Gabriel Matzneff

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patrik111
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Gabriel Matzneff

Message par patrik111 »

Bonjour à tous,

Quelqu’un peut-il me dire si Gabriel Matzneff a joué un quelconque rôle au sein de l'orthodoxie française ou francophone?

Pour l'instant, dans les articles de presse que j'ai pu lire à son sujet, cet aspect de sa personnalité n'a guère été évoqué.

Merci par avance de vos réponses.

Bonne fin d'année à tous.

Patrik
Patrik111
Claude le Liseur
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Re: Gabriel Matzneff

Message par Claude le Liseur »

patrik111 a écrit : lun. 30 déc. 2019 3:10 Bonjour à tous,

Quelqu’un peut-il me dire si Gabriel Matzneff a joué un quelconque rôle au sein de l'orthodoxie française ou francophone?

Pour l'instant, dans les articles de presse que j'ai pu lire à son sujet, cet aspect de sa personnalité n'a guère été évoqué.

Merci par avance de vos réponses.

Bonne fin d'année à tous.

Patrik

Merci, merci infiniment d’aborder le sujet.

Il faut en effet en parler.

Aussi étrange que cela puisse paraître, ses livres ont joué un rôle dans mon cheminement vers l’Orthodoxie, en particulier Comme le feu mêlé d’aromates.

A une époque, il a fait connaître l’Orthodoxie francophone par ses articles. Même un livre odieux comme L’archimandrite, qui était une charge contre Mgr Pierre (L’Huilier), par la suite archevêque de Brooklyn, contenait aussi des informations sur l’histoire de la paroisse francophone de la rue Daru.

Matzneff avait un immense talent qu’il a désagrégé dans des histoires inintéressantes d’amours plus ou moins pédophiles. Le mélange du cul et de la bondieuserie a fini par lasser son public, y compris moi. D’autant plus dommage qu’il écrivait sur l’Église orthodoxe mieux qu’aucun autre écrivain de langue française. Dommage qu’il n’ait pas intériorisé et appliqué à lui-même le message qu’il transmettait aux autres.

Cela ne justifie pas l’hallali contre un vieux monsieur de 83 ans qui n’a jamais été condamné pour quoi que ce soit par la justice. Ces histoires de femmes qui découvrent 35 ans après qu’elles n’auraient pas été consentantes, ce coup que l’on fait à Matzneff après l’avoir fait à Woody Allen, cela pue le conditionnement des esprits dans le cadre de la lutte sans cesse recommencée contre le mâle blanc hétérosexuel. Cela pue la manipulation à la Greta Thunberg ou le « tsunami vert » des élections au Conseil national suisse du 20 octobre 2019 (heureusement corrigé pour le second tour de l’élection aux États par les électeurs de Berne, de Zurich et d’Argovie, pour se finir par la piteuse prestation de dame Regula Rytz lors de l’élection du Conseil fédéral).

Il suffit de voir d’ailleurs les mœurs qui prévalent en Macronie et ce que valent les autorités qui traînent aujourd’hui Matzneff dans la boue pour comprendre que tout ceci n’a rien à voir ni avec la morale sexuelle, ni avec la liberté, ni avec la protection de l’enfant et de l’adolescent, toutes choses dont les contempteurs de Matzneff n’ont d’habitude rien à faire.

L’époque, droguée à la moraline, vit dans une hébétude dont elle risque fort de se réveiller sous la coupe d’un terrible totalitarisme.

Sur ce, je vous souhaite une sainte et heureuse année 2020.
Claude le Liseur
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Re: Gabriel Matzneff

Message par Claude le Liseur »

Ma première réaction était un peu à chaud, alors que j'étais en vacances à la montagne.

Matzneff est un des écrivains que j'ai beaucoup lus. Dans ma jeunesse, j'avais dévoré Comme le feu mêlé d'aromates, Un carnet arabe, Cette camisole de flammes, Le dîner des mousquetaires, L'Archimandrite et Mamma, li turchi ! . J'ai cessé de m'intéresser à lui après ce dernier livre, où la défense de la pédérastie (à travers le personnage du réalisateur de cinéma Raoul Dolet) prenait trop de place. Et je n'ai rien lu de lui pendant dix-neuf ans. Je crois même avoir égaré les six livres que j'avais de lui dans un déménagement intervenu en 2016.

Bien entendu, au vu de la chasse à l'homme que les milieux merdiatiques ont déclenchée en décembre 2019, je me suis plongé dans la lecture d'autres livres de Matzneff que je ne connaissais pas encore : Isaïe réjouis-toi ! , Séraphin c'est la fin !, et La lettre au capitaine Brunner. Il y a peu d'auteurs dont j'ai déjà lu neuf livres, et, si Dieu me prête vie, j'en lirai encore d'autres.

Je constate qu'entre Mamma, li turchi ! où j'avais laissé Matzneff en 2001 et Séraphin c'est la fin ! où je le retrouve en 2019, il y a au moins un point qui nous est devenu commun : l'amour de l'Italie - encore que lui ce soit Naples, et que moi ce soit Turin et Gênes. Piemontesi falsi e cortesi, romani falsi e villani, peut-être. Pour le reste, je suis toujours sidéré qu'un homme qui baigne depuis tant de décennies dans le milieu orthodoxe, qui a une telle connaissance des Pères de l'Eglise et des jansénistes de Port-Royal, ait pu dissoudre une part si importante de son talent à célébrer des aventures sexuelles inintéressantes et obsidionales.

Mais pour le reste, quel talent ! En dehors de la reconnaissance personnelle que je lui porterai toujours (car je fais partie de ceux, plus nombreux que l'on croit, que la lecture de Matzneff a aidés sur le chemin qui menait à l'Orthodoxie), je ne saurais clamer assez fort à quel point il a du style, combien il est parfois capable de clairvoyance (son portrait du métropolite Anthony Bloom - "Vladyka Théophane " - dans Isaïe réjouis-toi ! est impressionnant de vérité psychologique), quelle culture profonde est la sienne et à quel point ses livres respirent une joie de vivre - qui ne semble pourtant pas si présente chez l'auteur. Comme quoi, tels sont les écrivains, autres sont leurs œuvres. Mais quel dommage, une fois de plus, que tant de pages soient consacrées au sujet qui, à l'heure actuelle, suscite l'ire de la gauche bien-pensante qui en a pourtant fait la promotion pendant cinquante ans, sujet essentiellement inintéressant, en tout cas du point de vue littéraire. (On notera que, comme c'est l'usage, son exécution est ordonnée par ceux dont il est proche politiquement depuis soixante ans maintenant, Matzneff ayant toujours été engagé à gauche.)

S'agissant maintenant de la question centrale. Matzneff est l'homme qui a essayé de sortir l'Orthodoxie du ghetto en France, le premier qui ait écrit, dans la presse et dans ses livres, à propos d'orthodoxes bien français, d'origine russe ou d'origine autochtone, à la différence d'Henri Troyat qui avait évoqué le milieu des émigrés russes. Or, il faut bien garder à l'esprit que, quelque soit le ridicule de tel ou tel prêtre né en banlieue parisienne et affectant de garder un accent russe, qui, au demeurant, ne correspond pas à la prononciation actuelle des ex-Soviétiques, un enfant d'émigrés russes né à Neuilly-sur-Seine en 1936 (cas de Matzneff) ne saurait relever exactement de la même sociologie que la génération précédente qui avait dû fuir l'ex-Empire russe au moment de la Révolution d'Octobre et de la guerre civile. C'est grâce à Matzneff que les orthodoxes ont obtenu d'avoir une émission de télévision le dimanche matin, privilège jusqu'alors réservé aux anciens cultes concordataires, et étendu par la suite aux musulmans, aux Arméniens et aux bouddhistes. Il me semble aussi que Matzneff s'est à une époque occupé des émissions orthodoxes à la radio et que ce serait même le seul emploi salarié qu'il ait jamais exercé, ayant pour le reste toujours vécu (plutôt chichement) de sa plume.

Je crois comprendre que Matzneff s'est considérablement éloigné du militantisme orthodoxe après l'échec de son mariage en 1973. Peut-être a-t-il aussi compris que la tâche serait très difficile. Revient en effet souvent dans ses livres le reproche fait au clergé orthodoxe de s'être perdu dans le phylétisme au lieu de se consacrer à la mission dans la société française. Toutefois, quand je vois l'intolérance extraordinaire des Français, cette espèce de fanatisme à la fois laïcard et papalin, cette bêtise à front de bœuf du bobo qui se croit rebelle, fanatisme et bêtise qui déteignent, par exemple, sur la Suisse romande (alors que la Suisse alémanique, pour ne même pas parler de l'Italie, est bien plus tolérante et bien moins idiote),je me dis que même l'entreprise missionnaire la mieux conçue et la mieux conduite n'aurait pu rencontrer le succès.

Une particularité intéressante chez Matzneff : lorsque l'archevêché de la rue Daru, sommé à l'époque par le patriarcat de Constantinople de se replacer sous la juridiction du patriarcat de Moscou, s'était lancé dans une aventure anti-canonique en s'attribuant un statut "indépendant" tout à fait inédit dans l'Orthodoxie, Matzneff avait pris parti pour le retour de l'archevêché dans la juridiction de Moscou. Il estimait en particulier que la présence d'un diocèse relativement fort en Europe occidentale serait de nature à freiner la persécution en Union soviétique. Depuis 1965, Matzneff a toujours été constant dans cette position, qu'il a exprimée chaque fois qu'il en a eu l'occasion, et je me souviens encore d'un article du Point, en 2019, peu de temps avant qu'il soit mis au pilori merdiatique, où il se réjouissait de voir enfin le retour de l'archevêché de la rue Daru (cum grano salis, je dirais plutôt, de ce qu'il en reste...) au sein du patriarcat de Moscou. Sur ce point, comme sur presque tous les autres au demeurant (y compris dans le très indigeste mélange de sujets religieux et de sujets pédophiles), il n'a jamais varié entre ses débuts dans la vie littéraire en 1965 et son exécution rituelle en 2019.
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