Désintérêt des chrétiens pour la science ?

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Anne Geneviève
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Désintérêt des chrétiens pour la science ?

Message par Anne Geneviève »

Devant le peu de succès sur notre forum des questions de bioéthique et des questions scientifiques en général, que j’ai pratiquement été seule à commenter, je m’interroge sur le pourquoi de ce désintérêt. Est-ce ma maladresse ? En ce cas qu’on me la pardonne et qu’on me reprenne. Mais j’ai eu la curiosité d’aller lire d’autres forums chrétiens en français – hérétiques évidemment mais ce n’est pas le sujet de ce post – et je me suis aperçue que, là aussi, les questions de bioéthique étaient posées mais quasiment pas discutées. Je ne comprends pas pourquoi ces questions ne font pas sens alors qu’elles touchent à des réalités aussi fondamentales que la transmission de la vie, la mort, l’intégrité de notre nature. Est-ce une question de langage ? Est-ce la peur de devenir moderniste en scrutant ce qui bouillonne à notre époque ? J’aimerais vraiment comprendre et je demande à tous pourquoi vous n’avez pas eu envie de commenter ces questions.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Irène
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Message par Irène »

Bien sûr que non, Anne Geneviève, je n'ai pas le sentiment que vous ayez commis une maladresse quelconque !

Je suis, personnellement, passionnée par les questions de bio-éthiques.
Mais j'ai le sentiment que nous n'avons pas notre mot à dire que les savants ne savent pas - et sauront pas - se contrôler. Que les gouvernants ne savent pas où ils vont et se disent que s'ils mettent des barrières, elles seront transgressées par le voisin. Alors, on ne sait jamais, on pourrait perdre un "marché" et on y va.

J'ai, dernièrement, lu dans un article qui ne traitait d'ailleurs pas de ce sujet, que dans un certain élevage, tous les taureaux étaient clonés !

Tout ce qui a été dit par l'Eglise de Grèce concernant la procréation médicalement assistée emporte ma totale adhésion ; et, même si l'on ne se plaçait pas du côté spirituel de l'être humain, même si l'on veut oublier son "âme", je trouve ces méthodes inhumaines et anormales. A proscrire totalement, à interdire.

Curieusement, voilà les même autorités tellement frileuses sur la question de l'euthanasie ; on parlerait peut-être moins de l'euthanasie si le corps médical jouait moins avec la vie humaine, prévoyait les conséquences de ses actes : si on poussait moins à vivre à tout prix, si on acceptait l'échéance "normale". De ce côté les conclusions de l'Eglise de Grèce ne peuvent être différentes mais ...

Il existe, ici en Suisse, un "testament biologique" respecté par les médecins dans lequel vous indiquez de façon formelle les techniques de réanimation ou de prolongation que vous refusez. Je pense que nulle autorité ne pourrait y redire.

Il existe également un "suicide médicalement assisté" qui se passe de la façon suivante : une personne condamnée qui ne supporte plus ses souffrances ou sa déchéance, décide de ne pas continuer. Le médecin traitant saisit l'organisme concerné qui rencontre la personne et prend acte de sa décision. Les autorités judiciaires sont informées ainsi que la police. La seule obligation - qui n'est en aucun cas transgressée - est que la personne boive elle-même la boisson létale.


Alors, là, bien sûr, hurlements de toutes parts : mais réfléchissons aux souffrances physiques d'une personne qui ne peut plus les supporter, réfléchissons aux souffrances morales d'une personne qui devient totalement dépendante et qui se retrouvera dans un établissement spécialisé. Sans chaleur humaine, sans sa famille. Car reconnaissons que c'est ainsi que cela se passe, le plus souvent.

Moi, personnellement, je ne me sens pas le droit de juger ; pas plus que je ne jugerai un médecin qui - au comble de la compassion - donnera un peu plus de morphine à la personne qui souffre.

Mais je suis d'accord avec la position officielle interdisant l'euthanasie surtout - comme le souligne si bien l'Eglise de Grèce - si l'on tient compte de la possibilité de coupler cette dernière avec le "don" d'organes.

J'en viens maintenant au document concernant - justement - le don d'organes. Les garde-fous proposés sont déjà contournées et risquent de l'être plus encore dans l'avenir.

L'Eglise de Grèce pèse peut-être d'un poids suffisant dans ce Pays pour être écoutée ; en Suisse, le peuple, le "souverain" a encore son mot à dire dans pas mal de domaines ; qui peut jouer ce rôle en France ?

Il me semble que le citoyens, dans leur ensemble, devraient prendre le soin de s'informer davantage de ces questions.

Je suis restée volontairement sur un plan très général.

Quand Antoine, ou Jean Louis auront le temps de nous faire un exposé plus théologique sur ces sujets, nous leur en serons très reconnaissants.
christianc
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Message par christianc »

Bonjour Anne Geneviève, je suis passionné aussi par ces sujets, les sujets de bio-éthique sont des sujets concrets, et pour échanger sereinement il faudrait des "cas" concrets soient soumis.

L'éthique est une discipline rigoureuse et ardue....
jaune
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Message par jaune »

Anne Geneviève,ce n'est pour ma part pas le manque d'intêret qui ne me fit pas repondre;mais mon abscence à ce jour d'initiation orthodoxe.
Je ne connais que de loin la sagesse Chrétienne Orthodoxe et sa vision de l'homme.
Pas même catéchuméne,mes propos balbutiant n'enrichiront pas le débat(au demeurant trés intéressant).

Mes réves de gosse furent mélés de cyborgs,manipulations et autres joyeusetés.
C'est curieux, mais les avancées prodigieuses de la science ne me surprenne pas.C'est fatal à mes yeux,l'iniquité ira grandissante.

Je laisse sans inquiétude le fin mot de l'affaire à ceux qui tutoie l'Alpha et l'Oméga,les théophores ,eux qui tranchent net et fracassent le crâne livide des enfant de babylone.Ils sauront nous éclairer,je n'en doute pas.
olivier gerard
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science

Message par olivier gerard »

Chere Anne Genevieve,

je te demande pardon de n'avoir rapidement repondu à ton dernier message (sur le temps). je voulais. mais j'ai eut une apprehension pour vous repondre, pas par desinteret! au contraire: vos remarques etaient tres justes et pertinentes, du coup j'ai tagiversé: j'écris et j'envois pas...

moi j'aime la science ET l'orthodoxie.
merci pour vos remarques.
et à bientôt.
olivier.
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Chère Irène,

Bien entendu, il ne s’agit pas de juger les personnes. Dieu seul sonde les reins et les cœurs, on ne le répétera jamais assez.

Le « suicide médicalement assisté » me paraît tout de même très dangereux. Il peut y avoir des moments où quelqu’un touche le fond puis, au bout d’un temps, trouve une sorte de second souffle. Là, c’est une compassion qui rend irrémédiable ce qui se passe au fond de la déréliction. Si la mort était l’anéantissement, on pourrait à la rigueur l’accepter. Mais que se passe-t-il pour l’âme qui franchit le seuil dans cet état ? Quels risques encourt-elle ? Et cela sans parler des risques de dérive à terme, de pressions de l’entourage par exemple. Voire d’une fausse compassion sociale pour boucher le trou de la sécu… Je suis plutôt soulagée que ça n’existe pas en France.

Qui peut jouer un rôle en France et surtout auprès de la Commission Européenne qu’il ne faut pas oublier vu ses capacités de réglementation, pour éclairer les décideurs ? C’est très simple : des lobbies, des think tanks et les médias. Surtout les médias mais ils sont influençables plus qu’on ne le pense. Ce n’est sans doute pas le rôle de l’AEOF mais c’est un travail que des laïcs pourraient parfaitement entreprendre à partir de positions clairement prises par l’AEOF comme elles l’ont été par l’Eglise de Grèce.

J’ai fait un peu le tour des sites orthodoxes sur cette question. Aujourd’hui, il semble que tous les instituts de théologie aient un cours de bioéthique, sauf Saint-Serge (?). Mais, en dehors des initiatives de l’Eglise de Grèce et d’un colloque à Paris il y a quelques années, le silence est assourdissant du côté des saints synodes.

Or ce n’est pas dans vingt ans qu’il faudra se réveiller. Voici ce que je lis dans le quotidien gratuit Métro du 9 juin 2006 :
Harvard se lance dans le clonage.
L’université de Harvard a annoncé officiellement hier avoir commencé à cloner des embryons humains dans le cadre des recherches sur les cellules souches. Cette décision a suscité la polémique, ses défenseurs arguant que ces expérimentations permettront de sauver des vies tandis que les détracteurs dénoncent au contraire l’utilisation de vies humaines dans le processus. Le gouvernement fédéral ayant imposé de lourdes restrictions sur les recherches menées par l’université de Harvard, ces dernières sont financées par des institutions privées.
Dont acte. Quelles institutions privées ? Les habituels relais des militaires que sont le Batelle Memorial Institute, le Howard Hughes Medical Institute, les grandes banques ? Des donateurs privés comme l’un des Rockefeller ? Les grandes firmes pharmaceutiques détentrices de brevets ? Ou bien encore quelques uns de ces lobbies que voulait faire surgir Bainbridge ?
Mais jusqu’où, même aux USA, peut-on financer des recherches qui transgressent des décisions fédérales ?

Cher Christian,

Je ne suis pas d’accord avec l’idée de partir d’une casuistique si vous entendez par « cas concrets » des cas singuliers comme celui de la brebis Dolly. Il me semble au contraire qu’il faut d’abord dégager les idéologies qui infléchissent soit la recherche scientifique soit les décisions politiques (y compris la volonté de les appliquer) et les évaluer à la lumière de la théologie. Les percées scientifiques actuelles nous posent de manière abrupte la question « qu’est-ce que l’homme ? » Si on l’aborde avec des bons sentiments et des idées floues, on risque de se trouver très vite devant des impasses.
C’est bien pour cela que j’apprécie les trois déclarations de l’Eglise de Grèce.
Si l’on ne part pas du constat que Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne dieu, entre dans l’intimité divine, si l’on n’a pas clairement devant les yeux et dans le cœur le projet divin, si l’on n’est pas certain que le Christ, vrai Dieu et vrai homme, par la mort a vaincu la mort en ressuscitant des morts, on ne peut que se prendre les pieds dans la casuistique et, surtout, dans la part d’apophatique que comporte à nos yeux notre propre nature.
Le Malin… eh bien, il est malin. Reprenez le récit de la chute en Genèse 3. Que fait-il ? Il reprend les paroles de Dieu et il les interprète de manière tordue, oblique, sinueuse. C’est exactement le mécanisme des hérésies et le résultat n’est pas vraiment brillant.
Cette fois, c’est avec la vie, notre vie, qu’il tente les hommes. En nous proposant le surhumain mais pour arriver où ? A l’inhumain ? Au cyborg ? A l’hybride animal ?
Regardez tous les mystères de l’Eglise. A commencer par le baptême : une triple immersion. Pas vraiment recommandé pour un homme transcrit sur des mémoires informatiques. Cela ferait pshhhhhh et plus d’immortel ! Une immortalité à la merci d’un court-jus, ah, ce n’était pas dans le manuel du parfait cyborg…
Les clonages humains de Harvard sont dans cette logique. Cloner, aujourd’hui, ce n’est pas reproduire à l’identique ; entre le prélèvement de la cellule qui sera le germe du clone et son implantation a lieu désormais une intervention d’ingénierie génétique. Dolly elle-même était « améliorée » par rapport à sa « mère », une amélioration quelque peu ratée mais enfin…
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Kazan
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Message par Kazan »

C'est vrai, chère Anne Geneviève, comme médecin j'aurais pu intervenir plus tot sur ce fil, si .... je n'avais, en ce moment d'autres et plus heureuses préoccupations.
Sur un plan général, il me semble, mais point besoin d'être médecin pour le savoir, que la science est un bien dangereux jouet entre les mains de l'homme. Pour une bonne utilisation de la connaissance, combien de crimes commis en son nom ou avec son aide ?
C'est vis à vis de l'euthanasie que je voudrais dire un mot qui surprendra surement: je ne sais pas clairement où est sa limite, en tout cas où est la limite entre ce qui est clairement l'euthanasie et ce qui ne l'est pas et ce qui s'en rapproche dangereusement.
Christianc souhaitait des exemple concrets et il a raison.
Comme chirurgien thoracique, il m'est arrivé de recevoir dans mon service des patients arrivant au terme de leur combat contre certains cancers du poumon ou de la plèvre contre lequel plus rien ni personne ne peut rien. Fin des plus pénibles marquée par une progressive asphyxie, si personne ne fait rien. Je recours alors, non sans l'accord des proches et aprés m'être assuré que toute vie de relation du patient devient impossible, à une perfusion lente de produits sédatifs plongeant progressivement le patient dans un état de sommeil quasi naturel. Aucun des produits utilisé n'est léthal, ni leur association.
Mais qui niera que plonger un patient dans cet état d'inconscience ne recourcisse évidement ses jours ?
Je pourrais parfaitement être accusé d'euthanasie déguisée. Et au fond de moi, j'ai toujours le doute.
Quelle différence, au fond, avec l'injection léthale si ce n'est la douceur du procédé ?
La différence est évidement dans l'intention. Je crois agir par compassion en respectant ce qui reste de vie dans ce corps. Si je ne croyais pas cela, cela me serait impossible.
Au fond, une des clés de la bioéthique est sans doute cachée là: Agir non pour la science mais par la science tout en restant le plus conforme que nos imperfections le permettent avec l'Amour de Dieu pour nous, en tachant, bien humblement, d'adopter Son regard.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Kazan a écrit :C'est vrai, chère Anne Geneviève, comme médecin j'aurais pu intervenir plus tot sur ce fil, si .... je n'avais, en ce moment d'autres et plus heureuses préoccupations.
Sur un plan général, il me semble, mais point besoin d'être médecin pour le savoir, que la science est un bien dangereux jouet entre les mains de l'homme. Pour une bonne utilisation de la connaissance, combien de crimes commis en son nom ou avec son aide ?
C'est vis à vis de l'euthanasie que je voudrais dire un mot qui surprendra surement: je ne sais pas clairement où est sa limite, en tout cas où est la limite entre ce qui est clairement l'euthanasie et ce qui ne l'est pas et ce qui s'en rapproche dangereusement.
Christianc souhaitait des exemple concrets et il a raison.
Comme chirurgien thoracique, il m'est arrivé de recevoir dans mon service des patients arrivant au terme de leur combat contre certains cancers du poumon ou de la plèvre contre lequel plus rien ni personne ne peut rien. Fin des plus pénibles marquée par une progressive asphyxie, si personne ne fait rien. Je recours alors, non sans l'accord des proches et aprés m'être assuré que toute vie de relation du patient devient impossible, à une perfusion lente de produits sédatifs plongeant progressivement le patient dans un état de sommeil quasi naturel. Aucun des produits utilisé n'est léthal, ni leur association.
Mais qui niera que plonger un patient dans cet état d'inconscience ne recourcisse évidement ses jours ?
Je pourrais parfaitement être accusé d'euthanasie déguisée. Et au fond de moi, j'ai toujours le doute.
Quelle différence, au fond, avec l'injection léthale si ce n'est la douceur du procédé ?
La différence est évidement dans l'intention. Je crois agir par compassion en respectant ce qui reste de vie dans ce corps. Si je ne croyais pas cela, cela me serait impossible.
Au fond, une des clés de la bioéthique est sans doute cachée là: Agir non pour la science mais par la science tout en restant le plus conforme que nos imperfections le permettent avec l'Amour de Dieu pour nous, en tachant, bien humblement, d'adopter Son regard.
Merci. Votre témoignage est bouleversant. Seul un médecin pouvait l'écrire. C'est un des messages les plus vrais que j'ai lus sur ce forum.
christianc
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Message par christianc »

Merci Kazan pour votre témoignage, la confrontation et la solitude en face de la souffrance sont difficiles à vivre.





Pour Anne Geneviève : La question éthique est posée tous les jours je la vois dans des grands films mangas comme "Ghost in the Shell", qu'est ce que l'humain ?( c'est un monde ou à la suite d'accident ou d'améliorations technologiques des humains peuvent disposer de membres artificiels ou bien transférer complètement leur "ghost" (leur âme en vieil anglais le St Esprit c'est The Holy "ghost") dans un support technologique.

On accepte l'interrogation parce que la technologie n'est pas prête.

Aujourd'hui les questions concrètes se posent : les embryons surnuméraires ? Les FIV ? Le Clonage ? Les Thérapies géniques ?

L'éthique ne pose pas les questions "comment", mais "dans quelle finalité", "avec quelles conséquences".

Toute recherche n'est pas "bonne", après la seconde guerre mondiale tous les scientifiques du monde ont refusé de s'appuyer sur les "résultats" obtenus par les biologistes nazis dans les camps de la mort.

Comment sont conduits les processus d'expérimentation ? Quelqu'un qui cherche souhaite aussi progresser dans sa recherche.

Une technologie ne peut elle être utile et dangereuse ? (Energie nuclaire)

Je souhaiterais que la théologie fournisse des repères qui permettent de s'orienter et de vivre avec le danger.

(Les Amish au 17eme siècle n'ont pas su s'orienter, ils se sont enfermés dans leurs villages et n'ont pratiquement pas bougé depuis).

Qu'est ce que "le monde ?" ("Gardez vous du monde et de ce qui est dans le monde ?")

L'univers extérieur ou une façon du parler du coeur de l'homme.

La "toute puissance" , c'est la "tentation de la Genèse", qui donc avait promis "la toute-puissance" aux êtres humains ?*

En étudiant la Genèse dans mon église, le commentateur disait "Dieu crée une création qui se crée elle même, la semence de blé devient du blé, et nous sommes aussi partie prenante en faisant du pain".
Irène
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Message par Irène »

Je suis bouleversée par le témoignage de Kazan que je remercie pour son courage de s'être exprimé et pour son humanité.

Car il s'agit là de "cas concrets" comme le souhaitait Christianc et je suis bien persuadée qu'il y a loin des théories officielles à la réalité vécue.

Concernant l'euthanasie, autant je considère qu'il est terriblement difficile de la légaliser et d'en fixer les conditions, autant j'estime douloureuse et injuste la solitude du médecin (ou de l'équipe soignante) devant d'insurmontables douleurs. Que faire quand on ne peut plus soigner ?
Que faire si soulager signifie une possible diminution des pauvres jours restant à vivre ?

Pour reprendre l'exemple de ce petit pays qu'est la Suisse, la situation est beaucoup plus saine, et je ne parle pas du suicide médicalement assisté.


Un médecin, dans le cas dont parle Kazan, sera davantage assuré de sa position dont il aura auparavant discuté et avec les proches et avec le malade



Cette phrase de Kazan est vraiment une merveilleuse ligne de conduite en la matière , qu'elle puisse en inspirer beaucoup :
Au fond, une des clés de la bioéthique est sans doute cachée là: Agir non pour la science mais par la science tout en restant le plus conforme que nos imperfections le permettent avec l'Amour de Dieu pour nous, en tachant, bien humblement, d'adopter Son regard
Kazan
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Message par Kazan »

Au fond, il en est de la bioéthique comme de toutes ces circonstances de la vie où le bien et le mal se livrent un furieux corps à corps dans lequel il n'est pas toujours possible de bien distinguer les protagonistes, de séparer le bon grain de l'ivraie.
Bien sur, Anne Geneviève fait bien de rappeler que nous ne devons jamais perdre de vue les présupposés de notre foi. Ils sont notre point de repère infaillible. Ils nous conduisent naturellement à maintenir un cercle vertueux entre nos actes et nos intentions, qui même bonnes, aboutiraient, sans eux, à toutes les catastrophes.
C'est le postulat de base.
Mais c'est toujours utile de se livrer aux exercices pratiques et c'est pourquoi les exemples concrets réclamés par Christianc sont utiles aussi.

J'ai brièvement abordé celui de l'euthanasie dont le débat est largement pollué par une 'idéologie militante, perverse et ouvertement athée.
Pour ce qui est de la fécondation assistée (dont la FIV n'est qu'un des aspects techniques), et bien que n'en étant pas du tout spécialiste, on peut légitimement concevoir de la compassion pour des couples stériles, assoiffés de donner la vie et, en cela, conformes au plan divin.
Que la science et les médecins s'emploient à les y aider, c'est conforme aussi.
Le problème réside, on le voit bien, dans les moyens mis en oeuvre et qui débouchent
soit sur une procréation dont l'un des élément du couple (voire les deux) est exclu (recours à un donneur)
soit sur une procréation qui implique, de fait, un certain nombre d'avortements (suppression délibérée d'embryons "en trop", quand il ne sont pas utilisés comme un simple produit de laboratoire)
Soit carrément sur une intention eugéniste ou la simple performance scientifique n'ayant d'autre fin qu'elle même ce qui, remarquons le, s'accompagne toujours d'une médiatisation des acteurs.
Alors, si certains moyens doivent être récusés au regard de leur caractère perverse et si, précisément, ils sont les seuls possibles pour ces pauvres couples, que faire ?
Reconnaitre simplement que la science, à un moment donné de ses avancées, n'a pas réponse à tout et que pour certains couples ne reste, comme recours, que l'adoption.
C'est quand même troublant de constater à quel point il est plus difficile, dans nos sociétés d'adopter l'un de ces millions d'enfants en attente d'amour que de se préter à une entreprise d'élevage d'embryons en batterie.
Kazan
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Message par Kazan »

Pour mettre en perspective le problème de la procréation médicalement assistée, je pense qu'on ne peut pas approfondir ce problème sans rappeler ce qu'est le mariage chrétien, le mariage sacramentel. Cela fait partie des présupposés évoqués plus haut.
C'est pourquoi je retranscris ci dessous un trés beau texte du père Jean Chryssavgis: pour les jeunes et moins jeunes.

AMOUR, MARIAGE ET SEXUALITÉ
par père Jean Chryssavgis

L'amour, le mariage et la sexualité nous concernent tous, car l'amour est la vocation de chacun d'entre nous. En tant que chrétiens, nous croyons que c'est par l'amour que la création tout entière a été faite. La source et la fin de toute chose est l'amour, car la source et la fin de toute chose est Dieu, et que Dieu est amour (1 Jn 4,8,16). Saint Jean Chrysostome décrit l'amour absolu du Dieu incarné dans une homélie sur l'Évangile selon Matthieu : « Je suis un père pour vous, dit le Christ et un frère, un époux et un foyer, un infirmier et un vêtement, une racine et une pierre d'angle. Tout ce que vous pouvez désirer, je le suis pour vous. Mon désir est que vous n'ayez aucun besoin quel qu'il soit. Je vous servirai ; car je suis venu non pour être servi, mais pour servir. Je suis un ami et un membre du corps et sa tête, un frère, une sœur et une mère. Je suis tout pour vous. Il suffit de rester en communion avec moi.
Pour vous, j'ai été pauvre, pour vous j'ai été un pèlerin, pour vous j'ai été sur la croix et dans le tombeau ».
Même le mal dépend de l'amour. Si l'on en croit l'optimisme de certains Pères de l'Église, personne ne commet d'acte mauvais sans croire que quelque chose qu'il aime en résultera. Donc, l'amour est d'origine divine et de nature sacrée.

« L'amour est plus fort que la mort »
Du point de vue humain, le concept d'amour ne peut aucunement être compris d'une seule façon. Il évoque une multitude de sens et de dispositions d'esprit : qu'on parle de « faire l'amour », ce qui peut signifier un acte physique sans amour, ou de l'engagement profond d'un couple avancé en âge ; qu'il s'agisse de motivations égoïstes ou de don désintéressé, de la douceur d'un enfant qui tient la main de ses parents ou de l'intimité de deux amis qui se donnent la main.
Les êtres humains sont faits pour s'aimer et se regarder l'un l'autre.
L'expérience de l'amour est celle du ciel et de la vie ; l'absence d'amour est enfer et mort. Saint Macaire d'Égypte, pour évoquer sa vision de l'enfer, parlait de deux personnes liées dos-à-dos, qui jamais, de toute éternité, ne pourraient se voir face à face. L'amour brise les chaînes de la solitude ; il fait s'écrouler les murs de l'égoïsme. Nous ne sommes jamais plus puissants que quand nous sommes, par amour, vulnérables. L'amour chasse la peur ; il est plus fort que la mort (cf. Ct 8,6). Dire à quelqu'un : « Je t'aime », c'est faire une déclaration métaphysique ; c'est comme dire : « Tu ne mourras jamais ! »
Conscients de cette intensité de l'amour, les Pères de l'Église ne craignent pas de le comparer à l'éros ou à la passion. Denys l'Aréopagite décrit Dieu comme un « fou de l'amour », ardent protecteur de sa création. L'amour est si puissant, qu'une seule expression vraie de cet amour révèle une ouverture qui transfigure le monde entier. Regarder dans les yeux une autre personne avec amour, c'est voir l'âme du monde entier, c'est voir l'image même de Dieu.
Un tel amour est un don de Dieu. Mais il demande également qu'on le cultive et qu'on y travaille dur. L'amour a besoin de temps et de finesse, de responsabilité et de respect. C'est un acte qui implique que l'on croît soi-même pour combler l'autre, sans cesse. Au soir de la vie, nous serons jugés uniquement sur le critère de l'amour. Cet amour est plus que de simples sentiments. C'est une décision et un engagement. Si vous voulez aimer, vous devez créer cet amour et non pas attendre que votre époux ou votre épouse vous l'apporte. Dans l'amour et le mariage, Dieu nous présente une merveilleuse occasion de renaître, d'atteindre la maturité. C'est en effet un grand mystère (Ép 5,32). La vie est le grand mystère – le grand mystère à vivre, et à vivre en abondance. Et si nous travaillons à cet amour, si nous cultivons l'amour, si nous baissons la garde de notre méfiance, si nous luttons pour entrer en relation, nous remarquerons peu à peu que le monde tout entier change et que le monde entier est beau. En réalité, bien sûr, c'est nous qui aurons changé, c'est nous qui verrons les mêmes choses avec d'autres yeux.

Aspect physique et aspect spirituel
Les auteurs chrétiens ont, dès les origines, été mal à l'aise vis-à-vis de l'amour physique ou sexuel. L'amour physique est un peu considéré comme une forme dégradée de l'amour. Certains auteurs affirment que le célibat est supérieur à l'amour vécu dans le mariage ; d'autres avancent que le seul but de l'amour physique est la procréation. L'aspect physique, la sexualité, ont été dégradés, regardés comme impurs. Ils sont considérés comme quelque chose d'avilissant et de honteux ; on est habité par la peur et la culpabilité. La sexualité est liée aux formes les plus basses de la vie, elle est assimilée aux désirs impurs et aux instincts animaux.
La figure de saint Augustin et sa théologie ont modelé la réflexion sur ce sujet en Occident, et ce jusqu'à aujourd'hui. Il en résulte une schizophrénie innée dans cette sphère de notre vie, la plus intime et la plus personnelle.
Pour Augustin, la sexualité est une conséquence de notre chute. Ève résulte de ce qu'Adam a fait défaut à Dieu ; la femme n'est pas créée à l'image de Dieu, mais en tant qu'instrument de l'homme. Pourtant saint Paul avait clairement dit qu'en devenant une seule chair (1 Co 6,16), l'homme et la femme symbolisent l'union du Christ et de l'Église. En tout cas, le Christ n'a jamais assimilé le péché au corps, mais aux actes que l'on commet dans son cœur (Mt 15,18-19). Pour les chrétiens, « la chair est la charnière du salut » (Tertullien). Aussi, quel dommage que le christianisme – en tant que religion du corps et de la chair, religion de l'Incarnation – ait ainsi marqué le corps humain d'une cicatrice permanente !
Ce dont il est ici question, ce n'est pas d'arriver à accepter un consensus avec le corps ou la sexualité, mais de reconnaître leur lien crucial avec les aspects les plus profonds de la nature humaine. La sexualité n'est pas accidentelle ; elle est véritablement essentielle à notre réalité. L'amour sexuel et physique appartiennent au mystère de notre être. Cela ne veut pas dire que sexualité et spiritualité soient la même chose. Mais il y a cependant une correspondance intime entre les deux. Le déni de l'une a son reflet dans la dégradation de l'autre. Sans sexualité, il n'y a pas de beauté ; sans beauté, il n'y a pas d'âme ; et sans âme, il n'y a pas de Dieu. Homme et femme il les créa (Gn 1,27). C'est ce qui nous est dit immédiatement après la création d'Adam et Ève à l'image et à la ressemblance de Dieu. Pour les Pères orientaux, sans Ève, Adam est incomplet. « La femme est faite en pleine communion avec l'homme : partageant chacun de ses plaisirs, de ses joies, chaque bonne chose, chaque chagrin, chaque douleur » (saint Basile le Grand), « partageant avec lui la grâce divine elle-même » (Clément d'Alexandrie).
Écrivant exactement à la même époque que saint Augustin d'Hippone, saint Jean Chrysostome revendique que « l'amour sexuel n'est pas humain ; il est d'origine divine ».

Icône ou idole
Certes, il est difficile pour quelqu'un de prendre conscience de la sexualité (de son corps) sans prendre conscience de la sexualité (des corps) des autres. Et ainsi, dans l'union du mariage, l'homme et la femme s'offrent l'un et l'autre à l'image de Dieu dans l'autre personne. Cela n'est pas sans lien avec la rencontre qui se produit dans le cas de l'icône. L'iconographie implique un art. Le mariage, de la même façon implique un art. L'amour n'est pas simplement un acte ; il est art. Le but de cet art de l'amour – comme dans l'iconographie – est de se transfigurer l'un l'autre, de se voir l'un l'autre comme la manifestation du divin Bien-aimé. S'il y a place pour les icônes dans l'Église, il y a place également pour le mariage et l'amour sexuel.
Le corps et l'amour sexuel sont semblables à une icône qui ouvre à la beauté divine et à l'amour divin : « Bénie est la personne qui est arrivée à un amour et à un désir de Dieu semblables à ceux d'un amant fou pour la bien-aimée, générant le feu par le feu, l'éros par l'éros, la passion par la passion, le désir par le désir » (saint Jean Climaque). Voir l'autre comme icône, c'est voir le monde par les yeux de Dieu. C'est abolir la distance entre ce monde et le monde à venir ; c'est parler, sur cette terre et à cette époque-ci, le langage du ciel et du temps à venir ; c'est révéler la dimension sacramentelle de l'amour. Selon une parole apocryphe de Jésus : « Le Royaume des cieux est rendu manifeste quand deux personnes s'aiment ». L'icône nous apprend un autre mode de communication, au-delà du mot écrit ou parlé. On nous apprend non pas à regarder les icônes, mais à regarder à travers elles. De même, nous sommes appelés à pénétrer la surface de la personne que nous aimons, et à révéler la profondeur sacrée qu'elle recèle.
En fait, le thème de la procréation est directement lié à cette notion d'icône. À moins que l'amour conjugal n'ouvre le couple au-delà de lui-même, à moins que la relation des deux dans le mariage ne reflète la relation de la Trinité, à moins que l'amour du couple ne s'élargisse d'une façon ou d'une autre, l'amour conjugal, l'icône qu'il est appelé à être, se réduit à une simple idole. Le couple qui s'aime est en tout temps appelé à avancer au-delà du reflet mutuel de l'un dans l'autre ; un miroir n'est pas une icône, mais le reflet de soi-même. Le couple est appelé à devenir une icône de l'Église, une « Église en miniature ». Les dimensions de l'Église révèlent les dimensions du couple marié. De même que nous croyons « en l'Église une, sainte, catholique et apostolique », le couple lui aussi devrait refléter cette même unité, sainteté, plénitude et apostolicité. Cela est important, car l'Église refuse les représentations idéalisées ou romantiques de la vie mariée et de la famille. Ainsi, le couple doit « avoir une progéniture » ; l'amour doit « porter des fruits !. Le paradoxe est là : le couple doit avoir des enfants, même s'il ne peut avoir d'enfants.

Monachisme et mariage
Certains Pères de l'Église ont interprété les épîtres de saint Paul comme l'affirmation implicite de la supériorité du monachisme sur le mariage (cf. 1 Co 7,8-9). Cependant « si l'on accorde les honneurs à la virginité, il ne s'ensuit pas que le mariage est déshonoré » (saint Grégoire le Théologien).
Saint Macaire d'Egypte s'exclame : « En vérité, il n'y a ni vierge, ni personne mariée, ni moine, ni laïc ; mais Dieu donne son Saint Esprit à tous, selon les intentions de chacun ». La version syriaque de ce même texte dit : « En vérité, la virginité n'est rien en soi, pas plus que le mariage, ou la vie monastique, ou la vie dans le monde... »
La pureté intérieure est toujours possible, indépendamment des circonstances extérieures. Saint Syméon le Nouveau Théologien est inflexible sur ce point :
Beaucoup considèrent la voie monastique comme la plus bénie. En ce qui me concerne, cependant, je ne voudrais placer aucune voie plus haut que les autres, ni louer l'une en dépréciant l'autre. Mais en chaque situation, c'est la vie vécue pour Dieu et selon Dieu qui est entièrement bénie ». Comme nous l'avons vu, dans une relation d'amour, l'autre personne devient le centre d'attraction. Le but est toujours un mouvement vers l'extérieur et au-delà de soi-même. La perspective est toujours le Royaume des cieux. Les moines et moniales ont traditionnellement compris cette vérité au même degré que les couples mariés. Ainsi les Pères ascètes nous apprennent que l'amour n'est jamais satisfait ; il est seulement accompli. L'amour n'est pas un acte de satisfaction, mais de don total. L'amour sexuel est pour la gloire de Dieu, non pour la satisfaction égoïste de l'homme.L'amour véritable ne peut avoir d'accomplissement ultime sans la chasteté.
Dans L'échelle du Paradis, saint Jean Climaque place la pureté (degré 29) immédiatement avant l'amour (degré 30). Le monachisme n'est donc pas abstention de l'amour sexuel. Il est une autre manifestation de cet amour. Le monachisme ne peut jamais être une extinction ou une diminution de la réponse humaine la plus vitale à la vie. Il y a un élément d'ascétisme dans le mariage, une épuration de l'amour, exactement comme il y a une dimension d'amour dans le monachisme, une passion pour Dieu. Dans la tradition monastique, les passions sont traitées différemment ; elles sont dépassées par des passions plus grandes. Une seule expérience forte d'amour passionné nous fera avancer beaucoup plus loin dans la vie spirituelle que le combat ascétique le plus ardu. Une seule flamme de pur amour suffit pour allumer un feu cosmique et transformer le monde entier. L'amour n'est pas un problème physique ou matériel. Il n'est pas en premier lieu une affaire sexuelle. Il ne devrait pas être craint comme un tabou, mais reçu comme un mystère sacré ; il ne devrait jamais être dissimulé comme un secret, mais révélé comme un sacrement.
Le monachisme, comme le mariage, est un sacrement d'amour. Le monachisme, comme le mariage, est un sacrement du Royaume. La vraie dimension des deux est eschatologique. Ainsi l'amour est plus grand que la prière même, il est, en effet, prière. Car l'amour est ce qui définit la nature humaine. Les moines comme les couples mariés doivent les uns comme les autres continuellement lutter pour être ce qu'ils sont appelés à être – rester dans l'enchantement de la flamme vivante de l'amour divin. Comme nous l'avons dit précédemment, l'amour est un don d'en haut ainsi que quelque chose vers quoi on doit tendre ; c'est un point de départ ainsi qu'un aboutissement. L'alpha et l'oméga de la vie sont la première et la dernière lettre du mot grec signifiant « j'aime » (agapaô). Cela est vrai pour un moine ou une moniale, comme pour un époux ou une épouse.

Le sacrement du mariage
Tout sacrement est une transcendance de la division et de l'aliénation. Dans le cas du mariage, chaque personne, chacun des conjoints est appelé à devenir conscient de la présence divine dans l'autre. Tous deux, mari et femme, doivent percer le rideau de la distance et du mensonge. Quand cela se produit, l'union conjugale est plus forte que la mort, ne pouvant « être rompue par personne ». Dans cette relation, le masculin n'est jamais exclusivement le pôle actif, et le féminin n'est jamais exclusivement le pôle passif. Le fondement de toute relation sacramentelle est que l'homme et la femme sont complémentaires : il y a une mutualité de don et de réception, une rencontre de réciprocité. Aucun des deux ne doit considérer l'autre comme un moyen visant une fin, quelque exaltée ou spirituelle qu'elle puisse être. Aucun des deux ne doit utiliser cette relation pour quelque but que ce soit où l'autre ne serait pas pleinement et personnellement impliqué comme partenaire et participant actif et coopérant.
Cela signifie que les partenaires ne devraient pas chercher l'accomplissement par l'autre de leur propre existence, ou une dépendance l'un de l'autre. Je ne peux pas tenir mon époux ou épouse pour responsable de mon vide personnel. À tout moment, j'ai besoin de découvrir la complétude de mon vide en Dieu : c'est Dieu qui me fait savoir que je suis aimé ; c'est Dieu qui me donne le pouvoir d'aimer l'autre. Ici, à nouveau, nous rencontrons le « caractère monastique » de la relation conjugale. Le mariage n'est pas une solution magique aux problèmes de l'existence. Comment pourrait-il y avoir un mariage qui soit à la hauteur de telles attentes ? Est-il étonnant que des mariages échouent, quand on nous dit aujourd'hui que notre partenaire est notre « seconde moitié », quand nous sommes moins que des personnes entières dans le sacrement ? L'amour personnel implique une pleine dignité et une pleine identité, sans diminution aucune de l'autre personne. L'intégralité et l'intégrité de la personne sont indispensables pour un mariage sain. Et l'intégralité présuppose sincérité, et non amabilité. L'amour est un acte de foi aussi bien qu'un acte de fidélité. Mentir, rompre, dire un peu moins que la vérité, est toujours une tentation.
Cela veut dire que si l'on veut qu'il y ait de l'intimité dans l'amour, il faut qu'existe aussi la possibilité du conflit. Dans les mariages où il n'y a pas de conflit, il n'y a pas, en général, – ou il risque de ne pas y avoir – de sincérité. Dans la société, et même dans l'Église, on nous apprend à être gentils. C'est comme apprendre à être insincères. Et alors, nous sommes
tristes ou en colère, mais nous sourions ; nous disons des choses que nous ne pensons pas. Alors que ce qui n'est pas discuté ouvertement demeure irrésolu et cause des dommages dans la vie de nos enfants. Nous devons être sincères sur nos échecs, ouverts à propos de notre sentiment de vide. Ces choses-là sont une partie inestimable de nos relations. Voilà pourquoi le mariage est autant une affaire de séparation que d'union ; une affaire de détachement autant que d'attachement. Un poème de Khalil Gibran, intitulé « Mariage », souligne ce paradoxe de l'état de séparation et de proximité en amour :
Vous êtes nés ensemble, et ensemble vous serez à jamais.
Vous serez ensemble quand les ailes blanches de la mort éparpilleront vos jours.
Oui, vous serez ensemble dans la mémoire silencieuse de Dieu.
Mais qu'il y ait des espaces dans votre unité.
Laissez les vents des cieux danser entre vous.
Aimez vous l'un l'autre, mais ne faites pas de l'amour un lien.
Qu'il soit plutôt une mer mouvante entre les rivages de vos âmes.
Emplissez l'un l'autre vos coupes, mais ne buvez pas à une seule coupe.
Donnez à l'autre de votre pain, mais ne vous nourrissez pas de la même miche.
Dansez et chantez ensemble et réjouissez-vous,mais que chacun permette à l'autre d'être seul.
Comme les cordes d'un luth sont seules, bien qu'elles frémissent à la même musique.
Donnez votre cœur, mais sans le mettre sous la garde l'un de l'autre.
Car seul l'orchestre de la vie peut contenir vos cœurs.
Et tenez-vous debout ensemble, mais pas trop près ensemble.
Car les piliers des temples sont distants l'un de l'autre.
Et le chêne et le cyprès ne poussent pas dans l'ombre l'un de l'autre."

Sexualité et sacramentalité
Pour devenir une union sacramentelle complète, l'amour entre un homme et une femme doit embrasser tous les aspects de leur vie – chaque niveau et chaque potentialité de leur être. Cela inclut l'aspect physique, spirituel, émotionnel, intellectuel de la nature humaine. S'il n'en est pas ainsi, la relation reste inconsommée et inachevée, ni sacrée, ni sacramentelle ; elle devient aussi bien handicapante que frustrante.
Cela nous fait mieux comprendre combien il y a peu de mariages – même parmi ceux qui ont été bénis par l'Église – qui soient en fait sacramentels. Cela indique aussi la liaison entre le mariage et la déification, vers laquelle nous sommes tous appelés à évoluer. Ce serait là ma définition de la « sexualité » : vrai achèvement et consommation à tous les niveaux – accomplissement aussi rare que la théosis elle-même, bien qu'aussi noble en tant que tâche et vocation.
Si l'un des partenaires se développe (sur un plan ou sur un autre) au-delà de l'autre ou sur un autre rythme, ce niveau non consommé ou qui n'a pas trouvé de réponse chez l'autre, cette partie restée sans complémentarité, non réalisée, aura toujours tendance à chercher à s'exprimer sous une autre forme ; elle sera incapable de fonctionner normalement et pleinement à l'intérieur du mariage. Si l'intégrité et la totalité sont les conditions cruciales d'une relation sacramentelle, il en va finalement de même pour la continuité et l'engagement. La capacité de se transformer l'un l'autre demande que l'on s'y consacre, avec patience, jusqu'à ce que les angles aigus des rocs durcis de la relation soient adoucis, jusqu'à ce qu'un champ magnétique soit construit à tous les niveaux. Alors chaque niveau, l'un après l'autre, se déploie et agit l'un sur l'autre, et libère des potentialités qui ne sont rien moins que divines. Dans ce contexte, la fidélité dans la relation est un reflet de la propre nature de Dieu, longanime et plein de miséricorde.
En dernière analyse, ni le mari ni la femme ne s'approprie ce que l'autre offre. Au contraire, chacun l'offre en retour – en même temps que son propre être – à la source de toute vie, à Dieu, que chacun de nous vient contempler, et rencontrer, et aimer dans l'autre, exactement comme nous le faisons dans la liturgie eucharistique. L'homme et la femme deviennent le pain et le vin de l'eucharistie. Alors l'amour sacramentel devient bénédiction, conférée par le Créateur à deux créatures qui ont parcouru le même cours de la vie à travers les obstacles ou joies auxquels il a pu les amener. Et c'est ainsi qu'ils entreront, transfigurés, dans le Royaume de Dieu.
Première publication dans Souroge,
revue du diocèse du patriarcat de Moscou en Grande-Bretagne. Traduit de l’anglais par le Service orthodoxe de presse
SOP no. 275, février 2003.
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Cher Kazan, Claude m’a précédée et vous a dit exactement ce que j’ai ressenti à lire votre témoignage sur l’euthanasie. Merci. De tout cœur, merci.

Cher christianc
Bien d’accord avec vous sur le fait que « toute recherche n’est pas bonne ». Mais ne croyez pas que celles de Mengele et autres médecins nazis aient été vertueusement enterrées : tout le projet MK ULTRA de la CIA*, dont la révélation vers la fin des années 1970 fut et reste un des scandales les plus virulents outre-Atlantique fut placé sous la direction d’un de ces biologistes nazis récupérés discrètement sous prétexte de guerre froide. Quand une connaissance est sortie de sa boîte, on ne peut pas plus l’y remettre qu’on ne remettra un poussin dans sa coquille. C’est bien pourquoi il vaut mieux fixer les limites en amont qu’en aval et, l’homme étant ce qu’il est, il vaut mieux dégoûter le public et les chercheurs des orientations indésirables que de se fier à l’interdit par le législateur.
Je ne rejette pas, loin de là, les cas concrets. Bien sûr qu’il faut examiner la question des embryons surnuméraires voire défectueux, du clonage et toutes les questions connexes auxquelles il faut ajouter les OGM et les chimères, particulièrement quand des gènes humains sont artificiellement mêlés à l’ADN d’animaux ou de plantes.
Toute technologie peut être à la fois utile et dangereuse. Cela fait presque deux siècles qu’on ne peut plus forger indépendamment la charrue et l’épée. Donc il s’agit d’une question de valeurs. Je relisais tout à l’heure l’Histoire de la science de Pierre Rousseau (Fayard 1945). On y trouve cet idéal ahurissant de Berthelot : « Il décrivait nos descendants de l’an 2000 emportant, en guise de nourriture, leur petite tablette azotée, le progrès ayant supprimé à la fois les champs couverts de moissons et les prairies emplies de troupeaux. » Un chimiste même de son renom qui proposerait aujourd’hui ce mode de vie comme un progrès n’obtiendrait en réponse qu’un doigt vrillé sur la tempe !
Mais s’il s’agit de valeurs, c’est qu’une fois de plus nous sommes face à l’arbre « de la connaissance du bon et du mauvais » et qu’il s’agit pour nous soit d’entendre ce que Dieu nous révèle sur nous-mêmes, sur la création, sur notre destinée, soit de définir nos propres systèmes et nos propres projets sur l’homme, ce qui ne mène qu’à la mort, dit la Genèse. C’est pour cela que je crois essentiel d’examiner les cas concrets à la lumière de la théologie.

Merci aussi, Kazan, pour votre second message. Merci de rappeler que, pour un couple stérile, la FIV n’est pas forcément la solution, qu’il existe aussi l’adoption. Accepter et aimer un enfant « tout fait » qui risque, par le développement même de la FIV, de rester sur la touche et de n’intéresser que les fondateurs d’orphelinats. Mais cela veut dire que le lobbying chrétien devrait se mener dans deux directions complémentaires : réduire les obstacles législatifs à l’adoption et mettre cette dernière à la mode, susciter une demande d’enfants plutôt que d’embryons.
C’est possible : aujourd’hui tout le monde préfère manger de vrais aliments, si possible bio, et voir des champs et des prairies dans le paysage plutôt que d’avaler des tablettes Berthelot !

Merci encore pour ce texte essentiel du père Jean Chryssavkis, si puissant et si vrai.

*Comme ce scandale fut peu repris par la presse française et vite oublié chez nous, rappelons que, dans l’espoir de trouver des méthodes performantes d’interrogatoire, la CIA a lancé à partir des années 1950 toute une série d’expériences menées sur la population civile états-unienne à l’insu de ses cobayes. On a testé ainsi des drogues, des trains d’ondes électromagnétiques et même les effets de la radioactivité par petites doses cumulées, cette dernière manip sur des enfants mentalement retardés placés en institution spécialisée. Le dossier n’est pas refermé car on découvre encore chaque année de nouveaux éléments.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Claude le Liseur
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Re: Désintérêt des chrétiens pour la science ?

Message par Claude le Liseur »

Anne Geneviève a écrit :Devant le peu de succès sur notre forum des questions de bioéthique et des questions scientifiques en général, que j’ai pratiquement été seule à commenter, je m’interroge sur le pourquoi de ce désintérêt. Est-ce ma maladresse ? En ce cas qu’on me la pardonne et qu’on me reprenne. Mais j’ai eu la curiosité d’aller lire d’autres forums chrétiens en français – hérétiques évidemment mais ce n’est pas le sujet de ce post – et je me suis aperçue que, là aussi, les questions de bioéthique étaient posées mais quasiment pas discutées. Je ne comprends pas pourquoi ces questions ne font pas sens alors qu’elles touchent à des réalités aussi fondamentales que la transmission de la vie, la mort, l’intégrité de notre nature. Est-ce une question de langage ? Est-ce la peur de devenir moderniste en scrutant ce qui bouillonne à notre époque ? J’aimerais vraiment comprendre et je demande à tous pourquoi vous n’avez pas eu envie de commenter ces questions.
Je pense que le peu de succès de ces questions sur ce genre de forums tient à quelques raisons très simples. Il s'agit du genre de sujet sur lesquels, d'une part, on ne peut pas faire une pirouette en postant un émoticon, et d'autre part on ne peut pas lancer une joyeuse foire d'empoigne qui permette ensuite de s'en prendre à la brutalité de l'Internet francophone chrétien.
Des sujets qui ne touchent ni les farceurs, ni les trolls, ni les arbitres des élégances, sont condamnés à ne toucher qu'un public restreint.

Tout le monde n'a pas la chance d'avoir un Kazan parmi ses lecteurs.

C'est triste, mais c'est aussi simple que cela.
Irène
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Message par Irène »

Avec l'aide active d'Anne Geneviève et de Kazan, je travaille sur une liste d'associations et de sites que je mettrai à disposition de ceux qui seront intéressés, en message privé.

Car, s'il est bien un domaine où toutes les forces doivent se réunir, au delà des sensibilités politiques et religieuses, c'est bien celui-là.

Ainsi, Claude, le fait d'avoir abordé ces questions nous permettra non seulement de réfléchir mais, également, d'agir.
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