Claude le Liseur a écrit :
Le seul cas de persécution que je connaisse dans le cadre de l'Empire byzantin après les conquêtes arabes concerne les Pauliciens manichéens,
Excusez moi de remonter ce fil mais je profite de ce sujet pour poser une question sur la position byzantine à l'égard des hétérodoxes et apporter une précision à la remarque de Claude. J'ai eu l'occasion de travailler longuement durant mes études sur les relations entre les Byzantins et les Syriaques jacobites entre le Xe et le XIe siècle. Ces derniers s'étaient retrouvés en grand nombre dans l'empire à la suite de la reconquête par les Byzantins de la Haute-Mésopotamie et de la Syrie du Nord. Immigrés appelés par l'empereur pour repeupler ces territoires ravagés par des siècles de guerres ou simples autochtones ces populations prospérèrent rapidement dans l'empire byzantin.
De manière générale les Syriaques vécurent en paix dans l'empire, sauf à Antioche où ils connurent de violentes persécutions de la part de la population et du patriarcat melkite.
En revanche, les deux Églises différaient grandement dans leur conception des relations à avoir avec les autres communautés chrétiennes et c'est sur ce point que je m'interroge.
Les jacobites, qui certes ne disposaient pas de pouvoir temporel, appelaient ainsi à une certaine unité entre chrétiens, unité qui se ferait, selon les mots de l'évêque jacobite Bar Salibi «
avec la compréhension que chacun doit suivre ses propres convictions théologiques »[1]. Le même évêque déplorait en revanche que les « Grecs » au lieu d'aimer les Arméniens et les Syriens les accusent de ne pas être chrétiens.
De la même façon le patriarche syriaque Jean VII déclara à l'empereur byzantin qui souhaitait le contraindre à adhérer au concile de Chalcédoine «
Votre autorité n'a pas le droit de forcer quiconque à abandonner sa religion, ainsi nous avons deux rois, soit, le roi d'Abyssinie et le roi de Nubie, et ils ne forcent aucun des gens de ta religion qui résident parmi eux à changer sa foi. Voici, je supplie le Seigneur Christ d'affermir ton royaume sans tumultes et de nous préserver tous selon ce qui lui a été révélé » [2].
Je pourrais continuer les citations mais je résumerais en disant avoir perçu dans les écrits et les actions des Syriaques de cette époque des choses semblables à celles que je trouve dans les écrits des Pères : une distance envers les valeurs du monde, une charité envers tous, une volonté de se conformer au Christ, un respect du choix spirituel de l'homme...
A l'inverse, même en mettant de côté les persécutions locales que durent subir les jacobites autour de Mélitène (Malatya) et surtout d'Antioche, comment comprendre les positions du patriarcat de Constantinople ? Pardonnez ma question mais où est la charité quand le synode de Constantinople dépose et exile la patriarche syriaque et qu'il demande en supplément aux évêques de surveiller, réprimander voir de «
dénoncer aux gouverneurs des éparchies pour obtenir leur punition[3] » les hérétiques.
Certes, cet édit ne fut sans doute pas appliqué car neuf années plus tard le synode dut rappeler au sujet des Syriaques que les hérétiques n'avaient le droit ni de témoigner ni d'hériter ni de se marier. Le document se termine d'ailleurs en menaçant d'excommunication les évêques et archontes enfreignant ces lois[4].
Les actes suivants, qui sont sans doute à mettre en relation avec le début des incursions turques dans la région, allèrent plus loin en demandant l'expulsion des hérétiques de Mélitène et la destruction par le feu de «
tous les livres et les saints mystères des Syriens et des Arméniens »[5].
Je suis bien conscient que l'on atteint pas le niveau des persécutions religieuses que connut l'Occident avec ses bûchers et ses croisades. J'ai bien vu qu'au niveau local les populations des deux communautés connurent ; d'après ce que nous laisse voir les source ; des relations iréniques. Mais enfin, on a là une Église pacifique, dont on a guère de raison de douter de sa loyauté, appelée dans l'empire par le basileus lui-même et dont les membres se retrouvent persécutés pour ne pas s'être intégrés pleinement au monde byzantin. Comment comprendre que l’Église orthodoxe, du moins sa tête, ait pu appeler à une persécution si dure de ces populations et ce, au nom d'une universalité politco-religieuse de l'empire byzantin qui nous paraît aujourd'hui fort dépassée ?
[1] Bar Salibi's treatise against the melchites, p. 61, 62.
[2] Abba Michaël, A.D. 880-1066, History of the Patriarchs of the Coptic Church of Alexandria, chapitre 217-218
[3] Les regestes des Actes du patriarcat de Constantinople, N°839, Mai 1030
[4] Ibid, N°846, septembre 1039, document synodal concernant les mariages, les héritages et les témoignages des hérétiques
[5] Ibid, N° 890-891-892 1063-1064