Évidemment il ne faut pas faire de “théologie-fiction”. Je crois que l’institution patriarcale peut toujours être une diaconie (un service) dans l’Église, et qu’elle est capable de se régénérer. Le Patriarcat d’Alexandrie nous en donne un bel exemple, car il a créé (et étant donné le ton actuel de la vie ecclésiale orthodoxe on pourrait dire :
il a osé créer) une métropole autocéphale en son sein, sans penser qu’il subissait ainsi une diminution, mais au contraire une augmentation.
La Providence, qui parfois nous mène durement à la baguette, l’a cruellement frappé par ce stupide accident d’hélicoptère qui a probablement retranché pas mal de ses espoirs, de
nos espoirs.
À noter aux passages que tout le monde dans l’Orthodoxie, toutes tendances confondues, reconnaît au Patriarcat d’Alexandrie le responsabilité de la totalité du continent africain. Je ne m’inscris absolument pas contre cette attribution, tout au contraire, mais elle s’inscrit contre le principe (faux à mon avis) selon lequel les divisions antiques des territoires faites au cours de l’Histoire constitueraient des “territoires canoniques” sacrés et définitifs. Il existait en effet dans l’Antiquité un diocèse d’Afrique, correspondant au territoire actuel de l’Algérie et de la Tunisie. Cette Église d’Afrique fut illustrée par saint Cyprien, Tertullien, saint Augustin et de nombreux martyrs. Ses ruines sont bien connues des archéologues. Elle a été dévastée par l’invasion des Vandales puis des Arabes. Elle avait été l’une des gloires de l’Église, et son œuvre canonique a été considérables et forme aujourd’hui l’un des principaux éléments du
Corpus canonum de l’Église.
Comme elle a complètement disparu, et qu’on a pris conscience de l’unité du continent que l’on appelle maintenant “Afrique” (on n’en avait pas la notion dans l’Antiquité), on peut dire maintenant du patriarcat d’Alexandrie qu’il est “Patriarche d’Alexandrie
et de toute l’Afrique. C’est une décision canonique de fait, à laquelle j’applaudis, mais qui n’a jamais été prise explicitement et officiellement.
Certains accusent le Patriarcat d’Alexandrie d’un certain flou dans ses positions. C’est vouloir ne juger la vie de l’Église qu’à l’aune de l’anti-œcuménisme. Certes les rares communautés orthodoxes qui ont encore un souci missionnaire, c’est-à-dire qui ont le souci de répondre à l’attente spirituelle de leurs contemporains, ne prennent pas des positions “en flèche” contre l’œcuménisme. Cela montre bien que l’utilisation unilatérale de ce critère peut fausser la vision de l’Église.
Le patriarcat d'Antioche a lui aussi créé une métropole autonome, mais c'est une métropole extérieure, au profit de la diaspora américaine.
Et puisque nous parlons
des patriarcats, parlons de celui de Constantinople. Il est la seule institution orthodoxe à notre époque à ne pas juger indispensable de se référer à un État-Nation, à une ethnie précise. Ce pourrait être la plate-forme de sa grandeur. En réalité le plus grand blâme que l’on puisse lui adresser est de ne correspondre en rien à ses affirmations. Il renchérit sur le repli communautariste et nationaliste d’une petite partie de l’émigration grecque et participe à l’étouffement de l’Orthodoxie et d’ailleurs aussi de l’hellénisme. Il semble préparer l’extinction de ses communautés, et il est abandonné par tous les Grecs qui cherchent à s’intégrer la société française (ils sont la grande majorité et en général ils y parviennent fort honorablement).
Il ne faut pas faire de “théologie-fiction”, et il ne faut pas non plus croire que le militantisme rcclésial ouvre une voie concrète. Ce ne sont pas des manifestations lycéennes ou des signatures de pétitions qui pèseront sur le devenir des institutions ecclésiales ou sur le comportement de nos hiérarques.
Je crois que Giorgos a bien énuméré quelques principes à retenir pour faire le tri parmi les institutions ecclésiastiques au nom ronflant. Il y a des Patriarcats ou des autocéphalies sans véritable territoire ecclésiastique, sans fidèles, sans siège véritable. Il y en a qui fonctionnent “hors frontières", et d’autres done le synode est en réalité une réunion de chefs de bureau.
Mais seul un concile où l’ensemble des évêques de la terre serait convoqué pourrait prendre certaines décisions. D’ici là, nous pouvons seulement ne pas nous laisser impressionner par ces autorités en décor de théâtre. En revanche je ne vois aucune autorité ecclésiastique qui n’ait, comme l’a écrit Giorgos, aucune « relation réciproque avec le pouvoir civil. » Tout au contraire on peut leur faire en général le reproche d’implications politiques excessives.
Nous n’avons d’autre possibilité que de nous exprimer publiquement, de nous faire entendre et de rechercher la vérité des sources de l’Orthodoxie. Nous ne pouvons qu'attendre le jour où une Église autocéphale osera créer une métropole autonome supra-nationale, non ethnique,pour l'Europe occidentale. Alors seulement l'Église orthodoxe pourra commencer à montrer son vrai visage. D'ici-là je crois, comme Claude et Éliazar sur un autre fil, que nous pouvons douvement et studieusement approcher l'Orthodoxie, traduire les Pères et en parler. Le militantisme qui crée des trucs et des machins rusque d'être un pîège.
En revanche, s’il y a un complot à dénoncer, je crois que c’est celui du modernisme. Il y a eu un véritable complot visant à moderniser l’Église par l’abaissement du charisme épiscopal, par l’écrasement et la marginalisation du monachisme (il faudra dire un jour tout ce que l’Institut saint-Serge a fait dans ce sens), par des tentatives d’altération de la liturgie (raccourcissement des offices, théâtralisation et abaissement de l’iconostase, communautarisation forcée, réduction à la participation du peuple), par l’oubli de l’enseignement patristique au profit de la
Sola Scriptura et de l’enseignement académique, par la minoration de la vie synodal au profir de la création d’un appareil professionnel et pyramidal, par la majoration de la vie sexuelle et de la procréation.
Initialement le modernisme, au début du XXème siècle, n'avait rien d'œcuménique. L'œcuménisme balbutiait dans les années trente, et le CŒE est né en 1948. Aujourd'hui le mouvement catholique est agonisant, l'Église catholique le suit, et le modernisme orthodoxe est toujours bien vivant… à Paris.
Si le monopole de la vie ecclésiale que s’est assuré le club moderniste est aussi néfaste que le monopole dont jouit la « Fraternité du saint Sépulcre » exclusivement grecque au sein du Patriarcat de Jérusalem, il faut ajouter que le club moderniste de Paris s'est toujours bien gardé de dévoiler clairement ses projets, qu’il ne développe que dans des conversations privées. Cette pratique du secret s’appuie sur le soutien qu’apportent à l’expression publique du modernisme les services de l’épiscopat français, qui lui assurent un accès aux médias, une participation aux conférences et colloques religieux, et une dénonciation constante des éléments “perturbateurs et intégristes” qui pourraient troubler nos bonnes relations.
Le modernisme est aussi puissamment aidé par la paralysie, le mutisme et le bredouillement qui saisissent les hiérarques orthodoxes lorsqu'ils se trouvent en face des intellectuels modernistes parisiens.
Le Concile local de Moscou de 1917/18 avait cependant fixé certaines limites aux revendications des modernistes : ceux-ci avaient réussi à imaginer une structure (qui devait être organisée par une véritable Constitution ecclésiastique) comportant une superposition de communautés paroissiales, diocésaines (à l’époque moderne cela désigne les circonscriptions épiscopales), et patriarcale (l’Église de Russie au sein de laquelle les deux métropolites de Saint-Pétersbourg et de Moscou n’avaient plus de synodes à présider). Chaque instance avait son Conseil, un président prêtre ou évêque et un président laïc, et envoyait des délégués au niveau supérieur. Des tribunaux mixtes tranchaient les conflits. La hiérarchie de l’enseignement (assuré par l’Église) était parallèle à celle de l’Église.
À le chute du communisme, l’Église russe n’a pas adopté cette structure, dont pourtant elle se réclame. Nous avons lu récemment sous la signature du moine Sabbas (Toutounov) un très intéressant document, publié dans le Forum de l’OLTR (le Forum OLTR : <
http://fr.groups.yahoo.com/group/orthod ... eoccident/>, ldocument publié le 6 mars 2005 comme message numéro 623 ; le moine Sabbas s’est également inscrit à notre Forum). Dans ce texte, le moine Sabbas montre que les propositions que le patriarche Alexis a faites récemment en vue de la constitution d’une “métropole orthodoxe de tradition russe en Europe occidentale” ne sont pas cohérente avec les dispositions des canons de l’Église orthodoxe concernant la vie des métropoles, et qu’elles introduisent sous le nom de métropole un simple diocèse, dépourvu de vie conciliaire interne et externe, contrairement aux autres entités ecclésiastiques rattachées à l’Église russe (qui elles sont des métropoles, sous divers noms).
Le moine Sabbas commence par rappeler l’économie générale des structures canoniques régissant les rapports entre diocèse et métropole (peu importe le nom qu’on donne à la métropole), et entre la métropole et l’Église-Mère
Nous allons appeler «Métropoles» les entités régionales (bien que les noms ont varié) et «Église-Mère» le centre de rattachement (bien que le terme russe kyriarkhalnia tserkov‚ semble plus exact)
Les droits du Primat de l’Église-Mère vis-à-vis de la Métropole ont varié dans l’histoire. En règle générale il s’agit des points suivants:
– Lien sacramentel: le Primat communique le Saint Chrême à la Métropole; le nom du Primat est commémoré soit dans toutes les paroisses de la Métropole, soit par tous les évêques de la Métropole.
– Le Primat de l’Église-mère confirme l’élection et ordonne le Métropolite et parfois ce droit est également exercé vis-à-vis des évêques diocésains;
– Le Métropolite et les évêques de la Métropole dépendent du Tribunal ecclésiastique du Primat; celui-ci est également l’instance d’appel vis-à-vis de la justice ecclésiastique de la Métropole.
Le moine Sabbas rappelle les canons (34ème canon des Apôtres et 9ème d’Antioche) qui définissent les métropoles, et les Églises autocéphales, et souligne que leur fonctionnement fondamental est celui de la réunion d’évêques autour de leur primat. En ce sens il qualifie très justement le fonctionnement d'une métropole comme un "mouvement escendant" (fondé sur la synodalité des évêques), cependant que la structure d'un échafaudage de conseils paroissiaux et diocésains est de type "descendant" (chaque élément est la section d'un autre) :
Il y a cependant une caractéristique commune à toutes ces entités régionales, qu’elles se nomment Métropole, Exarchat, Église autoadministrée. Leur structure administrative principale est identique à la structure de l’Église-Mère, et n’est pas identique à la structure d’un diocèse. Chaque évêché d’une Région métropolitaine est dirigée par un évêque, selon des statuts diocésains. Mais l’ensemble de la Métropole est une structure conciliaire, composée de plusieurs diocèses; elle est donc dirigée par le Concile de tous ses évêques, sous la présidence du premier d’entre eux. C’est-à-dire que le rôle du Métropolite vis-à-vis de l’ensemble de la Métropole ne se définit pas du tout de la même façon que se définit le rôle de l’Évêque vis-à-vis de son diocèse. Le Métropolite n’est que le premier des évêques de la Métropole, alors qu’on ne peut dire que l’évêque n’est que le premier des prêtres de son diocèse.
[…]
Notez que les droits ainsi définis du Primat et du Synode de l’Église Russe vis-à-vis de la Métropole correspondent en majorité à une confirmation des décisions prises dans la Métropole, c’est-à-dire, en un certain sens, à un acte formel. Dans TOUS les autres domaines, c’est-à-dire dans toutes les questions concernant sa vie interne, la Métropole agit de façon autonome.
Ensuite il formule sa critique à l’égard du projet de métropole présenté par le Patriarcat de Moscou :
Le défaut principal du document présenté est que les propriétés et fonctions des organes diocésains, décrits dans les Statuts de l’Archevêché-Exarchat – l’Assemblée Générale et le Conseil de l’Archevêché – sont transposés aux organes communs de la Métropole, renommés en «Concile» et «Synode». Or selon les décisions du Concile de 1917-1918, l’Assemblée et le Conseil ne sont que des organes consultatifs, des organes auxiliaires, agissant avec l’évêque (sodejstvouiouchie selon les termes du Concile), qui est le seul pasteur de son troupeau et chef de son diocèse.
Or la Métropole – c’est bien autre chose. Nous l’avons défini plus haut comme une réunion de diocèses unis suivant le principe de conciliarité. Aussi cette fois c’est bien le Concile de la Métropole qui est l’instance supérieure de la Métropole. La Métropole est dirigée par le Concile. […] En ce qui concerne les attributions du Synode, d’après le Concile de 1917-1918, elles comprennent celles qui sont données dans le présent document au dénommé «Conseil Episcopal» (art. 58), mais impliquent également bien d’autres questions portant sur l’enseignement de l’Église, la discipline ecclésiale, l’administration ecclésiale. Quant au Conseil Ecclésiastique Suprême, celui-ci avait compétence dans les questions d’administration des biens, dans les questions financières, juridiques, et aussi, en partie, dans les questions d’enseignement de la théologie et de catéchèse. […] Notons que lors de ces sessions communes les évêques, hormis le Patriarche, composaient la moitié des membres. Ainsi la plénitude de la responsabilité épiscopale dans l’Église était préservée.
Il me semble (à moi JLP) que la structure ecclésiale définie par le Concile de 1917 n’est pas vraiment conforme à celle qui découle de la Tradition canonique de l’Église orthodoxe en ce sens que le plus grand nombre de questions courantes de la vie ecclésiale sont confiées à la co-gestion de conseils paritaires où le charisme épiscopal n’a à trancher qu’en cas d’indécision : sa voix l’emporte. De même au niveau suprême le Concile de 1917 institue un synode restreint (ce qui est opposé aux normes canoniques conciliaires), qui l’emporte en cas d’indécision. Dans le cas de l’Archevêché de la rue Daru, il n’y a même plus de synode épiscopal (et d’ailleurs l’Archevêque ne peut être renouvelé que par la décision d’un synode extérieur).
On peut également se demander si l’on peut faire dériver la notion d’autocéphalie d’une Église-mère de la très-hypothétique autocéphalie des super-métropoles de l’Église ancienne. Comme nous l’avons vu, les canons ne donnent aux patriarches qu’un droit de cassation, ainsi qu'un droit de confirmation des métropolites. Quant au Saint Chrême, le
Canon de saint Cyprien (sur ce point approuvé par saint Basile) établit clairement que c’est à l’évêque qu’il revient de le consacrer.
Mais ce que le moine Sabbas oublie de dire, c'est qu'il faut également comparer les statuts de la rue Daru à la législation civile française. Rappelons que la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, si elle a été bien appliquée par les cultes juif et protestants (constituant des fédérations de communautés locales autogérées), elle n’a pu être appliquée par l’Église catholique, car elle rejetait le pouvoir de l’évêque sur diocèse et son clergé. Il n’y a pas en France d’association cultuelle catholique. Si étonnant que cela puisse paraître, l’Église catholique défendait bien ici le position de la Tradition canonique (orthodoxe). Il a fallu l’après-Ière Guerre mondiale et les négociation diplomatiques menées par Aristide Briand pour aboutir aux Statuts-types de 1923, acte unilatéral de la République française approuvé par le Conseil d’État, pour dénouer la situation : On créa alors un type tout à fait étonnant “d’association cultuelle diocésaine” dont les membres sont nommés par l’évêque et qui assure la totalité de la gestion temporelle, cependant que l’évêque est libre de nommer, révoquer ou déplacer les “desservants”.
La République ne pouvait pas avouer qu’elle agissait pour l’Église catholique, dont le nom ne figure pas dans les Statuts-type. Les orthodoxes pouvaient donc les utiliser. Lorsqu’en 1926 l’Exarchat se transforma en Archevêché indépendant, il se dota de statuts conformes à la loi de 1905 “d’union directrice d’associations cultuelles” (paroissiales). L’Archevêché est donc civilement une fédération de paroisses. On est très loin des canons de l’Église orthodoxe. Il faut d’ailleurs ajouter que tous les autres diocèses de la “diaspora” orthodoxe en France ont fait de même. Ce choix juridique est très significatif. Il manifeste le grand mépris dans lequel les modernistes tiennent l'institution épiscopale.
Mais la proposition de métropole occidentale de Tradition russe avancée par le Patriarcat de Moscou n’apporte aucune réponse à toutes ces questions. Et sa prétention d’invoquer l’appartenance de l’Exarchat au patriarcat de Moscou jusqu’en 1923 se heurte au canon 17 du Concile de Chalcédoine :
Les paroisses de villes ou de villages appartenant à une Église doivent rester sans changement aux évêques qui les possèdent, surtout s’ils en ont depuis plus de trente ans assuré l’administration sans contestation. Si durant ces trente années il est apparu ou s’il apparaît un litige, ceux qui se croient lésés peuvent porter l’affaire devant le synode de la province. Si en pareil cas l’évêque pense que le métropolite n’a pas respecté ses droits, il a la possibilité de porter l’affaire devant l’exarque du diocèse, ou bien devant le siège de Constantinople comme on l’a dit plus haut.
Si une ville est fondée ou doit être fondée sur l’ordre de l’empereur, le rang hiérarchique des Églises devra se conformer à l’ordre hiérarchique des villes.
Le droit canon connaît donc la notion de prescription trentenaire. Ici il ne s’agit plus de 30, mais de 80 ans.
Dans l’ensemble on constate que, plus que sur la ligne asoptée et imposée par les grands patriarcats, plus que sur leurs rapports bons ou mauvais avec leurs Nations, leurs États, leurs ciltures, plus que sur les “Statuts” ou constitutions dont elles se dotent, c’est sur le fonctionnement des synodes provinciaux que repose la vie de l’Église.