L'arrière-plan du modernisme

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Jean-Louis Palierne
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L'arrière-plan du modernisme

Message par Jean-Louis Palierne »

Voici un article qui vient de parître dans le quotidien La Croix (en ligne à : www.la-croix.com <http://www.la-croix.com> ). Je crois utile de communiquer ce document à notre Forum, car il illustre parfaitement tout l'arrière-plan idéologique, historique, "religieux", du modernisme.

Hommage de l'Orthodoxie à ses exilés

Les cinq premiers saints orthodoxes de l'émigration russe en France seront "glorifiés" à Paris dimanche 2 mai 2004. Entretien avec Élisabeth Behr-Sigel, théologienne orthodoxe

Le 2 mai aura lieu à la cathédrale russe Alexandre-Nevsky, à Paris, la «glorification solennelle» de cinq nouveaux saints, canonisés cette année par le patriarcat œcuménique de Constantinople. . Parmi eux, la figure emblématique de Mère Marie Skobtsov, et ses trois compagnons de l’Action orthodoxe, le P. Dimitri Klépinine, Youri Skobtsov, Élie Fondamensky, tous morts en camps de déportation pour avoir voulu sauver des juifs. Ils rendirent témoignage ainsi, selon l’acte de canonisation, «de leur fidélité au Christ et de leur engagement à vivre complètement l’Évangile». Le cinquième est un prêtre, le P. Alexis Medvedkov, mort en 1934 en Savoie et vénéré pour son humilité. En les glorifiant, l’Église orthodoxe rend hommage à une génération d’exilés qui, en Occident, ont contribué à la renouveler.


- La Croix : La canonisation de cinq personnalités marquantes de l’histoire spirituelle de l’émigration russe en Europe par le patriarcat œcuménique, dont la figure emblématique de Mère Marie Skobtsov, est-elle une manière de reconnaître la spiritualité de l’orthodoxie française ?

– Élisabeth Behr-Sigel : On ne peut dire que Mère Marie soit une figure représentative de l’orthodoxie française, tant elle est restée russe jusqu’au plus profond d’elle-même. Mais son «exploit spirituel» (podvig) s’est déroulé dans le contexte occidental. Elle et ses compagnons — son fils Youri, le P. Dimitri Klépinine et Élie Fondamensky — représentent une orthodoxie intégrée dans l’histoire occidentale qui, après avoir fui le bolchevisme, s’est dressée contre la barbarie nazie. Mère Skobtsov a aimé la France, elle a assumé la réalité française, jusqu’au bout. C’est la première fois que l’Église orthodoxe canonise des gens dont la partie essentielle de la vie s’est réalisée en Occident. C’est un honneur fait à l’émigration russe. C’est peut-être aussi une manière de reconnaître qu’il existe en France une Église locale, au-delà des différentes juridictions auxquelles appartiennent les personnes.

– Quel est l’apport de cette génération à l’orthodoxie ?

– En France, après la Révolution bolchevique, se sont retrouvés les acteurs du concile local de l’Église orthodoxe de Moscou, qui avait eu lieu en 1918. Au début du XXe siècle, l’Église russe a connu une «renaissance» spirituelle importante, qui s’est traduite par le retour d’intellectuels à la pratique religieuse, comme le philosophe Nicolas Berdiaev ou l’économiste marxiste Serge Boulgakov, qui devint prêtre et fut le confesseur de Mère Marie.

Cette élite intellectuelle, autour de Serge Boulgakov, est venue en France et a continué à réfléchir. Elle s’est enrichie au contact des autres Églises, dans un contexte de laïcité. Jacques Maritain a joué un grand rôle par ses liens avec Nicolas Berdiaev, tout comme le pasteur réformé Wilfred Monod, qui venait souvent dans cette communauté exilée. Il y a donc eu, dès le départ, une ouverture œcuménique. Mère Marie témoigne de cette préoccupation. Geneviève de Gaulle-Anthonioz, qui l’avait connue lors de ses derniers jours à Ravensbrück, m’a confié combien Mère Marie tenait à l’unité de l’Église, jusqu’au bout.

Parmi ces exilés, de jeunes intellectuels, tels Vladimir Lossky et Paul Evdokimov, ont cherché le sens de leur venue en Occident. Pour eux, c’était le témoignage de l’orthodoxie. C’était quelque chose de profond, la recherche de racines spirituelles communes pour un profond renouvellement.

– Cette génération avait tout à construire !

– Elle a vécu l’écroulement de l’ancienne Russie dans des conditions particulièrement dramatiques. Tout comme la disparition de l’institution ecclésiale. Elle a aussi connu le sort difficile des apatrides, la pauvreté, l’insécurité… Cela leur a donné un trésor, à savoir une immense liberté. C’est une expérience qui manque à l’orthodoxie dans son ensemble. Mère Marie est particulièrement caractéristique de cette liberté. Tout en restant dans l’Église, elle a pu dire des paroles de liberté.

– Ne fut-elle pas trop dure à l’encontre de certains aspects de l’orthodoxie ?

– La tentation de l’orthodoxie, c’est de s’en tenir à une spiritualité liturgique. Mère Marie voulait que sa foi soit un témoignage vécu dans la pratique. Pour elle, le monachisme traditionnel s’était renfermé sur le culte. Elle rêvait d’un monachisme créatif, renouvelé, en réponse à l’appel déchiffré dans les «signes des temps», un monachisme vécu non au désert ou derrière les murs protecteurs, mais dans le monde. Un monachisme intégré dans la cité. Pour elle, l’injonction « Partez en paix » est une invitation de l’Église à entrer dans le monde. Le P. Lev Gillet, qui fut aumônier de la rue de Lourmel à Paris, s’amusait à me raconter l’immense capharnaüm qu’était la maison de l’Action orthodoxe qu’elle avait fondée là : des épaves de l’immigration russe, des prostituées, mais aussi un chœur grégorien, des séances de l’académie philosophique de Nicolas Berdiaev y trouvaient refuge.

– Ce qu’elle a appelé le « sacrement du frère »…

– À la mort de sa fille Anastasia, Mère Marie a eu le sentiment qu’il lui fallait tout donner et se donner elle-même entièrement. Il y a là, pour nous aujourd’hui, un appel à l’absolu authentique. Au fond, elle est restée jusqu’au bout socialiste-révolutionnaire. L’appel à la sainteté de Dieu passe, chez elle, par une aspiration à la justice sociale profonde. Elle voulait réveiller l’orthodoxie à cette réalité.

– A-t-elle une postérité ?

– Au sens strict, non. Sa vie pourrait sembler un échec : deux mariages brisés, ses enfants morts prématurément… Au sein du monachisme orthodoxe, elle n’a pas eu de disciples, et l’Action orthodoxe qu’elle avait créée n’a pas eu de suite. Mais son rayonnement est désormais immense. Elle est comme une invitation incessante à aller dans le monde. Au-delà de toutes les structures paralysantes, elle continue de nous appeler à aller vers Celui qui vient.

– Une Église dans le monde ?

– Je rapprocherais sa spiritualité de celle de Dietrich Bonhoeffer : celle d’une Église sécularisée, d’un culte qui se réalise à travers la vie sociale. C’est, pour elle, l’occasion de transformer les œuvres de la culture en culte, en offrande.

– Avec Mère Marie, c’est aussi une femme que l’Église orthodoxe honore… Une figure féminine de spiritualité.

– Je n’aime pas beaucoup attribuer aux femmes des charismes spécifiques qui les opposeraient aux hommes. Cependant, il est vrai que Mère Marie avait ceci de féminin qu’elle était très ouverte à la rencontre, à l’écoute. Elle eut une grande activité de conseil spirituel, souvent d’ailleurs auprès d’hommes, envers qui elle était très maternelle. Comme avec tous…

– Mère Marie et ses trois compagnons canonisés sont morts parce qu’ils avaient voulu protéger des juifs. Est-ce une invitation pour l’Église orthodoxe à mieux vivre son lien avec le judaïsme ?

– L’intérêt pour le judaïsme existait au sein de cette génération d’exilés, et il fut approfondi, notamment avec la rencontre de juifs convertis au christianisme. C’est la première fois que l’Église orthodoxe propose à la vénération de ses fidèles des saints qui sont honorés du titre de « Justes des Nations » par le peuple d’Israël. Il reste malheureusement encore des réflexes antisémites dans le peuple orthodoxe, en Russie. L’enjeu est important. D’autant plus que, parmi les chrétiens présents aujourd’hui en Israël, il y a un nombre croissant de Russes orthodoxes.

Isabelle DE GAULMYN
Jean-Louis Palierne
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Antoine
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Message par Antoine »

XB!
Il [Ce document]illustre parfaitement tout l'arrière-plan idéologique, historique, "religieux", du modernisme.
Il ne serait pas inutile de faire une explication de texte détaillée afin de montrer tous les éléments modernistes de ce texte et l’idéologie qui en constitue la trame.
Par exemple je note dans les deux premiers paragraphes de l’interview les bizarreies suivantes:
tous morts en camps de déportation pour avoir voulu sauver des juifs. Ils rendirent témoignage ainsi, selon l’acte de canonisation, «de leur fidélité au Christ et de leur engagement à vivre complètement l’Évangile».
Sans dénigrer ou minimiser l’atrocité des camps, il ne me semble pas que l’altruisme , même lorsqu’il mène au sacrifice de sa propre vie, soit un critère suffisant de sainteté. Il est étrange que ce soit ce point qui soit mis en exergue.


En les glorifiant, l’Église orthodoxe rend hommage à une génération d’exilés qui, en Occident, ont contribué à la renouveler.
Il y a là une déviation complète de la finalité d’une canonisation, une espèce de laïcisation au sens étymologique du terme, une dépersonnalisation de la sainteté. On aurait voulu se servir de la canonisation pour rendre hommage à une collectivité. Est-ce « cette génération d’exilés » que nous allons vénérer sue les icônes des saints concernés ?


On ne peut dire que Mère Marie soit une figure représentative de l’orthodoxie française, tant elle est restée russe jusqu’au plus profond d’elle-même
En la matière l’appartenance ethnique aurait-elle un rôle ? Je pensais que dans l’Eglise il n’y avait plus « ni juifs ni grecs etc… » Quand nous vénérons une icône, s’occupe t-on de la nationalité du saint figuré ?


C’est la première fois que l’Église orthodoxe canonise des gens dont la partie essentielle de la vie s’est réalisée en Occident.
Qu’en est-il du 1er millénaire ? N’est ce pas oublier un peu vite que la France était orthodoxe avant la Russie? Quid d’un saint irénée. ? Cette affirmation n’est-elle pas la ratification d’une vision erronée de l’histoire ?


C’est un honneur fait à l’émigration russe.
Là encore Élisabeth Behr-Sigel réïtère sa vision laïque de la canonisation.


C’est peut-être aussi une manière de reconnaître qu’il existe en France une Église locale, au-delà des différentes juridictions auxquelles appartiennent les personnes.
On nage en plein phantasme ! Surtout après avoir dit ; « On ne peut dire que Mère Marie soit une figure représentative de l’orthodoxie française, tant elle est restée russe jusqu’au plus profond d’elle-même. » Elle serait emblématique d’une Eglise Locale sur la France ? Il y a des pensées bien énigmatiques….




Mais n'étant pas encore très au clair sur ce que Jean-Louis appelle précisément le modernisme et sur ce qui appartient spécifiquement à cette idéologie, je lui laisse le soin de corriger ce message et de poursuivre notre édification en ce domaine.
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Euh, je pensais qu’il était inutile de donner une explication de texte pour dégager l’humour involontaire (à mes yeux) de cet interview, dont Antoine a parfaitement souligné les points essentiels. L’alibi de l’altruisme ne doit pas masquer l’appel à la sainteté. Je pense que tous ici le savent. Il s’agit bien d’un détournement de la notion de canonisation, d’une laïcisation, complétée par une très douteuse référence ethno-centrique.

J’ai dans ma lointaine jeunesse donné de ma personne dans un certain nombre de mouvements activistes et altruistes, depuis les années 50. J’y ai connu beaucoup de gens, et je conserve le souvenir d’hommes admirables, (une génération qui avait su prendre ses risques dans la Résistance) même si j’ai été amené à renoncer à tant d’illusions et de phantasmes. Les mouvements activistes et altruistes ont fini par se fondre en une sorte de “politiquement correct” qui sert maintenant de couverture à une totale déspiritualisation des mentalités collectives.

Jamais, je dis bien jamais, je n’ai rencontré qui que ce soit dans les très nombreux groupes que j’ai connus, qui provienne des courants modernistes de l’émigration orthodoxe. J’ai bien rencontré quelques camarades dont les noms prouvaient qu’ils étaient d’origine orthodoxe, russes ou grecs. Étant d’un naturel curieux, j’ai essayé de savoir quel itinéraire avait pu les conduire à rejoindre les courant activistes et altruistes. Toujours je me suis aperçu que c’était parce qu’auparavant ils s’étaient convertis au catholicisme et y avaient fait connaissance, comme moi d’ailleurs, des tendances “militantes” du néo-catholicisme.

Enfin je voudrais souligner que tout cela se fixe pour but de soutenir le projet d’une Église “locale” qui voudrait se recommander de son idéal laïciste, démocratique et politiquement correct.

La prochaine fois, j’essaierai donc de ne pas parler au second degré sans prendre la précaution de mettre les points sur les i, c’est-à-dire d’exposer analytiquement les positions contenues, et d’en faire l’examen pro et contra.
Jean-Louis Palierne
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Antoine
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Message par Antoine »

Jean-Louis Palierne a écrit :Il s’agit bien d’un détournement de la notion de canonisation, d’une laïcisation, complétée par une très douteuse référence ethno-centrique.
Bon , merci, je commence à mieux cerner ces grandes lignes du modernisme. J'avais attribué cela plutôt à une catholicisation ou une protestantisation du christianisme avec en plus une spécialisation dans l'ethno-centrisme. Cela me semblait avoir commencé avec François d'Assise dont les oeuvres servaient d'étiquette pour masquer une déficience profonde de spiritualité et de la vie en Christ. Mais s'il est devenu une figure emblématique c'est que déjà le "modernisme" se propageait vite. Alors je ne saurais discerner si l'oeuf a fait la poule ou si c'est François d'Assise qui a pondu. Ce modernisme semble bien être généré par le filioque qui est en somme une socialisation malheureuse de la Trinité.

Elisabeth Behr-Sigel a écrit :– Je n’aime pas beaucoup attribuer aux femmes des charismes spécifiques qui les opposeraient aux hommes.
En revanche il y a pour Mme Behr Sigel un charisme russe et elle même a été doté d'un charisme particulier qui pourrait se libeller ainsi : Je me contredis donc je suis...

Elisabeth Behr sigel a écrit :C’est la première fois que l’Église orthodoxe propose à la vénération de ses fidèles des saints qui sont honorés du titre de « Justes des Nations » par le peuple d’Israël.
Il est vrai que le Christ lui n'a pas eu cet honneur là...Alors pour une fois que les juifs honorent une orthodoxe cela méritait vraiment une icône!

elisabeth Behr Sigel a écrit :Au fond, elle est restée jusqu’au bout socialiste-révolutionnaire.
Pour un socialisme orthodoxe révolutionnaire:Votez Behr Sigel
(Là j'en ai peut-être fait un peu trop..)

Enfin n'oublions pas que le seul slogan politique de l'orthodoxie restera:
CHRIST EST RESSUSCITE !
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Il y aurait en effet beaucoup de commentaires à faire, mais je crois qu'Antoine et Jean-Louis Palierne ont fait les plus pertinents.

On voit en tout cas très bien que le slogan sans cesse répété de "construction d'une Eglise locale" n'a pas pour but une action missionnaire pour ramener des Occidentaux à la religion de leurs ancêtres, mais simplement de construire pour une certaine fraction des émigrés une Eglise sécularisée, politiquement correcte et adogmatique, dont certains diocèses où la vie monastique a pratiquement disparu semblent être le prototype. Reste que la construction de cette nouvelle forme d'Eglise est impossible tant que demeure la tutelle des Eglises-mères. Alors, pour se débarasser de Constantinople, Antioche, Moscou, Belgrade et Bucarest (pour ne citer que les patriarcats qui ont des évêques dans les pays francophones), on invente le prétexte de l'adaptation aux réalités locales ou de l'utilisation de la langue du pays.

J'ai remarqué que ces groupes recrutent pas mal parmi les ex-catholiques désireux de faire dans l'Orthodoxie un "Vatican III" super-moderniste qui a été empêché dans leur confession d'origine par Jean-Paul II.

Quand Madame Behr-Siegel déclare que c'est la première fois que l'Eglise orthodoxe canonise des gens qui ont vécu l'essentiel de leur vie en Occident, non seulement elle oublie les saints du premier millénaire, dont certains (saint Martin de Tours, saint Benoît de Nursie, saint Grégoire Dialogue, saint Martin de Rome...) sont passés dans le calendrier byzantin bien avant le schisme, mais elle oublie un peu vite que son propre patriarche, S.S. Barthélémy Ier de Constantinople, a fait le voyage de Budapest en 2000 pour y canoniser solennellement le roi Etienne de Hongrie (mort en 1038); or, la Hongrie me semble un pays plutôt occidental...
eliazar
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Et la dérive, çà existe aussi ?

Message par eliazar »

Je me sens un peu idiot d’intervenir dans un débat si éloigné de mes petites compétences, mais tant pis, j’y vais.

Jean-Louis écrit : «… je conserve le souvenir d’hommes admirables, (une génération qui avait su prendre ses risques dans la Résistance) même si j’ai été amené à renoncer à tant d’illusions et de phantasmes. »
Et un peu plus loin, il ajoute : « Jamais, je dis bien jamais, je n’ai rencontré qui que ce soit dans les très nombreux groupes que j’ai connus, qui provienne des courants modernistes de l’émigration orthodoxe. J’ai bien rencontré quelques camarades dont les noms prouvaient qu’ils étaient d’origine orthodoxe, russes ou grecs. Étant d’un naturel curieux, j’ai essayé de savoir quel itinéraire avait pu les conduire à rejoindre les courant activistes et altruistes. Toujours je me suis aperçu que c’était parce qu’auparavant ils s’étaient convertis au catholicisme et y avaient fait connaissance, comme moi d’ailleurs, des tendances “militantes” du néo-catholicisme. »

J’ai bien sûr vécu cette période puisque j’avais 17 ans à la Libération. Je l'ai même vécue avec une certaine "naïveté", puisque j’en avais 12 au début du conflit. Ma famille était de droite, et j’ai côtoyé pas mal de Russes (modernistes ou pas, du reste) tant à Nice où ils formaient une colonie importante (la plupart sont partis aux USA après la guerre) qu’à Paris autour de la Libération. Ils étaient quasiment tous dans la mouvance des diverses droites, depuis le monarchisme tzariste à l’état utopique jusqu’à la collaboration « illuminée » avec une Allemagne nazie dont le Führer (ils le savaient de source sûre !) n’était entré sur le territoire de la Sainte Russie que parce qu’il avait pour but de la rendre aux Romanoffs – notamment en récompense pour leurs sacrifices héroïques dans l’armée Wrangel.
Je n’ai connu que deux Russes de l’émigration, très pauvres, qui étaient sceptiques et pour tout dire, espéraient (quoique émigrés des années 20 ou même avant) que l’URSS écraserait le fascisme. Aucun des deux n’était orthodoxe pratiquant, aucun des deux n’osait le dire ouvertement dans le milieu à 70% russe où je vivais et travaillais. Mais aucun des Russes qui m’entouraient pendant ces années troubles n’avait la moindre velléité de se rapprocher du catholicisme romain.

Ce tout petit témoignage une fois versé au dossier, je voudrais en profiter pour dire ma gêne devant l’attitude d’un grand nombre de mes amis dans ce Forum, au sujet des récentes canonisations du groupe de martyrs russes autour de Mère Marie (Skobtsova).

Par exemple, Antoine écrit :
«…je note dans les deux premiers paragraphes de l’interview les bizarreries suivantes: - « tous morts en camps de déportation pour avoir voulu sauver des juifs. Ils rendirent témoignage ainsi, selon l’acte de canonisation, «de leur fidélité au Christ et de leur engagement à vivre complètement l’Évangile». » - Sans dénigrer ou minimiser l’atrocité des camps, il ne me semble pas que l’altruisme , même lorsqu’il mène au sacrifice de sa propre vie, soit un critère suffisant de sainteté. Il est étrange que ce soit ce point qui soit mis en exergue. »

Eh ! bien moi, l’idiot du village, je trouve aussi quelque chose d’étrange à ce qu’on ne puisse pas accepter sans grogner la canonisation d’une femme, d’un homme et d’un adolescent qui avaient probablement lu quelque part : « J’étais en prison et vous êtes venus vers moi » - même si effectivement ceux-là n’ont pas pensé que leur devoir de chrétiens ne se limitait pas à aller visiter les prisonniers de droit commun (quand ils y en a d'orthodoxes), avec la bénédiction de l’administration pénitentiaire et en leur apportant une Bible et des bonbons. Et s'ils en ont conclu que cette phrase ne leur interdisait pas vraiment d’essayer d’éviter à ceux qui n’avaient pas encore été raflés par la Gestapo de l’être le lendemain, faute des faux papiers qui auraient pu leur sauver la vie.

Et parce que je suis justement l’idiot du village, il me semble, à moi, que de donner sa vie (quand on est Russe et exilé soi-même, mais d’un autre bord) pour des déportés (ou en sursis de l’être à brève échéance) dont l’immense majorité n’est pas chrétienne, cela ressemble assez à un témoignage rendu à Celui qui a dit : « Ce que vous aurez fait pour le plus petit d’entre les miens, c’est à Moi que vous l’aurez fait ».

Quoique n’étant pas fanatique du Patriarcat actuel de Constantinople, j’en déduis bêtement qu’ils ont bien été des martyrs (c’est à dire : qu’ils ont bien en effet témoigné) du Christ. Et comme en ce qui me concerne je ne suis qu’un lâche, et que je me serais bien gardé de me jeter dans la gueule du loup, à leur place… je ne peux que les admirer profondément, avec un sentiment évident d’infériorité.

Je ne veux pas épiloguer, ni me dandiner dans la position du converti qui fait la leçon à son Évêque, mais je me demande vraiment si nous ne sommes pas de plus en plus enclins à effacer de notre docte horizon « forumnicien » la vraie vie que les simples gens vivent chaque jour. E les vraies souffrances, et les vraies injustices dont on les frappe chaque jour sous nos yeux sans que nous ouvrions la bouche.

J'ajouterais volontiers que faire la petite bouche, ou chercher les fautes d’orthographe (dans notre cas, les fautes de doctrine) devant des hommes et des femmes qui sont sous le feu des canons et sous les chenilles des tanks jour après jour me semblerait bien déplacé ; et donc, que discuter doctement du possible (ou même avéré) « modernisme » de ceux qui ont voulu tendre la main aux consdamnés, au risque certain de partager leur sort (et qui l’ont, de fait, partagé consciemment) cela me paraît vraiment frôler le …pharisianisme.

Si je me trompe, expliquez-moi, mes maîtres. Je ne suis hélas pas Don Quchotte, mais Sancho.
< Demeurons dans la Joie. Prions sans cesse. Rendons grâce en tout... N'éteignons pas l'Esprit ! >
Antoine
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Message par Antoine »

Si je me trompe, expliquez-moi,
Oui et non Eliazar; tu ne te trompes pas sur la sainteté de Mère Marie Skobtsov, et ses trois compagnons, le P. Dimitri Klépinine, Youri Skobtsov, Élie Fondamensky.
Nous ne nous sommes pas permis dans ce fil de remettre en question cette sainteté ni la canonisation faite par le patriarcat. Il faudrait pour cela faire une analyse du dossier d'instruction ce que nous ne faisons pas.

Nous avons simplement critiqué le texte d'Elisabeth Behr Sigel dans sa récupération moderniste qu'elle fait dans sa présentation de l'évènement et qui montre bien comme le souligne Jean louis Palierne
<<un détournement de la notion de canonisation, d’une laïcisation, complétée par une très douteuse référence ethno-centrique. >>

Ce "détournement, cette laïcisation et cette douteuse référence ethno-centrique" sont des éléments propres à Mme Behr Sigel dans son appréciation de la canonisation. C'est sa lecture qui est moderniste et que nous récusons.

Quant à moi je dirai plus simplement que cet article crétin est un tissus d'imbécillités.
eliazar
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Message par eliazar »

Là, Antoine, je ne puis que te donner entièrement raison.

A une nuance près, tout de même, que je ne puis appliquer à Mme EBS, bien sûr : que cet article (d’Isabelle DE GAULMYN ) n’est qu’un article kto romain parmi tant d’autres. Et que l'orthodoxie les intéresse comme l'Afrique australe pouvait intéresser les lecteurs de la presse parisienne au temps de Stanley et Livingstone. Qu'attendre de la Croix, sinon qu'elle reproduise poliment les textes que le Club lui envoie ? Mettre en doute les opinions des familiers d'un ami orthodoxe du Pape régnant ?

Je lis en ce moment un livre très intéressant sur « Le Pays Cathare », une synthèse qui se veut « rapport scientifique » et à quoi ont travaillé sept ou huit historiens et historiennes de plusieurs pays. Sous la direction de Jacques Berlioz, au éditions du Seuil. Le sous-titre est prometteur « Les religions médiévales et leurs expressions méridionales ».

Or je bute à chaque paragraphe ou presque sur l’us et l’abus (qui finit par devenir exaspérant) du mot « orthodoxie » pour désigner à chaque fois les déviations anti-orthodoxes les plus flagrantes de Rome et de ses légats alliés au roi de France pour annexer les états du Comte de Toulouse sous étiquette de croisade « pour l’orthodoxie ». Je constate une fois de plus que les écrivains universitaires ont avalé sans aucun esprit critique le tournant doctrinal pris par la Papauté (et la Royauté française intéressée, dans ce cas précis), faute d’avoir un seul instant essayé de savoir ce qui s’était passé à Rome et à Constantinople auparavant. Il y a visiblement, chez ces « scientifiques », une ignorance totale de la « terra incognita » que représentent quatre des patriarcats chrétiens au moment du schisme du cinquième. Je suis persuadé qu’aucun d’entre eux n’aurait eu l’audace de traiter de cette manière (la tête dans un sac) un problème similaire au sein du bouddhisme, ou de la civilisation chinoise.

Le milieu universitaire (qui n’est de toute évidence pas vraiment papiste, en France) est aussi encagoulé devant les thèses pondues au Vatican que les différents ministères des cultes républicains ou les media de la grande presse parisienne.

Rome a parlé, Washington a soutenu, tout le monde confirme de confiance - sans oser aller y regarder de trop près, qu’il s’agisse du christianisme ou du Kosovo. Dire que les Français ont jadis prétendu être le peuple le plus spirituel de la terre !
Nikolas
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Re:

Message par Nikolas »

Antoine a écrit :Là encore Élisabeth Behr-Sigel réïtère sa vision laïque de la canonisation.

En tombant sur ce texte "LA CANONISATION DANS L'ÉGLISE ORTHODOXE" par Élisabeth Behr-Sigel, une phrase m'interpèle :
Il faut distinguer dans l'Église orthodoxe entre canonisations oecuméniques (pour lesquelles il faut la décision d'un concile úcuménique), nationales (pour lesquelles suffit la décision d'un patriarche ou d'un Synode), et locales (pour lesquelles il ne faut que la décision d'un évêque).
http://www.histoire-russie.fr/icone/sai ... ntete.html
Les conciles oecuméniques se sont ils vraiment occupés de la canonisation des saints ?
Depuis quand avons nous besoin d'un concile oecuménique pour qu'un saint soit reconnu universellement (oecuméniquement)?
Olivier
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Re:

Message par Olivier »

eliazar a écrit :
Or je bute à chaque paragraphe ou presque sur l’us et l’abus (qui finit par devenir exaspérant) du mot « orthodoxie » pour désigner à chaque fois les déviations anti-orthodoxes les plus flagrantes de Rome et de ses légats alliés au roi de France pour annexer les états du Comte de Toulouse sous étiquette de croisade « pour l’orthodoxie ». Je constate une fois de plus que les écrivains universitaires ont avalé sans aucun esprit critique le tournant doctrinal pris par la Papauté (et la Royauté française intéressée, dans ce cas précis), faute d’avoir un seul instant essayé de savoir ce qui s’était passé à Rome et à Constantinople auparavant. Il y a visiblement, chez ces « scientifiques », une ignorance totale de la « terra incognita » que représentent quatre des patriarcats chrétiens au moment du schisme du cinquième. Je suis persuadé qu’aucun d’entre eux n’aurait eu l’audace de traiter de cette manière (la tête dans un sac) un problème similaire au sein du bouddhisme, ou de la civilisation chinoise.

Le milieu universitaire (qui n’est de toute évidence pas vraiment papiste, en France) est aussi encagoulé devant les thèses pondues au Vatican que les différents ministères des cultes républicains ou les media de la grande presse parisienne.

Rome a parlé, Washington a soutenu, tout le monde confirme de confiance - sans oser aller y regarder de trop près, qu’il s’agisse du christianisme ou du Kosovo. Dire que les Français ont jadis prétendu être le peuple le plus spirituel de la terre !
C'est orthodoxie de point de vue catholique, un luthérien ne se dira pas hétérodoxe par définition^^
Anne Brenon fait-elle partie de cet ouvrage? Elle est spécialiste des cathares.
Cette époque m'attire, j'ai du mal à comprendre cet acharnement contre eux, on a dit beaucoup de mensonges contre eux. Les purs avaient le même statut que le clergé catholique, et comme eux il ne devait pas se marier.
D'ailleurs, je me demande si l'Eglise romaine n'a pas eu une influence cathare malgré elle.
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