Concile de Tolède

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Stephanopoulos
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Concile de Tolède

Message par Stephanopoulos »

Bonjour à tous,

J'ai lu quelque part sur ce forum que le concile de Tolède n'avait finalement pas accepté et inséré le "filioque" dans le Credo.

Quelqu'un pourrait-il me donner les références qui confirment cet état de fait (livre historique etc...)?

Merci, et joyeux carême!
Stephanopoulos
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Cher Stephanopoulos,

Vous pouvez trouver une discussion de ce problème par notre frère Dominique Béziat à l'adresse http://perso.club-internet.fr/orthodoxie/bul/19.htm (site du hiéromoine Cassien du Roussillon).

M. Béziat démontre l'impossibilité d'une falsification du Credo par le concile lui-même, qui était présidé par saint Léandre, ami du pape saint Grégoire Dialogue qui prêchait la procession ex Patre. En outre, il fait remarquer que le grand érudit Adam Zernickaw, luthérien prussien devenu moine orthodoxe à la laure des Grottes de Kiev, avait publié en Ukraine en 1682 un énorme travail recensant toutes les falsifications concernant le Filioque qu'il avait pu constater de visu dans tous les manuscrits patristiques des bibliothèques d'Europe; il ne resterait que deux exemplaires de cet ouvrage, à Helsinki et à Londres. (Cependant, Mgr Eugène Voulgaris publia en 1797 à Saint-Pétersbourg une édition grecque de l'ouvrage du père Adam Zernickaw augmenté de falsifications découvertes ultérieurement). Citons Béziat:

"A l'appui de cette thèse (celle de la falsification des Actes du concile de Tolède - NdL) , nous trouvons Zoernikav qui, en 1682, fit remarquer que les anciennes éditions des Actes des Conciles, comme celles de Cologne (1530) et de Paris (1535) ne mentionnent point le Filioque dans le concile de Tolède de 589; dans l'édition de Madrid de 1543, l'addition se trouve, mais est notée en marge comme interpolée. L'édition royale de 1644 et celle de Paris en 1671, en revanche, insèrent le Filioque sans commentaire."

En tout cas, on n'a inséré le Filioque dans le Credo à Rome qu'en 1014 par décision de l'empereur germanique Henri II (par la suite canonisé par la Papauté dont il semble en effet avoir été le théologien le plus important dans la suite des siècles...).

Désolé de ne pas pouvoir vous donner plus de détails, mais, comme je l'ai déjà écrit, je dois réduire ma présence sur le forum général au strict minimum jusqu'à la première semaine de mai. J'espère que quelqu'un d'autre a plus de détails que moi sur la falsification des actes du concile national espagnol de 589.
Antoine
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Message par Antoine »

Ce qui est certain c'est qu'il n'y a eu aucune discussion prélable au cours du concile pour cette adjonction. Les minutes ne parlent pas de débat à ce sujet. Alors on voit mal une telle insertion se faire indépendemment de toute confrontation. Quant à la thèse qui justifie cette adjonction pour lutter contre l'arianisme, elle ne tient pas la route théologiquement. (On aurait renforcé au cours du concile de Tolède la divinité du Christ en faisant également procéder L'Esprit de lui, ce qui le rendait ainsi encore plus consubstantiel au Père.)
Cela suppose qu' aucun participant du concile n'aurait été instruit de la théologie trinitaire de St basile et de saint Athanase, n'aurait eu de connaissance sur les termes d'hypostase et ousia et que tous auraient ignoré les conciles de Nicée et Chalcédoine. C'est un peu gros mais dans le catholicisme romain plus c'est gros plus ça passe.

L'adjonction ne peut- être qu'une falsification postérieure au concile.
La thèse de Zernickaw mentionnée par Claude est la plus sérieuse. elle est reprise par Lampryllos dans la "mystification fatale".

Reste à savoir pourquoi les moines de Charlemagne récitaient le credo avec Filioque à Jérusalem et d'où ils ont tiré cette adjonction. Mystère. Ils se sont fait jeter dehors et se sont plaintsz à Charlemagne et ainsi les thèses franckes pour la défense de cette hérésie se sont mises à fleurir. Charlemagne fit insérer le filioque dans sa chapelle royale à Aix la Chapelle. Impossible de savoir si les moines ont été instruits au préalable par Alcuin pour faire ce coup monté ou si Alcuin a récupéré l'hérésie avec pour mission de la justifier par tous les moyens après coup pour casser la romanité au profit de Charlemagne.
Stephanopoulos
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Message par Stephanopoulos »

Merci à vous Lecteur Claude et Antoine pour vos contributions qui m'éclaire toujours plus.

Bien à vous,
Dans le Christ.
Stephanopoulos
eliazar
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Concile de Tolède

Message par eliazar »

Il me semblerait plus simple de supposer le Filioque déjà introduit dans les offices des monastères franks à l’époque où les moines de Charlemagne destinés à Jérusalem ont été formés – avant d’être envoyés en Palestine.

Pour un voyage aussi long, on peut supposer qu’une sélection était faite au préalable dans les monastères, et qu’on n’envoyait que des « jeunes recrues » physiquement solides. Ayant été formés sans savoir que c’était une falsification, ils n’y ont donc pas vu malice ; et tout naturellement, ils l’ont chanté sans se méfier que les autres moines, orthodoxes, allaient remarquer une adjonction là où, de bonne foi, ils croyaient détenir la version exacte.

Dans ce cas tout à fait plausible, leur plainte scandalisée à l’empereur romain-germanique se comprendrait mieux. Ce n’est pas une feinte surprise, ni une ruse diplomatique : ils sont sincèrement persuadés que ce sont les Grecs qui n’ont pas la « juste louange » et les dénoncent à « leur empereur »… comme rebelles et hérétiques ! C’est en gros ce qui s’est reproduit en 1054 au moment des anathèmes du schisme consommé ; je ne suis pas certain que l’envoyé de Rome en savait beaucoup plus que ces moines – et les reproches au sujet des prêtres barbus, de la communion sans azymes, etc sont tellement absurdes qu’on peut beaucoup plus logiquement y voir l’indignation d’un illettré historico-théologique, soigneusement choisi pour cette opération de commando. « Moins ils en sauront, mieux ils se battront » comme aurait pu dire un autre Charles au moment des accords secrets d’Évian !

Si les choses se sont bien passées ainsi pour le Filioque, cela justifie encore plus la prudence recommandée par Claude pour éviter d’inclure parmi les saints orthodoxes ceux qui ont été canonisés par Rome, mais qui ont vécu au Xème siècle - aux environs de la cour de Charlemagne, c’est à dire dans la région d’Aachen (Aix-la-Chapelle) et de Trier (Trèves) où on peut supposer que le Filioque était déjà mis en place à titre d’essai – mais sans explication - sur les pupitres de moines soumis à l’obéissance et par ailleurs sans culture grecque.

Dans ce cas, le problème serait celui des premiers Évêques et des premiers higoumènes qui ont conjointement mis en application cette adjonction dans le but de créer un précédent et ensuite obtenir sa ratification par Rome - de gré ou de force. Ils n'ont sans doute pas été nombreux à l'origine de cette filouterie.
Antoine
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Message par Antoine »

Il me semblerait plus simple de supposer le Filioque déjà introduit dans les offices des monastères franks à l’époque où les moines de Charlemagne destinés à Jérusalem ont été formés – avant d’être envoyés en Palestine.
Peut-être Eliazar mais le problème est que l'on ne trouve aucune trace de ce filioque avant l'incident de Jérusalem .
Le filioque tel qu'Augustin le présente pour la première fois n'apparait dans ses écrits que comme un théologoumène et fait également l'objet de ses rétractations. Il ne fait l'objet d'aucune polémique avant Charlemagne et n'a pas d'existence théologique. C'est sous Charlemagne qu'il est déterré dans les écrits d'Augustin qui passe subitement d'un statut de Père mineur à celui de Père des Pères dans la "théologie" francke. Et nous savons tous que le pape Léon III le refuse malgré la pression de Charlemagne.
Alors ces moines, sans doute persuadés de bonne foi de la présence du Filioque dans le symbole de Nicée je te l'accorde volontiers, ont-ils été envoyés intentionellement par ceux qui savaient?
Si non, il faut bien se rallier à la thèse que le filioque était récité communément en Espagne et en Gaule depuis longtemps, (c'est à dire depuis Tolède) en croyant en toute sincérité qu'il appartenait au symbole.
Ou encore le symbole n'était pas récité et propagé en Gaule mais remplacé par un autre symbole comme celui dit " des apôtres." Celui de Nicée restant très confidentiel.
eliazar
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Concile de Tolède

Message par eliazar »

« Ou encore le symbole n'était pas récité et propagé en Gaule mais remplacé par un autre symbole comme celui dit " des apôtres." Celui de Nicée restant très confidentiel. »

C’est probablement ta dernière hypothèse qui est la plus satisfaisante ; je me souviens que lorsque j’étais enfant, à Nice, c’est celui des Apôtres qu’on nous faisait encore apprendre par cœur : l’autre était chanté en latin par la chorale et personne ne l’écoutait vraiment. Mais celui des Apôtres faisait partie de la prière du soir, dans les familles kto italiennes comme dans les Niçoises - et pour tout le monde, c'était LE Credo.
D’où le dédain de la plupart des kto pour « cette broutille » du Filioque !

Sinon, je ne vois pas comment on aurait pu faire totalement disparaître les protestations qui n’auraient pas manqué de se produire dans la plupart des régions de la Gaule du sud, notamment, historiquement dressée contre tout ce qui venait des Franks – jusqu’à l’entre-deux guerres de mon enfance où il était encore courant de traiter avec mépris de « Franchimans de merde » tous ceux qui n’avaient pas l’accent.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Lorsque je pourrai être à nouveau plus présent sur le forum (au mois de mai, plaise à Dieu), j'aimerais bien pouvoir apporter une contribution à ce débat. Je vois dans la chute de l'Occident hors de l'Orthodoxie la conjonction de trois facteurs: le filioquisme, probablement développé par un milieu d'augustiniens extrémistes dont Alcuin aurait été un porte-parole; l'impérialisme carolingien puis ottonien ayant poussé Charlemagne et d'autres usurpateurs barbares à faire du filioquisme et du semi-iconoclasme les instruments permettant de couper les Gallo-Romains, Italo-Romains, Hispano-Romains et Franko-Romains de la Romanité orientale (alors que les Mérovingiens, ne nourrissant pas d'ambitions impériales, étaient toujours restés orthodoxes); et enfin le papisme, dont le premier théoricien est Nicolas Ier.
A mon avis, on ne comprend pas l'histoire de cette période cruciale 794-1054 si l'on ne saisit pas que le papisme a dû se baser sur un renforcement du rôle de la Papauté voulu par les orthodoxes occidentaux eux-mêmes. Les prétentions de la Papauté se développent dès les premières années du IXème siècle, même si elles n'aboutissent à l'hérésie qu'avec Nicolas Ier dans les années 860. Il faut bien voir qu'à cette époque, en gros de 794 à 824, le patriarche de Rome est vraiment à la tête de la résistance orthodoxe, contre le Filioque, contre l'iconoclasme amorien, contre le semi-iconoclasme carolingien. Il est donc possible que les orthodoxes d'Occident aient, pour des raisons tactiques, renforcé chaque fois que c'était possible le pouvoir du patriarche de Rome, car celui-ci leur apparaissait comme le protecteur contre les fantaisies doctrinales de leurs maîtres barbares, contre les innovations dénoncées par saint Angobard de Lyon, et en premier lieu contre le Filioque.
La crise déclenchée par Nicolas Ier sera sans conséquence immédiate, puisqu'avec Jean VIII (872-882), le patriarcat de Rome retourne à son rôle canonique, reprend sa place dans la symphonie des Eglises et rejette l'hérésie du papisme.
Mais, tout au long du Xème siècle, les circonstances renforcent le rôle de la papauté: la simonie et la désorganisation des Eglises locales, la nécessité de continuer à se protéger contre le roitelet germanique filioquiste...
L'idée de génie des filioquistes sera de prendre les orthodoxes d'Occident à leur propre jeu en créant une Papauté filioquiste. C'est le sens des interventions répétées des Ottoniens en Italie à partir des années 960, dans le but de favoriser le parti filioquiste contre le parti orthodoxe à Rome. Le supplice de Jean XVI, en 998, montre de quelle cruauté ils sont prêts à faire preuve à l'égard d'un pape trop ouvertement orthodoxe. Il ne reste plus qu'à imposer en 1014 l'adoption du Filioque à un pape devenu l'instrument du pouvoir germanique. Et on renforcera encore les prétentions de la papauté, mais, cette fois-ci, pour justifier le filioquisme, qui trouvera ses théologiens dans la deuxième moitié du XIème siècle. Mais il faudra attendre le XIIème siècle pour que les papes l'imposent totalement en Provence et à Paris.
Comme on le sait, la Papauté créée par les empereurs germaniques n'allait pas tarder à se retourner contre eux (épisode de Canossa en 1077), comme quoi il y a une certaine justice...

Il y aurait aussi beaucoup à dire sur le rôle de l'entourage judaïsant des Carolingiens (car, enfin, l'usage des azymes pour l'eucharistie ou la substitution du jeûne du samedi au jeûne du mercredi ne sont pas tombés du ciel) et sur la personnalité de quelqu'un comme Pierre Damien qui, quelques années après le schisme définitif de 1054, développe déjà une nouvelle spiritualité hétérodoxe qui ne parviendra à s'imposer complètement dans le patriarcat de Rome devenu hérétique et schismatique qu'un siècle plus tard. Je pense notamment au traité de Pierre Damien à la gloire de la flagellation, nouvelle pratique de "spiritualité" qui choquait fort les moines italiens de son temps. Il est quand même intéressant de constater qu'au moment même où triomphent les nouveaux dogmes faux, comme le Filioque ou les prétentions papales que Grégoire VII exprimera mieux que personne dans les Dictatus Papae, Pierre Damien prépare une nouvelle spiritualité, elle aussi fausse.

Quelques réflexions que je me suis contenté de jeter en vrac, faute de temps pour mieux les ordonner. Pour le reste, je pense que l'hypothèse d'Antoine sur la récitation du symbole des Apôtres est excellente et permettrait d'expliquer combien peu de gens se sont rendus compte de l'insertion du filioque dans le Credo par la cellule carolingienne. Il a sans doute suffi de remplacer la récitation du symbole des Apôtres par celle d'un symbole de Nicée-Constantinople faussé par l'adjonction du filioque et la partie était jouée dans les régions qui n'avaient pas eu l'habitude du symbole de Nicée-Constantinople sans la "mystification fatale".

Vous vous souvenez des propos du Croate Gregory Peroche que j'ai cités dans le fil sur l'oecuménisme? En décrivant l'Orthodoxie comme ayant une spiritualité "réservée à quelques "saints ignorants" et non à la majorité", le maître à penser de l'Association France-Croatie nous donne en fait une des clefs qui permet de comprendre la chute de l'Occident hors de l'Orthodoxie au XIème siècle. Cette clef est tout simplement de nature linguistique: en terre byzantine, les populations comprenaient la liturgie, qui était dans leur langue (grec, slavon, arabe...); en Occident, le latin n'était plus compris, même des peuples néo-latins, depuis le VIIIème siècle; alors, que dire de la compréhension de leur liturgie et de leur Credo que pouvaient avoir les Allemands, les Hongrois ou les Polonais. Cette utilisation exclusive d'une langue sacrée incomprise par le peuple a naturellement permis tous les tours de passe-passe du genre filioque, en même temps qu'elle a facilité la mise en place par la Papauté de ce que Christos Yannaras a décrit comme "le premier système totalitaire de l'Histoire": à quelques clercs la connaissance du latin et le pouvoir, à la masse ignorante du latin l'obéissance aux fantaisies dogmatiques du Vatican. En clair, par un effet de substitution que j'ai souvent constaté dans les milieux croates, quand le propagandiste Gregory Peroche attaque l'Orthodoxie, il le fait en décrivant ce qu'était sa propre Eglise à l'époque considérée.

La rançon de cette volonté de maintenir le peuple dans l'ignorance de sa propre foi, c'est que dès que les Réformateurs du XVIème siècle sont arrivés avec des traductions de l'Ecriture dans les langues vernaculaires, la Papauté a subi des pertes qui lui auraient été fatales sans l'intervention du pouvoir séculier. Enfin, soyons sérieux: la prédication calviniste, appuyée sur des textes écrits ou traduits dans un excellent français, a fait basculer en sept ans (1555-1562) un huitième du peuple français dans le protestantisme, et Jean-Marc Berthoud a sans doute raison lorsqu'il affirme que, sans les guerres de Religion, le protestantisme serait devenu majoritaire en France. L'utilisation exclusive du latin, qui avait permis à la Papauté de faire gober au peuple toutes sortes d'erreurs dogmatiques, était aussi une faiblesse pour elle lorsqu'elle s'est retrouvée en face de gens qui avaient retrouvé la tradition orthodoxe de célébrer dans une langue compréhensible pour le peuple.
Pour terminer avec ces considérations linguistiques, il est d'ailleurs probable qu'il n'y aurait pas eu de Réforme sans la redécouverte du grec en Occident à partir du début du XVème siècle. Je pense aussi que cette ignorance du grec à l'époque médiévale a joué un grand rôle dans la séparation de l'Occident d'avec l'Orthodoxie.

Faute de temps, je dois arrêter ici le fil de mes réflexions. Il me semble cependant que, parmi les participants à ce forum, Antoine est le plus versé en ce qui concerne les diverses falsifications de textes patristiques utilisées, par exemple, par Thomas l'Acoquin (recte Thomas d'Aquin!) dans son Contra Graecos.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Je suis petit à petit en train de reconstituer les morceaux du puzzle et j'en arrive de plus en plus à la conviction que l'ajout du Filioque dans le Credo attribué au concile de Tolède de 589 est une pure invention.

Je posterai deux messages sur le sujet. Un concerne mes doutes sur la véracité de la décision monstrueuse attribuée au concile de Tolède par l'historiographie "allant dans le sens du dialogue oecuménique". Le deuxième message porte sur la question qu'a posée Antoine la semaine dernière: quel Credo récitait-on avant Charlemagne?

D'abord, deux découvertes fortuites.

Puisque l'Espagne suscite beaucoup d'empathie ces temps-ci et que j'étais lassé de mes histoires d'exception de compensation du débiteur cédé dans la faillite du cédant, je lisais hier soir pour m'endormir l'excellente Histoire des Espagnols dirigée par le professeur Bartolomé Bennassar dans la collection Bouquins aux éditions Robert Laffont (Paris 1992).
Et j'y découvre que le Filioque était une croyance arienne, en tout cas des ariens d'Espagne!
Professeur Pierre Bonnassie, "Le temps des Wisigoths", in Bennassar, Histoire des Espagnols, p. 35: "L'arianisme n'était rien d'autre qu'un christianisme simplifié, dépouillé pour une large part de ses mystères. Dans la Trinité divine, seul le Père était un, inengendré et éternel. Le Fils procédait du Père, et l'Esprit, à son tour, procédait du Fils (souligné par moi - NdL) . Page 36, les efforts du roi wisigoth Léovigilde pour susciter des ralliements à l'arianisme: "Concessions dans la pratique des conversions: pour être admis dans le culte arien, une simple déclaration d'intention suffira, au lieu d'un nouveau baptême comme précédemment. Concessions sur les questions dogmatiques: l'égalité du Père et du Fils est admise, seul le Saint-Esprit restant relégué à un rang subalterne (souligné par moi - NdL) . Bonnassie indique que cette soudaine insistance sur la procession ex Filioque, alors admise dans un sens arien, se situe au début des années 580; la conversion du roi Reccarède à l'Orthodoxie est, comme on le sait, de 586 ou 587.
Avouez que l'Histoire officielle qui veut que le concile de Tolède de 589 ait inséré le Filioque dans le Credo pour bien montrer aux Wisigoths à peine repentis de l'arianisme l'égalité du Père et du Fils devient difficile à gober. Le concile aurait voulu montrer aux Wisigoths les différences doctrinales entre christianisme orthodoxe et arianisme en modifiant le Credo des orthodoxes pour le rendre conforme à une doctrine arienne sur laquelle insistait particulièrement Léovigilde, l'assassin de saint Herménégilde - c'est-à-dire une doctrine qui représentait tout le passé que l'on voulait rejeter? Où est la logique là-dedans?
Et comment penser que saint Léandre, qui passe pour avoir été d'origine grecque, qui était un ami de saint Grégoire Dialogue, qui avait été envoyé comme ambassadeur à Constantinople où le patriarche saint Jean le Jeûneur lui avait dédié un de ses écrits, aurait présidé un concile qui se serait doté d'un Credo différent de celui professé par Rome et Constantinople?

Deuxième découverte fortuite. Pour les listes de saints d'Occident qui sont nécessaires à la rubrique "Calendrier des saints" de notre forum, je fais usage de l'édition en 17 tomes des Petits Bollandistes de Mgr Paul Guérin (1874), complétée en 3 tomes par Dom Paul Piolin, le tout réimprimé en 2001 par un éditeur kto intégriste, les Editions Saint-Rémi. C'est un outil de travail à la fois précieux et agaçant. Précieux, parce que Mgr Guérin a voulu être exhaustif et parce qu'il y est parvenu. Agaçant, parce qu'il n'est qu'exhaustif: le travail de Mgr Guérin est en fait une compilation de sources diverses où les lettres envoyées par des curés de campagne tiennent une place considérable. Mgr Guérin compilait avec un minimum de vérification et sans aucun esprit critique. A le lire, on a l'impression d'avoir un ouvrage du XIVème siècle, en tout cas antérieur à l'époque où Valla a posé les fondements de la critique historique en réfutant la fausse Donation de Constantin. Le travail de Mgr Guérin est aussi dépourvu de tout esprit de synthèse, se contredit dans les dates, etc., raisons pour lesquelles Dom Piolin l'a complété, sans pour autant supprimer toutes les erreurs. Sans même parler du ton constamment polémique et méprisant à l'égard des protestants et des orthodoxes, la mauvaise foi (peut-être due à l'ignorance, puisqu'il recopiait parfois n'importe quoi) de Mgr Guérin est parfois comique: ainsi, saint Sava, premier archevêque de l'Eglise orthodoxe autocéphale de Serbie, et dont on sait à quel point il était hostile au papisme, et transformé en vicaire du pseudo-patriarche "latin" de Constantinople (le prélat vénitien mis en place par les Franks lors du saccage de la ville en 1204) dans une notice qui commence par un "seule l'Eglise catholique (i.e. vaticane, aux yeux de Mgr Guérin - NdL) produit des saints", qui est du plus bel effet quand on raconte les vertus d'un évêque, certes de l'Eglise catholique, mais la seule, la vraie, pas celle à laquelle pensait Mgr Guérin: l'Eglise catholique orthodoxe... Enfin, malgré mon agacement devant sa mauvaise foi et son manque de scientificité, je lui suis quand même reconnaissant, à Mgr Guérin, de l'avoir fait, cette compilation!
Voilà que je lis, dans le tome IV des Petits Bollandistes de Mgr Guérin, page 445, à la date du 16 avril, sur la notice de saint Thuribe, évêque d'Astorga en Espagne, mort en 460, où Mgr Guérin affirme que ce saint évêque réunit contre les priscillanistes un concile regroupant les évêques des provinces de Tarragone, de Carthagène, de Portugal et d'Andalousie (on sent déjà le faux: le Portugal et l'Andalousie n'existaient pas au Vème siècle - NdL) : "Ce synode, pour expliquer la procession du Saint-Esprit, ajouta au symbole de Constantinople le terme Filioque" (suit une longue argumentation reprise des polémistes papistes anti-orthodoxes antérieurs, du type Anselme de Cantorbéry ou l'Acoquin, pour nous expliquer que le Filioque était contenu dans la pensée (!) des Pères du IIème concile, et que ceux qui lui sont hostiles sont des hérétiques, le tout sur un fond augustinien de confusion entre la personne du Saint-Esprit et la relation d'amour entre le Père et le Fils).
On notera que Mgr Guérin ne donne ni la date, ni le lieu de ce concile; il le situe seulement sous le pontificat de saint Léon Ier de Rome et l'épiscopat de saint Thuribe d'Astorga, donc entre 440 et 460.
Tiens, me dis-je, voilà une notice de Mgr Guérin qui ouvre la voie à bien des réflexions. Il doit avoir trouvé dans un ouvrage antérieur, le Martyrologe des Saints d'Espagne de Salazar, la mention de ce mystérieux synode sans lieu ni date qui permettrait de faire remonter l'insertion du Filioque bien avant le IIIème concile de Tolède de 589. A moins qu'il ne l'ait inventé lui-même - peu importe. Ce qui importe, c'est de découvrir qu'il y a eu à une époque chez les filioquistes une tentative de faire remonter l'insertion du Filioque dans le Credo à un concile antérieur à celui de 589, et que plus personne ne parle de ce mystérieux concile du Vème siècle.
La question me vient évidemment à l'esprit: quelle raison ai-je de penser que l'insertion du Filioque par le concile de 589, telle que me l'enseigne l'Histoire officielle, soit plus digne de foi que l'insertion par un synode galicien du Vème siècle, telle que Mgr Guérin (ou de la source qu'il utilise) essayait de le faire accroire en 1874? Je ne vois pas pourquoi je croirais à la deuxième fable plutôt qu'à la première.

Mais une chose mérite qu'on s'y arrête: pourquoi cette obstination à fixer en Espagne l'origine du Filioque? Là, c'est Antoine qui nous a peut-être donné la solution.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Venons-en maintenant à la question posée par Antoine et Eliazar: quel Credo récitait-on en Occident avant le roitelet barbare Charlemagne? On se doute bien, en effet, que l'insertion du Filioque dans le Credo de Nicée-Constantinople aurait été des plus difficiles si le peuple avait été habitué à entendre à l'église le Credo de Nicée-Constantinople inaltéré. (Même si le fait que le latin n'était plus compris par le peuple depuis le VIIIème siècle aurait pu faciliter les choses.)

Je suis allé chercher la réponse chez Mgr Duchesne et chez le père Paprocki. Et qu'y ai-je trouvé?

L'usage liturgique de l'Occident latin connaissait deux variantes de rite: le rite romain (limité à l'Italie centrale pendant longtemps) et le rite gallican (dominant en Italie du Nord, dans les Gaules, dans les îles Britanniques, dans la péninsule ibérique sous sa forme mozarabe). La liturgie mozarabe a survécu jusqu'au XIème siècle, et elle survit encore d'une certaine manière dans un usage limité à Séville. La liturgie romaine a été propagée en Gaule et en Germanie par Boniface et par Chrodegang de Metz au milieu du VIIIème siècle. Mgr Duchesne prétend ensuite que c'est le premier usurpateur karlovingien, Pépin le Bref, qui aurait supprimé le rite gallican; mais il n'en donne pour preuve qu'un édit de Charlemagne (toujours lui!) de 789 attribuant l'interdiction du rite gallican à son père Pépin le Bref... Comme il attribuera en 794 l'insertion du Filioque au IIIème concile de Tolède de 589?
Mais la "cellule carolingienne" n'a pas détruit le rite gallican pour lui substituer le rite romain. Comme dans la transformation de la vie monastique, où le prestige de saint Benoît de Nursie servira à couvrir une règle en fait rédigée par Benoît d'Aniane, le nom du rite romain servira à couvrir un rite modifié par les Carolingiens.
Pour citer un long passage de Mgr Duchesne, qui se termine par une constatation où l'on sent qu'il se doutait quand même qu'une monstrueuse mystification avait eu lieu à cette époque:
"L'intervention de Rome dans la réforme liturgique ne fut ni spontanée ni très active. (Normal: les patriarches de Rome, restés orthodoxes, tenaient en lisière les Carolingiens et tout le clan filioquiste - NdL.) Les papes se bornèrent à enoyer des exemplaires de leurs livres liturgiques, sans trop s'inquiéter de l'usage que l'on en ferait. Les personnes que les rois francs, Pépin, Charlemagne et Louis le Pieux, chargèrent d'assurer l'exécution de la réforme liturgique, ne se crurent pas interdit de compléter les livres romains et même de les combiner avec ce qui, dans la liturgie gallicane, leur parut bon à conserver. De là naquit une liturgie quelque peu composite, qui, propagée de la chapelle impériale dans toutes les églises de l'empire franc, finit par trouver le chemin de Rome et y supplanta peu à peu l'ancien usage. La liturgie romaine, depuis le onzième siècle au moins, n'est autre chose que la liturgie franque, telle que l'avaient compilée les Alcuin, les Helisachar, les Amalaire. Il est même étrange que les anciens livres romains, ceux qui représentaient le pur usage de Rome jusqu'au neuvième siècle, aient été si bien éliminés par les autres qu'il n'en subsiste plus un seul exemplaire. (Souligné par moi- NdL) "
Première question: s'il ne subsiste plus un seul exemplaire des anciens livres romains, n'est-ce pas parce que ceux-ci ne contenaient pas le Filioque?
Deuxième question: amis catholiques intégristes qui prétendez vous battre pour la "messe de toujours", êtes-vous partisans du rite romain... ou du rite carolingien?

En tout cas, Mgr Duchesne est formel sur un point: l'usage de chanter le Credo dans le rite romain ne fut introduit à Rome que dans la première moitié du onzième siècle. "Bernon, abbé de Reichenau, raconte que, lui présent, l'empereur Henri II réussit à faire accepter cet usage au pape Benoît VIII (1012-1024); jusque-là les Romains ne le connaissaient pas." Et c'est précisément lors de cette cérémonie, le 14 février 1014, que le patriarcat de Rome, pour la première fois, accepta le Filioque et chuta irrémédiablement hors de la foi apostolique... Naturellement, comme le peuple n'avait pas eu l'habitude d'entendre le Credo inaltéré, il n'était pas en mesure de se rendre compte du trucage. Et je crois que cet épisode romain fait écho aux interrogations d'Eliazar et d'Antoine à propos de la situation chez nos ancêtres.

Mgr Duchesne décrit la messe gallicane en se fondant sur la description de saint Germain de Paris (+ 576), confrontée avec le missel mozarabe et les anciens livres liturgiques de la Gaule mérovingienne, de la Bretagne et de l'Italie du Nord. Aucune mention du Credo. Ni du symbole des Apôtres.
Donc, vers 576, on ne chantait ni ne récitait le Credo dans le rite gallican.
L'a-t-on fait entre 576 et l'insertion du Filioque par Charlemagne en 794? Voilà la réponse que j'ai trouvée chez le père Paprocki, qui se base sur des auteurs catholiques-romains: "Dans l'Eglise d'Occident, le synode de Tolède de 589 prescrit de réciter le Credo pendant la messe en Espagne. De là cet usage est passé en Irlande et en Angleterre. Au VIIIème siècle, l'empereur Charlemagne a introduit la récitation du Credo pendant la messe à la cour impériale d'Aix-la-Chapelle. Ensuite le Credo entra dans la pratique milanaise, et en l'an 1014, à la requête de l'empereur Henri II, le pape Benoît VIII l'imposa dans la messe."
De ce récit basé sur des sources qui ont intérêt à nous faire accroire la naissance du Filioque selon l'Histoire officielle, on relèvera que même les historiens filioquistes ne font aucune mention de la récitation ou du chant du Credo dans l'Eglise des Gaules et l'Eglise de Milan avant Charlemagne. On nous parle de récitation du Credo en Espagne, en Irlande et en Angleterre, pas dans les Gaules. Pas avant Charlemagne. Et voilà comment il était si facile de faire sortir le Filioque de sa boîte sans que le peuple ne se révoltât...
Vous vous doutez bien que ma félicité a atteint son comble quand j'ai lu chez Paprocki que l'on attribue la décision de réciter le Credo dans la liturgie au IIIème concile de Tolède. Comme on lui attribue l'adoption du Filioque. Décidément, il a bon dos, ce concile de 589. Et si ses actes ont été falsifiés, comme Zernickaw l'a d'ailleurs en partie démontré, il ne reste pas grand'chose de ce mythe du Filioque...

Mais pourquoi fallait-il absolument que le Filioque et la réforme liturgique fussent attribués à un concile espagnol - celui de 589, ou un concile antérieur comme le prétendait Mgr Guérin?
La réponse me paraît simple: quelle était l'Eglise locale qui, tout en ayant le même rite ou à peu près que celle des Gaules, avait joui d'un prestige immense et était en totale perdition du fait de la conquête musulmane au moment où la cellule carolingienne procèdait à la "mystification fatale" (scripsit Cyriaque Lampryllos) en 794? L'Eglise d'Espagne...

Il était facile à Charlemagne (ou plutôt aux clercs dévoyés qui inspiraient son action) de se faire soudain l'exécutant des décisions d'un concile de deux siècles antérieur (au fait, pourquoi deux siècles d'attente?), tenu par une Eglise qui avait presque été considérée comme un patriarcat à elle seule, et qui se trouvait à ce moment-là réduite à un groupe en voie d'assimilation sous domination musulmane et à un autre groupe survivant dans les Asturies et en Galice?
Qui pouvait bien vérifier ce qui s'était passé à Tolède, ville qui allait rester sous domination musulmane jusqu'en 1085?
"A beau mentir qui vient de loin"...
Dernière modification par Claude le Liseur le dim. 28 mars 2004 23:53, modifié 1 fois.
eliazar
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Concile de Tolède

Message par eliazar »

Cher Claude,

J'ai été surtout absorbé ces jours-ci par des vérifications de détails touchant le Synaxaire des Saints de notre Héritage - et j'ai un peu laissé tomber tout le reste.

Je découvre donc tes derniers messages sur le Filioque et je les trouve en tout point remarquables. En effet, ils rpondemnt clairement à cette "impossibilité " à la fois historique et psychique qui me posait question. J'ai vécu la piété chaude et attentive de ma seconde famille italo-niçoise, et après ma conversion, la piété sourcilleuse, mais également chaleureuse de ceux qui allaient bientôt devenir le noyau du refus à Vatican II - et qu'on appelle les intégristes kto. Me reportant à la piété inébranlable des générations autour de la conversion des Barbares Franks et jusqu'au règne de Charlemagne - non seulement dans le milieu des "grands aryens blonds" baptisés à la suite de Clovis, mais aussi dans les milieux beaucoup plus lettrés des "Gallo-Romains" qui avaient déjà résisté avec une telle détermination héroïque à l'arianisation imposée par leurs prédécesseurs Wisigoths - il me semblait incompréhensible que PERSONNE n'ai laissé trace d'une lutte acharnée contre le Credo falsifié par les occupants Franks.

Tout au contraire aurait justifié une lutte pied à pied pour défendre le Credo de l'Église jusqu'alors orthodoxe. Et de nombreux traités des uns et des autres pour la défense de la foi, ou pour la justification du Filioque.

Les textes que tu as épluchés sont lumineux. Au fond, le Credo était une formule réservée sans doute aux conversions, lue une fois pour toutes à ce moment-là, et oubliée ensuite "de confiance" faute d'être répétée à chaque liturgie.

Et moi qui prenais les Franks pour de grands soudarts illettrés, et pour tout dire pour des peuples germaniques très inférieurs (pour ce qui est du bon usage de l'intelligence) aux Wisigoths ariens, je tombe de haut : ils se sont révélés de redoutables faussaires, des escrocs intellectuels machiavéliques.

Et dire que "la fille aînée de l'Église" se fait honneur d'avoir adopté leur nom ! ! ! (et de nous l'avoir imposé par la même occasion, dans cette "France du Sud" qui a été la dernière à leur résister sous tous les prétextes - y compris l'Aquitaine qui motiva par ses incessantes révoltes la fameuse descente punitive de l'host de Charlemagne qui (prolongée à travers le pays Gascon-Vascon-Basque) allait se révéler funeste pour ses "preux" devant Saragosse ... et au retour par le col de Roncevaux, véritable retraite de la Bérézina pour ce précurseur germanique de Napoléon !

En tout cas, ta démonstration est une sacrée "munition" - qu'il va falloir désormais ajouter au fameux CYRIAQUE LAMPRYLLOS pour le renforcer encore !
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Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Mon cher Eliazar,

Pas entièrement d'accord avec toi. Je persiste à penser que l'usurpateur carolingien était un trop petit esprit pour avoir eu l'idée de toutes ces innovations dogmatiques. Quelqu'un l'a conseillé, et les circonstances l'ont aidé.


La cause première de la facilité avec laquelle l'Eglise des Gaules a chuté, c'est Mgr Duchesne qui la donne: l'absence d'un siège primatial incontesté comme Tolède l'était pour l'Espagne. Pour reprendre la formule de Mgr Duchesne, l'Eglise mérovingienne avait des frontières, mais pas de centre.
Toute l'organisation reposait sur les rois chevelus. A partir du moment où la dynastie mérovingienne a sombré dans l'insignifiance politique, l'Eglise des Gaules a entamé une irrémédiable décadence, parce qu'il n'y avait pas de siège métropolitain assez prestigieux pour suppléer à la carence de l'Etat. On ne connaît plus de concile national de l'Eglise des Gaules après 675.
Il est intéressant de constater que le pouvoir mérovingien s'est lentement enfoncé dans la nuit à cause de la féodalité. Et le père Romanidhis ou le métropolite Hiérothée de Naupacte ont bien montré comment ce que l'on appelle le "catholicisme romain" est l'expression religieuse de la féodalité. Une telle religion n'aurait pas pu prendre pied dans la société encore très largement tournée vers la Nouvelle Rome des premiers Mérovingiens. N'oublions pas que, de 503 à 587, le royaume franc fut le seul Etat dirigé par une dynastie orthodoxe en Europe occidentale: il était dès lors logique que les Mérovingiens fussent tournés vers Constantinople. Si l'on se souvient de l'épisode de Clovis recevant de Constantinople les insignes de patrice, on a un peu oublié l'anecdote encore plus significative de son petit-fils saint Gontran, roi à Chalon-sur-Saône, instaurant à Dijon la laus perennis sur le modèle du monastère Saint-Maurice d'Agaune en Valais qui l'avait reçue du monastère des Acémètes de Constantinople. En tout cas, les Mérovingiens n'ont jamais dévié de la foi orthodoxe, et ils n'ont jamais fait état de prétentions impériales.

Je pense aussi que nous devons relativiser l'image traditionnelle des Mérovingiens: la "cellule carolingienne" s'est employée à salir la réputation de l'ancienne dynastie, de la même façon que les polémistes filioquistes jusqu'à nos jours ont sali tout ce qui était grec. Frédégonde et son jouet Chilpéric Ier ne sont pas toute l'histoire de la dynastie de Clovis. J'ai de plus en plus l'impression que l'histoire des Mérovingiens racontée par les siècles postérieurs, c'est les Serbes vus par l'oustachi des lettres Peroche, la Russie racontée par Alain Besançon ou la Grèce à la sauce Fallmerayer, ou saint Photios à travers les siècles d'hystérie anti-orthodoxe.

Après la mort de Dagobert Ier en 639, tout se délite lentement: le pouvoir royal recule devant les premiers féodaux (dont la famille des Pippinides qui deviendra les Carolingiens), l'épiscopat n'est pas en mesure d'assurer le maintien de la discipline de l'Eglise nationale des Gaules, le contact avec la Romanité se perd petit à petit, les moeurs se barbarisent. A partir du VIIIème siècle, le peuple ne comprend plus le latin.

Le changement de religion instauré par Charles le Petit en 794 est la conséquence d'un changement de civilisation, et il profite habilement du fait que, depuis un siècle, l'Eglise des Gaules n'est plus dans une situation normale.

Mais il faut bien comprendre que, de même que ce que l'on appelle "catholicisme romain" et la rencontre du filioquisme carolingien, puis ottonien, et des ambitions effrénées des papes du XIème siècle reprenant les lubies de Nicolas Ier, le filioquisme est lui-même la rencontre d'une ambition et d'une théologie.
L'ambition, c'est celle de Charlemagne, qui a absolument besoin d'une nouvelle religion pour pouvoir présenter les "Grecs", c'est-à-dire les Romains d'Orient, comme des hérétiques et ains justifier ses grotesques
ambitions impériales.
Mais Charlemagne est, lui, un vrai Barbare, une véritable régression culturelle par rapport aux Mérovingiens ou aux Wisigoths. Chilpéric écrivait des vers latins, même s'ils étaient mauvais; Charlemagne sait à peine lire, et en tout cas pas écrire.
Si la volonté de faire basculer l'Occident dans une nouvelle religion vient de Charlemagne, c'est bien des lettrés, des clercs dévoyés, qui ont dû lui suggérer les contours que prendrait la nouvelle religion: Filioque et augustinisme, en attendant une réforme liturgique destinée à marquer le changement de foi, puisque lex orandi, lex credendi. Mais une réforme liturgique qui a dû s'étaler sur des décennies, au moins de 789 aux années 820. N'oublions pas que l'espérance de vie d'un homme, à cette époque-là, était de 30 ans tout au plus; avec des réformes liturgiques et dogmatiques étalées sur la vie d'un homme, le temps travaillait donc pour le roitelet barbare, qui se voyait sans doute en train de mettre en place un Empire destiné à durer mille ans. Combien de gens restait-il en 830 qui auraient pu dire ce qu'avait été la vie de l'Eglise franque cinquante ans plus tôt, avant les réformes de l'usurpateur?

A mon humble avis, si les conseillers de Charlemagne lui ont suggéré de fonder une nouvelle religion sur le filioquisme et l'augustinisme, plutôt que sur le nestorianisme par exemple (ce qui aurait été un choix plausible, la tentation nestorienne ayant été forte en Occident, surtout à l'époque du schisme d'Aquilée), c'est que ces idées devaient bien être répandues dans un petit groupe d'intellectuels. Je pense qu'il faudrait donc en chercher l'origine chez saint Fulgence de Ruspe et saint Césaire d'Arles, qui ont renforcé l'augustinisme en Provence, là où saint Jean Cassien avait dirigé la résistance victorieuse contre les idées de l'évêque algérien. Si saint Fulgence et saint Césaire étaient, eux, parfaitement orthodoxes, je ne serais pas étonné que les idées qu'ils avaient importées aient échauffé pendant plus de deux siècles et demi certains clercs qui se sont mis à forger l'augustinisme extrémiste dont Charlemagne entreprit de faire l'absolu théologique de l'Occident. Réussite totale, d'ailleurs: depuis le XIème siècle, l'Occident est entièrement augustinien et tous - papistes, luthériens, calvinistes, jansénistes, etc. - communient dans l'augustinisme dont ils ont simplement des interprétations plus ou moins extrémistes. Il me semble que seul le méthodisme de John Wesley, avec son volontarisme optimiste, a marqué une tentative de rupture avec la domination de cette philosophie maquillée en théologie; mais le Pays de Galles a bien fini par inventer des méthodistes prédéstinationnistes...

Alors, j'imagine le processus qui a dû se dérouler entre 787 (septième concile oecuménique: le patriarcat orthodoxe de Rome se réconcilie avec l'Empire romain enfin revenu de l'iconoclasme; mauvais pour les ambitions impériales de Charles le Petit) et 794 (proclamation au grand jour de l'hérésie). Notre principicule germanique a besoin de créer une différence dogmatique avec la Nouvelle Rome pour préparer son usurpation impériale (qu'il imposera au pape de Rome le 25 décembre 800). Barbare illettré, beaucoup plus barbare et beaucoup plus illettré que ne le furent jamais les Mérovingiens (sans même parler des Wisigoths, en effet beaucoup plus avancés que les Francs sur le plan culturel), il s'adresse à ceux qui ont le monopole du savoir: les clercs qui savent lire et écrire le latin. Parmi ces clercs, il y a peut-être des hommes du Sud-Est de la Gaule, qui se veulent les successeurs du clan augustinien extrémiste dans sa querelle perdue quelques siècles plus tôt contre les moines de Provence. Ils vont sauter sur l'occasion pour faire avancer leur cause. Rencontre d'une ambition politique (sur fond de complexe d'infériorité, et puis aussi d'habitude de méfiance prise à l'égard de l'Empire, qui avait quand même été dirigé - ne l'oublions pas - par des empereurs iconoclastes pendant soixante ans) et du fanatisme d'un clan philosophico-théologique.

Et il faut reconnaître que l'augustinisme correspondait bien à la nouvelle société féodale qui avait commencé à se mettre en place avec l'effacement progressif du pouvoir mérovingien. N'était-il pas agréable pour la nouvelle dynastie et ses sbires, pour l'usurpateur Charlemagne, ses barons avides, ses clercs interlopes, son entourage de trafiquants d'esclaves, de s'imaginer parmi les élus, et d'imaginer le reste de la population, les partisans des Mérovingiens désespérés, le peuple ruiné, les esclaves razziés en Germanie pour faire survivre les finances du tyran d'Aachen, les tenants de la romanité en voie de disparition, comme une masse de réprouvés, damnés en puissance? N'est-ce pas cette idéologie qui explique les massacres atroces utilisés pour la conversion des Saxons païens? Compelle intrare...

Car il doit bien y avoir un lien entre le remplacement du patriarcat orthodoxe et romaïque de Rome par la Papauté filioquiste, franke et impérialiste en 1014, et le fait que les premiers bûchers d'hérétiques dans l'histoire du christianisme s'allument à Orléans en 1022?

Ce qui me laisse pantois pour le présent et l'avenir, c'est de penser que les promoteurs de l'actuelle Europunie ont pu créer un prix Charlemagne et Pierre Riché écrire un livre sur "Les Carolingiens, une famille qui fit l'Europe". Plutôt une famille qui défit l'Europe unie dans la foi orthodoxe et la romanité.
Et pas étonnant que l'on retrouve chez un anti-orthodoxe acharné comme Alain Besançon (de l'Académie des sciences morales et politiques, ô mânes de Tocqueville!) cette référence à "l'Europe de Charlemagne".
Vers quel avenir, mon Dieu, vers quel avenir?
Stephanopoulos
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Message par Stephanopoulos »

Bonjour à tous et merci pour ce brillant exposé sur le Concile de Tolède
(plus précisément le 3ème) et le filioque!

J'ai justement parlé à l'Higoumène André de ce Concile auquel, finalement, le filioque ne fut pas introduit dans le Credo.

N'ayant pas eu beaucoup de temps pour me répondre, l'Higoumène m'a toutefois donné une information supplémentaire.
J'ai relu en vitesse vos posts ci-dessus au cas où cette information y serait
déjà; il me semble que ce ne soit pas le cas.
Alors voici : selon Denzinger-Schönmetzer (plus papiste tu meurs...), le filioque dans le Credo serait une interpolation dans les copies des actes de ce concile faites 600 ans après, du moment où les copies plus anciennes ne l'ont pas.

Bien à vous,
Dans le Christ.
Stephanopoulos
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Stephanopoulos,

J'ai trouvé votre message si intéressant que j'ai acheté la dernière édition française de l'Enchiridion Symbolorum de Denzinger (Le Cerf, Paris 2001), correspondant à la 38ème édition allemande. Edition sous la responsabilité de Peter Hünermann pour l'édition allemande et de Joseph Hoffmann pour la traduction française.

Je pense que, au vu de la totale indifférence dogmatique des fidèles catholiques-romains contemporains, l'ECAR peut se permettre des aveux qui lui auraient fait perdre des troupes à l'époque où les fidèles avaient une plus grande exigence de vérité.

En tout cas, je lis en effet, p. 167 de l'édition française, l'aveu que l'adoption du Filioque par le IIIème concile de Tolède est bien une falsification postérieure:
"Il semble cependant avoir été ajouté, étant donné qu'il manque dans certains manuscrits anciens, par exemple dans le Codex Lucensis (IXème siècle); voir J. Orlandis et D. Ramos-Lisson, Die Synoden auf der iberischen Halbinsel bis zum Einbruch des Islam (711) (Konziliengeschichte, Reihe A: Darstellungen; Paderborn, 1981), 109 s., en particulier note 54."

Il est donc intéressant de constater que la falsification des actes du concile de 589 doit être très postérieure à la création de la nouvelle religion par Charlemagne en 794.
eliazar
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Message par eliazar »

Cher Claude,
Tu écris : « au vu de la totale indifférence dogmatique des fidèles catholiques-romains contemporains, l'ECAR peut se permettre des aveux qui lui auraient fait perdre des troupes à l'époque où les fidèles avaient une plus grande exigence de vérité. »

Il est NORMAL que le « péché contre le Saint Esprit » n’intéresse plus les fidèles kto romains ; depuis le Filioque, justement, et de manière progressive, tout problème de doctrine est devenu pour eux « querelle byzantine ». Enfin : progressive à la manière d'une boule de neige. Ou d'une avalanche.

Et depuis Jean-Paul II, ce n’est plus la teneur de la Foi qui compte pour eux, mais l’audimat atteint par leur star. S'il est bon, sa foi doit être juste.

Le monde où ils vivent n’est plus celui de l'attente de la Parousie, mais d'une société prospère accordée aux critères du show-bizz. Leurs dernières timides levées de boucliers remontent à la suppression de la Messe de Pie V; dont plus personne ne se souvient, du reste, à part les historiens spécialisés – et quelques groupuscules probablement moins importants encore que les restes "vieux catholiques" engendrés par les conciles du XIXème s.

Or Vatican II ne date que de 40 ans. La falsification anti-trinitaire, c’était il y a plus de 12 siècles…!

J'ai dans mes souvenirs d'enfance quelqu’un qui a osé dire que les Français avaient la mémoire courte ; mais personne ne pourrait plus vraiment se risquer à évaluer la mémoire des papistes…

Or la France intéresse encore pas mal de ses citoyens – mais combien s’intéresseraient encore à la Trinité ? Voilà un sondage d’opinion que les pouvoirs publics ne sont pas prêts à commander à l’Institut Harris.
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