Prémonitions des philosophes grecs sur l'arrivée du Christ

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Alexis Woronine
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Prémonitions des philosophes grecs sur l'arrivée du Christ

Message par Alexis Woronine »

Je suis à la recherche des prémonitions des philosophes grecs (Platon ?) sur l'arrivée du Christ; j'ai cru (?) lire quelque chose sur ce sujet il y a plusieurs années mais je n'en ai plus la moindre trace.

Si quelqu'un pouvait me renseigner (auteurs, livres, etc), sa contribution serait la bienvenue...et constituerait un sujet intéressant sur ce forum.

A Woronine
jaune
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Message par jaune »

J'ai connaissance de ce pressentiment de Platon;lorsqu'il s'interroge dans son traité de la République sur la condition d'un homme vraiment juste en ce monde.Je cite :
"Ils vont nous dire qu'en réalité le juste ,tel que je l'ai représenté,sera fouetté,torturé ,emprisonné,qu'on lui brûlera les yeux, qu'enfin,après avoir souffert des maux de toute sorte,il sera empalé."
(Politeia,II,361-362;Oeuvres complétes ,VI Paris,1959)
Alexis Woronine
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Message par Alexis Woronine »

Je crois aussi me souvenir de la défense de Sainte Catherine qui parle des philosphes grecs et de leur pressentiments sur cette matière...

Help !!
jaune
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Message par jaune »

J'y pense,sur le fil "philosophes grecs et Eglise Orthodoxe" se trouve des remarques à ce sujet.Peut-être y trouverez vous quelques informations?Utilisez la fonction "rechercher" du forum pour cela.
theodore
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Message par theodore »

On dit parfois que le versant catholique aurait plutôt reçu d'Aristote quand le versant orthodoxe recevrait davantage de Platon, est-ce vrai?

Quel fut le comportement de Byzance face à l'héritage de ces philosophes païens qui écrivaient quelques siècles auparavant dans une même langue que l'empire?
Je pense notamment aux stoïciens.
La Croix est la volonté prête à toutes les douleurs.
Saint Isaac de Nisibe dit le Syrien
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Tout au long de son histoire l’Empire “roméïque”, ou si vous voulez romano-hellénique, ce que nous appelons maintenant è tort “Byzance”, est resté fidèle à l’idéal de la bonne éducation antique, la “paideia”, qui comportait une formation au bon raisonnement et à l’analyse correcte des faits fondée essentiellement sur la Logique d’Aristote. Quand on prêtre aux Grecs d’avoir subi une influence platonicienne, qui serait plus exactement néo-platonicienne ou plotinienne, il s’agit plutôt de l’emprunt à l’origine des concepts de l’unicité divine et du rôle du Logos, qui ont permis à l’Église naissante dexprimer l’originalité de la Révélation — en réalité irréductible à la philosophie platonicienne qui n’a jamais pu accepter la Révélation d’un Dieu personnel et même tri-personnel, et qui n’accorde aucun intérêt à la résirrection de la chair et au Jour du Royaume. Pour la philosophie platonicienne, néo-platonicienne ou plotinienne, ce monde-ci est le règne des ombres, le vrai monde est le règne des Idées impersonnelles.

La philosophie occidentale n’a utilisé la logique aristotélicienne qu’au service d’une distinction de l’essence et de l’existence qui négligeait la notion patristique de l’hypostase. C’est pourquoi elle est beaucoup moins réaliste et empirique que la philosophie des Pères de la Tradition orthodoxe. Ainsi mal préparée la philosophie scolastique n’a pas su corriger les faiblesses de l’augustinisme qui privilégiait les relations entre personnes par rapport aus réalisme de l’hypostase, pas plus que le scolastique n’a su résister à la juridisation de l’exxlésiologie, à la conception du pouvoir sacramentel et à la distinction entre nature (domaine de la Grâce sacramentelle pour les occidentaux) et surnature (le domain “mystique’).
Jean-Louis Palierne
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Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Jean-Louis Palierne a écrit :Tout au long de son histoire l’Empire “roméïque”, ou si vous voulez romano-hellénique, ce que nous appelons maintenant è tort “Byzance”, est resté fidèle à l’idéal de la bonne éducation antique, la “paideia”, qui comportait une formation au bon raisonnement et à l’analyse correcte des faits fondée essentiellement sur la Logique d’Aristote. Quand on prêtre aux Grecs d’avoir subi une influence platonicienne, qui serait plus exactement néo-platonicienne ou plotinienne, il s’agit plutôt de l’emprunt à l’origine des concepts de l’unicité divine et du rôle du Logos, qui ont permis à l’Église naissante dexprimer l’originalité de la Révélation — en réalité irréductible à la philosophie platonicienne qui n’a jamais pu accepter la Révélation d’un Dieu personnel et même tri-personnel, et qui n’accorde aucun intérêt à la résirrection de la chair et au Jour du Royaume. Pour la philosophie platonicienne, néo-platonicienne ou plotinienne, ce monde-ci est le règne des ombres, le vrai monde est le règne des Idées impersonnelles.

La philosophie occidentale n’a utilisé la logique aristotélicienne qu’au service d’une distinction de l’essence et de l’existence qui négligeait la notion patristique de l’hypostase. C’est pourquoi elle est beaucoup moins réaliste et empirique que la philosophie des Pères de la Tradition orthodoxe. Ainsi mal préparée la philosophie scolastique n’a pas su corriger les faiblesses de l’augustinisme qui privilégiait les relations entre personnes par rapport aus réalisme de l’hypostase, pas plus que le scolastique n’a su résister à la juridisation de l’exxlésiologie, à la conception du pouvoir sacramentel et à la distinction entre nature (domaine de la Grâce sacramentelle pour les occidentaux) et surnature (le domain “mystique’).

La question de M. Woronine est très intéressante et mériterait de plus amples développements. Pour ma part, je me contenterai de rappeler que la tradition orthodoxe voulait que l'on représente dans les églises, aux côtés des personnages de l'Ancien Testament, un certain nombre de figures de l'Antiquité grecque et romaine (Pythagore, Socrate, Platon, Aristote, Cicéron, la Sybille de Cumes) qui étaient considérés comme ayant préparé leur peuple à recevoir l'Illumination. C'est l'origine des célèbres "frises des philosophes" que l'on peut voir sur les murs des monastères de Moldavie ou de l'église des marchands à Târgu Jiu.

Je voudrais simplement poser une question à Jean-Louis en complément de ce dernier message. Pensez-vous que c'est cette distinction que font les filioquistes entre la nature (domaine de la Grâce sacramentelle) et la surnature (domaine "mystique") qui les a amenés à cette erreur aux conséquences gravissimes qu'est leur croyance en la grâce créée?
Stephanopoulos
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Message par Stephanopoulos »

Voici un article paru dans le magasine “Histoire antique” n°17 octobre-novembre 2004; pp. 58-63. J’espère que ce dernier pourra répondre aux attentes d’Alexis Worodine et aux personnes intéressées par ce sujet :


Saint Augustin et le platonisme chrétien

Par Frédéric François, journaliste et philosophe de formation

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“puisque l’âme est une chose si précieuse et divine, sois assuré que par elle tu pourras atteindre Dieu et monte vers lui avec un tel principe : il n’est pas du tout loin et tu y parviendras, car les intermédiaires ne sont pas nombreux. Considères donc, en cette âme divine comme la partie la plus divine, celle qui est voisine de l’être supérieur après lequel et duquel vient l’âme : car... elle est une image de l’Intelligence ; comme la parole exprimée est l’ image du verbe intérieur à l’ âme, ainsi elle est le verbe de l’Intelligence et l’activité selon laquelle l’Intelligence émet la vie pour faire subsister les autres êtres : comme dans le feu il y a chaleur qui est en lui et celle qu’il fournit aux autre choses.” Plotin, Ennéades
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Platon bénéficie d’un privilège bien particulier aux yeux des théologiens des premiers siècles, lui “le philosophe” et “le plus théologien de tous les Grecs”. Ainsi par “platonisme”, on entend habituellement désigner la doctrine du maître et l’ensemble des systèmes philosophiques de ses innombrables successeurs. On distingue généralement quatre grandes branches du “platonisme” : celui de Platon lui-même, celui des débuts de l’ère chrétienne, celui de Plotin et enfin celui des successeurs de Plotin. On désignera d’ailleurs de nombreuses écoles philosophiques sous ce terme générique qui peut recouvrer les pensées les plus doverses. Augustin lui-même l’utilise pour désigner tous les philosophes spiritualistes de l’Antiquité, un modèle de philosophe plus qu’une pensée à la définition rigoureuse. Il nous fournit une claire définition de ce que recouvre ce terme : “Tous les philosophes, quels qu’ils soient, qui ont reconnu dans le Dieu suprême et véritable l’auteur de la création, la lumière de la connaissance, le bien et le mal, celui qui est pour nous le principe de la nature, la vérité de la doctrine et la félicité de la vie -soit que, selon la dénomination la plus convenable, on appelle platoniciens ces philosophes, soit qu’on donne à leur groupe n’importe quel autre nom, soit que cette doctrine reste l’apanage de l’école ionienne, et encore de ses maîtres les plus remarquables, tels précisément Platon et ceux qui l’ont bien compris, soit qu’elle s’étende à l’école italique à cause de Pythagore, des pythagoriciens et de tous ceux de la même origine qui ont pu partager les mêmes idées, soit quôn élargisse encore jusqu’à ceux qui, parmis les autres peuples comptant des sages ou des philosophes (...) tous ces philosophes, nous les plaçons au-dessus des autres et nous les déclarons spécialement proches de nous”.

Platon et ses successeurs

Il convient de noter que l’intégralité du système platonicien ne retient pas l’attention des premiers docteurs de l’église chrétienne, seul compte en effet ce qui est en rapport avec la religion. Chez Platon, on la trouve dans la nature même de la philosophie, que ce soit la théorie des idées, la dialectique, la vie de l’âme ou bien sur la question de Dieu. Platon fixe clairement les conditions pour atteindre le vrai bonheur, il faut posséder la vérité ; tel est le but de la philosophie. Il précise même dans La République ce que sont les vrais philosophes : “ce sont les amants de la vérité, qui cherchent à la contempler”. L’homme doit s’élever au-dessus du monde matériel pour contempler les réalités supérieures, aimer le Beau et faire le Bien. le monde matériel est une sorte d’image du monde intelligible, vers lequel nous pouvons nous élever. Cette conception de la philosophie séduit, on l’imagine aisément, les premiers lecteurs chrétiens de Platon qui l’assimilent facilement à la vie chrétienne.
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“Ce livre (l’Hortensius) changera mes sentiments et, m’orientant vers Toi, Seigneur, il changea mes prières et rendit tout autres mes voeux et mes désirs. Vile devint pour moi soudain toute vaine espérence ; c’est l’immortalité de la Sagesse que je convoitais dans un bouillonnement de coeur incroyable, et j’avais commencé à me relever pour revenir vers Toi.”
Saint Augustin, Confessions
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Le Dieu de Platon se situe sans ambiguïté dans le monde intelligible dont il est le soleil et dans l’unité. Il est intelligible, immortel, indissoluble et éternellement identique, cause de toute perfection, de tout être et de toute connaissance. Il est le Bien Suprême. Ce Dieu platonicien est un démiurge qui a ordonné la massa chaotique du monde. Les théologiens virent d’ailleurs dans le Timée une grande analogie avec le récit de la Genèse. Il faut cependant noter que le Dieu de Platon ne crée pas ex nihilo mais ordonne une matière informe présente dès l’origine. L’âme occupe une place capitale dans la philosophie platonicienne, car ses fonctions supérieures lui permettent d’être relié au monde intelligible, et doncde s’élever vers le divin. Cette notion implique, bien entendu, une immortalité de l’âme qui a suscité le grand intérêt des lecteurs chrétiens.
Toutefois les successeurs de Platon vont rapidement apporter de profondes évolutions à la pensée de leur maître, souvent dues à l’imprécision de certaines de ses théories ou à l’usage de mythe trop facilement interprétables. Plusieurs personnages auront une importance majeure dans la transformation de la doctrine platonicienne comme Antiochus d’Ascalon qui tentera de réaliser un syncrétisme quelque peu domageable entre platonisme, péripatétisme et stoïcisme ou Posidonius d’Apamée marqué de tendances mystiques et stoïcistes. Les juifs alexandrins joueront aussi un rôle capital dans la transmission de cette pensée. Philon d’Alexandrie interprétera les textes bibliques à la lumière d’une doctrine fortement marqué de platonisme qui jouera un rôle important dans la transmission des idées platoniciennes vers le monde chrétien. De nombreux penseurs ont d’ailleurs voulu dégager de platonisme une doctrine répondant au besoin religieux, c’est un mouvement appelé “platonisme moyen” représenté par des auteurs comme Plutarque, Apulée ou Atticus.
Avec Plotin, s’amorce un des plus importants moments de l’évolution du platonisme. L’un des aspects fondamentaux de sa doctrine repose sur la systématisation des rapports de l’Un et du Multiple. Plotin explique qu’au-dessus du multiple, il y a l’Un et croit en une intelligence suprême, lieu des idées, soleil du monde intelligible. L’intelligence même implique un contenu : nous sommes donc en présence d’une coéxistence d’intellect et d’intelligible. Comme l’unité est première, la pluralité provient de l’unité et lui est postérieure : ainsi il y a au-dessus de la pensée une Unité pure qui est un premier Principe. L’Un est donc inconcevable, indicible et transcendant : il est au-dessus de l’intelligence et de l’être. L’Un est distinct des choses qui dépendent de lui, cependant la multitude forme un tout, tous les êtres sont en quelque sorte liés par leur origine commune. Au sein de ce tout on distingue cependant différents degrés. On va ainsi de l’Un absolu é la multiplicité pure en passant par d’innombrables intermédiaires dans le monde intelligible, le monde des âmes, le monde sensible. Ces idées séduiront les théologiens et s’ancreront durablement dans la pensée chrétienne. Elles serviront d’aileurs de base aux tentatives ultérieures de preuves de l’existence de Dieu.
L’ultime transformation du platonisme se fera après la mort de Plotin, avec Jamblique qui marquera le basculement dans un complet syncrétisme polythéiste. Il subsistera sous une forme particulièrement prosélyte, imprégnée de théurie et de pratiques magiques. Augustin le dénoncera formellement dans La Cité de Dieu.

Un platonisme chrétien?

Le platonisme mêle des réalités très distinctes, plus ou moins éloignées du modèle platonicien originel. Le platonisme que connaissent les penseurs chrétiens est déjà un néo-platonisme. De forts liens l’unissent néanmoins à la pensée chrétienne des premiers siècles, on parle même de “platonisme chrétien” bien que cette notion nécessite d’être traitée avec circonspection. On comprend cependant que le platonisme ait eu un rôle fondamental dans l’histoire du christianisme au regard de sa grande proximité avec certains grands thèmes chrétiens. Augustin l’illustre fort bien par un passage de La Cité de Dieu dans lequel il constate une analogie entre Platon et Moîse, éclairée à l’aide de l’Epître aux romains : “Ce qu’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste : Dieu en effet le leur a manifesté. Ce qu’il y a d’invisible depuis la création du monde se laisse voir à l’intelligence à travers ses oeuvres, son éternelle puissance et sa divinité”.
Pour Augustin, Dieu est le Souverain Bien. Les platoniciens l’ont parfaitement compris mais n’ont su l’annoncer au monde. Il leur a manqué la parole d’un Dieu Crucifié, Jésus-Christ. Dans le livre VII des Confessions , Augustin révèle que lorsqu’il compare les écrits de Plotin avec le Prologue de saint Jean, la grande proximité qui existe entre les textes lui saute aux yeux. Pour Augustin, le Prologue de jean est une affirmation de la vision du monde platonicien : on y voit la lumière de Dieu illuminant les ténèbres afin de ramener le monde vers des sphères plus élevées.

Le reproche fondamental que le christianisme fait finalement au néo-platonisme réside alors dans l’absence de reconnaissance de l’incarnation du Christ. En effet, la problématique du “Verbe fait chair” ne se trouve nulle part chez Plotin ou les autres platoniciens. C’est une distinction fondamentale qui s’établit entre les deux doctrines. Pour un platonicien, l’idée d’une révélation unique dans le cadre d’une existence précise est parfaitement incompatible avec l’invariabilité divine et l’opération universelle de la providence dans le cosmos. De plus, les platoniciens, conçoivent le temps d’une façon cyclique, non-linéaire qui récuse le fondement même d’une idée eschatologique.

On comprend bien que la proximité des deux doctrines ne doivent pas faire oublier leurs oppositions. Les chrétiens des premiers siècles ont hérité d’une culture classique et hellenistique qui les place en filliation directe de Platon. Il n’est donc pas surprenant de constater de fortes similarités sur leurs conceptions globales de Dieu et du monde. Les Pères de l’Eglise ont utilisé le platonisme au service de la pensée chrétienne, Augustin en est sur ce point l’exemple parfait. On l’utilise aussi bien pour désigner Origène, que la doctrine trinitaire ou le combat contre l’arianisme. La notion de “platonisme chrétien” regroupe alors une réalité difficile à discerner qui s’illustre remarquablement chez l’évêque d’Hippone.

Le platonisme de Saint Augustin

Augustin est un grand connaisseur de la philosophie. Il le prouve dans la Lettre à Dioscore en analysant les systèmes de pensée classique pour démontrer la supériorité de la doctrine chrétienne. C’est avec l’Hortensius de Cicéron (aujourd’hui disparu sauf quelques fragments) qu’il découvre la philosophie mais c’est avec Platon et le platonisme que s’épanouit sa pensée. On pense souvent qu’Augustin n’a pas eu accès à toute l’oeuvre de Platon, ne lisant sans doute pas le grec. la majorité de ses connaissances platoniciennes lui viennent très certainement du néo-platonisme de Plotin et de Porphyre qu’il a abordé avec Ambroise lors de son séjour à Milan. Pour le futur évêque d’Hippone, le néo-platonisme est une inspiration vers le christianisme. Il joue certainment un rôle important dans la part “intellectuelle” de sa conversion.
De nombreux thèmes néoplatoniciens influencent fortement la pensée d’Augustin, comme le temps ou la création dumonde. C’est sur la question de la Trinité que l’on peut se pencher avec intérêt. Le débat sur ce point est d’ailleurs très instructif avec les tenants du platonisme car la conception chrétienne leur semble souvent inepte. Contre Arius ou Sabellius, les hérésies trinitaires sont nombreuses à l’époque, Augustin entreprend de montrer qu’il est possible de penser la Trinité. Il prend pour exemple la nature humaine qui est “être, savoir et vouloir”. La Trinité est alors faite de relation et non de substances. Une Trinité au sommet de la hiérarchie de l’être n’est plus sujette à controverse pour les platoniciens, Plotin et Porphyre ayant déjà abordé la chose sans toutefois le secours de la foi.

L’intérêt qu’Augustin porte au platonisme ne l’empêche cependant pas de lui faire quelques importants reproches. La dialectique platonicienne appliquée à la pensée chrétienne peut vite devenir dangereuse. Ansi la mystique platonocienne peut elle faire l’économie de la grâce puisque c’est la nature spirituelle de l’âme humaine qui la rend proche de Dieu. Dans le livre VII des Confessions , Augustin accuse les platoniciens d’avoir ignoré la misère morale de l’homme dont le Christ est libérateur, tout autant que le péché et son repentir. La question de l’Incarnation reste donc cruciale, comme nous l’avons évoqué précédemment. Le néoplatonisme, comme le manichéisme d’ailleurs, ne peut accepter un Christ “procédent” de Dieu. Porphyre, dans La philosophie des oracles parle du Christ comme “le plus pieux des hommes”. Il ajoute ensuite : “son âme est retournée dans sa demeure céleste ; mais ses disciples ont eu tort de (...) faire de leur Sauveur l’objet d’une vraie adoration”.

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“Si nous avons l’âme éternelle et divine, nous devons penser que plus un homme aura agi sans se détourner de sa voie, c’est-à-dire d’approfondire ses recherches, et moins il se sera mêlé et aura pris part aux vices et aux égarements des hommes, plus l’ascention et le retour au ciel lui seront facile”
Cicéron, Hortensius
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Le platonisme, si important dans la formation et la conversion d’Augustin, tient une place fondamentale dans son oeuvre. Toutefois, il est juste lorsqu’il n’entre pas en contradiction avec la doctrine chrétienne, il l’explique sans la contredire. Platon n’est qu’un étape qui précède le Christ, il est “le plus sage des hommes de son temps”. Dans le De Vera Religione, Augustin imagine un dialogue avec Platon et ce dernier s’incline devant l’évènement du christianisme. Ainsi la “religion vraie” est antérieure à la philosophie : “En soi, la réalité qu’on appelle aujourd’hui religion chrétienne existait même chez les anciens, sans interruption depuis le début du genre humain jusqu’à l’incarnation du Christ ; mais c’est par suite de celle-ci que, déjà religion vraie, elle acquit l’appellation de chrétienne”. On doit ajouter : “ Une croyance et un enseignement essentiel pour le salut de l’homme, c’est que la philosophie, c’est-à-dire l’amour de la sagesse, n’est autre chose”. Il n’y a donc pas de déviation du christianisme dans un sens platonicien, un “platonisme chrétien”, mais bel et bien une évolution du platonisme vers le christianisme, un achèvement. F.F.

“Platon, pour disposer au christianisme:” Blaise Pascal

Bibliographies :

Arnou, Platonisme des Pères, Dictionnaire de théologie catholique, T. XIII

Boyer, Christianisme et néoplatonisme dans la formation de saint Augustin, Paris 1920

Courcelle, De Platon à saint Ambroise par Apulée, Revue de Philologie, 35, 1961 (p.15-28)

Madec, Petites études augustiniennes, “Le néoplatonisme dans la conversion d’Augustin”, 1994

Mayet, L’Histoire et le sens du platonisme chez saint Augustin, Tours, 1998

Plotin, Ennéades, coll. Budé, trad. Bréhier
Stephanopoulos
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Stephanopoulos, merci beaucoup pour ce document remarquable.
Stephanopoulos
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Message par Stephanopoulos »

Merci à toi Claude! Je voudrais aussi remercier toutes les personnes qui font un travail de recherche et qui enrichissent ce forum!

Petite paranthèse en guise d'information, je vais essayer d'obtenir, de la part d'un ami, la traduction en français du livre "Die Syro-Aramaïshe Lesart des Koran" de Christoph Luxenbourg: J'espère que ma démarche va aboutir!
Stephanopoulos
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Je dois répondre à une sollicitation de Claude.

Noture/surnature ? Grâce créée ? Filioque ? Hypostases ou relations d’amour au sein de la Trinité ? Mono-fonctionnalité des “sacrements” ou Mystère intégral de l’Église ? J’avoue que je ne sais pas où il faut chercher l’origine profonde de “l’exception latine” - j’entends l’exception par rapport à l’unique sagesse et à l’unique civilisation potentiellement universelle qu’est l’Orthodoxie. Je me suis souvent posé la question. Je suis en tout cas convaincu qu’elle est bien antérieure au Filioque, a fortiori à la prise du pouvoir dans l’Église d’Occident par un complot papisto-carolingien. Il s’agit d’un complexe ontologico-théologique à la fois très vaste et très profond, et probablement très ancien.

Je propose de chercher des éléments de solution dans une trop faible rupture de l’Occident entre le passé païen et la Révélation chrétienne. L’Orient helléphone a dû renier, très difficilement, la philosophie païenne pour devenir chrétien, et si difficilement qu’il a été longtemps déchiré par des hérésies christologiques et triadologiques, puis sotériologiques. Mais une fois cette rupture acquise il n’y eut plus guère de tentative de synthèse.

L’Occident chrétien présentait à lépoque un tableau apparemment plus stable et plus serein (saint Basile a longtemps souhaité que les évêques occidentaux interviennent pour rétablir l’unité de la foi en Orient, car il les trouvait plus fermes et plus unis). Mais n’était-ce pas là une illusion due à une plus facile continuité des structures sociales antiques prolongées dans les structures de l’Empire chrétien. Constantin, qui avait régné à Paris avant de prendre le pouvoir à Rome avait expérimenté une réconciliation discrète du christianisme et de l’Empire en Gaule avant de l’officialiser universellement.

Il est frappant de voir combien le souci de la cohérence sociétale a marqué l’Occident latin. Daniélou avait montré qu’alors que la chrétienté hellénophone avait formé un vocabulaire chrétien issu de registres très divers (depuis la langue des commerçants et artisans jusqu’à celle des philosophes, sans oublier les emprunts sémitiques), le christianisme latin a utilisé exclusivement un vocabulaire emprunté au droit.

Évidemment Augustin, qui a sans doute été un des plus grands génies littéraires de la langue latine, a profondément marqué cette évolution, en interprétant la Révélation en termes d’expérience personnelle intérieure et inter-personnelle. On voit encore de nos jours tout le poids de la réduction du salut à des états d’âme.

Et on a eu une synthèse catastrophique entre théologie et rationalisme avec la scolastique.

À mon avis le christianisme latin a souffert d’être une construction un peu hâtive et superficielle. Jusqu’au IIIème siècle il y a des Pères latins. Après il y a encore de grands évêques et des ascètes héroïques, mais plus de théologiens marquants.

Que je suis présomptueux d’oser parler ainsi !
Jean-Louis Palierne
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Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

L’occident christianisé a-t-il moins rompu que l’orient (nous parlons toujours des divisions de l’empire romain) avec son passé païen ? La question est très intéressante mais je ne pense pas qu’on puisse lui donner une réponse simpliste.

Tout d’abord, qu’entend-on par passé païen ? Jean Louis nous parle des liens de l’orient hellénophone avec « la philosophie païenne » : il s’agit surtout du platonisme, de Plotin et dans une moindre mesure d’Aristote. En occident, à Rome en particulier mais aussi dans le sud des Gaules, la philosophie, c’est plutôt Lucrèce, Epicure et les stoïciens. Le néo-platonisme n’a effectivement pris ni dans la capitale impériale, ni en Gaules, ni en Grande Bretagne. Mais le néo-platonisme, dans l’empire d’orient, n’est pas vraiment un « passé ». Il vient à peine de s’imposer à Alexandrie et, de là, de rayonner sur la Grèce et l’Asie hellénistiques lorsque le Christ s’incarne. L’Eglise et la philosophie qui sera sa tentation conceptuelle durant plusieurs siècles ont poussé ensemble (comme le bon grain et l’ivraie de la parabole ?), Plotin est le cadet d’Origène et l’on sait qu’ils eurent le même maître, cet Ammonios Sakkas qui semble avoir été, pour sa part, formé au Vedanta. C’est sans doute cette contemporanéité, le fait que les concepts étaient « dans l’air » qui a rendu si difficile pour l’Eglise hellénophone de s’en dégager.
Toutefois, l’occident latinophone n’est pas resté aussi étranger qu’on veut nous le faire croire aux débats de langue grecque.
Tout d’abord, il n’y a pas de frontières infranchissables, les hommes et les idées voyagent. Jérôme, qui va retraduire la Bible en latin, vit à Jérusalem. Jean Cassien qui introduit le monachisme en Gaules va d’abord faire la « tournée des popotes » monastiques en Grèce, en Palestine, en Egypte. Athanase exilé à Trêves rencontre les évêques du nord des Gaules… Hilaire sera, lui, exilé en orient. Enfin, si le grec est la langue de culture (y compris à Rome et dans le sud des Gaules), le latin reste la langue administrative y compris en orient au moins jusqu’au dernier partage entre Honorius et Arcadius. Les gens cultivés sont bilingues, parfois même trilingues s’ils vivent dans une région dont la langue locale est restée vivace ; les gens du peuple sont également bilingues ou trilingues mais parlent le grec simplifié de la koiné ou ce qu’on qualifiera plus tard de latin de cuisine en plus de leur dialecte maternel.
La querelle entre Augustin et Pélage sur la grâce témoigne aussi d’une difficulté à s’abstraire de la pensée païenne. On sait qu’Augustin était très marqué par le platonisme – mais on ne comprend rien à Pélage si l’on n’a pas en tête la pensée celtique, les restes vivaces du druidisme en Grande Bretagne. Cette querelle, qui s’inscrit parfaitement dans la problématique des grandes questions christologiques qui sont aussi des questions anthropologiques, est en fait le choc de deux visions du monde païennes que l’on pourrait, en dernière analyse, ramener aux deux grandes tendances de la philosophie présocratique, Parménide se prolongeant dans Plotin (Augustin) et Héraclite dans le sens celtique de l’impermanence (Pélage). Face à ces deux erreurs, l’orthodoxie est représentée par saint Vincent de Lérins, le premier à avoir employé le terme de synergie divino-humaine.
On ne peut pas généraliser à toute l’antiquité tardive la remarque de saint Basile sur les évêques des Gaules. Des conciles comme Bordeaux 384 contre les Priscillianiens, Arles 475 versus Orange 529 sur cette question de la grâce et son corollaire la prédestination, montrent bien que les débats pouvaient être aussi âpres.
D’autre part, puisque j’ai évoqué Priscillien, le paganisme contemporain contre lequel devait lutter l’Eglise au sud des Gaules, c’était tout particulièrement le culte d’Isis, à la fois culte à mystère élitiste et dévotion populaire. Etrangement car il s’agissait plutôt d’un monisme à coloration féminine, du culte d’une divinité aussi maternelle qu’englobante, version matricielle de l’Un plotinien, cette omniprésence d’Isis semble avoir favorisé (en réaction ?) le retour sporadique du gnosticisme et d’un dualisme plus ou moins radical.
Et là, effectivement, on touche peut-être un problème spécifique à l’occident. Pendant que l’orient avançait dans l’accouchement difficile d’une christologie réellement orthodoxe, les évêques des Gaules, d’Espagne et du nord ouest de l’Italie devaient faire face depuis la fin du IVe siècle et plus encore au Ve au retour en masse d’hérésies autrefois extirpées de l’empire ainsi qu’à des formes archaïques de paganisme, inconnues depuis des siècles. Les peuples germaniques qui déferlaient les uns après les autres professaient soit un arianisme qui, je pense l’avoir montré dans mon post sur Wulfila, n’avait rien de modéré, soit le culte odiniste, mélange de chamanisme et de sens tribal du destin sur fond de mythologie joyeusement tragique dont il faut quand même rappeler qu’on y pratiquait encore le sacrifice humain abandonné en Grèce depuis un millénaire au moins. Ce retour des vieilles doctrines ou pratiques a sans doute éloigné les évêques d’occident du débat en cours en orient, afin de faire face à ce qui leur débaroulait sur le dos et avec quelle violence ! Or face à l’arianisme, les argumentaires étaient affûtés, il s’agissait de redites. Face au paganisme archaïque, comment retrouver une capacité missionnaire ? La tentation n’était plus conceptuelle mais ritualiste. Dans ce contexte, en Irlande, la Vie tripartite de saint Patrick nous montre un véritable concours de magie entre le saint évêque et les druides du roi Loeghaire. C’est plus ou moins calqué sur le duel entre Elie et les prêtres de Baal, mais avec des éléments à frémir lorsqu’on voit que la victime potentielle serait… le premier disciple de Patrick face à l’assistant du druide en chef. Convaincre les barbares païens que la liturgie chrétienne est plus salvatrice que les sacrifices à Odin. Convaincre par le miracle, guérison ou signe.
Le vocabulaire latin de la théologie. A Rome, il ne pouvait être que juridique car tout était juridique. L’ancien paganisme n’avait que des rites et du droit, pas un seul mythe – ils ont tardivement tout piqué aux Grecs. En Gaules ? Prenons le terme de synergie lancé par saint Vincent de Lérins, il ne fait pas partie des effets de toge au prétoire ! En Afrique, Augustin n’est pas tant juridique que philosophe. Hilaire de Poitiers, juridique ?
Le problème, c’est que les textes des évêques des Gaules avant l’époque carolingienne, à de rares exceptions près qui touchent le plus souvent à Lérins, sont perdus. Les historiens des XVIIe et XVIIIe siècles qui ont réussi à sauver quelques manuscrits les ont retrouvés parfois dans des conditions rocambolesques. Dom Martène et dom Durand, dans leur Voyage en Italie si ma mémoire est bonne, racontent comment ils ont retrouvé une version du texte perdu de Grégoire de Tours, son Histoire des Francs, dans un petit monastère bressan : les pages décousues servaient à couvrir les pots de confiture. Mais les textes écrits sur papyrus avant les conquêtes de Clovis et jamais recopiés sur parchemin ne risquaient pas de survivre sous notre climat bien humide et bien océanique !
Cohérence sociétale. Elle a toujours été le souci des empereurs et des rois. Constantin a tout de même réuni le concile de Nicée pour « définir la foi de l’empire ». Pas de l’Eglise, de l’empire. La liste des empereurs promulguant avant tout concile des textes « de réconciliation » qui n’ont jamais réconcilié personne (comme l’Ekthésis), des anathèmes (Justinien contre Origène), des diktat théologiques (Léon contre les icônes) est assez longuette. Lorsque Clovis convoque en concile les évêques de son royaume, Orléans 511, son but est explicitement de mettre noir sur blanc les règles de discipline de l’Eglise et de les accorder aux autres lois du royaume mais il suit d’illustres modèles.
La cohérence sociétale a-t-elle été le premier souci des évêques d’occident ? La question se pose. Je ne prétend pas la résoudre. Il est évident que ceux des Gaules ont étroitement collaboré avec les rois francs, et de même en Espagne avec le pouvoir wisigoth.
Jean Louis a tout à fait raison de souligner que Constantin a « réconcilié » empire et christianisme lorsqu’il régnait en Gaules. Il me semble évident depuis des années que Constantin n’a jamais abandonné le projet totalitaire de Dioclétien, faire naître un « homme nouveau » grâce à l’empire régénéré devenant creuset régénérateur. Dioclétien voulait cet homme « solaire » et voyait dans le christianisme son principal adversaire doctrinal. Mais l’expression « homme nouveau » existait aussi dans l’enseignement chrétien. A rebours de Dioclétien mais dans le même but, Constantin a misé sur l’Eglise. Et au lieu de l’édifice somptueusement ordonné dont il rêvait et que tous ses textes conservés nous évoquent, il s’est retrouvé face à la crise donatiste en Afrique (latinophone) puis la crise arienne presque dès qu’il a récupéré l’empire d’orient (hellénophone). Sa décision de convoquer les évêques d’occident, latinophones, en Arles 314 pour résoudre la crise donatiste puis ceux d’orient, hellénophones, à Nicée 325 pour résoudre la crise arienne a sans doute ouvert le temps des grands conciles impériaux considérés ensuite comme œcuméniques ; mais force est quand même de noter que, si les évêques d’occident n’ont pas paru à Nicée ni les évêques d’orient en Arles, ce n’est pas par désintérêt pour la question mais parce que l’empereur ne les avait pas convoqués. Pas plus qu’il n’avait appelé les évêques présents hors des frontières de l’empire, ceux des royaumes arabes, de Perse et de la route de la soie, alors qu’il s’agissait d’une question dogmatique de première importance, rien d’autre à Nicée que la divinité de Jésus Christ, excusez du peu ! Mais que ces chrétiens de l’extérieur soient ou non en communion avec les évêques de l’empire, Constantin n’en avait rien à faire : c’était l’empire qui devait être le creuset de l’homme nouveau. Alors un souci de cohérence sociétale, oui, certes. Mais c’était celui de Constantin – pas de l’Eglise. Du point de vue sociétal, Nicée n’a rien résolu, la crise s’est exacerbée après. Et les évêques des Gaules laissés sur la touche lors de la convocation impériale furent les plus sûrs soutiens de l’orthodoxie, du terme homoousios qui n’était pourtant pas juridique et de saint Athanase. Vu le prix d’exil que les plus en vue ont payé, je ne pense pas qu’on puisse les accuser d’avoir mis la cohérence sociétale au dessus du dogme à cette époque.
Plus tard, au moment des guerres civiles pour l’empire d’occident, après le passage sanglant des Vandales, l’installation des Wisigoths vers Toulouse, des Francs en Belgique première et seconde, d’Aetius dans le reste des Gaules, du pillage de Rome en 410 par les Ostrogoths, des grandes chevauchées d’Attila, il est certain que les évêques ont eu à cœur aussi la protection temporelle de leurs cités, surtout quand les autorités municipales s’étaient effondrées. On ne pouvait pas laisser pourrir les morts sur place ni les survivants mourir de faim. Dans les territoires revendiqués par les Goths ariens, c’est le temps des martyrs qui revenait, du moins dans les premières années, mais les Goths avaient des notions de droit assez élaborées et reprenaient les structures administratives impériales sans problème. Dans les territoires tenus par les Francs, disons que leurs notions juridiques étaient plus frustes et qu’il fallait une certaine pédagogie pour les romaniser en partie.
Les évêques ont-ils alors complètement décroché du débat christologique qui se poursuivait en grec dans un empire d’orient pourtant lui aussi battu d’invasions successives mais qui a mieux tenu ? Au nord des Gaules, c’est probable, au moins temporairement. Au sud des Gaules et en Italie, en Illyrie ou en Rhétie, ils n’ont pas décroché – mais en dehors du patriarche romain, ont-ils été convoqués aux grands conciles ? C’est selon. Selon en particulier la force de l’empire et l’attention qu’il portait à ses provinces latinophones.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Vincenzo
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Message par Vincenzo »

Ce n'est pas à proprement parler une réponse à la question initiale, mais voilà qu'un ami me transmet le texte suivant de Pline le Jeune.

J'en traduis le passages suivant du texte anglais (voir ci-dessous) :

"Ils [les chrétiens] avaient pour habitude de ... prêter entre eux
serment solennel de ne rien faire de vilain, de ne jamais
commettre de fraude, de vol ou d'adultère, de ne jamais
raconter de bobards, et de ne jamais trahir une confidence
lorsqu'ils seraient appelés à la délivrer ..."

"Ne jamais raconter de bobards" ... j'ai pensé que c'était bien trouvé pour un forum ...

:)

Vincenzo



http://www.probe.org/content/view/18/77/

They were in the habit of meeting on a certain fixed day before it was light, when they sang in alternate verses a hymn to Christ, as to a god, and bound themselves by a solemn oath, not to any wicked deeds, but never to commit any fraud, theft or adultery, never to falsify their word, nor deny a trust when they should be called upon to deliver it up; after which it was their custom to separate, and then reassemble to partake of food--but food of an ordinary and innocent kind.{10}
hilaire
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Message par hilaire »

Christ est ressuscité !

Cher Vincenzo, lorsque vous dites :

"Ne jamais raconter de bobards" ... j'ai pensé que c'était bien trouvé pour un forum ...

vous voulez dire quoi exactement ?

parce que votre traduction est somme toute assez approximative.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

hilaire a écrit :Christ est ressuscité !

Cher Vincenzo, lorsque vous dites :

"Ne jamais raconter de bobards" ... j'ai pensé que c'était bien trouvé pour un forum ...

vous voulez dire quoi exactement ?

parce que votre traduction est somme toute assez approximative.
A part le fait que je ne vois pas le rapport entre le message de Vincenzo et le sujet du fil (prémonitions des philosophes grecs à propos du Christ), la traduction qui nous est proposée est plus qu'approximative. Elle est erronée.

D'abord parce que la traduction de l'anglais vers le français est fausse. "Bobards", en anglais, se dit tall stories; j'aurais encore compris une traduction par "ne pas raconter de bobards" s'il s'était agi d'un "not to tell lies". Mais il est question de "not to falsifiy their word". "My word", c'est "ma parole"; la traduction correcte, ce serait "ne pas faire de faux serments", ou "tenir sa parole", ou "tenir ses engagements", en aucun cas "ne pas raconter des bobards".

Ensuite, ce texte peut difficilement être compris comme un témoignage de Pline en faveur des chrétiens. Il s'agit d'un extrait de la lettre de Pline, alors gouverneur de Bithynie, à l'empereur Trajan, où Pline rapporte les déclarations faites par des chrétiens arrêtés et confirmées sous la torture par deux filles esclaves qui étaient probablement des diaconesses. C'est à cette lettre que Trajan a répondu par un célèbre rescrit déclarant que le christianisme resterait religion illicite, mais que l'on ne le pourchasserait pas activement.

Enfin et surtout, c'est bien la première fois que je vois Pline traduit vers le français à partir de l'anglais. D'abord, il est absurde de traduire un auteur latin en français à partir de l'anglais. Ensuite, les traductions au carré comprennent toujours un risque d'erreur... au carré. Enfin, je me méfie des traductions anglaises. Quand j'étais enfant et que je lisais le petit livre illustré de la collection Ladybird Books sur Rome (Great Civilisations Rome, de Clarence Greig, illustrations de Jorge Nunez, Ladybird Books, Loughborough 1974 - publié un an avant ma naissance mais qu'on m'a offert quand j'avais dix ou onze ans - p. 40), ce passage de Pline était reproduit dans une traduction où on mentionnait que les deux filles esclaves interrogées étaient des "Christian priestesses", des prêtresses chrétiennes (sic), tout simplement parce que le traducteur était probablement un anglican ou un protestant favorable à l'ordination des femmes...
Je suis quand même allé chercher le texte latin pour vérifier la traduction anglaise. Je n'ai pas eu à chercher trop loin, car le texte latin est reproduit sur internet à l'adresse http://www.educnet.education.fr/musagor ... textes.htm ; je rappelle encore une fois qu'il ne s'agit pas de l'opinion de Pline, mais d'un rapport que le fonctionnaire Pline fait à son supérieur où il reproduit des déclarations faites sous la torture. Voici le passage pertinent de cette lettre de Pline (Lettres,X, 96):

Affirmabant autem hanc fuisse summam uel culpae suae uel erroris, quod essent soliti stato die ante lucem conuenire, carmenque Christo quasi deo dicere secum inuicem seque sacramento non in scelus aliquod obstringere, sed ne furta ne latrocinia ne adulteria committerent, ne fidem fallerent, ne depositum appellati abnegarent. Quibus peractis morem sibi discedendi fuisse rursusque coeundi ad capiendum cibum, promiscuum tamen et innoxium; quod ipsum facere desisse post edictum meum, quo secundum mandata tua hetaerias esse uetueram. Quo magis necessarium credidi ex duabus ancillis, quae ministrae dicebantur, quid esset ueri, et per tormenta quaerere. Nihil aliud inueni quam superstitionem prauam et immodicam.

J'ai souligné le passage qui est traduit en anglais dans le texte que nous a rapporté Vincenzo. On notera que cette traduction anglaise coupe le "affirmabant autem", de telle sorte que le lecteur ne peut que croire que Pline rapporte ce qu'il a vu, alors qu'il rapporte le témoignage d'autrui (des chrétiens inculpés, dont les déclarations seront confirmées par celles des deux ancillae dont il est question à la fin). En clair, par ce seul choix de présentation, cette traduction anglaise me semble relever d'une subtile désinformation.

On notera au passage que Pline les qualifie de ministrae, c'est-à-dire de servantes (du culte), c'est-à-dire de diaconnesses; s'il avait voulu parler de prêtres, il aurait utilisé un mot comme sacerdotes ou antistitae. On voit à quel point la traduction anglaise publiée dans le livre pour enfants de la collection Ladybird cité plus haut sollicitait le texte latin pour faire accroire qu'il y aurait eu, à un moment ou à un autre, un sacerdoce des femmes dans l'Eglise.

Enfin, chacun peut constater que le mot latin est bien "sacramentum", c'est-à-dire le serment. Sur ce point, la traduction anglaise est donc bien correcte, et c'est la traduction de l'anglais vers le français par Vincenzo qui est fausse.

La phrase veut ainsi dire "ils s'engagaient à respecter leur serment", pas "à ne jamais raconter de bobards". Ce n'est pas la même chose, et ce n'est pas si bien trouvé pour un forum, internet n'étant pas le lieu des grands engagements solennels. D'autant plus que, si l'on peut toujours lui dire la vérité, je vois mal comment on peut faire un serment à un pseudo sur un forum...
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