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GIORGOS
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Message par GIORGOS »

Je ne puis pas dire, sans mentir, que je me trouvait dans une impasse, mais j’en était surpris d’avoir été qualifié au même temps de bigot et de scientifiste. La réponse d’Anne-Geneviève retourne, quant à elle, les choses à son lieu.
Mais je crois que au delà de la possibilité d’épater aux « carmélites », il y a l’occasion d’ échanger des tentatives d’approfondir l’intelligence chrétienne à propos de la nature cosmique et de l’homme après du péché, et de le rachat en prémices de la Toute Sainte Mère de Dieu, lequel est le motif de ce fil.
Et Antoine, si j’ai utilisé le terme blâme je l’ai compris dans le sens de désapprobation (lequel n’a rien d’offensif), ou à la rigueur vous n’avez pas désapprouvé certains de mes affirmations ?
Bien et d’accord à ce que j’avais promis, après les offices du jour de Saint Jean « Bouche d’Or », j’envoie une réponse plus détaillée. Je remercie à Antoine de m’avoir signalé par deuxième fois les points d’aimable controverse, et je crois bien que nous sommes presque d’accord … dans l’énumération.
Je crois que nous devons commencer pour faire noter que dans le péché des ancêtres il y a plusieurs niveaux de gravité : l’éloignement au sujet de Dieu, l’oubli de Dieu, l’attrait vers une créature (dans le cas la Serpent /Adversaire), la méfiance au sujet de Dieu, la désobéissance à Dieu, et finalement l'accusation à Dieu avec le résultat de l’expulsion du Paradis.
Mais la créature-homme n’avait pas de maturité spirituel et , parce que trompé, sa chute n’a pas eu le caractère définitif de la rébellion des anges déchus. C’est pourquoi à la chute suive l’espoir de la Rédemption :
Apostiche des vêpres du dimanche de l’Exil d’Adam et du Pardon :

Adam fut chassé du Paradis à cause du fruit défendu ;
assis devant la porte, il gémissait à grands cris,
d’une voix plaintive, et disait :
"Hélas ! que m’est-il arrivé ?
malheureux que je suis !
J’ai transgressé le seul commandement du Seigneur,
et me voilà privé de toutes sortes de biens.
Paradis si délectable qui pour moi fut planté et qu’Eve fit fermer,
supplie ton créateur qui est aussi le mien de me combler de tes fleurs !"
Et le Sauveur lui répondit :
"Je ne veux pas détruire ma création ;
mais Je veux qu’elle soit sauvée
et qu’elle marche vers la connaissance de la vérité,
car Je ne rejette pas celui qui vient à moi"
A faire la comparaison de la conduite des ancêtres avec celle de la Très Sainte Mère de Dieu, nous voyons une inversion de la perspective et une guérison dans sa personne par son rapprochement et remémoration constante de Dieu, rejet des attractions mondaines, confiance et obéissance, qu’a permis l’Incarnation du Logos, et toute sa vie de louange à Dieu avec le corollaire de sa résurrection suite à la mort et sa réception immédiate au Ciel.
Nous savons avec certitude que Dieu parle plusieurs fois en paraboles, et tout l’Evangile est plein d’elles. Et sûrement le récit du Genèse mosaïque n’est pas, stricto sensu, littéral, mais au delà de l’inspiration de l’auteur il est très difficile de soutenir que l’écrivain du Pentateuque avec sa notoire prolixité minutieuse, que on pourrait qualifier volontiers de modèle des rabbinismes, n’eût fait que suivre sa veine poétique pour nous donner un écrit purement allégorique.
Le langage du Genèse ne peut pas être réduit, et nous sommes d’accord, à une information de laboratoire ni à un acte judiciaire, n’étant pas sur le même plain, mais soutenir que là où il parle de la terre, des animaux, des plantes, des astres ( mais pourquoi pas de l’homme ?), les mots ont un autre sens ou il le fait pour parler d’autre chose, il me semble que c’est aller un peu loin.
Je crois que le langage poétique, mythique, allégorique, niveaux d’expression que je n’exclue pas, tient ses limites lesquels ne peuvent aller plus loin de l’appartenance nette au sujet. Les abus exégétiques de l’Ecole d’Alexandrie ont conduit à des lamentables résultats que les Saints Pères ont du corriger plus tard, en interprétant l'Ecriture avec science et sobrieté.


Par voie d’exemple, nous verrons des commentaires des Pères au sujet des vêtements d’Adam et Eve :
« La condition mortelle, jusque là réservée à la nature privée de raison, fut désormais appliquée aux hommes, dans une pensée de sollicitude prévoyante, par le médecin qui soignait notre disposition au mal, sans être destinée par lui à subsister éternellement. En effet, le vêtement fait partie des choses extérieures, qui à l’occasion offrent leur utilité au corps, sans être inhérents à sa nature ».
St. Grégoire de Nysse, Discours Catéchétique, 8,4.
« On peut supposer que les ancêtres, au toucher ses poitrines avec ses mains ont trouvé qu’ils étaient vêtus avec des vêtements faites des animaux morts, peut être face à ses yeux, et que de tel manière ils pouvaient manger sa chair, faire avec ses peaux les couvertures de ses corps nus, et qu’en sa mort ils pouvaient voir la mort de son propre corps ».
St. Ephrem le Syrien, Commentaire sur le Genèse, 3.
De même à propos de la relation de l’homme avec la nature après la chute :
« Dieu commande, et (…) les montagnes commencent, et sur l'ordre divin, elle [la terre] reçoit sa parure familière d'herbes de toute espèce, ornée de plantes ; l'ordre divin encore introduit en celles-ci une vertu de développement, de nutrition et de germination (d'aptitude à engendrer son semblable). Il surgit à la voix du Démiurge tous genres d'animaux, de reptiles, de bêtes sauvages et de bêtes marines. Toutes celles à l'usage de l'homme ; pour sa nourriture comme cerfs, brebis, chèvres...; pour l'aider, comme chameaux, bœufs, chevaux, ânes...; pour son divertissement, singes ou oiseaux, pie, perroquet ; ou des plantes et des herbes, données tantôt pour la nourriture, tantôt pour les fruits, le parfum ou leurs fleurs, comme la rose ; ou pour guérir les maladies. Il n'y a aucun animal, aucune plante où le Démiurge n'ait mis quelque vertu utile à l'homme. Lui qui, en effet, connaît toute chose avant qu'elle apparaisse, sachant la transgression où l'homme allait tomber par sa liberté et la corruption qui suivrait, créa tout ce qui, selon les circonstances, lui serait nécessaire, au firmament, sur terre et dans les eaux.
Avant cette transgression, il avait tout sous sa main ; Dieu l'avait mis comme chef à tout ce qui est sur terre et dans les eaux. Le serpent, familier de l'homme, et qui plus que tout être était près de lui, s'approcha avec des mouvements séduisants. C'est ainsi que le diable, prince du mal, insinua en nos premiers parents un pernicieux conseil. La terre d'elle-même offrait son fruit aux êtres qui lui étaient soumis; il n'y avait sur elle ni pluie, ni hivers. Après la transgression « quand il eut rejoint les créatures sans raison et été assimilé à celles » (Ps. 49, 14), la convoitise irréfléchie se mit à contrôler son intellect raisonnable ; il devint désobéissant au commandement divin ; la création qui lui était soumise se révolta contre lui, lui que le Démiurge avait mis sur elle comme chef ; et le créateur ordonna que fût travaillée dans la sueur, cette terre d'où il avait été tiré.
Mais si désormais les bêtes sauvages ne lui sont plus d'aucune utilité et l'effrayent, elles le portent du moins à reconnaître et à appeler le Dieu qui les a faites. Les épines poussées sur terre après la transgression, par la sentence du Seigneur, sont désormais attachées à la jouissance, comme l'épine à la rose, nous faisant souvenir de cette transgression par laquelle fut condamnée la terre à nous offrir épines et tribulations.
C'est ainsi que se sont passées les choses depuis le début jusqu'à maintenant et la parole du Seigneur nous invite à y croire qui en assure la permanence et a dit : « Croissez, multipliez et remplissez la terre ».
Certains disent que la terre est une sphère, d'autres un cône. Elle est minuscule dans le ciel, un point suspendu en son milieu. Elle passera et sera changée. Heureux celui qui hérite la terre des doux. La terre qui doit recevoir les saints est immortelle. Qui saura dignement admirer la sagesse infinie et incompréhensible du Démiurge ? Qui saisira la bienveillance prévenante de celui qui dispense de tels biens ? ».
St. Jean de Damas ; Exposition de la Foi Orthodoxe, Livre II, CHAPITRE X
Comment on peut voir, St. Jean Damascène parle ici aussi de la prévision de Dieu pour l’état de l’home après la chute de par l’allusion qu’il fait aux peaux pour vêtements et à la chair pour alimentation.
Il me semble que de la part d’Antoine il y a une penchée pour interpréter symboliquement ces textes du Genèse (je ne crois pas qu’il utilise ce méthode ci pour toute l’Ecriture) et à la lumière de la perception élargie à cause de la Transfiguration.
Mais il ne s’agit pas seulement de notre perception subjective parce qu’il y a des situations et des faits objectifs, des évènements historiques, uniques et non-réitérables dans la vie de Notre Seigneur, comme précisément la Transfiguration, que ont tenu lieu une seule fois, et pour lesquels -au même temps- et pour pouvoir les percevoir, les disciples ont du se transfigurer ils mêmes suivant préalablement le chemin de la purification et l’illumination.
De même le travail, l’effort physique, le douleur, la mort, et j’en passe, il me semble que ne seraient pas pour vous que des perceptions.
Je soutiens, par ailleurs, que la liberté n'est pas un fait, mais une possibilité, celle de penser, d'agir, de parler ou de ne pas le faire.
Nous sommes d'accord qu'elle est bonne, parce qu'elle est la source que Dieu nous a donné de notre dignité.

Mais toutefois, je ne comprends pas pourquoi Antoine réponds a mon affirmation de
« que je n’ai soutenu pas en moment aucun la simultanéité des « évènements » : chute et dislocation cosmique, ainsi comme il n y non plus quelque coïncidence temporelle immédiate entre chute et morte d’Adam. »
en disant que
« Non. Il y a coïncidence immédiate entre chute et mort d’Adam »
Mais Antoine s’il y a de simultanéité temporelle entre chute et mort d’Adam, non seulement il n’aurait pu être banné du Paradis sinon qu’il n’aurait pu avoir de descendance !

En quant aux autres points de désaccord, je pense qu’ils ont sa réponse dans les citations que je fais.

Et à ce propos, je me permets ici, de faire une citation in extenso, d’ un texte du Père Placide que je trouve bien à propos, que j’ai découvert dans ces derniers jours, et que j’ai tenté de publier dans ce fil, mais lequel n’est plus, sûrement par un mauvais maniement du clavier de mon part :
LE PROBLÈME DU MAL
Par l’Archimandrite Placide (Deseille)

Comment concilier la présence du mal dans le monde avec l’existence d’un Dieu tout-puissant et bon ? Le problème s’est posé de tout temps ; mais il se révèle particulièrement angoissant de nos jours, alors que nous avons connu le nazisme et ses camps de la mort, l’arme atomique, les goulags staliniens et post-staliniens, la détresse des pays du tiers-monde. Le problème, ou plutôt le scandale du mal, est l’une des sources de l’athéisme moderne.
Dès le seuil du IVe siècle, l’écrivain chrétien Lactance le formulait en des termes qui n’ont rien perdu de leur force et de leur actualité : " Ou bien Dieu veut supprimer les maux, mais il ne le peut pas. Ou bien il le peut, niais ne le veut pas. Ou bien il ne le peut ni ne le veut. S’il le veut et ne le peut pas, il est impuissant, ce qui est contraire à sa nature. S’il le peut et ne le veut pas, il est mauvais, ce qui est également contraire à sa nature. S’il ne le veut ni ne le peut, il est à la fois mauvais et faible, et donc n’est pas Dieu. Mais s’il le veut et le peut, ce qui seul convient à ce qu’il est, d’où vient donc le mal, et pourquoi ne le supprime-t-il pas ? " (1).
Les philosophes qui ont voulu rendre compte de la manière dont Dieu conduit le monde ont fait valoir deux arguments :
• En premier lieu, Dieu n’est pas l’auteur du mal. Il ne l’est pas, pour cette simple raison que le mal n’existe pas comme une réalité autonome. Le mal n’est pas une chose parmi les autres, il n’est pas l’une des créatures. Il est négation, absence, privation de ce qu’une réalité devrait avoir pour être pleinement elle-même.
• En deuxième lieu, Dieu permet le mal comme condition inévitable, dans un univers créé, d’un plus grand bien :

– il permet le mal physique (souffrance, calamités diverses, catastrophes et destructions). parce qu’elles sont inévitables, dans un tel univers créé, donc imparfait, composé d’êtres multiples dont le bien propre ne peut pas toujours coïncider avec celui des autres ; - mais l’existence de cet univers et son harmonie globale l’emporte sur les maux qu’il comporte ;

– il permet le mal moral par respect de la liberté dont il a doté les créatures raisonnables.
Une telle réponse n’est pas fausse. Elle est la seule possible si l’on s’en tient à un point de vue purement rationnel, en faisant abstraction de ce que Dieu nous a révélé de son dessein sur l’homme et l’univers. Mais à la vision close de la philosophie, la révélation divine substitue une vision dynamique, historique, qui nous ouvre des horizons infiniment plus vastes.
Un univers purement " naturel ", que Dieu ne transfigure pas en le pénétrant de ses énergies incréées, comporte nécessairement la souffrance et la mort. C’est le seul que peut envisager la raison humaine laissée à ses seules lumières. Cependant. Dieu, par sa Parole, nous a révélé qu’il n’a pas créé le monde pour qu’il reste enclos dans les limites de la nature. Celle-ci n’existe que pour être transfigurée par une participation gratuite aux énergies incréées de la Divinité pour resplendir de la gloire divine. Le but de l’action créatrice de Dieu est un monde transfiguré, où il n’y aura plus ni calamités, ni souffrance, ni mort, mais où Dieu sera tout en tous. C’est cet univers définitif, terme du dessein de Dieu, que nous décrit le chapitre 21 de l’Apocalypse :
Puis je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre avaient disparu ; et il n’y a plus de mer désormais. Et je vis la Cité sainte, la Jérusalem nouvelle, descendre du ciel d’auprès de Dieu, prête comme une fiancée parée pour son époux. Et j’entendis, venant du trône, une voix puissante qui disait : " Voici la demeure de Dieu avec les hommes : il demeurera avec eux, et eux seront son peuple, et Dieu lui-même sera avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux ; il n’y aura plus de mort, il n’y aura plus ni deuil, ni gémissement, ni douleur, car le premier monde aura disparu. " Et celui qui siégeait sur le trône dit : " Voici que je rénove toutes choses " (Ap 21, 1-5).
Mais pourquoi Dieu n’a-t-il pas créé l’univers, dès l’origine, dans cet état définitif, dans cette condition déifiée, d’où toutes les formes du mal seront absentes ?
La réponse est que la déification des créatures douées d’intelligence, les anges et les hommes, par l’intermédiaire desquels la gloire divine resplendira sur les créatures non-raisonnables, est une union d’amour, une compénétration de la volonté divine incréée et des volontés créées, dans un amour personnel réciproque. Cela implique, de la part des créatures, anges et hommes, une réponse libre, une coopération de leur liberté avec la grâce de Dieu. Pour que la déification de la créature s’accomplisse, pour qu’elle soit véritablement une communion totale dans l’amour réciproque, il faut que cette créature puisse librement se donner ou se refuser à l’amour.
L’état actuel du monde est provisoire ; dans le dessein de Dieu, il constitue un espace où la liberté humaine peut s’exercer sous la forme d’un choix entre Dieu et l’égoïsme, l’auto-suffisance, de la créature.
Cette condition présente de la création comporte, concrètement, deux caractéristiques :
– D’une part, le monde matériel et animal est soumis à ce que les Pères appellent la " corruption ", c’est-à-dire la souffrance et la mort. Il n’est pas encore transfiguré par les énergies divines, puisque l’homme ne l’est pas. Il est dans un état provisoire, qui prendra fin à la Parousie. Cet état n’est pas uniquement une conséquence du péché des créatures raisonnables avant la création d’Adam et sa faute, l’univers matériel n’était pas transfiguré. Mais il est certain que le péché des anges, celui de nos premiers parents, et ceux de toute leur descendance, ont très lourdement aggravé cet état de " corruption " de l’univers matériel et du monde animal.
– D’autre part, des créatures douées de liberté concrètement, une partie des anges, à la suite de Lucifer, et la totalité des hommes, à l’instigation du démon et à la suite d’Adam leur premier père, ont mal usé de leur liberté et ont péché, se séparant ainsi volontairement de Dieu, la Source de Vie.
Les anges déchus, en raison de la perfection de leur nature, se sont irrémédiablement fixés dans la haine de Dieu et de son dessein d’amour, et sont devenus des démons.
L'homme, image de Dieu, que le Créateur n’avait pas soumis à la mort et à la souffrance et qui aurait pu s’en préserver définitivement en restant en communion de volonté avec Dieu, s’est séparé de lui, et s’est mis ainsi au rang des animaux, devenant comme eux " corruptible ", soumis à la souffrance et à la mort. C’est ce que nous apprend le chapitre 3 de la Genèse :
À la femme, Dieu dit : " Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras des fils. Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi. " À l’homme, il dit : " Parce que tu as écouté la voix de la femme et que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais interdit de manger, maudit soit le sol à cause de toi ! À force de peines tu en tireras subsistance tous les jours de ta vie. Il produira pour toi épines et chardons et tu mangeras l’herbe des champs. À la sueur de ton visage tu mangeras ton pain, jusqu’à ce que tu retournes au sol, puisque tu en fus tiré. Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise. "
L’homme appela sa femme " Ève ", parce qu’elle fut la mère de tous les vivants. Dieu fit à l’homme et à sa femme des tuniques de peau et les en vêtit. Puis Dieu dit : " Voilà que l’homme est devenu comme l’un de nous, pour connaître le bien et le mal ! Qu’il n’étende pas maintenant la main, ne cueille aussi de l’arbre de vie, n’en mange et ne vive pour toujours ! " Et Dieu le renvoya du jardin d’Éden pour cultiver le sol d’où il avait été tiré. Il bannit l’homme et il posta devant le jardin d'Éden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l’arbre de vie (Gn 3,14-24).
Nous lisons au chapitre 2 du Livre de la Sagesse : " Oui, Dieu a créé l’homme incorruptible, il en a fait une image de sa propre nature ; c’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde. "
Et l’apôtre Paul nous dit au chapitre 5 de l’Épître aux Romains : " Voilà pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort a passé en tous les hommes, du fait que tous ont péché. "
La condition souffrante et mortelle à laquelle l’homme est soumis est donc une conséquence du péché. Cela ne veut pas dire que toute maladie qui atteint un homme soit causée par des péchés personnels ; mais elle est une conséquence de la participation de tout être humain à la nature déchue. Et toute faute individuelle, loin de n’affecter que celui qui la commet, a une répercussion en quelque sorte universelle. C’est ce que l’écrivain français Léon Bloy a exprimé avec son génie de poète et de prophète :
Notre liberté est solidaire de l’équilibre du monde... Tout homme qui produit un acte libre projette sa personnalité dans l’infini. S’il donne de mauvais cœur un sou à un pauvre, ce sou perce la main du pauvre, tombe, perce la terre, troue les soleils, traverse le firmament et compromet l’univers. S’il produit un acte impur, il obscurcit peut-être des milliers de cœurs qu’il ne connaît pas, qui correspondent mystérieusement à lui et qui ont besoin que cet homme soit pur, comme un voyageur mourant de soif a besoin du verre d’eau de l’Évangile. Un acte charitable, un mouvement de vraie pitié chante pour lui les louanges divines, depuis Adam jusqu’à la fin des siècles ; il guérit les malades, console les désespérés, apaise les tempêtes, rachète les captifs, convertit les fidèles et protège le genre humain.
Toute la philosophie chrétienne est dans l’importance inexprimable de l’acte libre et dans la notion d’une enveloppante et indestructible solidarité.
Toute responsabilité, assurément, est personnelle. Mais tout acte personnel contribue à accroître le bien ou le mal dans le monde.
Comme le précisait déjà saint Irénée de Lyon, la maladie et la mort ne sont pas des châtiments arbitraires infligés par Dieu à l’homme coupable, mais des conséquences logiques, qui découlent organiquement du péché :
La communion de Dieu, c’est la vie, la lumière et la jouissance des biens venant de lui. Au contraire, à tous ceux qui se séparent volontairement de lui, il inflige la séparation qu’eux-mêmes ont choisie. Or la séparation d’avec Dieu, c’est la mort ; la séparation d’avec la lumière, ce sont les ténèbres ; la séparation d’avec Dieu, c’est la perte de tous les biens venant de lui. Ceux donc qui, par leur apostasie, ont perdu ce que nous venons de dire, étant privés de tous les biens, sont plongés dans tous les châtiments, non que Dieu prenne les devants pour les châtier, mais le châtiment les suit par là même qu’ils sont privés de tous les biens. (2)
En ce qui concerne les créatures non-raisonnables, leur condition " corruptible ",. telle qu’elle est aujourd’hui, a un rapport indéniable avec le péché de l’ange et celui de l’homme.
Les anges ont certainement un lien avec le monde physique. J.H. Newman, qui connaissait bien la théologie des Pères de l’Église, et qui en même temps avait un sens aigu de la réalité du monde invisible, voyait dans les anges " non seulement les ministres employés par le Créateur dans ses rapports avec les hommes ", mais encore les agents qui effectuent l’ordre du monde visible. " Je les considérais, nous dit-il, comme étant les causes réelles du mouvement, de la lumière, de la vie et de ces principes fondamentaux de l’univers physique qui, lorsque leurs applications tombent sous nos sens, nous suggèrent la notion de cause et d’effet, et celle, aussi, de ce qu’on appelle les lois de la Nature. " Dans un sermon pour la fête de saint Michel, il disait des anges : " Chaque souffle d’air, chaque rayon de lumière et de chaleur, chaque phénomène de beauté est, pour ainsi dire, la frange de leur vêtement, l’ondulation de la robe de ceux qui voient Dieu face à face... "
Si tel est le rôle des anges à l’égard du monde créé et de ses lois elles-mêmes, on conçoit que la chute du Prince de ce monde et de ses anges ait pu y introduire de profondes perturbations. Je me demande parfois s’il n’y a pas un lien entre cela et les comportements "pervers ", " diaboliques ", de certains insectes, de certains virus et d’autres créatures, qui, cependant, ne sont ni intrinsèquement mauvaises, ni elles-mêmes pécheresses.
Quoi qu’il en soit, il est certain que, par ailleurs, Satan a transformé les créatures innocentes en instruments de tentation pour l’homme, et celui-ci, en les utilisant pour satisfaire son égoïsme et sa soif de jouissance, les a asservies, aggravant encore la " corruption " qui caractérise leur condition présente, tout en contredisant le dynamisme secret qui anime toute la création, puisque, selon l’apôtre Paul :
La création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu: si elle fut assujettie à la vanité, – non qu’elle l’eût voulu, mais à cause de celui qui l’y a soumise, c’est avec l’espérance d’être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet, toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement (Rm 8, 19-22).
Les maux dont nous souffrons ici-bas sont donc des conséquences du péché. Dieu n’en est pas l’auteur. Il ne pourrait les faire disparaître qu’en supprimant l’exercice de notre liberté de choix, qui est notre bien le plus précieux, et la condition de notre déification.
Est-ce à dire que ces maux échappent à Dieu, et ne sont pas soumis au gouvernement de sa providence ? Assurément non. Ces maux qu’il n’a pas voulus, Dieu leur impose des limites et les fait servir au bien véritable des hommes, en proportionnant le secours de sa grâce à l’intensité de l’épreuve. Saint Paul écrivait aux Corinthiens :
Aucune tentation ne vous est survenue, qui passât la mesure humaine. Dieu est fidèle ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces. Avec la tentation, il vous donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter (1 Co 10, 13).
Et, au moins selon une variante du texte du verset 28 du chapitre 8 de l’Épître aux Romains : " Nous savons que pour ceux qui aiment Dieu, tout concourt à leur bien. "
C’est seulement en ce sens que les souffrances et les épreuves qui nous adviennent peuvent être dites " venir de Dieu ", " être envoyées par lui ", et qu’il nous faut les accepter avec un abandon confiant. Permises par Dieu, mesurées par lui aux forces qu’il nous donne, et ordonnées à notre bien, elles ne sont plus, selon l’expression de saint Jean Chrysostome, des maux véritables, pas plus que les soins douloureux que peut nous administrer le médecin. Il n’y a de mal véritable que le péché lorsque nous le commettons :
Le mal ? Ce mot est équivoque, et je veux en expliquer devant vous les deux significations, de peur que, l’ambiguïté de l’expression vous faisant confondre la nature des choses, vous ne tombiez dans le blasphème.
Le mal, le mal véritable, c’est la fornication, J’adultère, l’avarice et tous les autres péchés sans nombre qui méritent une condamnation et des châtiments suprêmes. Le mal, en second lieu, le mal improprement dit, c’est la faim, la peste, la mort, la maladie et toutes les autres calamités du même genre. Dans le fait, ce ne sont pas là des maux réels, on leur en donne simplement le nom.
Et pourquoi ne sont-ce pas là des maux ? S’ils l’étaient, ils ne seraient pas pour nous la cause de tant de biens : ils rabaissent l’orgueil, secouent l'indifférence, inspirent l’énergie, ravivent l’attention et le zèle. " Quand il les accablait de châtiments, dit le Prophète, c’est alors qu’ils le cherchaient ; ils se tournaient vers lui, et dès le point du jour ils revenaient à Dieu " (Ps 77, 34). Il s’agit donc ici du mal qui corrige, qui nous rend à la fois plus purs et plus diligents, qui nous enseigne la divine philosophie, et non de celui qui mérite le blâme et la condamnation. Ce dernier n’est certes pas l’œuvre de Dieu, il provient de notre propre volonté, que le premier tend à détruire. Si l’Écriture désigne sous le nom de mal l’affliction qui nous est causée par la souffrance, ce n’est pas à dire que ce soit là naturellement un mal, c’est en parlant d’après l’opinion des hommes qu’on peut l’appeler ainsi. En effet, ce n’est pas seulement le vol et l’adultère, c’est encore le malheur, qui se nomme mal dans notre langue ; et c’est à cet usage que se conforme l’écrivain sacré. Voilà ce qu’entend le Prophète quand il dit : " Il n’est pas de mal dans la cité que le Seigneur lui-même n’ait fait. " Isaïe parlant au nom du Seigneur, avait dit la même chose : " C’est moi, Dieu, qui produis la paix et qui crée les maux " (Is 45, 7) ; les maux, c’est-à-dire les malheurs. C’est encore là le genre de mal que le Christ indique dans son Évangile quand il s’exprime ainsi : " À chaque jour suffit son mal " (Mt 6, 34), son affliction, sa misère. Il est évident qu’il désigne par là les peines et les douleurs que lui-même nous inflige, et qui sont, je le répète, la plus haute manifestation de sa providence et de sa bonté.
Le médecin mérite des éloges, non seulement lorsqu’il conduit son malade dans les jardins et les prairies, quand il lui permet les délices du bain, mais encore et surtout quand il l’oblige à garder le jeûne, quand il le tourmente par la faim et la soif, quand il l’étend dans son lit et transforme sa demeure en prison, quand il le prive de la lumière et l’entoure d’épais rideaux, quand il porte dans son corps le fer et le feu, quand il lui donne des boissons amères, car toujours il est médecin. Or, si tant de douleurs qu’il nous cause ne l’empêchent pas de porter un tel nom, n’est-ce pas une chose qui révolte la raison de voir qu’on blasphème contre Dieu, qu’on ne reconnaît plus les bienfaits de sa providence universelle, alors qu’il nous impose de semblables douleurs, la faim, par exemple, et même la mort ? C’est lui, cependant, lui seul qui est le vrai médecin des âmes et des corps. Souvent, quand il aperçoit notre nature se complaire et s’enorgueillir dans la prospérité, se laisser envahir par la fièvre du vice, il emploie l’indigence, la faim, la mort, toutes les autres souffrances, comme autant de remèdes connus de lui, pour la délivrer de la maladie qui la dévore (3).
Saint Jean Chrysostome pose ainsi un principe d’application universelle. Mais il ne prétend pas pour autant que l’homme puisse discerner, en chaque cas, les raisons et les motifs de l’épreuve. La Parole de Dieu nous assure que tout ce que Dieu permet est pour le bien de l’homme, et est comme un " sacrement " de son amour sans limites. " Tout ce que Dieu permet est aussi adorable que ce qu’il veut, " disait Léon Bloy. Mais cela ne dissipe pas le mystère des voies de Dieu et de son " économie ". Il ne nous appartient pas de chercher pourquoi Dieu permet ceci ou cela.
Dans son Traité de la Providence divine, le même saint Jean Chrysostome pose la question :
Pourquoi avoir permis en ce monde l’action des hommes méchants, des démons et des diables ? " et il répond : " Si tu cherches pourquoi ces choses se sont produites, si tu ne t’en remets pas aux raisons profondes et inexplicables de ses plans, mais si tu ne songes qu’à poser des questions indiscrètes, allant toujours de l’avant, tu continueras à t’interroger sur bien d’autres points, par exemple : pourquoi le champ libre a-t-il été laissé aux hérésies, pourquoi le diable, pourquoi les démons, pourquoi les hommes méchants qui en font trébucher un grand nombre et, le plus grave de tout, pourquoi l’Antéchrist est-il appelé à paraître, ayant une telle puissance pour tromper que ses actes, au dire du Christ, seront capables d’égarer, s’il était possible, les élus eux-mêmes ?
Eh bien ! il ne faut pas chercher tout cela, mais s’en remettre à l’incompréhensibilité de la sagesse de Dieu.
Le saint avait déjà dit un peu plus haut, dans le même ouvrage :
Lorsque tu vois les Séraphins volant autour de ce trône élevé et sublime, protégeant leurs yeux sous l’enveloppement de leurs ailes, ses voilant les pieds, le dos et le visage et poussant un cri plein de stupeur... N’iras-tu pas t’enfouir toi-même, ne rentreras-tu pas sous terre, toi qui. avec une telle audace, veux scruter la providence d’un Dieu dont la puissance est indicible, inexprimable, incompréhensible aux Puissances d’en haut ?...
Car tout ce qui le concerne est seulement connu avec précision du Fils et de l’Esprit-Saint, de personne d’autre (4).
Mais Dieu ne s’est pas contenté de soumettre à son gouvernement divin les épreuves et les souffrances qui nous atteignent. Il ne s’est pas contenté de les régler par sa Providence et de les faire ainsi servir à notre salut. Le Père a envoyé son Fils pour qu’il assume notre nature, avec toutes les conséquences du péché, avec la souffrance et la mort. Le Seigneur Jésus Christ, parce qu’il était Dieu et homme, a pu, en les assumant, changer radicalement leur sens. La souffrance et la mort étaient les effets et les signes de la séparation de l’homme d’avec Dieu par le péché. Acceptées par lui pour accomplir la volonté du Père et par amour pour les hommes, sans en excepter ses bourreaux, elles sont devenues le signe et l’expression de son amour filial pour son Père et de sa divine " philanthropie ". Par là même, il les a vaincues. Et en envoyant son Esprit dans nos cœurs, il nous a donné le pouvoir de faire nous aussi de notre souffrance et de notre mort les moyens privilégiés de notre renoncement à tout égoïsme, de notre amour pour Dieu et pour les autres hommes, de notre pardon envers tout ennemi et tout adversaire.
Le Christ n’est pas venu supprimer la souffrance et le mal ici-bas : mais par sa mort et sa résurrection, il nous a donné le pouvoir de vaincre la mort par la mort, en attendant le jour de son retour glorieux, où la mort sera définitivement absorbée dans la victoire.
Comme l’a écrit un exégète contemporain du Livre de Job :
Pour accepter l’énigme de la souffrance, une certaine attitude d’âme s’impose, sans laquelle les plus belles considérations ne sauraient avoir de prise sur nous ou du moins nous apaiser tout à fait. Cette attitude d’âme, c’est l’humilité du petit enfant qui reconnaît ignorer le dernier mot de toutes choses et en particulier de son existence, qui accepte dans ses ultimes conséquences sa condition de créature, et qui, dès lors, ne s’étonne pas d’être embarqué dans une aventure dont seul l’Auteur de son être connaît les tenants et les aboutissants. Seul parvient à souffrir en paix celui qui cesse de vouloir comprendre sa vie dans son fond le plus intime et se réfugie, envers et contre tout, dans la pensée que cette vie, parfois si inhumainement brisée, est pourtant l’œuvre d’un Dieu tout puissant et infiniment bon. Encore une fois, les autres réponses qu’on pourra lui faire n’ont de valeur que subordonnées à celle-là (5).
Pour le chrétien, cette soumission aux voies de Dieu, à sa manière de conduire notre vie, prend une forme très concrète l’acceptation de la Croix comme instrument du salut, l’acceptation de la Croix du Christ, et de la nôtre unie à la sienne. Quand nous lisons l’Évangile, nous voyons combien il a été difficile pour le Seigneur de faire accepter par ses apôtres cette nécessité de la Croix. Il en va de même pour nous. Il ne suffit pas de croire, d’une façon théorique, que le Christ a réalisé son œuvre de salut par la Croix. Il faut encore que nous comprenions d’une façon réelle, concrète, avec le regard de notre cœur illuminé par l’Esprit Saint, que, pour chacun de nous, la Croix, la souffrance acceptée, est l’unique chemin vers la Résurrection, que la Croix elle-même renferme la puissance de la Résurrection.
Dans son entretien avec saint Grégoire le Sinaïte, rapporté dans la Philocalie, saint Maxime le Capsocalyvite disait que lorsque le Saint-Esprit s’empare de l’esprit d’un homme, il lui fait voir les choses d’une manière toute différente de sa façon habituelle de les percevoir. Le chrétien n’est-il pas essentiellement un homme qui, éclairé par l’Esprit Saint, voit dans la souffrance, dans la mort, dans toutes les formes que revêt pour nous la Croix, tout autre chose que ce que l’homme naturel y voit : la gloire de la Résurrection ?
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Brochure édité par le Monastère Saint-Antoine-le-Grand
26190 St-Laurent-en-Royans, France.
(Reproduit avec l'autorisation de l'Archimandrite Placide).
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NOTES
1. Lactance, De la colère de Dieu, 13.
2. Contre les Hérésies, 5, 27, 21.
3. S. Jean Chrysostome, Homélies au peuple d’Antioche, 1, 45.
4. S. Jean Chrysostome, Traité de la Providence, ch. 12 et 3.
5. A. Feuillet, L’énigme de la souffrance et la réponse de Dieu, dans Dieu vivant, no 17 (1950), p. 80.
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Ce magnifique texte explique bien des points de cette controverse que je n’aurai pas pu exprimer avec la solidité, correction théologique et rédactionnelle du P. Placide.
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Par ailleurs, je dois dire que je vois dans les messages de Sylvie la foi simple et la grâce jeune, lesquelles le permettent faire des observations très pertinentes et fraîches comme celles d’un enfant.
Giorgos
SEÑOR JESUCRISTO, HIJO DE DIOS, TEN PIEDAD DE MÍ PECADOR.
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Dans le passage de la Genèse que citait Antoine (Gen. 1, 26-28 : « Faisons un homme selon notre image… »), homme = adam en hébreu. Et la terre, ici, est aretz, et même précédé de l’article : la terre, cette terre là et pas une autre.
Pour revenir à la question de fond, dans leurs emplois ultérieurs adamah et aretz s’équivalent mais aretz, Aleph-Resh-Tsadé, est très proche de Aleph-Resh-Resh, verbe qui signifie maudire et qui est employé dans les passages que j’ai cités à mon post précédent. Et ça, ce type de jeu de mots signifiant, c’est un hébraïsme de la plus belle eau. Résumons : l’homme, pétri de terre adamah règne sur la terre aretz et, lors de la chute, la terre adamah devient maudite, aretz altérée par le passage du tsadé au resh. En hébreu en tout cas, il y a bien l’indice d’un impact de la chute sur la terre elle-même.

Perte de la royauté, de la domination sur les éléments. Oui, sans nul doute. Et l’on trouve dans les vies des saints des « miracles » qui suggèrent une capacité au moins temporaire à exercer de nouveau cette royauté, depuis la familiarité avec les bêtes sauvages jusqu’à la maîtrise climatique. Je mets « miracle » entre guillemets car le terme a beaucoup dévié de son sens originel de chose à regarder, contempler ou scruter, bref d’événement porteur d’un enseignement spirituel.
Je ne crois pas avoir dit que le mal existerait en soi. Loin de ma pensée un tel dualisme ! Si j’ai employé la métaphore du bug en informatique, d’une erreur qui se glisse dans un programme et l’empêche de tourner correctement, c’est bien pour insister sur son caractère contingent, réversible, effaçable.
Ce que je pointe avec la non-séparabilité, ce que Jean Louis aborde avec l’ADN, ce que l’on trouve dans le récit de la Genèse en hébreu, c’est une forme de consubstantialité entre l’homme et la création dont il devait être le roi. Adam devait couronner, cultiver, garder, nommer et régir, au sens royal du terme, cette création. Il ne lui est pas totalement assimilable mais il en tissé, pétri. L’hébreu, d’ailleurs, donne raison à Jean Louis lorsqu’il dit que « la Vie est une création spéciale de Dieu, préparant la création de l’homme ». Il existe un verbe dont Dieu seul peut être sujet, qui n’apparaît que dans le texte de la Genèse et que nous traduisons très approximativement par créer, le verbe bara (Beth-Resh-Aleph). Sa répétition ouvre le texte : bereshit bara Elohim : en tête (ou en principe), Dieu créa. On retrouve ce bara au cinquième jour, lorsque Dieu crée les premiers êtres vivants. Puis une nouvelle fois au verset 27, lors de la création de l’homme mais cette fois répété trois fois. Sans vouloir contester la traduction habituelle, le mot à mot hébreu est très fort : « Et créa Dieu cet homme image – image Dieu créa celui-ci – mâle et femelle créa ceux-ci. » Il y a trois temps et chacune de ces étapes exige l’opération divine que nous approchons par le verbe créer. Et c’est un renvoi presque fractal : trois interventions créatrices, Ils crée « les cieux et la terre », Ils crée les premiers êtres vivants donc la vie, Ils crée triplement l’homme. Et le jeu de renvoi subtil ne s’arrête pas là puisque le dernier bara a la même structure que le premier. « Les cieux et la terre », c’est un hébraïsme qui désigne une totalité par ses deux polarités antinomiques. Cieux et terre, c’est l’invisible et le visible de l’univers ; mais Zaïn-Caph-Resh et Noun-Qof-Beth-Hé que l’on traduit généralement par mâle et femelle en mettant l’accent sur la polarité sexuelle possède un autre sens dont dérive le sens sexué. ZCR, c’est le souvenir, le nom, le rappel, d’où le mâle ; NQBH, c’est le trou, le creux, d’où la femelle, mais c’est aussi le fait de désigner, de nommer et d’être nommé. Donc ce couple est, si j’ose le dire ainsi, nom éternel ou nom mémoire (lui) et nom temporel, nom donné et reçu, nom inscriptible dans une dynamique (elle). Ou celui qui nomme pour l’éternité et celle qui nomme pour l’instant, l’événement. Une vocation immense, qui demeure en nous tous mais dont nous n’avons plus qu’une aperception confuse. Vous voyez le balancement : d’abord l’ensemble invisible/visible et comme couronnement l’ensemble éternité/dynamique du nom. Autant dire du Verbe. Ce qui montre en filigrane que l’incarnation du Christ n’est pas liée à la chute.
Marie est bien la nouvelle Eve en ce sens, mais par son oui, par sa maternité qui permet au projet divin de s’accomplir. Elle est celle qu’Eve aurait du être.
Autre chose. Le terme que nous traduisons par image lors de ce triple bara de la création de l’homme signifie d’abord ombre, ténèbre(s), ce qui introduit l’idée que l’image n’est pas celle d’un miroir, d’un face à face, mais une image projetée, d’autant que ce terme est précédé de la préposition qui signifie dans, près, avec ou à cause de : c’est le même mouvement que l’on a dans le prologue de l’Evangile de Jean, quand il dit que le Logos était « pros ton theon ». Mais cette ombre, cette ténèbre a aussi quelque chose d’apophatique.
Donc l’homme, l’homme total avant la différenciation il/elle, c’est l’ombre, l’image (de Dieu) projetée dans la création, l’icône du Dieu trinitaire, la double vocation du nom venant ensuite. On comprend devant cela que les époux soient couronnés !
Décidément ce texte est inépuisable.

J'ai écrit ce message avant de voir les autres posts, en particulier celui de Giorgos. Si je reviens au déluge, pardonnez moi !
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Alexandr
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Message par Alexandr »

Anne Geneviève a écrit : J’ai la flemme de chercher dans mes vieilles docs, mais je me souviens que, parmi les hérésies christologiques, il y eut un âne bâté pour affirmer que l’Esprit Saint avait fait fonction de sperme… Je ne sais plus qui. Si par hasard, c’est Augustin, j’aurai gagné le pompon !
Mince! C'est ce que j'avais initialement compris, bien que le Saint-Esprit soit considéré très symboliquement comme "féminin". Maintenant, si je comprends bien, Jesus s’est incarné du Saint Esprit et de Marie, et il est inutile (et même dangereux) d'aller chercher plus loin.
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

On ne peut pas dire que le Sainr Esprit doive être « considéré très symboliquement comme “féminin” » comme l’a écrit Alexandr. L’homme est profondément marqué par la sexualité, encore qu’il soit capable de la dépasser. Dieu l’a voulu ainsi. Mais l’homme ne doit pas croire que la sexualité lui fournisse la moindre analogie susceptible de “comprendre” (?) quoi qie ce soit en Dieu, et en particulier un élément qui décrirait quelque chose de la Trinité des Personne divines. Qu’à Dieu ne plaise = Ce fut une des grandes tentations de certains penseurs russes du début du XXème siècle, et tout d’abord de Soloviev, puis de Serge Boulgakov.

Les Pères avaient déjà à diverses époques eu à combattre cette tentation et à l’écarter. L’analogie sexuelle ne nous apprend rien sur la théologie. Il faut donc chercher plus loin.

Mais la sexualité n’a pas été créée après la chute, pas plus qu’elle n’est cause de la chute d’Adam et ve Ève. Il y a là quelque chose qui est très difficile à comprendre pour nous. Dieu a créé l’homme “à son image” et il l’a aussitôt créé mâle et femelle. Et nous ne savons pas grand chose de cette sexualité primitive, sinon qu’elle est liée à la croissance du genre humain.
Et Dieu fit l’homme, selon l’image de Dieu il le fit, mâle et femelle il les fit. Et Dieu les bénit en ces termes : « Croissez et multipliez-vous, et remplissez la terre et dominez-la et commandez aux poissons de la mer et aux volatiles du ciel et à tous les bestiaux et à toute la terre et à tous les reptiles rampant sur toutes la terre. »
Et aussitôt Dieu assigne à l’homme et aux animaux une nourriture végétarienne :
Et Dieu dit : « Voici je vous ai donné toute herbe ensemençante, semant semence, qui est au-dessus de toute la terre, et tout arbre qui a en lui un fruit de semence ensemençante : ce sera pour votre nourriture, et pour toutes les bêtes sauvages de la terre et tous les volatiles du ciel et tout reptile rampant sur la terre qui a en lui une âme de vie, aussi toute herbe verte pour nourriture. » Et il en fut ainsi. Et Dieu vit toutes les choses qu’il avait faites et voilà, elles étaient très bonnes. Et il y eut un soir et il y eut un matin, sixième jour. »
(Je recopie la traduction publiée sous le nom de La Bible d’Alexandrie sous la direction de Cécile Dogniez et de Marguerite Harl, car c’est en français la seule traduction qui soit fidèle au texte grec de la Septante, la seule référence valable pour les chrétiens. Les chrétiens n’ont pas besoin de se référer au texte hébreu massorétique qui n’a rien à leur apprendre de plus que le texte des Septante.)

Le texte de la Genèse pose aussi une question embarrassante pour les hommes de notre temps. Il prétend que la totalité des animaux étaient végétariens. Tout ce que découvre la paléontologie va en sens contraire. Je ne pense pas qu’on puisse balayer cette discordance du revers de la main. Le monde n’est pas une simple représentation et la Révélation ne se contente pas de nous dicter un guide de comportement dans l’environnement. Il y a là une difficulté bien réelle.

Il me semble qu’on ne peut s’en sortir qu’en admettant que Dieu nous révèle par là qu’il a modifié la structure de la Création après la faute d’Adam. Il lui a créé un commencement, un Big Bang initial, lui imposant un temps unidirectionnel et une érosion permanente, l’entropie. Il avait déjà créé la Vie comme une rupture ontologique (des systèmes qui luttent contre l’érosion, se reproduisent, se perfectionnent), mais la soumet après la chute d'Adam à la loi de la lutte pour la vie : les espèces s’entre-dévorent. Car par la faute d'un seul, la mort est entrée dans le monde (Romains 5). Et pour l’homme, c’est la condition déchue, soumise aux tentations de l’Adversaire.

Mais il y a aussi la promesse d’un second Adam, le Fils de l’homme, qui se révélera être aussi le Verbe et Fils unique de Dieu, nous invitant à être co-héritiers de la périchorèse divine.

Mais aucune analogie sexuelle ne nous permettrait d’exprimer quoi que ce soit de cette périchorèse.
Jean-Louis Palierne
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Antoine
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Message par Antoine »

Le texte de la Genèse pose aussi une question embarrassante pour les hommes de notre temps. Il prétend que la totalité des animaux étaient végétariens. Tout ce que découvre la paléontologie va en sens contraire. Je ne pense pas qu’on puisse balayer cette discordance du revers de la main. Le monde n’est pas une simple représentation et la Révélation ne se contente pas de nous dicter un guide de comportement dans l’environnement. Il y a là une difficulté bien réelle.
La paléontologie ne nous a jamais découvert non plus de traces d'Adam et Eve. La paléontologie n'a accès qu'à ce que nous connaissons de l'homme après la chute et qu'à un monde postérieur à la chute. Nous ne savons rien d'autre d'un monde antérieur à la chute que ce que la genèse veut bien nous donner. Donc, à supposer que l'on veuille prendre le récit de la Genèse pour un récit historique et donner par là une historicité réelle à une nature végétarienne de l'homme et des animaux en général, ce n'est pas par la paléontologie qu'on en trouvera des traces.
Déduire du récit que le monde a été modifié par Dieu après la chute me semble une incohérence face à l'immuabilité et à l'infini de Dieu. Le récit ne fonctionne plus lorsqu'on l'approche dans ce type de concordisme.
On peut se demander aussi pourquoi Dieu mit un signe sur Cain. Par quel homme Caïn pouvait -il craindre d'être trouvé et tué? On peut toujours en chercher des traces paléontologiques. Et dans sa déclaration: <<Si tu me chasses aujourd'hui de la face de la terre, et que loin de ta face je sois caché, alors je serais gémissant et tremblant sur la terre et il adviendra que quiconque me trouvera me tuera>> (gen 4, 14 dans la Septante) ne me semble pas non plus indiquer une terre antérieure à la chute et une terre postérieure à la chute. En revanche le <<et que loin de ta face je sois caché>> appartient à la théoria et différentie les deux terres contextuelles en donnant un sens au temps par l'emploi de <<aujourd'hui>>
Il vaut mieux chercher un sens symbolique à l'autorisation pour l'homme de manger des végétaux plutôt qu'en déduire que notre nature primitive était végétarienne. Et quand je vois que le Christ lui-même s'est fait un petit barbecue de poissons après la Résurrection sur les bords du lac de Tibériade alors peu me chaut d 'argutier sur une pseudo nature primitive végétarienne de l'homme et des animaux. Ou alors, s'il faut prendre le récit de Jean (Chap XXI) dans un sens symbolique, alors il faut aussi prendre ce passage de la Genèse sans le même sens symbolique.
Je reste sur la conception que le récit de la Genèse est un récit liturgique et non pas une notice descriptive de la création même si l'on se sert ensuite de ces éléments contextuels pour exprimer et atteindre la Theoria.

Le Récit de la Genèse n'a d'inspiré que ce qui gère la relation de l'homme à Dieu et non pas les éléments contextuels primitifs qui transmettent l'expérience de cette relation. Il est écrit dans un langage humain pour rendre compte d'une Théoria. Je ne pense certainement pas que la nature végétarienne appartienne à cette Théoria mais qu'elle n'appartient qu'au contextuel.
On finira par dire que la nature de Dieu est composée de photons sous prétexte qu'il est lumière...
En revanche ce contextuel, qui permet de retrouver une "nature adamique", est justement utilisé par les moines qui ne mangent pas de viande. Mais ne faisons pas des moyens une fin, ni du contextuel la Théoria.
<<Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche d'un homme qui est impur etc...>> + le chapitre 10 des actes qui relate une vision de Pierre sur une terrasse de maison à Joppé a quand même plus de poids que tout discours sur une pseudo nature végétarienne primitive.

quand vous écrivez:
Il me semble qu’on ne peut s’en sortir qu’en admettant que Dieu nous révèle par là qu’il a modifié la structure de la Création après la faute d’Adam.
Il me semble que vous exprimez là tout bonnement un simple anthropomorphisme. Le récit de la Genèse n'est pas un document paléontologique. En faire une telle lecture conduit nécessairement aux contradictions que vous soulevez. Le récit affirme le monothéisme et balise l'économie divine au moyen d'un contextuel qu'est la création mais il ne nous renseigne pas sur la création en tant que telle. Il est un meta langage qui nous mène au-delà des concepts . Diriez vous que le fait que le Christ siège avec notre nature humaine à la droite du Père est une révélation que le Père a modifié la structure de la Trinité?
Mais aucune analogie sexuelle ne nous permettrait d’exprimer quoi que ce soit de cette périchorèse.
Oui c'est parfaitement juste. Il reste néanmoins que nous disons Père fils et Esprit. Essayons de penser "Esprit Sainte" comme le suggère l'hébreux "Ruah" ou encore de penser Je crois en Dieu "Mère toute puissante" et nous nous heurtons immédiatement à une difficulté. Il est curieux que dans le christianisme c'est par le masculin que nous arrivons à nous extraire de toute analogie sexuelle interne à la Trinité...

St Jean Damascène, La foi orthodoxe, Ed de l’Ancre, Livre IV chapitre IV p202 écrit:
Pourquoi le Fils de Dieu s'est-il fait homme et non le Père ou l'Esprit, et qu'a-t-il redressé après s'être fait homme?

Le Père est Père et non Fils; le Fils est Fils et non Père; L'Esprit est Saint-Esprit et non Père ni Fils. La propriété est immuable; comment une propriété perdurerait-elle si elle changeait et tombait dans le mouvement ? A cause de cela le Fils de Dieu est devenu Fils de l'homme, pour que sa propriété immuable demeurât. Etant Fils de Dieu, il est devenu Fils de l'homme, incarné de la Sainte Vierge, sans sortir de sa propriété de Fils.


La réponse de St Jean concerne le fait que ce soit le Fils qui s'incarne et non pas une autre personne de la Trinité. Il ne disserte pas sur le problème de la masculinité du Christ qui serait un reflet de la "Masculinité du verbe". Et Jean-Louis a bien raison dans sa mise en garde. Il n'en demeure pas moins que Le Christ s'est incarné dans un homme mâle et que nous ne récitons pas le "Notre Mère "mais le "Notre Père."
On peut toujours arguer du fait que dans le Christ il n'y a ni homme ni femme , mais la masculinité du Christ n'est pas qu'une simple apparence ou alors il faudrait convenir que la nature humaine qu'il prend n'est qu'une simple apparence ou que la nature humaine est réelle mais la distinction sexuelle une simple apparence.
La masculinité du Christ ne nous renseigne en rien sur la vie intra Trinitaire et <<aucune analogie sexuelle ne nous permettrait d’exprimer quoi que ce soit de cette périchorèse>> mais que nous indique-t-elle théologiquement et anthropologiquement? On ne peut penser que ce choix de l'incarnation dans un mâle n'a pas de signification.
Dans l'incarnation la masculinité est en Christ et la féminité en Marie, mais la Theotokos n'est pas Dieu.
Dernière modification par Antoine le jeu. 01 juin 2006 12:24, modifié 1 fois.
Antoine
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Message par Antoine »

Les chrétiens n’ont pas besoin de se référer au texte hébreu massorétique qui n’a rien à leur apprendre de plus que le texte des Septante.)
Le texte hébreux est intéressant pour les chrétiens non pas en ce qu'il est massorétique mais en ce qu'il est en hébreux, araméen etc.... La richesse de la pensée sémitique et la génération de sens que fournissent les racines triadiques ne sont accessibles qu'en hébreux. Le texte hébreux reste donc aussi une référence pour son expression de l'expérience de Dieu et il convient bien sûr dans les variantes qui diffèrent du texte grec de garder le grec pour vérité textuelle. Il serait mutilant de rejeter le texte massorétique au seul prétexte qu'il n'est que massorétique.

Je prends un exemple volontairement tiré de l'évangile. Si l'on ne sait pas que l'expression "être sous le figuier" signifie en hébreux "s'adonner à l'étude de l'Ecriture Sainte" alors ce détail de la rencontre du Christ avec Nathanael (Jn 1,47-51) n'a aucun sens et devient un simple élément de décors. Et si l'on pense symboliquement que l'arbre de la connaissance du bien et du mal était un "figuier" alors le texte biblique prend une autre dimension que celle qu'un pommier a pu lui donnée. De même pour le passage de Matt 21, 18-22 sur le figuier maudit et desséché.
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Message par Jean-Louis Palierne »

Les Pères ont commenté la Bible en ayant en mémoire les paroles du Christ, parce que l’Écriture était pour eux tout entière la parole du Verbe et Fils unique de Dieu, et qu’elle ne parle que de lui. Ils considéraient les Septante comme beaucoup plus que des traducteurs, comme les derniers des Prophètes. Les Pères ont donc commenté la Septante en tant qu’Écriture sainte, sans recourir à l’hébreu et aux racines sémitiques trilittérales — d’aiolleurs pour la plupart ils ignoraient l'hébreu. Plus tard, lorsque apparut la Massorète ils la considérèrent comme falsifiée. Il n’était donc pas question de l’utiliser.

Pour ma part je suis les Pères. Je n’ai pas la prétention d’y ajouter une nouvelle interprétation “retrouvant les sources hébraïques”. Les commentaires patristiques de l’Évangile tout particulièrement n’éprouvent pas le besoin de recourir à un substrat araméen, encore moins à un original perdu. Je les considère néanmoins comme des commentaires inspirés. C’est cela aussi la Tradition.
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Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

La Tradition doit elle être exclusive à ce point ? Il n'a jamais été question de rejeter les Pères, que je sache !
Autant considérer comme suspecte toute Eglise qui ne parle pas grec...

Si l'on considère l'enseignement de l'Eglise, Ecriture comprise, comme inépuisable, alors pourquoi rejeter l'apport de l'hébreu et de l'araméen qui peuvent nous faire comprendre un contexte dont nous, occidentaux du XXe siècle, sommes très loin ?

Le Christ n'a jamais parlé de rejeter l'hébreu et je signale respectueusement à Jean Louis qu'Il le parlait et le commentait, ainsi que le targum araméen, quand Il enseignait dans les synagogues. Serait-Il moins bon prophète que les Septante ? Votre rejet des massorètes confine parfois à l'absurde.
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Message par Jean-Louis Palierne »

Le Christ, le Verbe de Dieu, le Créateur de l’homme, connaît et parle toutes les langues et lorsqu’il veut parler au cœur de l’homme il sait se faire comprendre de tous. Il lui arrive encore de nos jours de parler au cœur de vrais hébreux qui ne veulent et ne savent plus parler que cette langue. Et les langues sémitiques sont utilisées depuis les origines de l’Église : araméen et syriaque. Personne ne songe à les rejeter ni même à les oublier. Mais nous n’avons pas besoin de nous référer au texte hébreu pour recevoir la Révélation.

Nous vivons dans un monde hyper-intellectualisé, rationnalisé, qui ne se reconnaît le droit de tenir compte, d’utiliser et d’exprimer que ce qui est conceptualisable. Nous avons placé la raison au-dessus du cœur. Nos Pères dans la foi ont dû beaucoup lutter pour reconstruire la vie humaine sur la base de la Révélation du Verbe incarné qui vient parler dans notre cœur et pour nous faire connaître que la promesse du salut est celle de la résurrection de la chair. Ils ne se sont pas appuyé pour cela sur une mentalité hébraïque qui leur aurait fourni une cosmologie, une gnoséologie et une anthropologie plus profondes que celles des Hellènes.. Au contraire ils se sont trouvés dès les origines de l’Église dans un conflit aigu tant avec le judaïsme qu’avec l’hellénisme.

De même les hommes de notre temps qui sont touchés par le besoin d’une véritable recherche spirituelle sont obligés d’adopter des démarches totalement étrangères à l’esprit de notre temps, et en particulier aux idées, aux méthodes et aux concepts de la "théologie académique". Il est vrai que beaucoup, lorsqu’ils rencontrent la langue hébraïque, sont frappés par le fait qu’elle utilise des approches cosmologiques, gnoséologiques et anthropologiques très différentes de celles de cet “esprit moderne”. Ainsi naît la conviction que l’étude de l’hébreu représente un préalable indispensable à une refonte de notre vie spirituelle. Dans le monde protestant d’abord, puis dans le monde catholique avec un bon siècle de retard, les “études bibliques”, et au minimum un recours à des traductions faites sur l'hébreu sont devenues la propédeutique incontournable de l’enseignement théologique, et la mode s’en est répandue parmi les laïcs pieux et studieux. Je suis moi-même passé par là jadis, au temps lointain de ma prime jeunesse.

Mais non, les Pères ne sont pas passés par là. S’ils se sont parfois (très rarement et surtout au IIème siècle) donné la peine d’étudier et d’utiliser “les lettres hébraïques”, c’était pour lutter contre le prestige qu’avait dans le monde Antique l’interprétation légaliste de l’Écriture telle que la proposaient les Juifs. Il ne leur venait pas à l’esprit que la mentalité juive, telle qu’elle s’exprimait dans leur langue, pût véhiculer un mode de pensée qui pourrait conduire au christianisme, qui pourrait aider à formuler la foi chrétienne. La polémique avec la pensée hébraïque les intéressait moins que l’affrontement avec la pensée hellénique.

Très tôt l’Église s’est constitué un vocabulaire propre, et avant tout dans ses textes liturgiques. Nous y voyons apparaître quelques mots d’origine sémitique, Amen, Alleluia, Hosannah…, mais l’Église a exprimé et transmis sa Tradition en grec : ses textes liturgiques, ses textes hymnographiques, canoniques, et la Révélation écrite. Il est très significatif que l’Église ait conservé le souvenir d’une première rédaction hébraîque de l’Évangile de Matthieu, mais que même ce texte ne nous a été transmis qu’en grec. Paul a très vraisemblablement utilisé de très anciens textes liturgiques dans ses Épîtres (les bonnes éditions le signalent en note), ce sont donc les plus anciens textes de l’Église qui nous auraient été ainsi conservés, mais ils sont en grec.

N’oublions pas d’autre part que les Pères ont toujours pensé que le texte des massorètes avait été expurgé pour pouvoir s’en servir dans leur défense contre les chrétiens. L’exemple le plus connu est celui de la prophétie d’Isaïe qui déclare que l’enfant promis naîtra d’une vierge (texte de la Septante) ou d’une jeune fille (texte de la Massorète). Non seulement donc les Pères n’éprouvaient aucun besoin de remonter à une racine tri-littérale pour expliciter le contenu de la Révélation divine, mais ils se méfiaient des textes qui prétendent nous la présenter en hébreu. Ils recouraient aux textes grecs tant des Septante pour l’Ancien Testament que de Mathieu pour le Nouveau Testament.

La Révélation nous est transmise par les Pères (y compris la Révélation "écrite") et elles commentée et explicitée par eux. Et les textes patriastiques sont à 90% en grec, mais sont aussi en latin et en syriaque, et il y a eu des Pères de l'Église jusqu'à notre époque. Pour ma part je considère le père Justin Popovitch comme un Père de l'Église du XXème siècle. Et il écrivait en serbe.
Jean-Louis Palierne
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Ludovic
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Message par Ludovic »

Jean-Louis Palierne a écrit :
L’exemple le plus connu est celui de la prophétie d’Isaïe qui déclare que l’enfant promis naîtra d’une vierge (texte de la Septante) ou d’une jeune fille (texte de la Massorète).
Le mardi 20 décembre, Isaïe a été lu dans l'Eglise catholique comme suit :
"Voici que la jeune femme est enceinte, elle enfantera un fils, et on l'appellera Emmanuel (c'est-à-dire Dieu avec nous)." La "fidélité" au texte hébreu a eu pour effet de faire disparaître la Vierge.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Jean-Louis Palierne a écrit : N’oublions pas d’autre part que les Pères ont toujours pensé que le texte des massorètes avait été expurgé pour pouvoir s’en servir dans leur défense contre les chrétiens. L’exemple le plus connu est celui de la prophétie d’Isaïe qui déclare que l’enfant promis naîtra d’une vierge (texte de la Septante) ou d’une jeune fille (texte de la Massorète). Non seulement donc les Pères n’éprouvaient aucun besoin de remonter à une racine tri-littérale pour expliciter le contenu de la Révélation divine, mais ils se méfiaient des textes qui prétendent nous la présenter en hébreu. Ils recouraient aux textes grecs tant des Septante pour l’Ancien Testament que de Mathieu pour le Nouveau Testament.
Il me semble aussi que lorsque le judaïsme s'est constitué après le christianisme et en réaction contre lui (cf. une fois de plus André Paul, Leçons paradoxales sur les juifs et les chrétiens), il a aussi fait disparaître des textes hébraïques la mention de l'Ange du Grand Conseil en Isaïe 9,6. Me trompè-je?
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Exact. Et il s’agit là de l’une des “annonces” fondamentales de la foi chrétienne.

Il faur signaler aussi que l’on ignore toujours ce que contiennent les rouleaux découverts il y a soixante ans à Qumran. Depuis cette époque un Centre d’études les tient au secret et n’a rien publié. Or ces rouleaux ont été cachés là à une époque antérieure de plusieurs siècles à l’édition de la massorète. Récemment une pétition signée des plus éminents “biblistes” catholiques et protestants a protesté contre ce black-out, qui dépasse de loin les limites du raisonnable. Sans résultats.
Jean-Louis Palierne
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Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Plus intéressantes me paraissent les remarques d’Antoine sur l’usage du masculin qui nous permet de « nous extraire de toute analogie sexuelle interne à la Trinité ». C’est si vrai que même les langues qui possèdent un genre neutre ne l’emploient pas pour Dieu, ce qui paraîtrait logique pour éviter une sexualisation.
Antoine a écrit :Dans l’incarnation la masculinité est en Christ et la féminité en Marie, mais la Theotokos n’est pas Dieu.
Marie est le fruit, ou la floraison, de l’humanité tendue vers Dieu, ouverte à Dieu. Mais songeons aussi à toutes les métaphores de l’A.T. qui font d’Israël ou de Jérusalem l’épousée de Dieu, épouse adultère, tombée, prostituée mais finalement pardonnée et relevée. Les textes des prophètes en fourmillent. Et cette métaphore s’est reportée sur l’Eglise.
Il est évident que cette métaphore nuptiale n’a de sens que vis à vis de nous, de l’humanité sexuée – et sexuée dès la création.
Incise pour Jean Louis : pourquoi faudrait-il que cette sexualité de l’origine, qui a partie liée avec la croissance et la multiplication de l’humanité, ait été si incompréhensible et si différente de la nôtre ? Faut-il revenir à la naïveté d’Agnès dans l’Ecole des femmes et penser qu’en ces temps d’avant le temps on faisait les enfants par l’oreille ?
Le corps n’est pas seul à s’ouvrir dans l’amour, même dans l’humanité d’après la chute. Alors avant...
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Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Pour ceux qui cherchent à comprendre quelle est la signification spirituelle de la sexualité, et comment elle s’inscrit dans l’histoire du Salut, je crois que les deux textes fondamentaux (car les textes de l’hymnographie orthodoxe sont aussi des formes de la Révélation) sont les suivants : (1) Le texte des huit premières odes des Matines de l’Annonciation, un extraordinaire dialogue entre la Vierge et l’archange Gabriel ; (2) le “Tropaire de Cassienne”, c’est-à-dire le “Doxa” des Stichères des Matines du mercredi saint (aux Présanctifiés).

Tout est dans ces deux textes merveilleux.
Jean-Louis Palierne
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Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

D'accord, Jean Louis.
Pourquoi ne pas les mettre ou les remettre sur le forum pour ceux qui ne les connaissent pas ?
Il me semble que vous les avez déjà cités mais cela fait un certain temps...
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