Liberté d 'expression pour les prélats.

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joseph1
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Liberté d 'expression pour les prélats.

Message par joseph1 »

France culture a protesté suite à une homélie de Monseigneur Jean-Pierre Cattenoz. Celui-ci s ' en était pris à la communauté LGBT, au mariage pour tous et à l'avortement à plusieurs reprises pendant sa messe d'une heure le 15 juillet sur France Culture.
France culture n ' a pas supporté sa liberté de ton . Elle a saisi la conférence des évêques de France.

Bientôt les prélats devront faire valider leurs homélies avant de les prononcer.

https://www.huffingtonpost.fr/2018/07/2 ... _23488288/
Claude le Liseur
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Re: Liberté d 'expression pour les prélats.

Message par Claude le Liseur »

joseph1 a écrit : mer. 25 juil. 2018 10:53 France culture a protesté suite à une homélie de Monseigneur Jean-Pierre Cattenoz. Celui-ci s ' en était pris à la communauté LGBT, au mariage pour tous et à l'avortement à plusieurs reprises pendant sa messe d'une heure le 15 juillet sur France Culture.
France culture n ' a pas supporté sa liberté de ton . Elle a saisi la conférence des évêques de France.

Bientôt les prélats devront faire valider leurs homélies avant de les prononcer.

https://www.huffingtonpost.fr/2018/07/2 ... _23488288/

Le problème est toujours le même: quand on se veut Eglise d'Etat, on entre dans des liens incestueux avec un Etat qui, parfois, n'a même pas les apparences d'être chrétien. En d'autres termes, quand on veut dîner avec le diable, il faut une longue cuillère.
C'est le problème qu'a vécu l'Eglise orthodoxe russe sous la dynastie des Romanov, quand elle était supposée être l'Eglise d'Etat, et que l'Etat était représenté par Alexandre Ier, membre d'à peu près toutes les sectes protestantes possibles et imaginables, puis devenu admirateur éperdu du catholicisme romain, mais jamais orthodoxe un seul jour de sa vie. Les Romanov ont passé un siècle et demi (1700-1864) à saper l'Eglise; il n'y a rien d'étonnant à ce que celle-ci n'ait dès lors pas trouvé assez d'audience dans la population pour pouvoir traverser la persécution communiste.
En France et dans les cantons catholiques de Suisse, nous, et toutes les autres minorités religieuses, subissons sans cesse les pressions de l'Eglise catholique romaine dans ses prétentions de religion d'Etat et dans son lien consubstantiel avec le pouvoir séculier, et cette Eglise sait avoir la main lourde contre les populations protestantes et orthodoxes, avec une capacité jamais égalée à utiliser son influence sur l'Etat, les media, le pouvoir de l'argent, etc. La laïcité, en France, quelle blague!
(Paradoxalement, l'air est plus respirable en Italie, le pays sociologiquement le plus catholique romain du monde, mais où l'Etat s'est construit contre la Papauté, ce qui explique une plus grande tolérance religieuse; c'est un pays où les délires d'un Tillinac ne seraient sans doute même pas publiés. Et, d'un autre côté, ce n'est pas encore la Croatie, qui nous donne d'ores et déjà un exemple du sort que l'on voudrait nous préparer.)
Donc, la seule chose que m'inspirent les aventures de Mgr Cattenoz, c'est qu'il faut que son Eglise choisisse: soit elle veut être libre dans ses propos, et alors elle met fin à ses rapports incestueux avec l'Etat et découvre le droit à l'existence des autres chrétiens. Soit elle se maintient dans sa consubstantialité avec la République française (ou les cantons du Valais, du Jura et de Fribourg), et elle remplit sa part du contrat en ne prenant pas de positions qui aillent à l'encontre de celles de l'Etat.
Soit la liberté pour tout le monde, soit la liberté pour personne. Mais il est difficile de revendiquer la liberté pour soi et de faire en même temps appel à ses liens avec le pouvoir séculier sous toutes ses formes (chef de l'Etat, gouvernement, police et gendarmerie, municipalités, presse écrite, radio, télévision, gros argent et Big Business) pour nier la liberté des autres.
patrik111
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Re: Liberté d 'expression pour les prélats.

Message par patrik111 »

Pardonnez mon ignorance de bon citoyen français, mais le catholicisme est religion d'État en Confédération helvétique?
Patrik111
Claude le Liseur
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Re: Liberté d 'expression pour les prélats.

Message par Claude le Liseur »

patrik111 a écrit : mer. 15 août 2018 22:01 Pardonnez mon ignorance de bon citoyen français, mais le catholicisme est religion d'État en Confédération helvétique?
Sujet déjà abordé sur le forum le 10 juin 2015 dans le fil Les icônes sont-elles insaisissables ? : viewtopic.php?f=1&t=2010&p=20448



Appenzell Rhodes-Extérieures Église réformée et Église catholique romaine religions d'État (article 109 de la Constitution cantonale du 30 avril 1995)
Appenzell Rhodes-Intérieures Église catholique romaine et Église réformée religions d'État (article 3 de la Constitution cantonale du 24 novembre 1872)
Argovie Église catholique romaine, Église réformée et Église catholique chrétienne religions d'État (article 109 de la Constitution cantonale du 25 juin 1980)
Bâle-Campagne Église catholique romaine, Église réformée et Église catholique chrétienne religions d'État (article 136 de la Constitution cantonale du 17 mai 1984)
Bâle-Ville Église catholique romaine, Église réformée, Église catholique chrétienne et judaïsme religions d'État (article 126 de la Constitution cantonale du 23 mars 2005)
Berne Église réformée, Église catholique romaine, Église catholique chrétienne et judaïsme religions d'État (articles 122 et 125 de la Constitution cantonale du 6 juin 1993)
Fribourg Église catholique romaine et Église réformée religions d'État (article 142 de la Constitution cantonale du 16 mai 2004)
Glaris Église catholique romaine et Église réformée religions d'État (article 135 de la Constitution cantonale du 1er mai 1988)
Genève séparation des Églises cet de l'État depuis 1907 (article 3 de la Constitution cantonale du 14 octobre 2012)
Grisons Église catholique romaine et Église réformée religions d'État (article 98 de la Constitution cantonale du 14 septembre 2003)
Jura Église catholique romaine et Église réformée religions d'État (article 130 de la Constitution cantonale du 20 mars 1977)
Lucerne Église catholique romaine, Église réformée et Église catholique chrétienne religions d'État (article 79 de la Constitution cantonale du 17 juin 2007)
Neuchâtel séparation des Églises et de l''État depuis 1941
Nidwald Église catholique romaine et Église réformée religions d'État (articles 34 et 35 de la Constitution cantonale du 10 octobre 1965)
Obwald Église catholique romaine et Église réformée religions d'État (article 3 de la Constitution cantonale du 19 mai 1968)
Saint-Gall Église catholique romaine, Église réformée, Église catholique chrétienne et judaïsme religions d'État (article 109 de la Constitution cantonale du 10 juin 2001)
Schaffhouse Église catholique romaine, Église réformée et Église catholique chrétienne religions d'État (article 108 de la Constitution cantonale du 17 juin 2002)
Schwyz Église catholique romaine et Église réformée religions d'État (article 83 de la Constitution cantonale du 24 novembre 2010)
Soleure Église catholique romaine, Église réformée et Église catholique chrétienne religions d'État (article 53 de la Constitution cantonale du 8 juin 1986)
Tessin Église catholique romaine et Église réformée religions d'État (article 24 de la constitution cantonale du 14 décembre 1997)
Thurgovie Église catholique romaine et Église réformée religions d'État (article 91 de la Constitution cantonale du 16 mars 1987)
Uri Église catholique romaine et Église réformée religions d'État (article 7 de la Constitution cantonale du 28 octobre 1984)
Valais Église catholique romaine et Église réformée religions d'État (article 2 de la Constitution cantonale du 8 mars 1907)
Vaud Église catholique romaine, Église réformée et judaïsme religions d'État (articles 170 et 171 de la Constitution cantonale du 14 avril 2003)
Zoug Église catholique romaine et Église réformée religions d'État (dispositions législatives, pas d'article dans la Constitution cantonale)
Zurich Église catholique romaine, Église réformée et Église catholique chrétienne religions d'État (article 130 de la Constitution cantonale du 27 février 2005)

Et évidemment, quand vous êtes dans des cantons qui subissent encore l'arriération du parti démocrate-chrétien et élisent des Darbellay, les dispositions constitutionnelles ne se vivent pas de la même manière qu'à Zurich, ou, grâce à Dieu, le parti démocrate-chrétien n'atteint même plus le quorum dans la capitale cantonale.

La Confédération, quant à elle, est laïque (article 72 alinéa 1 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999; seules les trois premières versions ont valeur officielle):

La réglementation des rapports entre l'Eglise et l'Etat est du ressort des cantons.
Für die Regelung des Verhältnisses zwischen Kirche und Staat sind die Kantone zuständig.
Il disciplinamento dei rapporti tra Chiesa e Stato compete ai Cantoni.
Ils chantuns èn cumpetents per reglar la relaziun tranter baselgia e stadi.
patrik111
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Re: Liberté d 'expression pour les prélats.

Message par patrik111 »

Merci, Claude le liseur. J'avoue que les articles du fil Les icônes sont-elles insaisissables? (viewtopic.php?f=1&t=2010&p=20448) m'avaient échappé.
Patrik111
Claude le Liseur
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Re: Liberté d 'expression pour les prélats.

Message par Claude le Liseur »

Pour mémoire, je viens de découvrir qu'aux élections fédérales du 23 octobre 2011 (quarante-neuvième législature) , une liste Konfessionlose.ch.Liste für di Trennung von Staat und Kirche (Sans confession.ch. Liste pour la séparation de l'Eglise et de l'Etat) s'était présentée pour le Conseil national dans la circonscription de Zurich (cf. Rapport du Conseil fédéral au Conseil national sur les élections au Conseil national pour la 49e législature du 9 novembre 2011, pages 34 et 35, in Feuille fédérale 2011 page 7610).

Les résultats furent très faibles: de 803 à 2'474 suffrages nominatifs pour les candidats de la liste, plus 1'036 suffrages non nominatifs, soit un total cumulé de 43'182 suffrages pour la liste, sur 13'860'834 suffrages exprimés par les 410'122 votants, donc environ 0,3% des suffrages exprimés. Pour mémoire, cette année-là, cette circonscription avait donné 11 sièges à l'Union démocratique du centre (en l'occurrence sous l'appellation allemande de Schweizerische Volkspartei - parti du peuple suisse), 7 sièges au parti socialiste, 4 au parti libéral-radical, 4 aux Verts libéraux, 3 aux Verts, 2 au parti démocrate-chrétien, 2 au parti bourgeois démocrate et 1 au parti évangélique populaire, et les candidats de la liste arrivés en tête (UDC) recueillaient entre 145'776 voix (Natalie Rickli) et 99'246 voix (Rochus Burtscher), avec 121'486 suffrages nominatifs pour le dernier élu (Hans Kaufmann). Le candidat (ou plutôt la candidate) qui était élu avec le moins de voix était Maja Ingold du parti évangélique populaire, avec 32'302 suffrages nominatifs, soit encore treize fois plus de voix que la meilleure candidate de la liste pour la séparation de l'Eglise et de l'Etat Franziska Illi.

Plus de trente ans auparavant, sous l'empire de la Constitution fédérale du 19 avril 1874, une initiative populaire fédérale du 17 septembre 1976 pour la séparation complète de l'Etat et de l'Eglise avait été repoussée, le 2 mars 1980, par 1'052'575 non (et 26 cantons) contre 281'475 oui (et 0 canton) (résultats ici: https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/va/19 ... et299.html ). Le texte de l'initiative était le suivant (source: https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/vi/vis126t.html ):

La constitution fédérale est complétée par l'article 51 ci-après:

Art. 51

L'Eglise et l'Etat sont complètement séparés.

Dispositions transitoires

1Un délai de deux ans, à compter de l'entrée en vigueur de l'article 51 de la constitution, est accordé aux cantons pour la suppression des rapports existant entre l'Eglise et l'Etat.

2Dès l'entrée en vigueur de l'article 51 de la constitution, les cantons ne peuvent plus percevoir d'impôts ecclésiastiques.


L'Assemblée fédérale avait recommandé au peuple et aux cantons de rejeter l'initiative par arrêté du 23 mars 1979 (in Feuille fédérale 1979 page 659 https://www.amtsdruckschriften.bar.admi ... d=10102420 ) suite à un message du Conseil fédéral du 6 septembre 1978 (in Feuille fédérale 1978 pp. 669-702, ici https://www.amtsdruckschriften.bar.admi ... d=10102254 ). Ce message est intéressant parce qu'il contient un rappel historique et une comparaison européenne des rapports entre l'Eglise et l'Etat, et des raisons, dont beaucoup sont devenus anachroniques, de voter non:

Dans les cantons, les conséquences varieraient selon les régimes en vigueur.
Les économies réalisées du fait que toutes sortes de contributions de l'Etat aux Eglises (avantages fiscaux, subventions financées par l'impôt général) tomberaient, ne suffiraient pas, estime-t-on dans de nombreux cantons, à couvrir les dépenses des activités sociales et charitables qu'ils devraient assumer à la place des Eglises. Là où les prestation de l'Etat sont dues en vertu de titres historiques, il faudrait les racheter. Dans certains cantons, ce rachat causerait des difficultés juridiques et financières. Dans plusieurs cas, les problèmes de succession se poseraient de façon particulièrement grave: il n'est pas certain que les associations privées qui se substitueraient aux anciennes Eglises officielles puissent reprendre à leur compte les engagements contractés par les Eglises en qualité de collectivité publiques. Dans les cantons où les ecclésiastiques sont des fonctionnaires de l'Etat, il faudrait modifier la législation pour abolir ce statut.
En résumé, il ressort des réponses à la consultation que les cantons et les communes ne peuvent évaluer avec précision, chiffres à l'appui, les effets
qu'aurait l'initiative sur l'état du personnel et les finances; mais ils estiment, d'une façon générale, que les conséquences seraient très lourdes.

(page 701: on se demande comment les cantons de Genève et de Neuchâtel, qui ont séparé les Eglises de l'Etat en 1907, respectivement en 1941, ont fait pour survivre jusqu'à maintenant...)

Une partie du message se lit évidemment comme une attaque contre les communistes et le bloc soviétique à une époque où la Suisse n'avait pas peur de dire ce qu'elle pensait du péril rouge. Ce passage ("société pluraliste", les "valeurs fondamentales tirées des Ecritures Saintes sont essentielles pour l'Etat") est devenu totalement anachronique, maintenant qu'il n'y a plus de bloc soviétique et partant plus d'athéisme d'Etat en Europe, que la pratique religieuse s'est effondrée en Europe occidentale et que l'on craint plutôt le péril vert que le péril rouge.

Lors de la procédure de consultation, les adversaires de l'initiative ont tous
insisté sur le rôle précieux de l'Eglise dans l'Etat et la société pluraliste. Voici,
résumées, quelques-une de leurs remarques:
- Les Eglises officielles entretiennent et soutiennent de nombreuses œuvres
sociales et charitables. Elles sont au service de chacun et leurs activités sont
multiples: jardins d'enfants, aide à la jeunesse, aide familiale, organisations
de tout genre, formation des adultes, consultation familiale, Main tendue,
assistance aux personnes âgées, aux malades, aux invalides, aux pauvres et à
toutes les catégories de personnes démunies, vivant en marge de la société ou
dans la détresse morale. Mais les prestations des Eglises ne s'arrêtent pas là.
Elles défendent des valeurs fondamentales, tirées des Ecritures Saintes, qui
sont essentielles pour l'Etat. Avant toute chose, il y a le respect de la dignité
humaine et de la liberté d'autrui, puis l'amour, la vérité, la paix, la justice et la
solidarité. En maintenant et en transmettant ces valeurs, les Eglises ont, dans
l'Etat et la société, une haute responsabilité à assumer. Ces valeurs ne sont pas
de celles dont on dispose librement. Elles sont l'expression d'un humanisme et
contribuent de façon essentielle à concilier le droit avec la morale personnelle.
Ainsi, le citoyen ne se contente pas d'obéir au droit, il est amené à l'approuver
intérieurement.
- Evidemment, si l'initiative était acceptée, les Eglises officielles ne disparaîtraient
pas pour autant. Mais les conséquences seraient regrettables: les
Eglises devraient renoncer à de nombreuses activités utiles ou m6me les
abandonner complètement. On ne pourrait impunément les réduire à la
mendicité - pour reprendre une expression très vive, entendue lors de la
procédure de consultation - et attendre d'elles qu'elles remplissent, comme
autrefois, leurs tâches. Ce seraient les couches les plus défavorisées de la
population qui, les premières, en supporteraient les conséquences. Cette
situation serait contraire aux intérêts et de l'Etat et des particuliers. Les
cantons craignent de ne pouvoir combler, sans recourir à des moyens supplémentaires,
toutes les lacunes qui en résulteraient. D'ailleurs, plus l'activité des
Eglises est rejetée hors de la vie publique, plus l'appauvrissement spirituel de
l'homme devient évident.

(pages 697 sq.)

Deux raisons restent toujours valables, d'abord celle liée au caractère idéologique (et non juridique) chrétien (mais non confessionnel) de la Confédération:

Tous les pactes fédéraux depuis l'acte de fondation de la Confédération commencent par une invocation à Dieu. Seuls les actes de la République
helvétique et de la Médiation, qui nous étaient imposés de l'étranger, ont interrompu cette tradition. Le Pacte fédéral de 1815 l'a reprise et elle s'est
perpétuée dans les constitutions de 1848 et 1874. Ce problème du contenu et de la forme du préambule a été discuté très en détail dans la Commission d'experts pour la revision totale de la constitution fédérale. Le projet de constitution, qui est issu de ces travaux, maintient l'invocation.
Les avis divergent sur la portée juridique d'un tel préambule. S'il n'a pas de valeur normative, pense la doctrine dominante, il rappelle du moins le fondement chrétien de notre Etat et suggère l'existence d'un ordre des valeurs supérieur à notre système juridique (cf. Steiner, Die Präambel der schweizerischen Bundesverfassung, dans St. Galler Festgabe zum Schweizerischen Juristentag 1965, p. 425 s.).
(page 674)


Les premières difficultés surgissent au sujet du préambule. Nous avons examiné, sous chiffre 411, le problème de la portée juridique du préambule.
Celui qui voit dans l'invocation à Dieu le rappel du fondement chrétien de notre Etat, considérera cette formule comme incompatible avec le principe énoncé dans l'initiative. Celui qui, au contraire, ne voit dans l'invocation aucune obligation envers une conception philosophique déterminée, mais une simple référence au «patrimoine d'une humanité sécularisée», ne sera pas heurté et admettra la présence simultanée de ces deux idées.
(page 688)

Rappelons en effet que l'invocation "Au nom de Dieu Tout-Puissant!" figure toujours dans le préambule de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999, encore que je trouve qu'elle a un caractère déiste plutôt que réellement chrétien:

Au nom de Dieu Tout-Puissant!

Le peuple et les cantons suisses,

conscients de leur responsabilité envers la Création,

résolus à renouveler leur alliance pour renforcer la liberté, la démocratie, l'indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d'ouverture au monde,

déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans le respect de l'autre et l'équité,

conscients des acquis communs et de leur devoir d'assumer leurs responsabilités envers les générations futures,

sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres,

arrêtent la Constitution que voici:


A comparer avec la Constitution de la République hellénique de 1975 dont le préambule rappelle le caractère chrétien orthodoxe de l'Etat (traduction française officielle sur le site du Parlement grec https://www.hellenicparliament.gr/UserF ... alliko.pdf ):

Au nom de la Trinité Sainte,
Consubstantielle et Indivisible


Texte grec original (source https://synagonism.net/law/gr/s.2008.html ):

Eις τo όνoμα της Aγίας και Oμooυσίoυ και Aδιαιρέτoυ Tριάδoς

caractère chrétien orthodoxe encore confirmé par l'article 3 alinéa 1

La religion dominante en Grèce est celle de l’Église Orthodoxe Orientale du Christ. L’Église Orthodoxe de Grèce, reconnaissant pour Chef
Notre Seigneur Jésus-Christ, est indissolublement unie, quant au dogme, à la Grande Église de Constantinople et à toute autre Église chrétienne
du même dogme, observant immuablement, comme celles-ci, les saints canons apostoliques et synodiques ainsi que les saintes traditions. Elle est
autocéphale et administrée par le Saint-Synode,qui est composé des Évêques en fonction, et par le Saint-Synode Permanent qui, émanant de celui-ci, est constitué comme il est prescrit par la Charte Statutaire de l’Église, les dispositions du Tome Patriarcal du 29 juin 1850 et de l’Acte Synodique
du 4 septembre 1928 étant observées.


Texte grec original:

Επικρατούσα θρησκεία στην Ελλάδα είναι η θρησκεία της Ανατολικής Ορθόδοξης Εκκλησίας του Χριστού.
Η Ορθόδοξη Εκκλησία της Ελλάδας, που γνωρίζει κεφαλή της τον Κύριο ημών Ιησού Χριστό, υπάρχει αναπόσπαστα ενωμένη δογματικά με τη Μεγάλη Εκκλησία της Κωνσταντινούπολης και με κάθε άλλη ομόδοξη Εκκλησία του Χριστού· τηρεί απαρασάλευτα, όπως εκείνες, τους ιερούς αποστολικούς και συνοδικούς κανόνες και τις ιερές παραδόσεις.
Είναι αυτοκέφαλη, διοικείται από την Ιερά Σύνοδο των εν ενεργεία Αρχιερέων και από τη Διαρκή Ιερά Σύνοδο που προέρχεται από αυτή και συγκροτείται όπως ορίζει ο Καταστατικός Χάρτης της Εκκλησίας, με τήρηση των διατάξεων του Πατριαρχικού Τόμου της κθ' (29) Ιουνίου 1850 και της Συνοδικής Πράξης της 4ης Σεπτεμβρίου 1928.


Deuxième raison avancée par le Conseil fédéral en 1978 qui reste valable quarante ans plus tard: le fédéralisme (ou, en réalité, le degré de sous-développement de certains cantons que je ne nommerai pas par rapport à Zurich, Bâle-Ville ou Genève...):

II est impressionnant de constater avec quelle fermeté les cantons refusent l'initiative. L'atteinte à leur souveraineté cantonale est le principal argument invoqué en l'occurrence. C'est aussi celui qu'avancent les partis politiques. Les cantons s'opposent énergiquement à ce que la souveraineté en matière ecclésiastique leur soit retirée et que la Confédération impose le principe de la séparation de l'Etat et de l'Eglise.

Cette souveraineté est l'une de celles auxquelles la Confédération n'a, depuis la création de l'Etat fédéral, jamais touché. Il n'y a eu qu'une seule exception, la revision totale de 1874, qui a renforcé les articles confessionnels, du reste partiellement supprimés en 1973. Le système actuel donne aux cantons une grande liberté dans l'organisation de leurs rapports avec l'Eglise. Chacun peut ainsi tenir compte de son passé confessionnel et de son tempérament politique. Comme nous l'avons exposé sous chiffre 42, chaque canton a un régime ecclésiastique qui a son caractère propre. L'évolution s'est faite selon les cantons. Seuls Genève (en 1907) et Neuchâtel (en 1941) ont instauré une certaine séparation entre l'Etat et l'Eglise. Avons-nous des raisons suffisantes de rompre cette évolution, d'imposer un droit fédéral qui substitue à des régimes issus de l'histoire un système si rigoureux qu'il n'a rencontré la faveur d'aucun canton et d'aucun pays occidental?

En toute conscience, on ne pourrait répondre oui à cette question que si le partage actuel des compétences avait de tels défauts que seule une revision constitutionnelle dans le sens de l'initiative puisse les corriger. Mais ce n'est pas le cas.


(pages 693 sq.)

Le moins que l'on puisse dire est que le soutien de la gauche à l'initiative était mitigé, puisque si

Le Parti socialiste estime, pour sa part, que «certaines demandes des auteurs de l'initiative» sont justifiées et qu'il faudrait les réaliser par la voie de la législation fédérale; deux exemples sont cités: les conditions chicanières qu'il faut remplir pour sortir d'une Eglise et l'assujettissement à l'impôt de personnes qui ne sont pas membres d'une Eglise officielle. (page 700)

le même parti socialiste, comme sept autres partis alors représentés à l'Assemblée fédérale (PDC, parti radical démocratique, UDC, parti évangélique démocratique et les formations aujourd'hui défuntes qu'étaient le parti libéral, le mouvement républicain et l'Alliance des indépendants) rejetait l'initiative. Les deux formations communistes (Parti du travail et Parti socialiste autonome) n'avaient pas daigné répondre lors de la procédure de consultation, et l'Action nationale n'avait pas exprimé d'avis (page 693).

En bref, avec la claque de 1980 et les risibles 0,3% de la liste pour la séparation de l'Eglise et de l'Etat dans le canton de Zurich en 2011, l'Eglise catholique romaine, les Eglises protestantes nationales (vidées de leur fidèles soit par la déchristianisation, soit au contraire par les Eglises évangéliques) et l'Eglise catholique chrétienne (qui n'est qu'un accident de l'Histoire comme la plupart des autres Eglises de l'Union d'Utrecht) vont poursuivre leur inexorable déclin sans que personne ne mette en cause leur subventionnement étatique et mourront sans doute très riches. Opulentes et exsangues. (Au point de vue sociologique, je ne me fais en revanche aucun souci pour le judaïsme, désormais aussi religion d'Etat dans les cantons de Bâle-Ville, Berne, Saint-Gall et Vaud.)
Yann Parissy
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Re: Liberté d 'expression pour les prélats.

Message par Yann Parissy »

Claude le Liseur,

vous écrivez : En France et dans les cantons catholiques de Suisse, nous, et toutes les autres minorités religieuses, subissons sans cesse les pressions de l'Eglise catholique romaine dans ses prétentions de religion d'Etat et dans son lien consubstantiel avec le pouvoir séculier, et cette Eglise sait avoir la main lourde contre les populations protestantes et orthodoxes, avec une capacité jamais égalée à utiliser son influence sur l'Etat, les media, le pouvoir de l'argent, etc , j'aimerais, si possible, avoir plus de précisions sur cette main lourde de l'Eglise catholique contre l'Eglise orthodoxe. Merci.
Claude le Liseur
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Re: Liberté d 'expression pour les prélats.

Message par Claude le Liseur »

Yann Parissy a écrit : jeu. 06 sept. 2018 12:50 Claude le Liseur,

vous écrivez : En France et dans les cantons catholiques de Suisse, nous, et toutes les autres minorités religieuses, subissons sans cesse les pressions de l'Eglise catholique romaine dans ses prétentions de religion d'Etat et dans son lien consubstantiel avec le pouvoir séculier, et cette Eglise sait avoir la main lourde contre les populations protestantes et orthodoxes, avec une capacité jamais égalée à utiliser son influence sur l'Etat, les media, le pouvoir de l'argent, etc , j'aimerais, si possible, avoir plus de précisions sur cette main lourde de l'Eglise catholique contre l'Eglise orthodoxe. Merci.
Pour vous donner un exemple très concret, et en peu de lignes, car j'ai la tête sous l'eau, nous avons eu le cas en Suisse romande d'un prêtre orthodoxe marié qui avait de la peine à joindre les deux bouts et qui a été littéralement acheté par l'Eglise catholique romaine. Il a justifié son attitude en disant que l'ECAR était "universelle" alors que l'Eglise orthodoxe serait victime du "repli nationaliste", alors qu'il était bien entendu en charge d'une paroisse multi-ethnique qui était au demeurant la seule paroisse orthodoxe de sa ville.

Bien entendu, des prêtres orthodoxes mariés venant de pays où l'Orthodoxie est la religion la plus importante et qui n'ont pas fait d'études autres que celles de théologie, ne peuvent pas retrouver dans notre condition d'Eglise minoritaire la sécurité financière et le prestige dont ils auraient pu espérer jouir dans leur pays d'origine.
Je pense au demeurant depuis longtemps que, vu l'état de nos finances, nous avons intérêt à ne confier les paroisses qu'à des desservants mariés ayant une formation professionnelle ou universitaire en plus de la théologie et pouvant assurer l'essentiel de leur subsistance.

Quant au prêtre déserteur en question, il est à ma connaissance toujours sur une voie de garage, les paroissiens du coin passablement arriéré où il a été mis au vert avec sa famille ayant beaucoup de peine à se faire à l'idée d'un curé marié.
En tout cas, là, nous avons pu voir que l'Eglise catholique romaine savait utiliser le financement public à d'autres fins que les mystérieuses "activités sociales et charitables" évoquées par le message du Conseil fédéral du 6 septembre 1978.

Ceci étant, les Eglises officielles sont très sensibles à ce que l'on n'évoque pas le fait que pratiquement toutes les activités à caractère social, charitable ou humanitaire sont maintenant prises en charge, et depuis longtemps, par la Confédération, les cantons, les communes, les assurances sociales ou les associations laïques. Le canton de Genève, le plus laïque du pays, est aussi très probablement celui qui assure la meilleure prise en charge des handicapés aussi bien physiques que mentaux, et il reçoit plus d'aide d'une fondation privée liée à une marque horlogère que d'une quelconque confession religieuse. Mais j'ai connu un diacre d'une Eglise protestante officielle (celle du canton de Vaud), qui semblait très amical envers les orthodoxes, jusqu'au moment où j'ai évoqué devant lui le fait que, dans notre société, la prise en charge des infirmes, des pauvres, des malades, était assurée par l'Etat. Comme il essayait de faire accroire le contraire ! Comme ils ont peur de se voir un jour retirer la manne étatique!
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