L'explication anselmienne [sacrifice du Fils pour un Père justicier] donne une réponse qui semble cohérente: continuité de l'ancien testament avec le NT , où des sacrifices d'animaux sont faits pour satisfaire Dieu préfigurant "et en attendant" le vrai sacrifice efficace "qui rendrait justice à Dieu" (du NT).
L'orthodoxie ignore (c'est à dire n'accepte pas) cette théologie de la satisfaction étrangère aux Pères. Il n'y a pas de "continuité de sacrifice" entre AT et NT au sens où il y aurait, par cette continuïté, une justice divine à satisfaire par des sacrifices, chaque sacrifice nouveau étant plus pur que le précédent jusqu'au sacrifice parfait du Christ.
Prenons le récit non pas d’un sacrifice d’animal , mais de celui d’Isaac par Abraham : (Car il faudrait aussi demander à Anselme quelle cohérence pourrait avoir, dans la perspective de l’apaisement du courroux divin, la régression à un sacrifice d’animal après le récit de celui que fait Abraham …)
- Dieu dit à Abraham : « Prends ton Fils bien aimé, cet Isaac que tu as chéri » (Gn 22)
Ceci reprend les mêmes mots que ceux du baptême du Christ .
- Le troisième jour, il arriva au lieu que Dieu lui avait indiqué.(Gn 22,4)Le troisième jour est celui de la Résurrection et non pas celui du sacrifice. La croix n’est pas séparable de la Résurrection et la Résurrection éclaire tous les récits de la passion. Toute la semaine sainte orthodoxe est axée vers la Résurrection.
- Restez ici avec l’ânesse, moi et l’enfant nous irons là bas et quand nous nous serons prosternés nous reviendrons vers vous (Gn22,5)
Abraham a prophétisé ce qu’il ignorait car dans la logique du sacrifice il devait revenir seul une fois Isaac sacrifié.
- Il prit le bois pour l’holocauste et en chargea son Fils Isaac.(Gn 22,6) tout comme le Christ porta le bois de la croix. Abraham accompagne son fils comme le Père accompagnait le Christ.: Jean 16,32 écrit en effet : «Vous me laissez seul mais je ne suis pas seul : le Père est avec moi.»
Puis au moment du sacrifice l’Ange apparaît et dit :
« N’étends pas la main sur l’enfant, ne lui fais rien ; car je sais maintenant que tu crains Dieu, toi qui n’as pas épargné ton Fils bien aimé pour moi »( Gn 21,12.)
St Ambroise de Milan commente : « Autrement dit : J’ai examiné tes sentiments à mon égard mais je n’ai pas réclamé un acte »
« Je n’ai pas réclamé un acte » Il est bien clair que la préfiguration n’est pas dans la
valeur du sacrifié n’en déplaise à Anselme. L'acte n'est pas réclamé et à fortiori pas en vue d'un apaisement du courroux divin ni de la réparation d'une offense.
De plus Anselme fait une lecture de la passion séparée d'avec la Résurrection, ce qui est une rupture radicale d’avec l’enseignement des Pères. La Résurrection n’est pas l’équivalent nouveau testamentaire de l’arrêt vétérotestamentaire par l’ange de la main d’Abraham.
Le sacrifice d'Abraham ne peut pas s’interpréter dans la perspective d'une gradation du sacrifice par une gradation de la perfection du sacrifié en vue de la satisfaction infinie du courroux infini de Dieu comme le fait Anselme.
En revanche la continuité entre AT et NT se trouve dans l’accomplissement des préfigurations par le Christ à condition bien sûr de lire l’AT. à la lumière du NT.
Le Christ ne s'est pas incarné
pour se faire crucifier. Il s'est incarné
bien que sachant qu'il serait crucifié. Il s'agit d'un
don et non pas d'un
dû. La finalité de l'incarnation est l'union de la nature divine à la nature humaine et non pas la satisfaction du courroux divin. C'est l'adage patristique bien connu:
Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu. Ceci est l'oeuvre
commune de la Trinité et non pas le sacrifice du Fils seul pour le Père seul.