Mét. Anthony (Khrapovitsky) sur le nationalisme et le patriotisme

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katya1965
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Mét. Anthony (Khrapovitsky) sur le nationalisme et le patriotisme

Message par katya1965 »

Métropolite Anthony (né Alexei Pavlovich Khrapovitsky, 1863-1936) Métropolite de Kiev et de Galicie, premier président du Synode des évêques de l'EORHF, figure religieuse, théologien, philosophe.

Du point de vue de Mét. Anthony, le nationalisme correct et le patriotisme correct ont un caractère ecclésiastique et visent à protéger la pureté de la foi orthodoxe et le caractère orthodoxe
de l'Etat. N'étant pas un adversaire du nationalisme, il a critiqué à plusieurs reprises le nationalisme « tribal », « zoologique », condamnant l'égoïsme national, la xénophobie, le racisme.

Voici un extrait du discours prononcé par Mét. Anthony le jour du Saint Michel l'Archange le 8 (21) novembre 1909 à une assemblée de l'Union du peuple russe Saint-Michel-Archange (Nouvelles diocésaines de Volynie, 1909, no. 51/52, 1015-1022) :

« La conscience nationale russe n'est pas raciale, ni tribale, mais confessionnelle, religieuse. [...] [Un russe] sait parfaitement que les anciens Juifs ne parlaient pas russe et n'entendaient pas parler des Russes, mais il les considère comme ses ancêtres, et lui-même comme leur descendant précisément à cause de son identité confessionnelle. Et en cela, il a raison, chers auditeurs. Oui, ne vous étonnez pas : il sent et parle selon le verbe du Christ, qui a ôté aux Juifs apostats le droit de filiation à Abraham (Jean 8:39) et a placé de nombreuses nations dans son sein (Matthieu 8:11) ; le Précurseur du Christ ne dit-il pas la même chose (Mt 3, 9), et l'Apôtre Paul, proclamant avec insistance : « Sachez donc que les croyants sont les fils d'Abraham » (Gal. 3:7; cf. Rom. 4:16).

« Je vais vous dire quelque chose d'encore plus significatif sur le patriotisme russe. Dans la Laure de Kiev-Petchersk, chaque samedi à Matines, un akathiste est lu à la Très Sainte Théotokos, puis une prière fervente de remerciement, dans laquelle la Mère de Dieu est louée pour avoir protégé sa ville régnante, c'est-à-dire, Constantinople, de l'invasion des barbares païens du nord, « du voïévode scythe, d'une bête rusée semblable à un sanglier, du serviteur des démons, du grand kagan... et vous avez noyé de nombreuses armées dans la mer flottante et avez ruiné de milliers de navires avec du feu céleste ». De quoi s'agit-il? De la victoire des Grecs sur les Russes dans la seconde moitié du IXe siècle.

« Il est clair que notre peuple considère comme ses ancêtres spirituels non pas les anciens païens russes, mais les chrétiens grecs, et les ennemis de ces derniers sont leurs ennemis. Il est clair qu'il est impossible d'inculquer à un tel peuple le nationalisme uniquement racial ; il est clair que seule une telle union du peuple russe peut s'avérer vraiment populaire, qui, comme l'union du nom de l'archange Michel, jouxte son patriotisme religieux et ecclésial universel. Un tel patriotisme est large, une telle communication est illimitée ! »

* * *

Mét. Anthony avait une autorité énorme dans le peuple. Son archidiocèse (dans l'ouest de l'Ukraine) était un centre du patriotisme religieux et monarchiste, conforme à sa vision du patriotisme. Dans son article

Mét. Anthony Khrapovitsky, L'Eglise orthodoxe et l'empereur Nicolas II, Tsarskij Vestnik, no. 72, 1929, 16/20 décembre,

il a écrit:

« Ce qui est resté mémorable pour moi, c'est la présentation à l'Empereur dans le cadre d'une députation de la province de Volynie en 1908 ou 1909. Les habitants de Volynie ont présenté au tsar 17 volumes épais à reliure, remplis de leurs propres signatures, dans lesquels ils ont supplié le tsar de maintenir l'autocratie et de ne pas se rendre à la constitution. »

L'Union du peuple russe Saint-Michel-Archange, parrainée par lui, recevait une majorité de votes en Volynie, un territoire de son archidiocèse, aux élections au parlement russe (la Douma d'État) en 1907 et 1912.
Claude le Liseur
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Re: Mét. Anthony (Khrapovitsky) sur le nationalisme et le patriotisme

Message par Claude le Liseur »

Merci pour vos contributions toujours appréciables.

L'Union du peuple russe (Союз русского народа) a compté paraît-il jusqu'à 330'000 adhérents, ce qui en faisait le plus important parti politique de la Russie impériale.

Saint Jean (Serguiev) de Cronstadt (1829-1908) en fut un adhérent, de même que le futur patriarche de Moscou saint Tikhon (Bellavine) (1865-1925).

En revanche, l'archiprêtre Michel Ivanovitch Gachkévitch (1864-1936), fils de saint Jean de Karma ( Иоанн Кормянский, dans le monde Ivan Ivanovitch Gachkévitch [1837-1917]), fut député du gouvernement de Moguilev (biélorussien Mahiliow) à la IIe Douma de l'Empire russe (février-juin 1907) sous l'étiquette du parti constitutionnel-démocrate (KD), situé plus à gauche, ce qui montre que le clergé orthodoxe avait des engagements politiques diversifiés.

Tous ces partis ont été interdits, le SRN après la Révolution de Février, les KD après la Révolution d'Octobre, et leurs militants pourchassés comme contre-révolutionnaires, puisque le statut de prisonnier politique, qui exista en URSS jusqu'en 1925 si mes souvenirs sont bons, et qui permettait d'échapper au travail forcé, ne s'appliquait qu'aux militants des partis socialistes (socialistes-révolutionnaires, mencheviks, travaillistes), à l'exclusion, donc, des "contre-révolutionnaires".
katya1965
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Re: Mét. Anthony (Khrapovitsky) sur le nationalisme et le patriotisme

Message par katya1965 »

Oui, c'était le plus grand parti, et il n'est pas si surprenant qu'il ait reçu le plus de voix aux élections. Ce qui a attiré mon attention ici, c'est que le centre de ce parti et sa plus grande subdivision territoriale étaient situés sur le territoire de Volhynie, l'actuelle Ukraine occidentale.

Anthony Khrapovitsky était, en fait, l'un des hiérarques les plus respectés (voire le plus respecté) de cette période - il a reçu la majorité des voix aux élections du patriarche en 1917 au scrutin secret. Et ce n'est qu'après le second tour - le tirage au sort parmi les trois candidats les plus populaires - que Tikhon Bellavin a été élu.

Vous évoquez la « révolution » de février ; je la considère comme une conspiration contre le tsar, lorsqu'il a été capturé et emprisonné sans possibilité de communication avec le monde extérieur. La famille royale était prise en otage. Au nom du tsar, les conjurés ont répandu « l'abdication ». L'existence de l'acte d'abdication signé par le tsar est très discutable.

Du point de vue orthodoxe, le tsar oint de Dieu était la seule autorité légitime, et tous les événements ultérieurs sont une série d'iniquités. Voici ce que Seraphim Rose a écrit à ce sujet : « Le Tsar Nicolas II fut le dernier représentant de cet idéal du pouvoir légal chrétien, et le siècle de l’iniquité commença précisément avec son assassinat. »
katya1965
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Re: Mét. Anthony (Khrapovitsky) sur le nationalisme et le patriotisme

Message par katya1965 »

Quelques compléments sur l'attitude chrétienne envers les révolutions

Il existe un nombre de textes expliquant que le christianisme s'oppose à la révolution.

Tel est l'article du métropolite Anthony Khrapovitsky « Le Christ Sauveur et la révolution juive » (1922). Il est bien connu que l'Évangile de Jean complète et clarifie plusieurs lacunes des trois Evangiles synoptiques. Métr. Anthony propose une explication, dont voici un bref exposé : Les trois premiers évangiles étaient écrites au moment où les Judéens préparaient une insurrection contre les Romains ; c'est celle-ci qui est dénommée « révolution juive » dans le titre. L'insurrection, connue aussi sous les noms de la Première guerre judéo-romaine ou de la Grande révolte, a éclaté en 66 ap. J.-C. Les évangélistes contemporains de la Grande révolte ne pouvaient pas divulguer les plans des rebelles ni exprimer leur désapprobation de quelque manière que ce soit, craignant des représailles brutales de la part des conspirateurs menés par le Sanhédrin. Tel n'était pas le cas de St. Jean, qui a écrit son évangile quelques décennies plus tard et pouvait être beaucoup plus explicite dans son évangile.

Tout au long de son histoire le peuple juif a déclenché des révolutions dont on trouve des mentions dans la Bible, comme la révolte d'Absalom contre le roi David (2 Rois. Ch. 15-18, 20). Le prophète Jérémie a consacré un quart de son livre à persuader ses compatriotes de ne pas se rebeller contre le roi babylonien, mais il n'a pas pu atteindre le but de ses exhortations même lorsque « Jérusalem et le temple étaient déjà détruits, presque tout le peuple a été emmené en captivité, et il ne restait que quelques personnes, qui néanmoins se précipitèrent avec un courage fou sur les représentants de la puissance militaire babylonienne et condamnèrent ainsi à mort tout le reste du peuple, et leur pays à la dévastation finale. »

Cette fois, les révolutionnaires inspirés par le fait que Jésus les a nourris avec cinq pains, ont cru qu'il était le messager de Dieu qui les guidera dans leur révolte et ont voulu faire de lui leur roi. Avec un tel chef de révolution les rebelles seraient invincibles, car il continuerait à leur fournir de la nourriture pendant qu'ils préparent, dans le désert, leurs attaques contre des Romains. Mais Jésus les a quittés en marchant sur les eaux. Et quand les Juifs l'ont retrouvé, il leur a dit de chercher le pain eucharistique spirituel du Nouveau Testament et de ne pas lui demander du pain matériel. Ils voulaient la liberté politique, mais il parlait de la liberté spirituelle. Au lieu du royaume terrestre que les Juifs voulaient créer, il prêcha le royaume des cieux. Ainsi Jésus a refusé de les mener à la révolte, et pour cela il ne représentait aucune menace pour les Romains. C'étaient les Juifs qui cherchaient à le tuer car il s'opposait à leur projet de révolution.
Claude le Liseur
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Re: Mét. Anthony (Khrapovitsky) sur le nationalisme et le patriotisme

Message par Claude le Liseur »

Il faut garder à l'esprit que la chute du dernier tsar a été préparée par des gens qui évoluaient dans la haute société, qui avaient leurs entrées à la Cour, voire lui étaient apparentés. Il a dit: "Je ne vois que lâcheté et trahison autour de moi."

Comme de bien entendu, ces gens faussement habiles ont été désarçonnés par le cheval fougueux qu'ils avaient cru monter.

Dans les mois qui ont suivi, la Russie a connu un effondrement comme peu de nations en ont connu. La décomposition de l'armée, en particulier, a été effroyable. Lénine n'a plus eu qu'à cueillir le pouvoir - plutôt qu'à s'en emparer - pour établir un ordre fondé sur le sang et sur le retournement de toutes les valeurs.

Le premier moteur du mouvement blanc a été une réaction contre la décision du gouvernement communiste d'abandonner les Alliés aux côtés desquels la Russie s'était battue pendant plus de trois ans. Il s'agissait d'abord d'une réaction d'honneur et de dignité.

Gardons à l'esprit que sans la décomposition organisée de l'armée au cours de l'été et de l'automne 1917 et sans la décision de Lénine de trahir l'Entente (il est vrai ramené en Russie par les Allemands à cette fin), la Russie aurait fait partie des vainqueurs de la première Guerre mondiale et toute l'histoire ultérieure aurait été différente. Un an, il eût suffi de tenir un an de plus!

Il est évident que cette décomposition de l'armée, de l'Etat et de la société trouvent leur origine dans la chute du dernier tsar. Mais il est aussi évident que cette chute était préparée depuis longtemps par des hommes qui auraient été bien étonnés d'apprendre qu'en fin de compte, ils travaillaient à l'avènement du premier Etat socialiste.

L'assassinat de Raspoutine, par exemple, se situe à mon avis dans ce contexte de complots et de révolution en dentelles qui amusait la haute société pétersbourgeoise, qui n'imaginait pas quelle effroyable tragédie elle préparait pour les peuples de l'Empire russe.
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