La suite de ce texte, qui est arrivé entre mes mains de manière fortuite, à propos d'un territoire dont personne ne parle jamais.
Отношения между народом Абхазии и Грузинской Церковю не могут быить названы дружественным и братскими. Причиной тому послужило то, что с 1918 г. и до настоящего времени Грузинская Церковь всегда подерживала националистическую политику властей Грузии в отношении абхазов и других народов, проживающих на территории Абхазии.
Ma traduction :
On ne peut qualifier d'amicales ni de fraternelles les relations entre le peuple d'Abkhazie et l'Eglise géorgienne. La raison en est que depuis 1918 et jusqu'à ce jour, l'Eglise géorgienne a toujours appuyé la politique nationaliste du pouvoir géorgien à l'égard des Abkhazes et des autres peuples qui vivent sur le territoire de l'Abkhazie.
Mon commentaire:
La Géorgie a été conquise par l'Armée rouge du 15 février au 17 mars 1921 et n'a recouvré sa souveraineté qu'au bout de sept décennies, le 9 avril 1991. L'URSS n'était pas un vrai Etat fédéral comme la Suisse ou les Etats-Unis d'Amérique, mais un Etat centralisé sous les apparences d'une fédération. Sauf que l'apparence est devenue la réalité lors de l'éclatement de l'Union en 1991 et que des frontières internes qui n'avaient aucune réalité sont devenues des frontières internationales: quand, en 1954, le pouvoir soviétique a offert la Crimée à la république socialiste soviétique d'Ukraine à l'occasion du tricentenaire du traité de Pereïaslav, nul ne pouvait prévoir les conséquences tragiques qu'aurait cette décision, puisque, bien entendu, aux yeux des dirigeants soviétiques, le droit de sécession des républiques constitutives de l'URSS, prévu à l'article 17 de la Constitution soviétique de 1936 (et maintenu à l'article 72 de la Constitution de 1977) n'était pas destiné à avoir plus de réalité que la liberté de culte (article 124) ou la liberté de la presse (article 125)...
Au demeurant, c'est bien l'article 25 de la Constitution soviétique de 1936 qui faisait de la république socialiste soviétique autonome d'Abkhazie une partie intégrante de la république socialiste soviétique de Géorgie.
En d'autres termes, à mes yeux, ce que la IIe Assemblée clérico-laïque de la sainte Métropole d'Abkhazie réunie au Nouvel-Athos oublie dans son adresse du 15 mai 2016 au patriarche œcuménique de Constantinople et au grand et saint Concile de l'Eglise orthodoxe, c'est que, pendant les sept décennies qui vont de 1921 à 1991, le pouvoir géorgien n'a strictement eu que la marge de manœuvre que le Centre a bien voulu lui accorder.
Quant à l'Eglise orthodoxe géorgienne, elle a connu les mêmes vicissitudes que l'Eglise orthodoxe russe, le catholicos Ambroise ayant connu la prison entre 1923 et 1927 et les persécutions n'ayant pas été moins intenses en Transcaucasie que dans le reste de l'URSS. (Françoise Thom, dans sa biographie de Beria, indique toutefois que celui-ci s'était assuré qu'une église restât ouverte à Tbilissi pour permettre à sa mère de venir y prier.) Je vois donc mal quel appui l'Eglise orthodoxe de Géorgie aurait pu donner à un quelconque pouvoir politique en 1923, ou en 1937, ou en 1959.
Là encore, lorsque le Centre est intervenu pour amener le patriarcat de Moscou et le patriarcat de Géorgie à délimiter leur territoire canonique en 1943, c'est uniquement parce que le pouvoir soviétique était amené à rétablir, au moins formellement, un semblant d'organisation ecclésiastique pour encourager l'ardeur au combat de la population et pour se donner à peu de frais une image de libéralisme aux yeux de ses alliés anglo-saxons. L'Eglise apostolique arménienne a d'ailleurs été ressuscitée, au même moment et dans les mêmes conditions que les deux Eglises orthodoxes locales, parce que tel était l'intérêt de Staline et de son équipe à ce moment-là, et en attendant de nouvelles persécutions.
(Il y a quand même eu un relâchement de la persécution religieuse pendant quelques années. Dans
l'Archipel du Goulag, Soljenitsyne rapporte qu'en 1947, on a commencé à libérer les prêtres orthodoxes qui étaient encore détenus dans les camps de concentration... à condition que quelqu'un les ait réclamés. Cf. Alexandre Soljenitsyne, Архипелаг ГУЛАГ, Eksmo, Moscou 2019 [1re édition YMCA-Press, Paris 1973], page 67.)
Là encore, c'est parce que le pouvoir soviétique y voyait son intérêt que le patriarcat de Géorgie a été admis à avoir un territoire canonique distinct de celui du patriarcat de Moscou, alors que le patriarcat de Roumanie n'a pas pu maintenir sa juridiction sur les territoires annexés par l'Union soviétique, sans parler du sort réservé à l'Eglise orthodoxe ukrainienne autocéphale.
C'est donc le Centre, et non la Géorgie, qui a décidé, en 1938, d'imposer l'alphabet géorgien pour écrire la langue abkhaze, après une brève latinisation (1919-1938) et avant que le cyrillique ne soit rétabli en 1954,de même que c'est bien la Constitution voulue par le Centre qui proclamait l'appartenance de l'Abkhazie à la Géorgie.
Ceci constitue mon point de vue en tant qu'observateur extérieur. Ce qui rend l'adresse des Abkhazes au patriarcat de Constantinople si intéressante, et la raison pour laquelle je pense qu'il fallait traduire ce document, c'est précisément qu'ils ont un point de vue complètement différent et qu'ils considèrent que la république socialiste soviétique de Géorgie a pu poursuivre, à leurs dépens, ses propres intérêts plutôt que ceux du Centre.