Le livre de JM Gourvil sur le "Notre Père"

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Jean-Louis Palierne
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Le livre de JM Gourvil sur le "Notre Père"

Message par Jean-Louis Palierne »

Le livre que vient de publier notre ami Jean-Marie Gourvil aux éditions de l’OEIL vient fort à point pour clarifier le débat récurrent (il est très ancien mais depuis quelques mois il enfle) concernant les traductions françaises du “Notre Père”. Le débat a été ranimé par la décision qu’a prise l’Assemblée des évêques orthodoxes de France en faveur de l’une de ces versions.

JMG a parfaitement raison de qualifier la situation actuelle de “situation de non-réception”. Seuls un petit nombre de fidèles, et très peu parmi les fidèles francophones, acceptent cette version. Mais le trouble va bien au-delà. Il s’avère en effet que ni la version adoptée par l’AEOF, ni aucune de celles qui étaient utilisées précédemment par les communautés orthodoxes présentes en France, aucune n’est capable de faire l’unanimité parmi les fidèles.

Une chose serait de dénoncer l’aberration ecclésiologique que représente une situation où une pléthore d’avêques orthodoxes concurrents sur un même territoire ne suffit pas à enseigner aux fidèles une prière commune à Dieu (et d’ailleurs le cherchent-ils vraiment ?). Nous réserverons ce débat à un autre fil de discussion. Une autre chose est de rechercher quelles sont les données du difficile problème que pose la traduction en français de la prière du Seigneur. C’est ici que le livre de JMG arrive à son heure : il est en vérité bien difficile de traduire cette prière dans notre langue.

Il y a six demandes dans la prière du Seigneur. Les difficultés se trouvent dans les demandes 4, 5 et 6. L’étude de JMG porte sur la deuxième partie de la sixième demande. C’est là que se trouve sans aucun doute la difficulté la plus grande. On peut seulement se demander s’il était utile d’écarter la deuxième partie de cette sixième demande, dont la solution dépend du même débat que celui que suscite la première partie, c’est-à-dire sur la révélation que nous apporte l’Évangile sur la nécessaire lutte spirituelle et sur la présence du Tentateur dans le monde.

C’est bien en vérité dans la nécessité de la lutte spirituelle pour la construction de la liberté humaine et dans l’affrontement avec le Tentateur que se trouve le fond du problème de la traduction de la sixième demande du NP. Il y a certes une double difficulté d’ordre philologique qui porte sur la traduction d’une part d’un verbe grec, “eispherô”, et d’autre part sur celle du substantif “peirasmos”. JMG montre bien que le dictionnaire ne permet pas de trancher clairement le débat, car “peirasmos” signifie presque toujours “tentation” dans le contexte du Nouveau Testament (mais pourrait aussi être traduit par “épreuve’ dans un contexte profane), cependant pour rendre le verbe “eispherô”, on ne peut pas supposer que Dieu notre Père puisse nous “induire”, nous “conduire” ou nous “introduire” dans la tentation.

La difficulté provient très probablement de ce que le texte grec du Nouveau Testament -- celui qui nous est transmis par l’Église, qu’elle utilise dans ses offices publics et qu’elle nous enseigne à prier -- traduit un sémitisme dans la construction modale, qui doit être rendu par une construction dans nos langues du genre de “nous laisse pas entrer”.

JMG utilise souvent deux études, malheureusement aujourd’hui difficilement trouvables car épuisées, l’une de l’exégète protestant Jeremias (Paroles de Jésus dans la collection “Foi vivante” de 1963), l’autre du catholique Jean Carmignac Recherches sur le Notre Père chez Letouzey en 1969. On doit cependant pouvoir les consulter en bibliothèque (beaucoup moins intéressant est le premier livre qu’on a fait écrire à Carmignac dans la collection “Foi vivante”, pour calmer les contestations de la traduction “œcuménique” qu’avait suscitées sa première étude, beaucoup plus fouillée). Il rappelle toutes les analyses philologiques que l’on peut faire sur cette phrase.

D’autre part les fidèles de langue grecque, comme le fait remarquer JMG, sans qu’il leur paraisse nécessaire de scruter grammaticalement une construction un peu difficile, n’ont aucune difficulté à comprendre que nous demandons que le Père ne nous laisse pas entrer dans la tentation. Cela fait partie de ce fameux “bioma” qui fonde depuis longtemps leur culture. La traduction slave du Nouveau Testamen est très littéralement calquée sur le grec, comme c’est le cas de toutes les traductions staroslaves, et produit le même résultat. Ni les uns ni les autres ne perçoivent combien il est difficile pour des occidentaux de demander à Dieu notre Père “de ne pas nous soumettre à la tentation”, ou bien qu’il paraisse très insuffisant à ceux qui se sont dirigés vers l’Église orthodoxe comme à la source de vérité, de Le prier pour Lui demander de “ne pas nous laisser entrer dans l’épreuve”.

Les mots qu’utilise le français sont chargés d’une longue histoire de malentendus spirituels., et la traduction du NP doit éviter de prêter le flanc à des interprétations qui nous renverraient dans les conceptions doloristes de la “rédemption”, de la nécessaire souffrance, de la “satisfaction”, de la prédestination etc. La formule “ne nous soumets pas à la tentation” qui avait fait l’objet en 1966 d’un accord “œcuménique” ne peut écarter ces vieux fantômes familiers, et JMG a tout à fait raison de montrer que cette formule tentait de rapprocher catholiques et protestants par un recours à une littéralité hébraïsante ; mais la formule qui a été adoptée par l’AEOF “et ne nous laisse pas entrer dans l’épreuve” écarte la réalité des ruses du Tentateur, et il faut regretter que JMG ait disjoint sa discussion de la traduction de la première partie de la 6ème demande, de celle de la seconde.

En réintroduisant le nom propre du Malin, cet être pervers qui, mais seulement dans la mesure où Dieu le lausse faire, vient par ses ruses tenter d’attirer l’homme de son côté, et ce côté c’est l’Enfer, en le faisant réapparaître dans la récitation du “Notre Père” d’où on avait cru pouvoir le gommer, les évêques orthodoxes ont à demi ouvert la voie à un retour à une spiritualité orthodoxe, qui n’oublie jamais que la lutte spirituelle est la contre-partie inéluctable de la construction de la liberté de chaque personne humaine. Mais alors pourquoi avoir nommé “épreuve” ce qui a toujors été considéré par les chrétiens comme la”tentation” ?

JMG titre l’un de ses paragraphes : « La peur du tragique et la perte de la culture de l’union à Dieu. » C’est excellement définir l’enjeu du débat spirituel contemporain. JMG en donne d’ailleurs une excellente description “sociologique”. C’est afin d’éviter cet écueil qu’il semble nécessaire de maintenir l’emploi du substantif français “tentation” pour rendre le grec “peirasmos”.

JMG propose cins traductions qui lui paraissent possibles. Toutes commencent par traduire le verbe “eispherô” qui se trouve (dans une construction négative) au début de la 6ème demande
par la construction “ne nous laisse pas”. Pour traduire “peirasmos” il propose, soit “tentation”, soit “épreuve”. Sans hésiter j’affirme ma préférence pour la traduction “tentation”, je viens de dire pourquoi. Reste à traduire le verbe “eispherô” lui-même. JMG propose trois possibilités (dans le cas du substantif “tentation”, mais seulement deux pour “épreuve”) : “succomber”, “entrer”, “être emportés”.

Mais la meilleure des traductions me semble être celle que proposait Carmignac, utilisant une construction très différente de celle du grec, mais c’est certainement la plus fidèle à la fois au sens littérall du texte, et au commentaire des Pères : « Garde-nous de consentir à la tentation »

Enfin JMG n’a pas seulement omis de parler de la seconde partie de la sixième demande, où la traduction française adoptée par l’AEOF a eu raison de mentionner à nouveau “le Malin” en l’appelant par son nom (alors que la traduction “œcuménique” parlait du “mal” de manière abstraite), pour les mêmes raisons qui demandent que nous parlions de “la tentation” et non de “l’épreuve” dans la première partie, il a également passé sous silence le problème posé par la traduction de la quatrième demande : «Donne-nous aujourd’hui notre pain...» “quotidien” ? “de ce jour” ? ou “essentiel” ? ou autre ? On a raison de renoncer au pain “de ce jour”. Mais pourquoi avoir préféré “essentiel” ?

Lorsque les Pères du 1er Concile œcuménique de Nicée ont composé le Symbole qui exprime le fond immuable de notre foi, ils n’ont employé que des mots qui se trouvaient dans le texte du Nouveau Testament, sauf un, qui leur a permis de rejetter l’arianisme et qui est le seul néologisme du Symbole. C’est le mot homoousios que l’on a aussitôt doté d’un équivalent latin : consubstantiel. Ces décisions du Concile de Nicée, comme tout le Symbole, s’imposent obligatoirement à tous les chrétiens. Or peut-on imaginer qu’en inventant le mot homo-ousios (c’est-à-dire : qui partage la même substance avec le Père et le Saint-Esprit) les Pères n’aient eu en mémoire que le Seigneur Lui-même, lorsqu’il nous a enseigné comment il faut prier notre Père, nous a commandé de Lui demander notre pain “epi-ousios”, c’est-à-dire : “le pain qui est destiné (c’est le sens du préfixe epi à notre substance”. Il faut en effet conserver cette cohérence dans la traduction des deux adjectifs composés avec l’élément -ousios, et puisqu’il a été décidé, depuis que le Concile de Nicée a composé la traduction latine, d’adopter l’équivalence homoousion/consubstantiel, il est nécessaire de traduire le epiousion du “Notre Père” par l’adjectif substantiel ou l’un de ses composés. (en fait il n’est probablement pas nécessaire de chercher à rendre le préfixe epi-). En préférant l’adjectif “essentiel” cherche-t-on à donner une image moins concrète, plus intellectuelle, de l’Orthodoxie ?

Voilà donc les quelques remarques que m’inspire le livre de JMG. Je le répète : il arrive à son heure, car nous n’avons certainement pas fini de parler de la traduction du “Notre Père” dans l’Orthodoxie francophone, et ce trouble montre bien l’absence d’une véritable autorité en son sein.
Jean-Louis Palierne
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Antoine
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Message par Antoine »

il a été décidé, depuis que le Concile de Nicée a composé la traduction latine, d’adopter l’équivalence homoousion/consubstantiel
Jean-Louis, où trouve t'on cette décision formulée de la sorte? Dans quels actes du conciles trouve -t-on cette traduction officialisée?
Qu'est-ce que ça fait si je traduis par co-essentiel? Pourquoi dit-on que le Christ a deux natures et non pas deux substances? Pourquoi parle-t-on de nature divine dans ce cas et non pas de substance divine?

Qu'est-ce que la substance? pourquoi dit -on que les trois hypostases partagent la même essence? Qu'est-ce que l'ousia? Qu'est-ce que l'hypostase, Et comme vous le diront les pré chalcédoniens, qu'est-ce qu'une hypostase qui n'est pas ancrée dans une nature?
D’autre part les fidèles de langue grecque, comme le fait remarquer JMG, sans qu’il leur paraisse nécessaire de scruter grammaticalement une construction un peu difficile, n’ont aucune difficulté à comprendre que nous demandons que le Père ne nous laisse pas entrer dans la tentation.
Peut-être, mais lorsqu'on demande à ces même fidèles de commenter ce que veut dire "ne pas entrer dans la tentation" on est très surpris de la diversité des réponses: la plupart du temps "ne pas entrer "est interprêter par "ne pas succomber à " et lorsque "ne pas succomber à" est suivi de "à l'épreuve" ils sont d'accord. Alors réciter en grec n'est que l'arbre qui cache la forêt des interprétations; et le livre de Job n'arrange rien bien au contraire...

nous n’avons certainement pas fini de parler de la traduction du “Notre Père” dans l’Orthodoxie francophone, et ce trouble montre bien l’absence d’une véritable autorité en son sein.
Ce trouble existe depuis toujours. Il suffit de lire la diversité des commentaires des Pères pour s'en apercevoir; Et je ne le lierais pas pour une fois à une absence d'autorité quelconque. Imposer par autoritarisme une interprétation qui sera à l'origine de la traduction retenue me semble illusoire. En revanche il serait bon de proposer deux ou trois formules acceptables et d'éliminer tout ce qui est inacceptable comme la traduction oecuménique par exemple.

Quand un terme comme ousia revêt autant de significations dans l'histoire de la philosophie et que les termes de nature, substance et essence ont aussi autant de particularismes selon l'auteur qui les emploie, on ne peut imposer une solution sans mettre un terme à la pensée.
Cela devient un crime métaphysique et une négation de toute théologie.
Comme vous dîtes : la discussion est ouverte !
Irène
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Message par Irène »

Je suis troublée par le remplacement de "tentation" par "épreuve". Pour moi, c'est même incompréhensible. Perdre un enfant, son travail, avoir un problème de santé sont des épreuves, et les épreuves sont inhérentes à l'existence humaine. Je ne vois pas de lien entre une épreuve et la tentation. Pour une épreuve, on n'a pas le choix.
Il y a peut-être confusion avec la locution "mettre à l'épreuve" mais qui n'a cependant pas le sens de "soumettre à la tentation".
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Antoine,

Pour le texte latin, le mieux serait de le consulter dans l’un des volumes que Denzinger a publiés sous le nom de “Enchiridion” (c’est-à-dire “Manuel”) qui sont des ouvrages que les profs de séminaires cathos avaient toujours sous la main et qui donnent une série de textes fondamentaux. L’un d’eux je crois s’appelle ‘Enchiridion Symbolorum”, et il contient certainement la meilleurs édition du texte. J’ai cru comprendre que le lecteur Claude les possède. Il pourrait peut-être scanner ce texte latin ?

Les décisions des Conciles œcuméniques, et d'un bon nombre de conciles locaux étaient bilingues parce que les Pères prenaient très au sérieux le rôle institutionnel de l’Église dans l’Empire, et très longtemps le latin est resté à côté du grec la langue des lois impériales (et les lettres latines étaient enseignées), même alors que les provinces latines n'étaient plus qu'un petit vestige.

le mot grec “ousia” était utilisé, sous le patronage d’Aristote pour désigner la nature commune aux différents individus d’une même espèce, cependant que le mot “hypostasis” (sur ce point je crois que les Pères ont forcé un mot qui n’était pas aussi fort chez les philosophes) désignait chacun des sujets porteurs de l’hypostase (ce mot vient d’un verbe qui signifie “se tenir sous”). Dans notre vocabulaire français moderne, on pourrait dire que “personne” se trouve du côté de l’hypostase, alors que l’ousia correspondrait à chaque nature commune à une classe d’êtres.

Voulant exprimer l’inconcevable révélation que nous a apportée le Seigneur, d’une Tri-divinité dont il est l’Un, les Pères du concile de Nicée (qui devaient repousser la doctrine impie d’Arius, pour lequel “il fut un temps où le Verbe n’était pas") ont utilisé ces deux mots pour affirmer que la foi chrétienne est : trois Hypostases possédant l’unique “ousia” divine : le Fils est “homo-ousios” au Père et au saint-Esprit., c’est à dire qu’il a la même unique Divinité.

En choisissant cette terminologie, les Pères ont en même temps donné à l’homme conscience de sa nature personnelle C’est parce que je sais que Dieu est Trinité que je prends conscience d’être réellement une personne responsable, libre et aimée et voulue par Dieu. Et c’est parce qu’ils voulaient exprimer en des paroles humaines la Révélation trinitaire que le Pères de Nicée ont inventé une notion qui n’était jamais venue à l’esprit des hommes, celle de la personne de l’homme. En réalité la notion de personne n’existe pas en dehors du monde chrétien.

Non seulement les décisions terminologiques des Pères de Nicée sont contraignantes, non seulement elles ont créées des notions nouvelles pour les hommes et ont choisi, tout au moins en grec et en latin, des termes pour les désigner, Mais ils ont sû lutter pour défendre ces mots. Les latins ont un moment voulu traduire “hypostase” par “substance” (ce qui est d’ailleurs conforme à l’étumologie: le “hypo” grec correspond au "sub” latin, et les deux racines verbales qui suivent sont les mêmes). Mais “substance” avait pris en latin de sens de la réalité informe qui peut recevoir plusieurs formes, ce qui est très différent du grec. Il y a eu toute une discussion sur ce point et les latins ont dû modifier leur terminologie et adopter “substance” pour “ousia” et “personne” pour “hypostase”.

Le Christ notre Sauveur, être unique et exceptionnel, unit dans son unique Hypostases la Substance divine (on dit plutôt la Divinité) et la sustance humaine ; ou bien : il unit en sa Personne unisue la Nature divine et la nature humaine. Par son Ascension il a fait asseoir la nature humaine sur le Trône de l'unique Divinité.

Nous les hommes, nous ne partageons pas notre commune nature humaine de la même manière que les trois Hypostases divines ont en commun l'unique Divinité.

“Essence” est un mot beaucoup plus tardif que "substance", qui a pris dans la scolastique médiévale le sens de principe abstrait, logique et immatériel. C’est ce qui me gêne lorsque l’on traduit le mot “epi-ousion” du Notre Père par “suressentiel’, car le pain de l’offrande eucharistique est bel et bien communion au Corps du Christ.

Je ne crois absolument pas qu’on puisse parler de diversité au sujet des commentaires que les Pères ont écrits sur le NP. L’ouvrage de Jean Carmignac (le vrai, sa thèse écrite au moment où il contestait la traduction protestantisante œcuménique, pas le petit livre qu’on lui a imposé d’écrire plus tard) rassemble un grand nombre de commentaires. Je l’avais, mais malheureusement j’ai dû le vendre en un temps de malheur... Jean-Marie Gourvil en a montré l’essentiel, mais uniquement sur la première partie de la sixième demande.

Parlant de la traduction adoptée par les évêques orthodoxes : « et ne nous laisse pas entrer dans l’épreuve », JMG a un passage où il résume excellemment tout l’enjeu du débat sur la sixième demande : « Il est tout à fait différent d’adopter une formule littérale “hébraïsante” dans un milieu grec qui prie sans cesse un “Dieu bon et ami des hommes”, et de la laisser passer dans un milieu où l’idée de l’enfer et de la condamnation programmée au nom de la Justice divine, a été présente dans la conscience de nombreux croyants pendant des siècles. »

Irène est gênée par l'usage du mot "épreuve" à la place du mot "tentation". Mais l'épreuve naturelle, comme celles qu'elle cite, ne fait partie que de notre nature présente, déchue. Nous possédions une nature sans ces épreuves, qui ne sont apparues qu'à la suite de la faute des ancêtres (le "péché originel") Nous sommes appelés, dans le Royaume à venir à retrouver une nature encore plus glorieuse. Et d'ici-là le Tentateur sait très bien utiliser les épreuves pour nous tenter. Il n'utilise pas que la ruse.

Or je suis heureux de constater que la traduction adoptée par les évêques réemploie le nom propre du Tentateur : le "Malin", au lieu de parler, comme on le faisait précédemment d'un mal général et abstrait.
Jean-Louis Palierne
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Antoine
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Message par Antoine »

Jean-Louis, merci de cette réponse. J’aurai l’occasion de revenir une autre fois sur ces termes qui soulèvent beaucoup de difficultés.
Vous dîtes :
Le Christ notre Sauveur, être unique et exceptionnel, unit dans son unique Hypostases la Substance divine (on dit plutôt la Divinité) et la sustance humaine ; ou bien : il unit en sa Personne unisue la Nature divine et la nature humaine.
Je remarque déjà là une première difficulté dans cette phrase ; c’est l’identification que vous semblez faire "substance / nature. " Vous dîtes que la substance est à l'hypostase ce que la nature est à la personne?

Ensuite vous dîtes :
Nous les hommes, nous ne partageons pas notre commune nature humaine de la même manière que les trois Hypostases divines ont en commun l'unique Divinité.
Ne sachant pas a priori où vous mettez les distinctions je dirais Oui et non. Sinon comment pourriez vous dire que « Par son Ascension il a fait asseoir la nature humaine sur le Trône de l'unique Divinité. »
Que la chute soit venue modifier notre « partage » de cette nature commune, oui. Que le fait d’être créé ne nous donne pas ce partage de toute éternité oui. Mais dans ce cas c'est la différence entre "créé" et "engendré" qui est pertiente. Pour le reste je ne serais pas aussi affirmatif. Je dirais que, de même que chaque hypostase n'est pas Dieu par participation aux deux autres mais possède en soi la plénitude de la divinité, chaque personne humaine possède l'humanité en plénitude. Sinon comment expliquer que par la chute d’un seul c’est toute la nature qui a été déchue et que par un seul c’est toute la nature humaine qui est sauvée. Vladimir Lossky voyait en cela la preuve qu’il n’y avait pas de « nature » angélique, car pour les anges c’est la révolte de chaque ange individuellement qui le pousse à la perdition. Le Christ ne s’est pas incarné dans un ange pour sauver la nature angélique parce qu’il n’y a pas de nature angélique.

Nous avons nous une nature humaine poly-hypostatique. Et dans notre perception du péché nous ressentons à quel point chaque faute ajoute aux souffrances de l’humanité, chaque péché est une amplification du mal dont pâtit la nature humaine entière; chaque péché est Le péché de tous. La chute a entraîné un processus d'individuation qui en nous coupant de Dieu, nous coupe des autres hypostases humaines et nous dépersonnalise.

Le Père Sophrony l’explique très bien dans son livre : "La prière expérience de l’éternité (cerf) P 146"

« Ainsi, nous connaissons que notre péché personnel est le péché de tout le genre humain. Et la prière sacerdotale pour le pardon des péchés du monde est le repentir pour toute l’humanité. Pardonnez-moi: je n’arrive pas à exprimer par des mots ce dont il est question ici... Tout homme qui se repent vraiment de ses transgressions contre l’amour du Père est transporté par la force de Dieu lui-même dans cette sphère maintenant mystérieuse pour nous. Moi-même, je suis un homme quelconque, mais j’appartiens au grand corps de l’humanité totale, dont je ne puis me détacher. Au commencement, je ressens mon péché comme étant seulement le mien; mais, par la suite, il devient clair pour moi que c’est le même péché que celui qui est décrit dans la Bible, dans le livre de la Genèse (chapitre 3). Je suis insignifiant, mais ce qui se passe en moi n’est pas insignifiant, même aux yeux de Celui qui m’a créé. Ne s’est-il pas « vidé » jusqu’à un extrême « abaissement », inconcevable pour nous? II a accompli cela tout en étant par nature le Dieu infiniment grand. Pourquoi? Pour nous sauver. »

La chute a généré un véritable morcellement de la nature en individus mais initialement il n’en était pas ainsi.Il n’y avait que la personne. On peut retrouver cette perception de la nature humaine poly-hypostatique dans la prière.
Je cite encore le Père Sophrony mais cette fois dans un autre livre: "Sa vie est la mienne (Cerf) P31"

« Le commandement du Christ est la projection de l’amour céleste sur le plan terrestre. Réalisé dans son contenu véritable, il rend la vie de l’humanité semblable à celle du Dieu trinitaire. On commence à saisir ce mystère quand on prie pour le monde entier comme pour soi-même. Dans cette prière, on vit la consubstantialité du genre humain. Il est capital de ne pas en rester à des notions abstraites mais d’accéder à des catégories existentielles, c’est-à-dire ontologiques.
Dans la vie de la Trinité, chaque Hypostase est porteuse de la plénitude de l’Etre divin et, de ce fait, est dynamiquement égale à la Trinité tout entière. Atteindre la plénitude de la divino-humanité, c’est devenir dynamiquement égal à l’humanité dans son ensemble. Là réside la signification véritable du second commandement qui est , en effet, « semblable au premier » (Mt 22,39)


Le Père Sophrony montre très bien dans les pages suivantes en quoi la prière pour le monde est la forme hypostatique de la prière. Par exemple P 44 et 45

« A partir du moment où le Saint-Esprit nous accorde de connaître la forme hypostatique de la prière, nous pouvons commencer à briser les fers qui nous entravent. Emergeant de l’étroite cellule de l’individualisme égoiste vers les vastes étendues de la vie à l’image du Christ, nous - comprenons la nature du « personnalisme» de l’Evangile. Arrêtons-nous un instant pour examiner la différence entre les deux concepts théologiques d’« individu » et de « personne ». il est reconnu que l’ego est l’arme dans le combat de l’existence de l’individu refusant l’appel du Christ qui nous demande d’ouvrir nos coeurs à un amour total et universel. La « personne », au contraire — qu’il s’agisse de l’Etre divin ou de l’être humain —, est inconcevable sans l’amour qui étreint tout. Un effort ascétique prolongé et ardu peut nous ouvrir les yeux à l’amour enseigné par le Christ, et nous pouvons saisir le monde entier par nous-mêmes et par nos propres souffrances et recherches. Nous devenons pareils à un récepteur de radio qui capte les ondes qui remplissent l’atmosphère, et pouvons assumer l’élément tragique présent non seulement dans la vie d’individus isolés mais aussi dans celle du monde entier — et alors nous prions pour le’ monde comme pour nous-mêmes. Dans une telle prière, l’esprit perçoit les abîmes du mal, les funestes conséquences du fait d’avoir goûté au fruit « de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ». Mais’ ce n’est pas seulement le mal que nous rencontrons, nous entrons aussi en contact avec le Bien absolu, avec Dieu qui transfigure notre prière en vision de la Lumière incréée. L’âme peut alors oublier le monde pour lequel elle priait et perdre conscience du corps. La prière de l’amour divin devient notre être même, notre corps.
L’âme peut retourner au monde, mais l’esprit de l’homme qui a fait l’expérience de cette résurrection et qui s’est existentiellement approché de l’éternité est encore plus fortement convaincu que la tragédie et la mort sont la conséquence du péché et qu’il n’est d’autre voie de salut que le Christ. »


Vous dîtes également:
Parlant de la traduction adoptée par les évêques orthodoxes : « et ne nous laisse pas entrer dans l’épreuve », JMG a un passage où il résume excellemment tout l’enjeu du débat sur la sixième demande : « Il est tout à fait différent d’adopter une formule littérale “hébraïsante” dans un milieu grec qui prie sans cesse un “Dieu bon et ami des hommes”, et de la laisser passer dans un milieu où l’idée de l’enfer et de la condamnation programmée au nom de la Justice divine, a été présente dans la conscience de nombreux croyants pendant des siècles. »
Je ne suis pas sûr de vous comprendre, (vous ou Jean Marie mais je n'ai pas encore son livre). La forme hébraïsante, défendue par Carmignac qui pense l’avoir retrouvée en retraduisant le grec vers l’araméen, réside dans la négation -et ce sur quoi elle porte- et dans la forme "causatif" de la conjugaison du verbe hébreu qui n'existe pas en grec .« Fais que nous n’entrions pas dans » n'a plus le même sens que «ne fais pas que nous entrions dans». S'il y a une solution littéralement proche de l'hébreux c'est assurément la première "faire que ne pas" mais hélas c'est la seconde "ne fais pas que " qui a été retenu en grec.
Il fait entre autre un parallèle avec un psaume apocryphe retrouvé dans la grotte 11 de Qumran:«Souviens toi de moi et ne m'oublie pas! Fais que je n'entre pas dans des difficultés trop lourdes pour moi! »

« Ne nous soumets pas à » est une fausse négation dans la mesure où effectivement elle suppose que Dieu nous soumet à quelque chose, voire à l'enfer et à la limite elle nous innocente car si Dieu qui nous soumet à, qu'y pouvons nous? Elle est une adaptation de "ne fais pas que nous" et se trompe d'objet de négation. Mais « ne nous laisse pas entrer dans » adopté par l'AEOF (j'aurais préféré "garde nous de") ne gêne en rien l’affirmation d’un Dieu bon et ami des hommes. Elle est plus proche de l'hébreu (supposé)que la version grecque et a priori je ne vois pas en quoi elle pourrait induire un rapport avec l’enfer ou la justice condamnante de Dieu.

Reste à savoir si c’est tentation ou épreuve qu’il faut employer et répondre au trouble d'Irène.
eliazar
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Message par eliazar »

Il se pourrait bien que ce soit Irène qui ait raison – non pas de manière essentielle, étymologique, mais par rapport avec le sens commun que la langue française moderne donne aux mots « épreuve » et « tentation ».

Il ne faudrait pas entièrement perdre de vue que le Notre Père est une prière quotidienne, que les petits enfants eux-mêmes l’utilisent quotidiennement, et que s’ils la comprenaient de travers, il faudrait de bien longs développements catéchétiques pour rectifier plus tard leur erreur initiale – car elle se serait complètement installée dans leur esprit.
Non que je souhaite qu’en grandissant en sagesse, l’enfant n ‘approfondisse pas sa perception brute initiale par l’étude catéchétique du sens profond que reçoivent les notions et les mots dans le Verbe divin.

Mais je constate une réalité évidente : il n’existe pas de catéchèse générale du peuple chrétien – sinon la répétition dans la Liturgie des textes sacrés choisis par nos Pères pour mieux nous « enseigner en priant » : Lex orandi… Toutes les autres tentatives se sont révélées boiteuses, ou disons insuffisantes : les catéchismes enfantins deviennent des séances récréatives, au cours desquelles des jeux pieux remplacent souvent l’analyse (jugée trop difficile « pour eux ») – et les conférences spirituelles ne touchent en général que des chrétiens d’âge mûr (ne serait-ce que parce qu’ils ont davantage de temps pour s’y rendre) et déjà attirés vers la soif d’apprendre par une motion intérieure. Alors que le Verbe nous a donné le Notre Père absolument pour tous les Baptisés – j’aurais presque envie de dire pour tous les êtres humains, dans la mesure où ce texte divin ne fait usage d’aucune subtilité théologique intellectuelle (pas même de la Tri-Unité) mais énonce simplement les données élémentaires que tout « croyant » (même le plus basique) éprouve comme par instinct : par le seul fait que sa nature d’être humain créé l’ait constitué « à l’image », et par conséquent l’appelle à parvenir « à la ressemblance » de Dieu.

Si je ne trompe pas en ce qui précède, l’épreuve de Job peut aussi bien être traduite par le mot fondamental « épreuve » (Dieu laisse Satan mettre la fidélité de Job à l’épreuve du malheur, pour voir s’il tiendra) que par le mot « tentation » : Dieu permet en effet à Satan de tenter Job pour lui faire « renier Dieu » - dans le sens populaire du vieux blasphème paysan : « Jarnidieu », ou sa déformation régionale « Jarniguié ».
Et Irène pourrait équivalamment souligner que l’épreuve signifie de plus en plus, pour la langue courante de notre siècle, la compétition ou l’estimation des connaissances, voire des compétences : leur mise à l'épreuve, comme la fidélité de Job l'a été.

Tandis que la tentation est encore de nos jours sans équivoque : je suis tenté, donc je résiste à la tentation ou je n’arrive pas à y résister, et alors je tombe.
La tentation exprime une notion proche du vertige, un appel difficilement résistible vers l’abîme, la chute. Tandis que l’épreuve, on peut la réussir ou la rater, cela reste tout de même secondaire. Et l’épreuve ne suppose pas l’usage de la volonté libre de l’être, mais simplement la vérification de ses possibilités du moment.

Ne pourrait-on pas traduire par « ne nous laisse pas emporter DANS la tentation » ? au sens de « au cours de » la tentation ! Ou bien sûr « garde-nous DE la tentation » ( ne serait-ce qu’à cause de l’ambiguïté, dans ce cas, du mot « dans » qui pourrait faire confondre « garder dans » avec « maintenir dans » la tentation !) – mais cette formule serait moins précise : garder de la tentation peut simplement signifier « éviter toute tentation », comme on se garde de tout péril (enfin, en principe) en restant bien à l’abri dans ses pantoufles… Ou encore, ne pourrait-on dire : « ne nous laisse pas succomber DANS LA tentation » ?

Un autre point m’intéresse particulièrement dans cette discussion d’Antoine et de Jean-Louis, celui de la nature humaine et de la non-nature angélique. Il me semble qu’on pourrait encore mieux saisir cette différence ontologique entre les êtres corporés et les incorporels si nous cherchions la différence dans la notion de génération.

Antoine écrit en effet : « … de même que chaque hypostase n'est pas Dieu par participation aux deux autres mais possède en soi la plénitude de la Divinité, chaque personne humaine possède l'humanité en plénitude. Sinon comment expliquer que par la chute d’un seul c’est toute la nature qui a été déchue et que par un seul c’est toute la nature humaine qui est sauvée ? Vladimir Lossky voyait en cela la preuve qu’il n’y avait pas de « nature » angélique, car pour les anges c’est la révolte de chaque ange individuellement qui le pousse à la perdition. Le Christ ne s’est pas incarné dans un ange pour sauver la nature angélique parce qu’il n’y a pas de nature angélique. »

... Et donc : il n’y a pas de nature angélique parce que chaque ange est créé directement par le Créateur ; les anges sont multitude. Chacun de ceux qui se sont joints à la révolte initiale l’a fait pour son compte ; ils ne sont pas les maillons d’une chaîne d’êtres mais des individus uniques. Ils sont "indépendants" les uns des autres.

Certes chaque homme possède aussi son libre arbitre et donc la possibilité d’un choix individuel et librement choisi - mais cependant les conséquences de son choix se répercuteront sur les suivants. Le père qui dilapide le patrimoine familial condamne ses descendants à repartir à zéro dans l’échelle sociale, par exemple. Comme les parents qui ruinent leur capital génétique, ou abîment leur santé, condamnent leurs descendants à toutes les conséquences des déficiences ou des maladies héréditaires.
Le péché de nos premiers parents nous a de même laissé en héritage des conséquences qui ont affaibli, diminué (altéré) pour tous leurs descendants le libre exercice des facultés qu’ils avaient, eux (Adam et Ève), reçues intactes du Créateur. C’est notamment leur désobéissance qui nous rend tous sujets à succomber à la tentation.

Ne pourrait-on pas dire équivalemment que Dieu ayant créé L’homme – et L’ayant créé immortel, a créé à la fois UN être et sa nature - la perte de cette immortalité par la désobéissance initiale (« au cas où … alors : vous mourrez ») ayant contraint l’Adam et son Ève à se reproduire, c’est leur nature « devenue pécheresse » qu’ils ont transmise – comme les parents atteints de maladie génétique avant de procréer vont transmettre à leurs enfants la maladie qu’ils n’avaient cependant pas en eux au moment de leur propre naissance ?

En tous les cas, un immense merci à Antoine d’avoir si opportunément cité ces textes fondamentaux du Père Sophrony !
Jean-Marie Gourvil
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Message par Jean-Marie Gourvil »

Chers amis, Peu familier des dialogues sur internet je n'ai pas réussi facilement à comprendre la technique. Chritophe Levalois m'avait envoyé le texte de Jean Louis Palierne. C'est un message d'Antoine qui m'a poussé à insister dans mon apprentissage d'internet. Je fus surpris et "consolé" lorsque j'ai découvert votre dialogue. Le livre fut écrit dans une certaine solitude. N'étant pas théologien "de métier" je n'ai pas pu m'appuyer sur un réseau d'amis dans cette discipline. Venant des sciences humaines et du travail social j'avais l'impression de suivre un chemin en solitaire mais aussi, de travailler des enjeux que je percevais comme importants. C'est la lecture durant les mêmes années des Pères et des historiens des mentalités (Max Weber et Michel Foucault notamment) qui m'ont amené à produire ce texte.

J'ai constaté que la gestion de la souffrance était enfermée dans les murs des asiles ou les traitements idéologiques divers. Les Eglises n'ont plus assumés leur histoire et se sont laissées porter par les vagues des idéologies. La lecture des Pères m'a ancré progressivement dans la conviction que c'est dans l'épreuve que l'homme découvre Dieu. La phrase "ne nous soumets pas à la tentation" me paraissait impossible au regard de la Tradition et de l'aide que l'on doit apporter à ceux qui souffrent. La dernière citation du livre, celle de Julienne de Norwich, résume assez bien ce que j'avais perçu.

Il faudra du courage collectivement pour reposer le débat du Notre Père et celui de l'Union à Dieu dans l'épreuve et ceci non dans une perspective doloriste mais dans une perspective mystique. Nous retrouvons ici un combat parallèle à celui de Grégoire Palamas. Oui l'Union à Dieu est une expérience possible même si elle n'est que partielle et fugace, mais cette expérience ne peut se faire que dans le creux de l'être, dans le désert. C'est le combat de toute une vie. Ne faudrait-il pas s'autoriser à un colloque sur le Notre Père en invitant nos évêques afin que soit réouvert le débat? Après internet ne faut-il pas un dialogue en face à face? Merci de me sortir de ma solitude.
Antoine
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Message par Antoine »

Jean-Marie quand tu écris:
La lecture des Pères m'a ancré progressivement dans la conviction que c'est dans l'épreuve que l'homme découvre Dieu.
a priori le fait que l’homme découvre Dieu dans l’épreuve rend donc impossible à tes yeux la traduction "ne nous laisse pas entrer dans l'épreuve" car cela reviendrait à demander "ne nous laisse pas te découvrir"...
ce qui serait effectivement un comble!

Mais si la première épreuve dans laquelle nous sommes entrés est la consommation de l'arbre de la connaissance du bien et du mal alors peut-être cette traduction est justifiée. Car à la lecture de ce texte de Maxime ci- après, on voit que l'épreuve se rattache aux sens."Le propre de l’opposé à la sagesse c’est l’absence de raison et les sens." La tentation ayant fait chuter l'homme et l'ayant privé de sa nature originelle, c'est maintenant aux épreuves qu'il aura continuellement à faire face, étant conduit par les sens et devant continuellement lutter contre eux par le "noûs".
Ceci expliquerait pourquoi Jésus fut mené dans le désert pour y être tenté. Non pas que Dieu le soumît à la tentation par l'entremise de Satan, mais parce que Jésus , nouvel Adam, premier né, était revêtu de notre nature originelle et subissait donc, mais victorieusement, cette tentation qui avait fait chuter Adam de cette même nature. La soumission totale de sa volonté humaine à sa volonté divine lui a fait préférer l'arbre de vie à celui de la connaissance du bien et du mal.
Puis toute sa vie il aura volontairement fait subir à sa nature humaine les épreuves que nous connaissons nous-même maintenant, nous qui avons chuté dans la tentation originelle. Il aura pris les conséquences du péché sans le péché lui-même.
Ne nous laisse pas entrer dans l'épreuve signifierait ainsi : ne nous laisse pas être menés par les sens au détriment du "noûs" comme le suggère St Maxime. Car les sens s'opposent à la sagesse donc à Dieu.
Ne nous laisse pas nous opposer à Toi.
Et cela rejoint alors parfaitement le "que ta volonté soit faite". Les trois premiers versets s'adressant à la Trinité:
- notre Père
- que ton Nom : c'est le Fils)
- que ton Règne (ou dans une ancienne version que ton royaume):c'est l'Esprit saint.

Le que ta volonté soit faite qui vient juste derrière est bien la demande de mise en conformité de la volonté humaine avec la volonté divine partagée par les trois personnes de la Trinité, l'épreuve dans laquelle on entre étant la soumission aux sens qui nous éloigne de Dieu, de l'arbre de Vie et nous fait entrer dans la mort de l'arbre de la connaissance du bien et du mal.
L'épreuve est ce qui suit la tentation. La tentation n'est pas en soi éloignement de Dieu alors que l'épreuve, oui. l'épreuve est la chute dans la tentation.
Donne nous notre Pain "epi-ousion" est la nourriture qui permet le "que ta volonté soit faite", elle est l'arbre de Vie que le Christ nous rend par sa résurrection.
Le "remets-nous nos nos dettes comme nous remmettons est la demande de rétablissement collectif de la consubstantialité de notre nature originelle poly hypostatique et non pas un marchandage de "donnant - donnant" ou une juste rétribution. (On ne demande pas à Dieu d'être équitable.) Cette consubstantialité étant déjà comprise dans le "Notre" du début.
Ne nous laisse pas entrer mais delivre nous du Malin devient alors la conclusion logique de l'ensemble, la demande d'aide dans le rétablissement des sens soumis au "noûs" comme ils l'étaient dans notre nature originelle non vouée à la mort.


ST MAXIME : QUESTIONS A THALASSOS


QUESTION XLIII

Si l’Écriture dit que l’arbre de vie est la sagesse, et l’oeuvre de la sagesse de discerner et de connaître; en quoi l’arbre de la connaissance du bien et du mal diffère-t-il de l’arbre de vie (1)?


RÉPONSE

Les docteurs de l’Église, bien que capables de dire bien des choses sur le point en question, tiennent pour préférable, en honorant ce passage surtout par le silence, à cause de l’intelligence de la plupart qui ne peut atteindre à la profondeur de l’Ecriture, de n’en rien dire de : c’est trop profond. Et si certains en ont parlé en jaugeant auparavant la capacité de leurs auditeurs, ils ne se sont exprimés qu’en partie et pour l’utile des enseignés; néanmoins ils ont laissé la plus grande part sans explication. De sorte que j’aurais moi aussi passé outre en silence à ce passage, mais j’ai pensé à ne pas faire de peine à votre âme aimant Dieu. Pour vous je parlerai donc de ce qui peut aller à l’intelligence de tous, grands et petits.

Le bois (2) de la vie et l’autre qui ne l’est pas, du seul fait que l’un est appelé bois de vie et pas l’autre, mais de connaissance du bien et du mal, ont une énorme différence qui passe même les mots. Car le bois de vie est toujours donneur de vie; le bois non de vie l’est évidemment de mort. Car le bois qui ne donne pas la vie du fait qu’il n’est pas déclaré bois de vie, serait, c’est clair, bois de mort, car rien d’autre n’est séparé de la vie que son contraire.
Par ailleurs, en tant que sagesse, le bois de vie a aussi une très grande différence avec le bois de la connaissance du bien et du mal, qui n’est ni sagesse ni appelé tel. Car le propre de la sagesse c’est le noûs et le verbe. Le propre de l’opposé à la sagesse c’est l’absence de raison et les sens. Donc puisque l’homme est né constitué d’une âme intelligente et d’un corps, qu’il n’y ait qu’une seule acception du bois de vie: le noûs de l’âme, dans lequel réside la sagesse. Le bois de la connaissance du bien et du mal, ce sont les sens du corps dans lesquels il est clair qu’il y a la motion de déraison. L’homme qui avait reçu le divin commandement de ne pas y toucher, tenté de le faire, ne l’a pas observé.L’un et l’autre bois selon l’Ecriture ont [capacité de] discernement ;
donc le noûs et les sens. Ainsi le noûs distingue les noétiques et les sensibles, le temporel et l’éternel ; ou mieux il est la faculté discernante de l’âme et la persuade de s’attacher aux uns et de s’élever au-dessus des seconds. Les sens ont capacité de discerner le plaisir et la douleur du corps ; ou mieux c’est une faculté des êtres animée et sensible qui pousse à connaître l’un et à rejeter l’autre. Si donc l’homme n’a plus que le discernement sensible seulement à ce qui procure plaisir ou douleur au corps, ayant transgressé le commandement il mange du bois de la connaissance du bien et du mal, c’est-à-dire la non-raison des sens ne discernant que ce qui profite au corps; le bien étant le plaisir et le mal la douleur; le premier accepté, l’autre repoussé. Si d’autre part il s’attache au seul discernement noétique des siècles et du temporel en gardant le commandement divin, il mange du bois de vie, la sagesse constitutive du noûs, j’entends, n’ayant que le discernement soutenant l’âme; elle s’attache avec lui à la gloire de l’éternité et s’abstient du temporel qui le corrompt.
Ainsi donc grande est la différence entre les deux bois, de leur discernement naturel et du reflet inné en chacun et du sensible]. Parler du bien et du mal sans marquer les distances peut par homonymie entraîner une errance considérable chez ceux qui sans retenue ni sagesse abordent aux verbes de l’Esprit. Mais vous qui par grâce êtes sages, vous savez bien que ce que l’on dit tout uniment être mal n’est pas toujours du mal, mais à un égard du bien et à un autre du mal, vous gardant ainsi de ce qu’il y a de fautif dans cette homonymie.

1. Gen. 2,9.
2. Les Pères disent en effet : bois, et non arbre.




Je fais remonter à proximité de cette rubrique deux autres rubriques "Traduction des offices en Français" et "Nouvelle traduction officielle du "Notre Père" dans lesquelles le débat s’était engagé sur la traduction du Notre Père. Il faut les relire et poursuivre le débat dans celle-ci
Irène
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Message par Irène »

Dans "ma" traduction du Notre Père, il est écrit : "ne nous laisse pas succomber à la tentation" que je trouve très différent de "ne nous soumets pas à la tentation". Je vois mal Dieu nous soumettre volontairement à la tentation, c'est une vision très catholique romaine de Dieu ; En revanche, l'aide Divine nous permettant de surmonter les pièges du mal (ou du malin) me paraît tout à fait correcte. Je ne suis toujours pas d'accord sur le mot épreuve - et j'ai dit plus haut pourquoi. C'est ici et maintenant -après la chute - que nous sommes inévitablement confrontés aux épreuves de toutes sortes. Je continue donc à faire la distinction entre épreuve et tentation. La tentation est évitable. Les épreuves de la vie - telles que ce mot signifie dans la langue française - nous sont imposées.
Antoine
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Message par Antoine »

Irène vous dîtes:
Je vois mal Dieu nous soumettre volontairement à la tentation,
Comment comprenez vous ce passage de Math. IV,1: "Alors Jésus fut conduit par l'Esprit au désert pour être tenté par le Diable."
Ne trouvez vous pas bizarre que ce soit l'Esprit qui "conduise"?

En revanche, l'aide Divine nous permettant de surmonter les pièges du mal (ou du malin) me paraît tout à fait correcte.
Dans votre terminologie, l'aide divine ne permet -elle pas de surmonter les épreuves?
Je ne suis toujours pas d'accord sur le mot épreuve - et j'ai dit plus haut pourquoi. C'est ici et maintenant -après la chute - que nous sommes inévitablement confrontés aux épreuves de toutes sortes. Je continue donc à faire la distinction entre épreuve et tentation. La tentation est évitable. Les épreuves de la vie - telles que ce mot signifie dans la langue française - nous sont imposées.
Oui vous avez raison de distinguer épreuve et tentation mais dans le texte de Maxime que je vous ai cité ci-dessus on voit bien que finalement l'épreuve est un englobant, la toile de fond de notre existence dûe à la soumission du "noûs" aux sens et que la tentation est seconde. La tentation est cet 'éloignement dans l'épreuve (c'est à dire dans la soumission des sens au noûs) qui devient une transformation de l'épreuve en rébellion contre Dieu. Demander de ne pas entrer dans l'épreuve c'est prier pour un rétablissement de notre nature originelle (telle que le baptème nous le confère) pour laquelle avant la chute les sens étaient soumis au noûs; c'est demander l'actualisation permanente du baptème. Certains Pères affirment qu 'au moment du baptème le démon est chassé à la périphérie du "noûs"; cette régénératiopn baptismale nous permet de ne pas entrer dans l'épreuve mais nous nous "ré-adamisons". C'est une autre vision théologique de saint Maxime que j'ai éssayé de présenter succintement. Nous avons le baptème, l'eucharisrie et la prière du notre Père.


Vous trouverez ci dessous un autre texte de Saint Maxime issu du «Dialogue entre saint Maxime le Confesseur et Théodose» (Acta 137 B-140 A)
que j'avais déjà cité dans la rubrique "traduction des offices en français":


"Dépend de nous tout ce qui est délibéré (exousia), c'est-à-dire les vertus et les vices; ne dépend pas de nous ce qui survient pour nous éprouver, ou le contraire, par exemple : ni la maladie qui éprouve, ni la santé qui réjouit ne dépendent de nous, bien que nous puissions en être la cause, par exemple une vie désordonnée est cause de maladie, une vie bien ordonnée cause de santé ; et la garde des commandements est cause du Royaume des cieux, de même que leur transgression l'est du feu éternel.
Faut-il comprendre que les choses extérieures qui nous arrivent ne dépendent pas de nous et sont en quelque sorte programmées ou prédestinées tandis que ne dépend de nous que notre attitude intérieure et notre réaction par rapport à ce qui nous arrive de l'extérieur ? Dans ce cas pourquoi ne pas prendre en considération le cours des astres et leur influence sur nous comme le fait l'Astrologie qui ne toucherait pas à Dieu ni à notre libre-arbitre mais nous indiquerait seulement à la fois ce qui est probable dans notre avenir et les prédispositions naturelles de notre caractère par rapport aux autres et au réel ? Après tout ne nous appartient-il pas dans notre liberté de réagir d'une façon ou d'une autre par rapport aux événements même si nous n'en pouvons changer le cours ? Le défi consisterait donc à dépasser notre nature humaine trop humaine pour nous positionner et nous orienter différemment de ce à quoi nous porte spontanément notre nature, autrement dit de dépasser notre nature pécheresse déchue pour entrer dans le plan de divinisation prévu par Dieu pour nous sauver ? N'est-ce pas la leçon finale du Bon Larron, premier habitant du paradis, cloué sur sa croix par ses péchés à n'en pas douter, impuissant à changer quoi que ce soit de sa vie extérieure, mais tourné avec confiance vers son Seigneur, à la fois reconnaissant son péché et totalement certain de l'existence du royaume et confiant en la miséricorde divine. Il n'y aurait donc que cela à faire : se tourner vers Dieu, impuissant à avoir pu changer non seulement le cours de sa vie, résultat en partie de ses péchés, mais également sa nature de pécheur. Ce n'est donc pas purifié, parfait, ni saint que cet homme se présente devant Dieu, mais tout souillé de ses péchés et il est sauvé, comme tous les pécheurs de l'évangile !
Certes l'on pourrait penser que faire appel à cette connaissance de notre destin ou de notre karma est un manque de foi, de confiance en Dieu. Sans doute n'aurions-nous pas besoin de connaître ce qui va nous arriver mais plutôt de savoir comment réagir par rapport à ce qui nous arrive quoi que ce quoi. Mais enfin savoir qu'une période va être difficile peut apaiser un peu notre impatience et nous mieux prédisposer à affronter l'adversité et à nous abandonner dans le réconfort de la miséricorde divine qui peut nous porter, nous aidant à supporter. De même que savoir à l'avance qu'une période sera bonne peut nous inciter à l'humilité au lieu de nous en glorifier sachant que cela dépend peu de nous réellement. Savoir que nous avons peu de pouvoir sur cette vie et ce que nous sommes appelés à y faire devrait nous inciter à relativiser dans un sens comme dans l'autre à suivre un chemin de traverse pour notre passage dans cette vie terrestre.

Quoi qu'il en soit je préfère cette interprétation à ces poncifs théologiques pseudo consolateurs qui prétendent que Dieu permet le mal pour notre bien. De même dit-on que Dieu reprend ce qu'il a donné quand nous mourons. Le mal qui nous arrive est plutôt en partie le produit de nos erreurs dans notre histoire personnelle, en partie celui des erreurs de nos ancêtres dont nous subissons les conséquences, en partie celui des caprices de la nature incontrôlable voire imprévisible malgré les efforts humains dans ce sens . Dieu ne permet rien du tout pour notre bien mais plutôt Il laisse l'homme libre de ses actes et de ses conséquences et ne vient à son aide que spirituellement pour l'aider à traverser ce désert en lui permettant d'être uni au plus près de ses capacités. Quant à son intervention en ce monde j'ai du mal à y croire malgré tous les récits édifiants qui le prétendent et qui font dire aux peuples les plus guerriers comme aux saintes personnes dont on fait un récit édifiant de la vie dans tous les synaxaires, que Dieu est avec eux."


Quand Maxime écrit:
Le mal qui nous arrive est plutôt en partie le produit de nos erreurs dans notre histoire personnelle, en partie celui des erreurs de nos ancêtres dont nous subissons les conséquences, en partie celui des caprices de la nature incontrôlable voire imprévisible malgré les efforts humains dans ce sens . Dieu ne permet rien du tout pour notre bien mais plutôt Il laisse l'homme libre de ses actes et de ses conséquences et ne vient à son aide que spirituellement pour l'aider à traverser ce désert en lui permettant d'être uni au plus près de ses capacités
Cela signifie que la tentation est extérieure à notre nature alors que l'épreuve y est inhérente.
Le Christ a pris sur lui toute notre nature et devant la passion il s'écrie "non pas ma volonté mais la tienne". de là découle la théologie de Maxime sur la double volonté.
Le notre Père reprend "que Ta volonté soit faite.
Les épreuves découlent du fait que l'homme a une volonté libre et de l'usage qu'il en fait; Lorsque cette volonté s'identifie avec celle de Dieu il avance vers la divinisation. Lorsque sa volonté s'en éloigne pour affirmer l'indépendance du sujet il va d'épreuve en épreuve. On est donc bien fondé à dire "ne nous laisse pas nous éloigner", "ne nous laisse pas entrer dans l'épreuve" Et Maxime distingue bien les trois états auxquels nous somme confrontés:
1) "les produits de nos erreurs"
2) les conséquences des erreurs de nos ancêtres (la nature humaine déchue)
3) les conséquences du cosmos déchu par l'insoumission de l'homme et qui se rebelle contre l'homme.

Ces trois conséquences sont dans le récit biblique de la chute.
Dieu n'envoie pas d'épreuves. Elles sont toutes contenues dans le "tu mourras". La seule épreuve était celle de la loi donnée à Adam.


Cette traduction "Ne nous laisse pas entrer dans l'épreuve " rejoint le "fait que nous vivions selon tes commandements"; préserve nous du mauvais usage de notre volonté, ou apprends nous à faire ta volonté.Car entrer dans l'épreuve est un éloignement volontaire de Dieu, et les conséquences ne peuvent qu'en être pénibles.

Je suis d'accord avec vous que "Ne nous soumets pas à la tentation "serait au mieux une injonction que nous pourrions dire à Satan, pas à Dieu! Et cette Traduction oecuménique se trompe donc gravement d'interlocuteur! Dieu ne tente personne. Mais dire que
les épreuves de la vie - telles que ce mot signifie dans la langue française - nous sont imposées
Pas exactement. Le mot grec "peirasmos" se traduit aussi bien par épreuve que par tentation. Il ne s'agit plus d'un problème de langue mais d'un problème de spiritualité et j'ai juste essayé de vous faire goûter à celle de St Maxime.

Jean Marie Gourvil dans son livre ecrit p85:(je souligne en gras)

<<La tentation est pour les Pères, comme dans notre langage courant, la première manifestation dans la conscience de quelque chose qu’il faut refuser, non parce que le plaisir est mauvais en soi mais parce que ce qui se présente dans la conscience est en fait un plaisir pathogène que l’intelligence doit repousser. Les Pères ont fait de multiples listes de ces pensées qui nous assaillent: la colère, la tristesse, l’orgueil, le goût du pouvoir sont les plus souvent citées.
L’épreuve signifie chez les Pères non seulement les situations tragiques de l’existence, comme nous l’avons vu dans les pages précédentes: la maladie, les catastrophes diverses..., mais aussi l’envahissement de la conscience par une passion plus difficile à repousser parce que provenant des profondeurs même du coeur et de l’âme. L’épreuve n’est pas la simple tentation que l’intelligence peut repousser. C’est un envahissement profond de la conscience par des pensées incontrôlables dans un premier temps. Ces deux niveaux, tentation et épreuve sont donc bien distincts, et constituent une gradation dans le combat que l’être humain doit livrer.>>


Il rajoute une note explicative du langage spécifique de ST Maxime qui devrait vous aider à me comprendre, bien mieux que je ne l'ai fait moi même:

Au début de ce texte, nous avons indique que le nouveau testament en général utilisait le mot peirasmos pour tentation et dokimi pour épreuve alors que dans l’Ancien Testament le mot peirasmos a le sens d’épreuve, celle de Job et d’Abraham. Au chapitre 45 de la seconde centurie sur la charité, Philocalie, Abbaye de Bellefontaine, St Maxime introduit une subtilité. Il désigne bien par dokimè l’épreuve de Job, celle que Dieu donne pour sonder les coeurs et les reins, mais il désigne par peirasmos l’épreuve, la souffrance dûes à nos péchés. Il y aurait dans cette perspective: la tentation (peirasmos) et l’épreuve dues à nos péchés (peirasmos) et une autre épreuve identique à celle de Job (dokimè).
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Le débat sur la traduction française montre à quel point il est difficile pour nous Français d’assimiler l’Orthodoxie. Les orthodoxes qui vivent en France et qui sont convaincus de la nécessité que s’affirme une Église locale d’expression premièrement française (si, il y en a!!!) ont du mal à comprendre qu’il puisse même y avoir une difficulté, et pourquoi il y en a une, car la formule grecque (mè eisenegkès hmas eis peirasmon, alla rusai èmas apo tou ponhrou) ne leur paraît poser aucun problème. Cependant lorsqu’on demande aux Orthodoxes de langue grecque ou slave (sur ce point il n’y a pas de différences entre grecs et slave, car le texte slave décalque le texte grec, étrangeté comprise) d’analyser cette phrase grammaticalement étrange, où l’on semble accuser Dieu d’être capable de nous faire pénétrer dans le péché et on semble le supplier de ne pas se montrer méchant envers nous, les Grecs sont incapables de justifier grammaticalement cet impératif négatif aoriste que l’on adresse à Dieu en utilisant un verbe de mouvement faisant pénétrer dans le péché ! Cela ne pose aucun problème à des fidèles nourris de toutes ces prières que leur propose constamment l’Église orthodoxe, adressées “au Dieu bon et ami de l’homme”, à Celui qui est devenu l’Un d’entre nous et s’est offert à la mort pour vaincre notre mort et écraser le Tentateur. Ils acceptent donc cette phrase qu’ils ne peuvent analyser.

Si le texte est grammaticalement étrange en grec, c’est parce qu’il traduit mot à mot, sans complexe grammatical, (comme c’est parfois le cas du texte évangélique) une construction sémitique qui n’existe pas en grec. Il y a près de quarante ans un livre de Carmignac avait savamment démonté cette traduction sémitique, avec l’utilisation d’un mode verbal spécifique sans équivalent en grec, le “hiphil”, un mode “factitif” pourrait-on dire, et qui, utilisé dans une phrase négative, pourrait se traduire par “ne nous laisse pas...” ou “garde nous de...”. Le livre de Jean-Marie Gourvil a parfaitement raison de rappeler et d’utiliser les travaux de Jean Carmignac (qui furent enfouis dans l’ombre lorsque l’Église catholique et les Églises protestantes élaborèrent d’un commun accord une traduction dite “œcuménique”). Mais il montre également pourquoi les Orthodoxes de tradition orthodoxe ne saisissent pas (même lorsqu’ils sont devenus francophones) le malaise que provoque ce texte parmi les occidentaux. C’est que la liturgie orthodoxe de langue grecque, et l’usage quotidien des peuples formés par la Tradition orthodoxe a intégré ce sémitisme (et d’autres) dans le cadre général d’une mentalité spirituelle pleinement orthodoxe qui n’éprouve aucun besoin d’analyser une construction étonnante qu’ils ont totalement assimilée.

Il en va tout autrement en Occident, où toute une mentalité spirituelle (ou plus exactement anti-spirituelle) s’est formée sur des schémas de type judiciaire ; satisfaction de la colère divine, Dieu-Père Fouettard, le Christ s’offrant en “victime expiatoire”, l’Église hiérarchisée pour effacer définitivement les péchés, et l’omniprésence obsessionnelle de la culpabilité personnelle (toujours présente dans le catholicisme militant). Tous ceux qui, issus des peuples occidentaux, viennent s’incorporer à l’Église orthodoxe dans l’espoir d’y trouver la Vérité, éprouvent le besoin vital de rejeter ce type de conceptions. Tous doivent, avec de grandes difficultés, rejeter toute interprétation d’un salut qui ne pourrait intervenir qu’au terme d’un processus judiciaire. Tous ressentent donc l’attitude de l’Église orthodoxe à l’égard de la Traduction du “Notre Père” comme le renvoi par l’Église orthodoxes des occidentaux justement à cette aberration occidentale qu’ils s’efforcent d’oublier. Et le richesse et la précision de la langue française ne permettent pas sur ce point de se contenter d’un “à peu près”. et d’un mot à mot qui pour nous est confus. Beaucoup de propositions ont été faites, certaines s’efforçant d’écarter de Dieu tout soupçon de vouloir nous tenter en parlant “d’épreuve” à la place de la tentation, d’autres cherchant à trouver un autre verbe qui pourrait être employé négativement lorsqu’on prie Dieu, et pour éviter “ne nous induis pas” (que siggère le mot à mot) on propose “ne nous laisse pas”. Mais quel verbe doit le suivre : “succomber” ? “entrer” ? Mais dans ce cas “l’épreuve semble” insuffisante.

Certes le mot grec “peirasmos” peut être traduit aussi bien par “épreuve” que par “tentation”. Cela dépend du contexte. Or ici, nous sommes dans le contexte de la révélation du Nouveau Testament, qui nous invite à maintes reprises à ne pas hésiter à soutenir la lutte que le Tentateur, l’Adversaire, la Diable, c’est-à-dire le bâton qui vient se mettre dans la rue, l’Inter-rupteur, vient sans cesse livrer contre nous. Il est d’ailleurs très précisément nommé dans la seconde partie de la sixième demande du “Notre Père”, comme “le Malin”, et il faut se féliciter que cette traduction, de plus en plus largement adoptée, vienne supplanter un mot qui avait été trop longtemps utilisé en Occident : “le mal”. Certes c’est bien du Malin, du Tentateur, que nous vient la tentation, et le Christ Lui-même a connu cette tentation, après avoir passé quarante jours en prière au désert. Il a dit “Va t’en Satan, car il est écrit... “ C’est bien à quel qu’un, à une identité précise que le Seigneur ici s’adresse en disant “tu”. Certes aussi c’est seulement lorsqu’il a la permission de Dieu que le Diable nous tente, et Dieu ne lui permet pas de nous tenter au-delà de notre capacité de résistance, que Dieu seul connaît (nous ne la connaissons pas nous-mêmes). Et cette tentation est nécessaire pour l’homme, pour qu’il puisse lui-même collaborer à la construction de sa propre liberté, en vue du Royaume qui nous est promis.

Or si l’on nomme bien, et c’est nécessaire, le “Malin”, c’est-à-dire “le Tentateur” dans la seconde partie de la sixième demande du “Notre Père”, alors il est nécessaire de traduire, dans la première partié de cette demande, “peirasmos” par “tentation” et d’écarter l’autre possibilité que nous offre le dictionnaire : “épreuve”. Ce serait insuffisant ici. Mais si nous demandons à Dieu de ne pas nous laisser entrer dans la tentation, c’est la traduction du verbe “mè eisenegkhs hmas” par “ne nous laisse pas entrer” qui nous laisse un peu sur notre faim. Est-ce seulement “entrer dans la tentation” que nous refusons ? l’image “entrer dans” paraît bien faible et peu cohérente s'agissant de la tentation, et “ne pas laisser entrer dans” n’améliore pas. Cela semble trop psychologique, pas assez réaliste, alors que le “Notre Père”, la prière du Seigneur, est très réaliste, et que le texte grec conservait ce réalisme, sans se soucier du petit exotisme grammatical de construction.

Il me semble que la traduction qui paraissait la meilleure aux yeux de Carmignac, et qu’il n’osait pas trop proposer explicitement reste la meilleure : “Garde-nous de consentir à la tentation”. Elle peut gêner parce qu’elle s’éloigne du mot à mot (qui apparaît impossible) et adopte un schéma grammatical différent mais le résultat est bien de rendre exactement le sens de notre demande de soutien et de guidance dans la lutte, et c'est cette exactitude du sens qui importe. Dieu se réserve de nous soutenir et de nous guider dans le combat, à nous revient la liberté et la responsabilité de ne pas consentir. Nous sommes tous appelés à développer l’image de Dieu qui est en nous en une ressemblance volontaire, ou au moins désirée. Nous savons bien que certains hommes refuseront et s’auto-détruiront eux-mêmes. Il nous est demandé de construire notre liberté, le plus souvent pas à pas, tentation surmontée après tentation surmontée. C’est le sens de la sixième demande du “Notre Père”. Je crois donc qu’on devrait dire : “Garde-nous de consentir à la tentation, mais délivre-nous du Malin”.

L’une des caractéristiques de la pensée occidentale, c’est-à-dire l’un des points fondamentaux où cette pensée s’est mise à diverger par rapport à l’unique véritable Tradition, qui est la Tradition de l’Église orthodoxe, est que l’Occident a défini le péché comme un acte déterminé, isolable et comptabilisable. Ce devait être le réflexe des confesseurs de jadis (on le leur enseignait), dans le secret du confessionnal : le pénitent déclarait — j’ai volé... — Combien de fois, mon enfant ? L’Église catholique avait ainsi monnayé la notion de péché, et on sait qu’elle ne s’est pas contentée de le monnayer intellectuellement. Pour la vraie Tradition, le péché est avant tout un état, un état solidaire et transmis par la génération humaine. Par sa mort volontaire, le Christ a écrasé le péché, la mort et le Diable, et il nous conduit à la résurrection. Lorsque le Diable nous fait nous écarter de la marche vers notre ressemblance à Dieu, en même temps il nous isole, il nous morcelle, il nous éparpille. Dans la sixième demande du “Notre Père”, nous demandons aussi à ne pas consentir à une tentation bien déterminée, mais à nous dépouiller de l’état de péché pour retrouver notre communion avec Dieu et avec l’Église et rompre les rapports que nous avons tous établis avec le Diable. C’est ce qu’exprime le passage du père Sophrony cité par Antoine.

C’était déjà bel et bien une tentation que de vouloir “dédramatiser” le “Notre Père” en remplaçant la mention du Malin par la notion abstraite du mal. C’en est une autre, de même nature, que de vouloir dédramatiser la lutte spirituelle en remplaçant la tentation, affrontement direct avec la ruse du Tentateur, par l’épreuve, plus neutre et plus impersonnelle, Mais il faut alors bien marquer aussi la répartition des rôles entre Dieu, qui nous a créés, qui a écrasé la mort en voulant être mis à mort (dans son humanité), et nous qu’il appelle à laisser épanouir son image déposée en nous en une ressemblance désirée et acceptée, en nous gardant de consentir à la tentation. Mais la traduction française du “Notre Père” ne doit pas non plus consentir à une troisième tentation en parlant, dans la quatrième demande du “Notre Père”, de pain “suressentiel” alors que le pain que nous offre Celui qui est con-substantiel (“homo-ousios”) au Père et à l’Esprit est bien de sa substance et destiné à notre substance (“épi-ousion”). C'est dons le pain sibstantiel.

Mais il ne nous est pas possible d’adopter cette traduction sans “la bénédiction” de nos évêques. Et c’est ici que le problème prend une autre dimension. Il faut bien admettre que les orthodoxes “de tradition” qui vivent en Occident sont totalement insensibles au drame spirituel qui s’y jouent. Ils ne perçoivent même pas la répulsion que peut nous causer l’attitude anti-spirituelle dans laquelle se sont enlisées les Églises d’Occident. Ils ne voient absolument pas pourquoi des occidentaux demandent à l’Église d’orthodoxe de leur ouvrir les portes d’une réalité spirituelle que les Églises d’Occident ont transformée en un jeur de faux-miroirs, de trains-fantômes, de mirages trompeurs. Depuis le départ de saint Jean Maximovitch pour San Francisco, personne n’a sérieusement envisagé d’œuvrer à la construction d’une Église capable de répondre à la demande des indigènes. Le simple fait que l’activité des filiales en Europe occidentale des "Églises-Mères" soit envisagée sous la rubrique “diaspora” au lieu de l’être sous la rubrique “mission” est déjà très révélateur. Nous n’avons aucun accès à eux, pas même la possibilité de leur adresser une supplique sur la traduction du “Notre Père” !


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Deux remarques annexes : `Je ne crois pas que l’on puisse différencier les tentations diaboliques des épreuves de la vie quotidiennes. Si ces dernières deviennent lourdes au point de nous pousser vers la désespoir, c’est que le Diable les utilise. Rien ne l’empêche d’utiliser des éléments de la nature pour ses ruses. Bien au contraire, il est passé maître dans l’art de la récupération des éléments naturels. De toutes façons nous devons toujours nous dire que rien ne saurait nous arriver sans que Dieu nous le permette et nous envoie la Grâce qui nous est nécessaire pour surmonter toute épreuve, car ce n’est qu’une tentation diabolique et Dieu, sur notre demande, nous gardera d’y consentir.

D’autre part je crois que dans son dernier post Antoine a omis de distinguer clairement la citation de Maxime le Confesseur (texte d’ailleurs remarquable) et les commentaires qui la suivent (qui sont probablement d’Antoine lui-même et qui sont presque aussi bons) car je ne pense pas que saint Maxime ait parlé de “karma”.
Jean-Louis Palierne
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Jean-Marie Gourvil
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Message par Jean-Marie Gourvil »

Les messages montrent que la question de la traduction du Notre Père est une réelle question. Les remarques et commentaires précisent des aspects qui sont importants. Le livre sur la 6ème demande "Ne nous laisse pas entrer dans l'épreuve" voulait aussi être une introduction à une histoire des mentalités en France en liant cette histoire à la lente disparition de "la culture mystique" de l'Union à Dieu dans notre pays. Il serait peut-être aussi intéressant de débattre sur ce point. L'orthodoxie française pourrait être gagnée aussi par une minimisation de la tradition mystique de l'Eglise.
C'est sans doute avec la volonté de retrouver le chemin vers Dieu et l'affirmation de l'Union à Dieu comme un véritable art de vivre et but de la vie chrétienne que le débat sur le Notre Père pourrait être repris. Le dernier livre du Père Michel Evdokimov "ouvrir son coeur" est un témoignage de cette quête constante. Les débats autour des juridictions et d'autres débats techniques prennent une place très importantes et nous empêchent de nous dire entre nous ce que nous savons être l'essentiel : "Dieu nous attend" ici et maintenant.
Irène
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Message par Irène »

Laissez-moi vous remercier, les uns et les autres, pour tous les efforts d'éclaircissements que vous nous donnez et permettez-moi de vous répondre très simplement.
Le Notre Père est la prière primordiale, celle que l'on apprend tout petit. Elle doit paraître, d'emblée, claire et concise et cela n'a rien à voir avec le niveau de développement spirituel de ceux qui la disent.
Même si un texte possède plusieurs niveaux de compréhension que l'on peut développer par la suite, on doit être imprégné immédiatement de son sens premier.
Par exemple : "Que ta volonté soit faite ..." peut être également compris dans le sens que nous soyons soumis à ces épreuves que nous vivons et que nous ne comprenons pas toujours, et qui, même, pourraient nous sembler injustes. (petit aparté pour Antoine : bien évidemment que je suis persuadée que Dieu nous aide dans nos épreuves).
Dans la partie qui nous occupe, celle de "épreuve" et "tentation", je ne vois pas de différence, dans l'esprit, à "Garde nous de consentir à la tentation" et "Ne nous laisse pas succomber à la tentation", et cela me conviendrait tout à fait. (il vaut mieux employer le conditionnel ...)
Quant au fait que nous n'ayons pas la possibilité de nous faire entendre, je ne désire même pas y penser : qui sait, ce débat sur notre forum pourrait tomber sous des yeux influents ... et même entre nous c'est très enrichissant.
Jean-Louis Palierne
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Inscription : ven. 20 juin 2003 11:02

Message par Jean-Louis Palierne »

1. Je ne crois pas du tout que l’Orthodoxie en France soit menacée d’un manque de désir du spirituel... grâce surtout aux indigènes qui se convertissent. Ils demandent toujours plus de spiritualité, il cherchent à apprendre à prier, ils fréquentent les monastères, et ceux-ci se multiplient en France (ils sont presque tous récents). Il y a aussi des conférences etc.

Ce n’était pas du tout ce que voulaient et prévoyaient les promoteurs de l’Orthodoxie francophone. Ils étaient au contraire convaincus qu’en s’implantant en Occident l’Orthodoxie pourrait se débarrasser et du monachisme, et du goût de la prière personnelle, et des agrypnies, et des offices non-eucharistiques etc. Pour eux la spiritualité orthodoxe se caractérisait par le “sacrement du frère” qui était supposé plus présent à la conscience de l’Occident qu’en Orient. L’enseignement (de type universitaire) de la théologie était centré sur la théologie dite “pastorale”. On estimait évident qu’il ne serait plus possibles d’élire comme évêques que des veufs. C’est pour tout cela que les modernistes pensaient qu’une “Église locale” en Occident ouvrirait la base au renouveau des Églises orthodoxes.

C’est tout le contraire qui s’est passé. Les nouveaux venus veulent apprendre à prier. Ils demandent qu’on édite avant tout les enseignements des staretz sur la prière.

2. Je suis persuadé que la Tradition orthodoxe n’est pas disparue par enchantement en 1054. Au contraire un souvenir confus a longtemps survécu que quelque chose d’autre avait existé ailleurs, et d’ailleurs le papisme a eu beaucoup de mal à s’imposer.

Au XVIIème siècle en France, un renouveau d’intérêt s’est manifesté pour les études patristiques. L’histoire en a été retracée. Je n’ai jamais étudié cette question, mais il y a eu (et même je crois au moins deux) écoles de traductions patristiques. Je suis étonné que dans votre livre vous ne citiez pas les travaux de l’Abbaye sainte Geneviève (dont la bibliothèque est toujours disponible) ou des jansénistes, ou des mauristes. Il y aurait sûrement beaucoup de choses à dire. Je me rappelle avoir (dans les années 50) découvert la patristique en lisant le merveilleux ouvrage de Le Nain de Tillemont (il me semble qu’il date de l’extrême fin du XVIIème) sur l’Histoire ecclésiastique des premiers siècles. Plus tard j’ai lu aussi Henri Brémond (vous en parlez). Et je me souviens que bien avant (c’était à la fin de la guerre), élevé en dehors de l’Église j’ai rencontré Pascal par les lectures du lycée. C’était lui aussi un mystique. Mais il tentait de se référer aux Pères et de mieux les connaître.

Mais je ne veux plus aller chercher dans ces textes. Il faudrait beaucoup plus de science que je n’en ai pour faire le tri entre ce qui est orthodoxe (il a certainement longtemps subsisté des perles) et ce qui ne l’est pas. Il faut être très prudent. En effet l’ardeur au combat spirituel (personnellement je citerais plutôt le curé d’Ars et Charles de Foucauld) ne dispense pas d’un élément capital, qui est l’affirmation des points essentiels de la Triadologie et de la Christologie des Pères. Quand on n’est pas guidé par cela, on peut très facilement glisser dans d’innombrables illusions.

Comme je ne me sens pas capable de faire le tri, je me fixe comme règle absolue de ne chercher ma nourriture que dans l’Église orthodoxe, que je prends telle qu’elle se présente à nous. Le jour où une Église Orthodoxe canoniquement organisée et développée existera en Occident, elle estimera probablement nécessaire d’aller faire des recherches dans le passé.

3. Les spirituels d’Occident ont (justement à cause de la faiblesse de leurs bases théologiques) développé des formes de prière beaucoup trop unilatéralement psychologiques, quand ce n’était pas même physiologique. C’est pour désigner cela qu’ils employaient le mot “mystique” qui recouvre peut-être quelques recherches sincères (mais probablement maladroites) et beaucoup d’excès de toutes sortes. Je crois qu’il faut fuir cela à tout prix.

4. Je suis surpris de vous voir chercher des références théologiques chez des auteurs qui justement ont cherché à étouffer le goût du spirituel dans l’Orthodoxie au nom d’une nécessaire modernisation de l’Orthodoxie et de l’ouverture sociale. En particulier ce sont les modernistes qui ont cherché à justifier l’oubli de la lutte spirituelle en imposant la traduction dite “œcuménique” du “Notre Père”, ou bien en cherchant à éviter l’apparition du monachisme en France. Quand on évite par principe de paraître défendre l’Orthodoxie en tant que telle, on est mal placé pour parler en son nom.

Quant au débat sur la traduction du “Notre Père”, il est évidemment central. Il montre que la soif spirituelle des fidèles nouveaux-venus est beaucoup plus grande que celle des structures qui les accueillent.
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
Antoine
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Message par Antoine »

D’autre part je crois que dans son dernier post Antoine a omis de distinguer clairement la citation de Maxime le Confesseur (texte d’ailleurs remarquable) et les commentaires qui la suivent (qui sont probablement d’Antoine lui-même et qui sont presque aussi bons) car je ne pense pas que saint Maxime ait parlé de “karma”.
Jean-Louis,
Tout le texte de Maxime cité est bel et bien en italique sans confusion donc avec mes commentaires. Le jour où mes commentaires se confondront avec du St Maxime c'est que j'aurais fait de sacrés progrès.

Il s’agit d’un texte de Saint Maxime issu du « Dialogue entre saint Maxime le Confesseur et Théodose » (Acta 137 B-140 A) publié dans le bulletin 89 du hm Cassien sous le titre «prédestination ».
http://perso.club-internet.fr/orthodoxie/bul/89.htm

Je n'ai pas l'original.
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