est issue des Apôtres".
I – COMMENTAIRE
A) La traduction faite par Adelin Rousseau et Louis Dutreleau en 1974 (reprise, à son profit, par Jean Comby, dans Irénée, Faculté de Théologie de Lyon, mai 1977, p. 36, 10 paragraphe) tend à prouver :
- Qu’il n’y a qu’une Eglise, celle de Rome (hanc ecclesiam),
- que celle-ci est "plus excellente" que toutes les autres (sainte),
- qu’elle a la suprématie sur les "fidèles de partout", les "gens de partout" (catholique),
-qu’en elle seule "a été conservée la Tradition qui vient des Apôtres" (apostolique).
B) La traduction que nous proposons, est littérale, elle s’efforce d’être fidèle au texte latin, dans sa morphologie et dans sa syntaxe.
Le résultat est que le sens diverge fondamentalement de l’interprétation proposée par Rousseau et Dutreleau; la signification est claire et rejoint essentiellement la formule fameuse de saint Vincent de Lérins : "Quod ubique, quod semper, quod ab omnibus creditum est" ("ce qui partout, ce qui toujours, ce qui par tous a été cru").
Il s’agit évidemment des Eglises locales (composées de fidèles venus de différents horizons) qui "convergent" vers Eglise de Rome, et parce que Rome était alors capitale de l’Empire, dans la mesure où toutes ces Eglises, y compris celle de Rome, ont conservé la Tradition (Unité de Tradition = Unité de l’Eglise).
Ayant l’unité de la Foi, ces Eglises ont un Seul Seigneur (sainteté). Ces Eglises locales s’étendent sur le monde entier et prêchent, toutes, la totalité de Sa Parole (catholicité).
Elles sont donc, en ce sens, "infaillibles", et Rome l’est dans cette mesure et au même titre, et sous les mêmes réserves que pour les autres Eglises.
Ces mêmes idées sont exprimées :
- en 3, 1 : "La Tradition … c’est en toute Eglise qu’elle peut être perçue … "
- en 3, 2 : "Les successions de toutes les Eglises", parmi lesquelles saint Irénée prend un exemple : "l’une d’entre elles", celle de Rome.
II – QUESTIONS GRAMMATICALES
- ad hanc ecclesiam.
Pourquoi traduire "ad" par "avec", alors que cette préposition indique la direction vers un but (accusatif) ; il s’agit d’un déplacement dans l’espace. Peut-être ( ?) même une idée de pèlerinage vers les tombeaux de Pierre et Paul, princes des Apôtres (propter potentiorem principalitatem).
- potentiorem.
Le comparatif employé d’une façon absolue (sans terme de comparaison) a toujours le sens de "assez", "passablement", "suffisamment", mais jamais "plus".
-conuenire.
Ce verbe confirme l’idée de mouvement de tous ("con-") vers un même but. Voir dictionnaire Benoît et Goelzer, p. 343 ("conuenire ad iudicum" : accourir au tribunal).
-ab his qui.
La préposition "ab" introduit le complément d’agent du passif (conseruate est) et a tout logiquement le sens usuel de "par". Alors, pourquoi "au bénéfice de" ?
- in qua.
La proposition relative introduite par "in qua" est annoncée par "omne" et se rapporte nécessairement au groupe de mot "omnem ecclesiam". Pourquoi aller chercher une relation avec "hanc ecclesiam" ?
III - "RECONSTITUTION" DE TEXTE
Pourquoi "conuenire" est-il traduit en grec par " συμφωνεῖν ", alors qu’on attendrait "συνέρχεσθαι " ?
Il est très regrettable que cette reconstitution du texte grec soit lue par des orthodoxes, qui sont ainsi induits en erreur, en Grèce et partout ailleurs.
IV – CONCLUSION
En disant "corruptio optimi pessima", les anciens romains pensaient en effet que "rien n’est pire que la corruption du meilleur "… Quant aux fidèles orthodoxes de l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique, ils diront avec notre saint Père théophore, Irénée, hiéromartyr : "Si grande était la circonspection des Apôtres et de leurs Disciples, qu’ils allaient jusqu’à refuser de communier, même en paroles, avec l’un de ces hommes qui falsifiaient la vérité ". (Adversus hereses, III, 3, 4)
Dans un contexte de suspicion, parler d’irénisme, d’œcuménisme, équivaut à trahir la vérité. "Tu ne déplaceras pas les bornes posées par tes Pères ". (Deut. XIX, 14)
René Chabrier
Inspecteur honoraire de l’Education Nationale
René Chabrier, TRADUTTORE… TRADITORE , dans REGARDS SUR L’ORTHODOXIE, éd. L'Age d'Homme, p. 147-151
συμφωνεῖν infinitif présent actif du verbe συμφωνέω : résonner ensemble (Symphonie).
συνέρχεσθαι infinitif présent moyen ou passif du verbe συνέρχομαι : venir ou aller ensemble.
PS : des commentaires suivront, mais il y a encore d’autres falsifications à proposer (une fois, pas tout de suite).