LETTRE AU METROPOLITE D’AQUILEE
Au Patriarche très-saint, très sacré et bien aimé de Dieu,
à mon frère et compagnon de sacerdoce,
le très illustre et admirable archevêque et métropolite d’Aquilée,
Photios,
Par la miséricorde de Dieu archevêque de Constantinople
Nouvelle Rome
et Patriarche Œcuménique.
1. La lettre que nous avons reçue de votre Béatitude nous a fait dès l’abord connaître la pensée divine qui vous anime, ainsi que la grandeur et l’élévation de votre amour spirituel, qui dépasse de très haut ce qu’on rencontre chez le commun des mortels.
Ensuite, le saint personnage auquel vous aviez confié votre missive, nous est apparu, par ses vertus, son intelligences, et surtout par sa force et sa fermeté de caractère, comme un miroir, où nous avons pu contempler les traits de votre Sainteté divine et vénérable. Certes, la lettre les laissait entrevoir, autant qu’un écrit peut le faire ; mais il nous a offert une image plus vive et plus parfaite, et nous a aussi donné beaucoup de joie et de plaisir en nous racontant les pieux travaux de votre Béatitude. Qui avons-nous eu sous les yeux ? Un homme qui commandait le respect par sa sagesse plus que par ses cheveux blancs, tout aussi riche de sens que de vertus ; un homme en qui la finesse s’alliait à la solidité de la pensée ; un homme, en un mot, entièrement revêtu de la grâce qu’on attend chez u prêtre, qui tient de Dieu le pouvoir de consacrer nos redoutables mystères, et qui a l’honneur d’être votre disciple et d’avoir été ordonné par vous.
Tel est le prêtre que nous avons trouvé dans le légat de Votre Paternité sacro-sainte. Ce qui nous a fait connaître avec certitude que le hiérarque qui se trouve au-dessus de lui, qui l’a ordonné au mystère de la prêtrise, et l’a maintenant délégué vers nous, possède sûrement une abondance de charismes divins et doit être, aussi bien par sa vie éclatante que par son amour et son zèle ardent pour les dogmes, un modèle et un flambeau qui conduit tout homme sur la voie du salut.
2. Ce personnage, dis-je, qui a reçu de vous la grâce de l’épiscopat, a, sans aucun doute, été nourri au festin de vos enseignements divins, et abreuvé à la source féconde de vos perfections ; sans quoi, il n’aurait jamais pu briller à tel point dans les vertus, comme il sied aux archi-hiérarques de Dieu. En effet, la copie n’est pas toujours identique au modèle, indépendamment même de l’éclat et de la lumière qu’elle ne reproduit pas. Il faut donc, pour tout cela, rendre grâces au Dieu bienfaiteur et créateur de l’univers, qui consacre, en Occident comme en Orient, des guides et des flambeaux, et les élèves sur les trônes des archevêchés, pour qu’ils y brillent sans faiblir et éclairent le cœur et l’esprit de la multitude.
3. Mais, au milieu du réconfort que nous goûtions en pensant à votre sainte vertu, admirant vos exploits qui nous réjouissent, voici qu’un bruit heurte nos oreilles –et il vaudrait mieux qu’il n’ait jamais retenti ! Car il ne cause point de douleur physique, mais fait du mal à l’âme ; cependant, puisque vos vertus nous ont communiqué beaucoup d’espérance, nous allons vous révéler notre tourment.
Comment en parler sans pleurer ? Certains Occidentaux ont-ils refusé de s’en tenir aux paroles du Seigneur, alors que c’est cela qui est beau ? Ont-ils méprisé les dogmes, les définitions des Pères et des Conciles ? Dédaigné la précision minutieuse qui les caractérise ? Ou s’y sont-ils appliqués sans avoir les capacités spirituelles nécessaires ? Je ne sais. Quelle qu’en soit la cause, la rumeur –que j’aimerais n’avoir jamais entendue- nous est parvenue que certains Occidentaux répandraient l’idée que le divin et Tout-Saint Esprit ne procède pas seulement de Dieu le Père, mais aussi du Fils. Or, disant cela, ils font beaucoup de mal aux croyants.
Cette doctrine, dans la mesure où elle reste une opinion individuelle, ne causerait peut-être pas si grand tort à ceux qui, par légèreté, l’ont embrassée –encore que le dommage ne soit déjà pas mince. En revanche, quand on leur aura proposé une enquête commune sur ce point, et qu’on leur aura clairement démontré, en s’appuyant sur les paroles même du Seigneur, aussi bien que sur l’ensemble de la Sainte Ecriture, qu’ils sont dans l’erreur, ils devront alors renoncer aussitôt à cette doctrine absurde et accepter les dogmes et les textes orthodoxes. S’ils n’en font rien, il est clair qu’ils vont tomber dans un blasphème très grave, et encourir une sévère condamnation, quand bien même personne ne les dénoncerait expressément. Car ils se trouveront dépossédés de tous biens, et notamment de la confession de la foi véritable, et de l’Esprit Divin lui-même, qu’ils ont humilié en dogmatisant qu’Il procède du Fils.
En effet, par cette seconde procession, ils outragent l’Esprit et ridiculisent l’unique Procession. Leur pensée n’a-t-elle pas quelque chose d’aberrant ? Ou, pour mieux dire, n’est-elle pas blasphématoire au dernier degré ? Elle conduit à attaquer les propres paroles du Seigneur, et à rejeter la doctrine et la tradition qui ont toujours prévalu dans les grands sièges épiscopaux.
4. En voici les preuves.
Léon l’Ancien (Léon 1er), évêque de Rome -pour ne pas citer ses prédécesseurs- et Léon le Jeune (Léon III), qui lui succéda, sont connus pour avoir gardé la foi et les dogmes de l’Eglise catholique et apostolique, celle des saints évêques antérieurs à eux et des décrets des Apôtres. Le premier a donné beaucoup d’éclat au Quatrième Concile Saint et Œcuménique, grâce à la sainte délégation qu’il a envoyée, et aussi à sa fameuse lettre, qui a terrassé Nestorius et Eutychès. Or, il y déclare aussi que l’Esprit Saint procède du Père, conformément aux définitions des Conciles antérieurs ; mais il ne parle pas d’une procession hors du Fils (saint Photios montre à son correspondant qui peut vérifier les documents, que les papes de Rome ont, jusqu’à Nicolas Ier, radicalement ignoré le Filioque. Les recherches modernes lui ont donné raison).
5. De même, Léon le Jeune, son homonyme et son émule dans la foi, ardent défenseur de la vraie piété, désirant éviter que l’usage d’une langue étrangère n’altérât le Credo immaculé de notre pieuse foi, en publia le texte dans l’original grec. C’est ainsi qu’il apprit aux Occidentaux à chanter et à théologuer en langue hellénique la gloire de la Sainte Trinité. Loin de s’en tenir à un ordre purement verbal, il fit fabriquer des plaques commémoratives qu’il grava et exposa à la vue du public, affichées à la porte de l’église de Rome. Ainsi, il devenait possible d’apprendre sans risque et sans peine, tout le contenu de la foi (Le témoignage des Latins –Anastase le Bibliothécaire, Pierre Lombard, Pierre Abélard et Pierre Damien- concorde avec celui de Photios). Et il ne restait plus aucun moyen de dénaturer notre piété, la vraie piété des Chrétiens, en usant de textes faux fabriqués en cachette, et de propos vides de sens. On ne pourrait plus faire du Fils, conjointement au Père, la seconde cause de l’Esprit, -cet Esprit qui procède du Père dans l’égalité d’honneur avec le Fils engendré.
6. Ces deux hommes, ce duo sacré qui a illuminé l’Occident, n’ont pas été les seuls à garder la piété pure de toute innovation étrangère. Non, l’Eglise occidentale ne manque pas de confesseurs ; et il n’est guère facile de dénombrer le chœur des hiérarques qui se sont fait entendre dans l’intervalle qui sépare, dans le temps, les deux Léon, et qui ont brillé de la même piété.
Or. Puisque l’Eglise de Rome se trouve à l’unisson des quatre autres trônes patriarcaux et garde la même confession ; et puisque l’Eglise est fondée et affermie sur le roc des paroles du Maître –cette Eglise contre laquelle les portes de l’Hadès, c’est-à-dire les bouches insensées des hérétiques, ne prévaudront jamais, au dire de la Vérité Elle-même – d’où et de qui a bien pu venir le nouveau blasphème contre l’Esprit, ce blasphème qui est en train de se répandre ? Et comment ne pas gémir sans cesse, comment ne pas pleurer inconsolablement, à voir le malheur qu’il entraîne ? Mais il nous oblige aussi à redoubler d’ardeur, pour empêcher la souffrance et la maladie de s’étendre et de dévorer ceux dont les noms sont inscrits dans le troupeau du Christ !
7. Voilà pourquoi votre médiocrité se tourne vers Votre Perfection dans la vertu, comme vers le grand défenseur de l’Eglise, le point de mire de tous les fils de la maison d’Israël. Nous vous exhortons à faire luire devant tout le feu divin qui brûle dans votre cœur : ainsi, allumant votre flambeau d’archevêque, vous en projetterez la clarté salutaire sur tous les égarés ; et vous les ramènerez de leur erreur à la foi qui a rempli l’univers.
8. La doctrine de la procession hors du Père se recommande d’abord, nous l’avons vu, de la parole du Seigneur (Jn 15, 26)*, éclair et foudre qui surpasse toute clarté. Qu’ils acceptent donc, les calomniateurs de l’Esprit. Qui L’ont fait procéder du Fils, de considérer enfin cette parole de l’Evangile, et ils quitteront l’erreur et la ténèbre où ils se débattent. Puissent-ils alors, brillants de vraie piété, s’abriter avec les hommes pieux dans les retraites où flamboie, dans son éclat sans crépuscule, la lumière de l’orthodoxie. Oui, qu’ils respectent, en tout premier lieu, Jean le Théologien, le mystique initié qui reposa la tête sur le sein du Sauveur, et qui nous guide dans la connaissance des mystères célestes qu’il y a puisés ; enfin, qu’ils s’en remettent à ses prières pour obtenir le pardon de leur rébellion contre le Maître, et contre Jean, le plus théologien des disciples.
Les partisans du dogme de la procession du Tout Saint Eprit hors du Père et Fils introduisent nécessairement deux causes et deux principes ; ils détruisent ainsi la Monarchie –Unité du Principe– dans la Trinité. Il est clair, en effet, que leur théorie conduit à prêcher, à côté de la première doctrine, celle d’une dualité des causes, dont l’une se subdivise même –que ce blasphème retombe sur leur tête ! – en deux principes.
Ibid. p. 97-102