Date : 05.04 16h31
auteur : Catherine
À Olia :
Chère Olia, merci pour les belles choses
concernant la Passion de notre
Sauveur qui approche. Je suis juste en train de
préparer la partition du
15e antiphone pour l'office du Grand Jeudi où
nous chantons "Aujourd'hui
est suspendu au bois Celui qui suspend la terre
sur les eaux, et d'une
couronne d'épines est ceint le front du Roi des
anges". J'ai envie de
continuer, mais ce chant me fait pleurer toujours:
"D'une pourpre dérisoire est revêtu Celui qui revêt le ciel de
nuages. Il supporte d'être
frappé au visage, Celui qui dans le Jourdain
délivre Adam. Percé de
clous, l'Époux de l'Église est attaché au bois de
la croix. D'une lance est
transpercé le côté du Fils de la Vierge. Nous
nous prosternons devant ta
Passion, ô Christ. Nous nous prosternons
devant ta Passion, ô Christ.
Nous nous prosternons devant ta Passion, ô
Christ. Montre-nous aussi
ta glorieuse Résurrection."
Ne vous offusquez pas de ce qu'écrit le lecteur
Claude : je le crois bien
informé et je n'ai pas l'impression qu'il ait
agressé personnellement
aucun des fidèles de votre Église, mais plutôt
une attitude générale de
ses hiérarques. Je crois cependant que tout le
monde, et lui aussi,
reconnaît les souffrances du peuple russe ainsi
que sa piété.
De plus, il est difficile de ne pas essayer de
défendre son bifteck — ou,
en carême, plutôt ses frites
— patriarcaux à
chacun, ne pensez-vous
pas ?
En ce qui concerne l'attitude de la hiérarchie
orthodoxe et "orthodoxe",
russe ou grecque, la seule conséquente et
unanime que j'ai vue, par
rapport à tous les problèmes soulevés sur ce
Forum, c'est celle des
matthéistes, à tel point qu'ils ne s'y posent
même pas en termes de
problèmes, mais eux, étant minoritaires et
"schismatiques" selon vos
patriarcats, n'ont pas de voix au chapitre
mondial de l'orthodoxie.
Tâchons au moins de ne pas nous disputer en
ce saint Carême.
À Éliazar qui dit :
— Mais hélas, je ne connais pas, en ces années
d'horreur, de Père de
l'Église qui se soit levé dans l'Orthodoxie avec la
vigueur et le courage (et
le mépris des conséquences possibles pour sa
personne) de notre cher
Patriarche de Constantinople Jean, le
Chrysostome. Ou de Grégoire
(Palamas), etc.
Il ne faut pas rêver, cher Éliazar. Non seulement
l'Église orthodoxe, mais
n'importe quelle instance soi-disant ou
réellement spirituelle n'a aucune
autorité dans le monde matérialiste où nous
vivons, et surtout pas en
face de la puissance étasunienne.
Les pères dont vous parlez ont vécu à une
époque et dans un lieu où les
hommes de Dieu commandaient le respect à
tous, à commencer par les
autorités temporelles, et ce non seulement à
cause de leur haute stature
spirituelle, mais parce qu'ils parlaient à des
orthodoxes, qui eux-mêmes
portaient plus d'intérêt au salut de leur âme qu'à
leurs besoins
bassement matériels, et qui étaient donc prêts à
les écouter.
Aujourd'hui, il ne reste à l'Église orthodoxe (très
minoritare et méprisée)
que la voie de la prière pour ce qui est de cette
horrible guerre en Irak, et il
ne faut pas confondre "l'autorité" morale et
temporelle mondialement
reconnue d'un pape de Rome avec celle
spirituelle de l'Église orthodoxe
dont le rôle est d'œuvrer pour la sauvegarde de
la foi orthodoxe dans
toute sa pureté pour le salut des hommes et non
pas de pontifiquer à la
cantonnade à travers le monde sur diverses
questions morales que de
toute façon chacun résoudra seul. Quant à vos
hiérarques, ce n'est pas
de leur mutisme sur Irak qu'il faut avoir honte,
mais de leurs multiples
trahisons de l'orthodoxie — et en tirer les
conséquences qui s'imposent.
PS. : Je viens de lire votre long message
explicatif que je relirai encore : je
n'ai jamais compris autrement vos propos que
comme vous l'expliquez.
Vivant dans mon "ermitage", je ne connais pas
tout ce qui se passe dans
le monde. Merci pour les clarifications.
Au lecteur Claude :
— Cher lecteur Claude, n'étant pas une lectrice
"de grande envergure"
moi-même, je suis toujours heureuse
d'apprendre bcp de choses de
vous.
J'ignorais par exemple que Photios Kontoglou
avait écrit sur Pascal; cela
m'intéresse énormément, car je me disais
souvent que Pascal, s'il avait
connu l'orthodoxie, serait sûrement devenu
orthodoxe. Avez-vous lu le livre
et pouvez-vous me dire ce qu'il dit en substance
?
Vous dites aussi :
— Quand saint Bessarion Saraï a rétabli
l'Orthodoxie en Transylvanie, les
paysannes des villages lavaient à grandes eaux
les églises qui avaient
été usurpées par les uniates, espérant que ce
nettoyage matériel
effacerait symboliquement les macules
spirituelles laissées par
l'hérésie.
• Que c'est beau ! Le sens de la vérité chez le
petit peuple orthodoxe, la
grâce chez les plus simples, les plus humbles…
offrant un splendide
témoignage de l'Écriture : "Dieu… fait grâce aux
humbles."
Puis la Transylvanie, la plus belle et plus
mystérieuse région de la
Grande Hongrie (excusez-moi, ce n'est pas du
révisionnisme, mais de la
nostalgie personnelle et à peine patriotrique !),
pays de mes rêves, pays
de la lutte héroïque de mes ancêtres du 18e
siècle contre les Habsbourg,
ces Habsbourg, qui y réprimaient l'orthodoxie à
la même époque. Et,
comme saint Bessarion, les patriotes hongrois
étaient envoyés à la
célèbre prison de Kufstein en Tyrol.
Ne pensez-vous pas, cher lecteur Claude, que
l'amputation de la
Transylvanie à la Hongrie fût également une
sorte de Yalta, pour
empêcher les Hongrois de connaître
l'orthodoxie, ou suis-je un peu
parano sur les bords ? Pourquoi l'uniatisme a-t-il
fait plus de ravages
dans ces régions qu'ailleurs ?
De toute manière, dans tous les partages, mon
pauvre pays tombait
toujours du côté néfaste : toujours perdant sur le
plan politique, il est
maintenu loin de l'orthodoxie sur le plan spirituel,
alors que rien n'irait
mieux au "tempérament" de ce peuple aux
racines orientales.
Certains Hongrois de ma génération prédisent
aussi, avec un
pessimisme nourri de notre histoire
malheureuse, que dès l'entrée de la
Hongrie dans l'Europe (prévue pour 2004), celle-
ci s'écroulera, par le
simple fait que la Hongrie n'a jamais été l'alliée
d'une puissance
victorieuse et qu'il serait étonnant de voir une
exception à cette règle.
À Athanase :
Cher Athanase, Dieu aura soin de nous juger
nos manquements : ce
n'est pas à vous de le faire. Quant à la foi
orthodoxe, nous avons tous le
devoir de la garder pure et de dénoncer toute
hérésie (hérésie voulant
dire : opinion purement humaine et ne
s'accordant pas avec les données
de la foi reçue de Dieu et donc incompatible
avec la Vérité qui est le
Christ ), n'en déplaise à ceux qui appellent
"orthodoxisme" une fidélité
scrupuleuse à la Vérité et qui renient ainsi
tacitement toute (ou une partie
de) la Tradition orthodoxe.
Permettez-moi de dire, du reste, que le terme
"orthodoxisme" ne veut rien
dire en ce sens par rapport à la vraie foi, celle-ci
étant d'une cohérence
divine ("il n'y a que oui en Dieu" ! ), donc parfaite
et n'ayant aucun besoin
d'être systématisée, d'autant plus qu'elle est vie
et non idéologie. Les
saints dogmes de l'Église jaillissent de la
révélation de l'Esprit, donc de
l'expérience de ceux qui les ont reçus et non des
réflexions abstraites du
cerveau humain.
En revanche, certaines élucubrations
d'intellectuels de nos jours (surtout
français, hélas !) qui ajoutent à l'orthodoxie ou
en retranchent — sont des
thèses abstraites parfois pernicieuses en ce
qu'elles ouvrent la porte à
un relativisme où la foi en l'Église une sainte
catholique et apostolique
est menacée.
Ce disant, je n'ignore pas que, n'étant pas
œcuméniste, je suis taxée, par
Olivier Clément, moi-même d'intégrisme
schismatique (comment
peut-on être schismatique quand on n'a en rien
dévié de la Tradition de
l'Église orthodoxe, mais que l'on s'est séparé de
ceux qui en ont dévié ?
— cela reste pour moi "un des mystères de la
religion musulmane",
comme dirait l'autre…)
Nous qualifier d'intégristes est de la démagogie
pure et simple et assez
contradictoire par-dessus le marché, de la part
d'un "orthodoxe"
œcuménisant — qui parle dans ses livres de
devoir de fidélité à
l'orthodoxie de toujours — à l'égard d'orthodoxes
qui gardent justement
cette fidélité. L'œcuménisme est une infidélité
flagrante.
Pour moi, la foi orthodoxe veut dire fidélité au
Christ et à l'Église. Mon
baptême orthodoxe, je l'ai ressenti comme un
engagement semblable au
mariage. On s'unit au Corps du Christ et on y
reste fidèle. On ne va pas
chercher ailleurs, en dehors d'elle, des "vérités",
puisque l'Église contient
toute la Vérité.
Si vous êtes marié, idéalement, vous restez
avec votre femme pour la vie,
même si elle n'est pas parfaite et que vous ayez
parfois des conflits, voire
des disputes entre vous; en tout cas, vous
n'allez pas flirter avec d'autres
femmes en leur demandant de juger votre
épouse.
Pour l'Église, c'est encore plus vrai, car votre
femme peut encore avoir
des défauts, mais l'Église, elle, est parfaite.
Il serait donc odieux, étant membre de l'Église
orthodoxe de flirter avec
l'hérésie ou d'accepter des jugements
hérétiques concernant l'Église et
sa Tradition.
Il est vrai que Olivier Clément a écrit de belles
choses sur l'orthodoxie,
mais il y a aussi des poètes qui ont écrit de
belles choses sur des
femmes avec qui ils n'ont jamais vécu.
Quand on vit l'orthodoxie, on finit par acquérir un
sens qui vous indique
nettement si la personne qui vous parle
d'orthodoxie, en a une
connaissance intellectuelle, abstraite ou bien
spirituelle, vécue. "Les
paroles que Je vous dis sont Esprit et Vie" — dit
le Christ.
Je préfère donc une écriture qui a la saveur de
la vie réelle, (comme celle
de nos pères parmi les saints).
Pas plus tard que ce matin, je lisais des textes
d'un père de l'Église,
commentés par un intellectuel français connu et
reconnu, qui fait autorité
et dont l'orthodoxie ne me paraît pas douteuse
du tout, et j'ai eu pourtant
l'expérience pénible de devoir relire plusieurs
fois ses phrases avant de
saisir leur sens, tandis que la lecture du corps
du texte patristique entrait
sans effort dans mon cœur.
Il faut d'abord apprendre à penser et à vivre en
orthodoxe, car c'est
seulement quand notre esprit est éclairé de la
lumière de la vraie foi
vivante et vécue que nous obtenons l'esprit
critique nécessaire pour juger
les autres croyances et opinions, et séparer le
vrai du faux.
L'œcuménisme est une négation de l'Église une
sainte catholique et
apostolique; il faut donc la séparer de la Vérité.
Maintenant, les termes d'intégrisme et de
fondamentalisme aussi ne
peuvent s'appliquer qu'à de fausses religions où
il y a à en prendre et à
en laisser, car il s'y mélange le divin avec
l'humain, le vrai avec le faux; ce
qui n'est pas le cas de l'orthodoxie où le dépôt
vient de Dieu et que l'on
doit accepter dans son intégralité. Ce sont donc
plutôt ceux qui
retranchent ou ajoutent et qui se prennent pour
juges de cette foi qui font
dans l'"orthodoxisme" : ce sont eux qui
considèrent la vraie foi comme
une idéologie ou une religion et en cela A.
Schmemann — qui ne précise
pas cependant qui il entend par "on" (?) — a
bien raison. Toutes les
idéologies, toutes les philosophies et toutes les
religions autres que la
vraie foi orthodoxe sont soit incohérentes soit
impraticables, le plus
souvent les deux. (Je n'ai connu qu'un seul
"philosophe" athée par
exemple qui ait pratiqué de façon cohérente et
jusqu'au bout sa
conviction, c'était Arthur Koestler : il a fini par le
suicide. Lui au moins
était
logique et conséquent.) Seule la vraie foi mène
à la Vie. Et si la vraie foi
n'est pas gardée et prêchée, comment pourrait-
on la vivre ? Voici ce qu'en
disent les pères :
«Pour cela, il faut fuir ceux qui prêchent les
demi-mesures, car ils
n'enseignent rien de sûr et de certain, mais
comme des hypocrites, ils
S'ADAPTENT À TOUTES LES CROYANCES et
vont de tous les côtés.»
Saint Marc d'Éphèse.
«C'est un ordre du Seigneur de ne pas se taire
quand la foi est en
danger.
Alors, quand il s'agit de la foi, tu n'as pas le droit
de dire : qui suis-je,
moi
? Prêtre, magistrat, soldat, agriculteur, ou
mendiant ? Ne te préoccupe de
rien de tout cela ! Malheur ! Les pierres parleront
et toi tu resterais
silencieux et insouciant ?»
Saint Théodore le Studite.
«Il n'est ni juste, ni autorisé, ni convenable aux
hommes pieux de se taire
quand on annule les lois de Dieu et qu'on
cherche à instaurer l'erreur et
la fraude... N'obéissez même pas aux évêques
qui, frauduleusement,
incitent à dire, à penser et à agir contre les
commandements.»
Saint Mélétios le Confesseur.
Vous nous accusez d'éloigner des gens de
l'orthodoxie. D'abord, qu'en
savez-vous ? Connaissez-vous les motivations
profondes de chaque
personne qui devient orthodoxe ou qui s'en
éloigne ? Après 23 ans
d'expérience dans l'orthodoxie, je peux vous dire
que la relation de Dieu
avec chaque personne humaine (alors que la
plupart des membres de
notre communauté m'ont raconté sincèrement
l'histoire de leur
découverte de l'orthodoxie) me reste un mystère
si profond qu'il ne me
serait pas possible d'en dire grand-chose, sans
tomber dans un
jugement qui n'appartient qu'à Dieu.
Mais même pour ma propre personne, ce que
j'en sais — et c'est
pourtant moi qui l'ai vécu — n'est que
l'apparence : Dieu seul sait
exactement ce qu'il en est, puisque Lui seul
pénètre au-delà non
seulement du conscient, mais même de
l'inconscient de l'homme, là où
même les psychiatres n'ont pas accès et qui
s'appelle la "proaïresis" en
grec (=le choix préalable), là où se décide
l'inclination fondamentale
d'une personne par rapport à Dieu ou au monde,
au bien ou au mal.
Ensuite, les Olivier Clément qui veulent attirer
les gens à l'orthodoxie en
en présentant une version séduisante et
hautement intellectuelle,
croyez-vous qu'ils auront rapproché les gens du
Christ ? Non, ils les
auront rapprochés d'une "orthodoxie"
intellectuellement satisfaisante qui
leur permettra peut-être d'écrire, à leur tour, des
livres sur la question.
Vous dites : " je suis venu à l'orthodoxie ,
poussé par le désir de savoir ,
de comprendre. J'ai , grâce à quelques auteurs
comme OC , ou Kallistos
Ware , dont je viens de lire "l'Eglise des sept
conciles" , appris à porter un
regard historique sur tous ces drames."
C'est très bien, mais la curiosité intellectuelle
une fois satisfaite, qu'en
faites-vous ? Avez-vous fait de l'orthodoxie votre
foi, votre certitude absolue
et votre vie ? Le Christ, le Chemin, la Vérité et la
Vie, est-Il devenu plus
désirable à votre cœur grâce à cette satisfaction
intellectuelle ? Je n'en ai
pas l'impression, car alors vous goûteriez avec
un grand plaisir spirituel
les paroles inspirées et vivifiantes des grands
saints orthodoxes,
serviteurs éprouvés du Verbe, qui ont témoigné,
par leur vie et leur mort,
de leur amour pour le Christ. Elles vous
paraîtraient une nourriture douce
et vous seriez moins enthousiaste pour ceux qui
n'ont fait que satisfaire
votre faim purement cérébrale et ne vous ont
pas montré l'exemple par
leur vie.
Mais rien n'est perdu pourvu que nous ne nous
arrêtions pas à cette
satisfaction intellectuelle. Il existe des gens qui
deviennent orthodoxes et
même moines pour des raisons
APPAREMMENT bien plus futiles que
les vôtres, mais qui en tombent ensuite
amoureux et deviennent de
saints témoins du Christ.
Vous dites aussi : "je me confie en la protection
de saint Alexandre Men
(encore un "hérétique , d'ailleurs il était juif...)"
• Pardonnez mon ignorance. Cékiça ?
Excusez ces terribles longueurs. À demain.
Amicalement en Christ,
Catherine