L’écrivain ecclésiastique Tertullien, encore orthodoxe, écrit dans son traité De l’Oraison Dominicale, XI, le suivant :
« D'ailleurs, à quoi servirait de laver nos mains pour prier, quand notre âme reste chargée des taches du péché, puisque la pureté spirituelle est nécessaire à nos mains elles-mêmes, c'est-à-dire qu'elles doivent se lever vers le ciel, pures du mensonge, du meurtre, de la cruauté, des empoisonnements, de l'idolâtrie et de toutes les autres souillures qui, conçues par l'esprit, sont regardées comme les œuvres des mains? Voilà quelle est la pureté véritable, mais non cette pureté superstitieuse que pratiquent la plupart des hommes qui se croient obligés à des ablutions corporelles avant de vaquer à la prière. En remontant scrupuleusement à l'origine et à la raison de cette coutume, j'ai reconnu qu'elle venait de Pilate, lorsqu'il livra aux Juifs notre Seigneur. Pour nous, nous adorons Dieu, nous ne le livrons pas. Je dis plus. Nous devons repousser de toutes nos forces l'observance de celui qui le livra, et ne purifier nos mains qu'autant que notre conscience nous reproche d'avoir contracté quelque souillure dans le commerce de la vie humaine. Au reste nos mains seront toujours assez pures, puisqu'elles ont été lavées avec tout notre corps en Jésus-Christ. Qu'Israël lave tous les jours ses membres, il n'en sera jamais plus pur. Ses mains n'en resteront pas moins éternellement couvertes du sang des prophètes et du sang de notre Seigneur. Aussi, coupables héréditaires du crime de leurs ancêtres, n'osent-ils plus élever leurs mains vers le Seigneur, de peur qu'un nouvel Isaïe ne leur crie: Malheur! ou que le Christ lui-même ne frémisse d'épouvanté? Pour nous, non-seulement nous élevons nos mains, mais nous les élevons en croix comme notre Seigneur dans sa passion, et par cette attitude suppliante, nous confessons le Christ.
XII. Mais, puisque nous avons nommé une vaine observance, il ne sera pas hors de propos de dire un mot de quelques autres pratiques, auxquelles on peut à juste titre reprocher une frivolité ridicule, dès qu'elles n'ont pas pour elles l'autorité des préceptes du Seigneur ou des Apôtres. Des pratiques de cette nature proviennent de la superstition plus que de la religion, hommages affectés et contraints, suggérés par la curiosité, où la raison n'est pour rien, et qu'il faudrait éviter, par cela seul qu'ils nous font ressembler aux païens. Ainsi, quelques-uns, par exemple, ôtent leurs manteaux pour prier, parce que les Nations ôtent leurs manteaux pour s'incliner devant leurs idoles. Si cela devait être, les Apôtres qui nous ont enseigné la manière de prier, n'eussent pas manqué de nous l'apprendre, à moins qu'on ne vienne nous dire que c'était pour prier que Paul laissa son manteau à Carpas. Croyez-vous donc que Dieu ne pourra vous entendre enveloppé de votre manteau, lui qui a entendu au fond de la fournaise du roi de Babylone ses trois saints qui priaient sous la tiare et la robe flottante des Mèdes? D'autres croient devoir s'asseoir à la fin de la prière. Pour quel motif? Je l'ignore, à moins que ce soit pour suivre l'exemple d'Hermas, dont l'Ecriture est intitulée ordinairement le Pasteur. Mais si, au lieu de s'asseoir sur son lit, Hermas avait fait tout autre chose, l'adopterions-nous aussi comme une pratique nécessaire? Non assurément. Il est dit simplement: « Après avoir prié et m'être assis sur mon lit, » comme un détail de narration, et non pour servir de règle. Autrement, nous ne devrions jamais prier que là où se trouve un lit. Loin de là; c'est aller contre les Ecritures que de s'asseoir sur un siége ou sur quoi que ce soit. D'ailleurs, puisque les nations ont coutume de s'asseoir après avoir adoré leurs simulacres, il suffit que cette observance ait lieu devant les idoles, pour qu'elle soit blâmée chez nous. Il y a plus. C'est quelque chose d'irrespectueux, ainsi qu'en conviendraient les Gentils, s'ils savaient réfléchir. En effet, s'il est irrévérencieux de s'asseoir en voyant ou après avoir vu un homme auquel on veut témoigner du respect, à plus forte raison sera-t-il irréligieux de nous asseoir en présence du Dieu vivant, lorsque l'ange de la prière est encore debout, à moins de vouloir reprocher à Dieu que la prière nous fatigue. »
Et St-Jean Chrysostome en faisant le commentaire de l’Epître aux Hébreux dans son Homélie XXXIII,3, nous dit :
« Souvenez-vous de vos conducteurs qui ont « annoncé la parole de Dieu ». Je crois que l'apôtre recommande encore ici la charité reconnaissante et secourable; c'est là que tend cette remarque : Ils vous ont annoncé la parole de Dieu; — « Et considérant quelle a été la fin de leur vie, imitez leur foi ». — « Considérant », qu'est-ce à dire ? étudiant constamment, examinant avec réflexion, avec raisonnement, avec scrupule, avec toute ardeur et bonne volonté. L'apôtre choisit à bon droit l'expression : «Examinant la fin de leur vie », c'est-à-dire une vie jusqu'au bout sage et pure, une vie qui mérite une fin heureuse. « Jésus-Christ était hier, il est aujourd'hui et sera le même dans tous les siècles». C'est-à-dire : N'allez pas croire qu'il ait fait des miracles, et qu'il n'en fasse plus aujourd'hui. Il est toujours le même; et parce qu'il est le même, on ne pourrait assigner aucun temps où pareille puissance ne soit plus à lui. C'est peut-être à cette perpétuité du Christ que pensait l'apôtre en écrivant : « Souvenez-vous de vos conducteurs; et ne vous laissez pas entraîner par des doctrines variées et étrangères ». — « Etrangères », entendez : à des doctrines différentes de celles que nous vous avons enseignées; « variées », comprenez. à des enseignements de tous genres; qui, en effet, n'ont rien de stable, mais qui se contredisent, surtout quand il s'agit des aliments purs ou noie. L'apôtre ajoute, en vue de ce dernier point : « Car il est bon d'affermir son coeur par la grâce, et non par tels aliments »: car ici surtout est la variété, ici l'étrangeté de doctrine. Il invective donc contre ces discernements de viandes, et montre que cette vaine observance a précipité les Hébreux dans une véritable hétérodoxie, puisqu'elle les a portés à admettre des enseignements contradictoires et nouveaux. Remarquez toutefois qu'il n'ose pas les accuser expressément, mais seulement par insinuation. Car lorsqu'il dit : «Ne vous laissez pas entraîner à des doctrines variées et étrangères » ; et : « Il est bon, en effet, d'affermir son coeur par la grâce et non par tels on tels aliments», il ne fait que répéter équivalemment la maxime de Jésus-Christ : «Ce n'est pas ce qui entre dans l'homme qui souille l'homme» (Matth. XV, 11); démontrant que c'est la foi, au contraire, qui est tout au monde, et que si elle vous affermit, elle vous met le coeur en sûreté. Oui, la foi seule donne à l'âme force et fermeté; tandis que les raisonnements n'y jettent que le trouble : c'est qu'aussi le raisonnement est l'opposé de la foi.
« Ces vaines observances », continue-t-il, « n'ont point servi à ceux qui les ont pratiquées ». A quoi sert, en effet, une vaine observance, sinon, surtout, à vous perdre, sinon à placer sous le joug du péché celui qui la pratique? S'il faut des observances, cherchez et suivez celles qui peuvent être utiles à qui les embrasse. Une bonne observance, ce sera la fuite du péché, la droiture du coeur, la piété envers Dieu, la foi vraie et pure. — « Celles-là n'ont point servi à ceux qui les ont suivies», c'est-à-dire, gardées même le plus constamment. L'unique observance doit être de s'abstenir du péché. A quoi sert tout le reste, si quelques-uns même des plus zélés se rendent assez criminels pour ne pouvoir participer aux sacrifices? Voilà donc des hommes que rien ne sauvait devant Dieu, malgré ce zèle ardent pour leurs pratiques religieuses; aucune né leur servait absolument, parce qu'ils n'avaient pas la foi. — L'apôtre continue en déclarant l'abolition du sacrifice d'après son Caractère purement figuratif, et revenant ainsi à son grand principe. « Car», dit-il, « les corps des animaux » dont le sang est porté par le pontife dans « le sanctuaire pour l'expiation du péché , sont bridés hors du camp; et c'est pour cette raison que Jésus, devant sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte de la ville ». Ainsi les sacrifices anciens n'étaient que la figure des nôtres, et Jésus-Christ a tout accompli, en souffrant hors de Jérusalem. L'apôtre fait entendre aussi dans ce passage que Jésus-Christ a souffert de son plein gré; d'ailleurs ces sacrifices anciens n'étaient pas institués simplement pour eux-mêmes, ils n'étaient que figuratifs, et l'économie de la divine Passion hors des murs de la cité sainte s'y peignait d'avance. Ainsi notre Maître a souffert hors de la ville : mais son sang a été porté jusqu'aux cieux. »
Le même saint Père, appelé « bouche d’Or », dans son Homélie LXXIII, en commentant Mathieu 23, 14-29 nous dit encore :
« « Malheur à vous, docteurs de la loi et pharisiens hypocrites, qui payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, pendant que vous négligez ce qu’il y a de plus important dans la Loi, la justice, la miséricorde et la foi. C’est là ce qu’il fallait pratiquer, sans omettre néanmoins ces autres choses ». (…)
Il n’ajoute pas cette dernière parole [sans omettre néanmoins ces autres choses] lorsqu’il leur parle de leurs purifications extérieures. Il fait une séparation exacte de ce qui était pur d’avec ce qui ne l’était pas, et il montre que la pureté du dehors n’est que l’effet et la suite de la pureté du dedans, et que la pureté du corps n’allait point jusqu’à se communiquer à l’âme. Comme il ne s’agissait dans cette exactitude à payer les dîmes que d’une chose qui était bonne en elle-même et qui était une espèce d’aumône, Jésus-Christ passe cela sans le condamner, parce qu’il n’était pas encore temps de rien faire contre la Loi.
Mais il détruit plus clairement ce qui ne regardait que la purification extérieure des corps. C’est pourquoi, en parlant ici des dîmes, il ajoute aussitôt : « Il fallait pratiquer cela sans omettre néanmoins ces autres choses »; mais lorsqu’il parle de ces vaines purifications, il leur dit: « Vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, pendant que le dedans demeure plein de rapine et d’impureté. Pharisien aveugle, nettoyez premièrement le dedans de la coupe et du plat, afin que le dehors en soit net aussi». Il se sert ici de cette comparaison familière et commune d’un « plat » et d’une « coupe ». Mais, pour montrer ensuite qu’on ne perd rien en négligeant la purification extérieure des corps, et qu’on perdrait tout au contraire en négligeant la pureté intérieure des âmes, dans laquelle consiste toute la vertu, il compare l’une à un « moucheron » à cause de sa petitesse, et l’autre à un « chameau » à cause de sa grandeur et de son extrême importance.
2. « Conducteurs aveugles que vous êtes, qui passez ce que vous buvez de peur d’avaler un moucheron, et qui avalez un chameau ». Dieu, leur dit-il, n’a ordonné ces petites choses qu’en les rapportant aux grandes, c’est-à-dire à la « miséricorde » et au « jugement ». Lors donc que ces petites observances sont séparées des grandes, pour lesquelles elles ont été établies, elles ne servent plus à ceux qui les pratiquent, parce qu’alors se trouve rompu ce rapport et cette liaison nécessaire qu’elles ont avec ces règles importantes et essentielles de la loi. Ces règlements capitaux pouvaient subsister sans ces préceptes moins considérables; mais ces petits préceptes ne pouvaient servir de rien sans ces autres beaucoup plus importants. Jésus-Christ montre par là qu’avant même le temps de la grâce et de l’Evangile, ces observances n’étaient pas ce qu’il désirait le plus, mais qu’il demandait des hommes d’autres observances bien plus considérables et un culte plus spirituel. C’est pourquoi, après que la nouvelle loi de Jésus-Christ nous a donné d’autres lois plus saintes et des commandements plus divins, ces autres sont devenus superflus, et il est inutile de les observer.
(…) « Malheur à vous, docteurs de la loi et pharisiens hypocrites, qui nettoyez le dehors de la coupe et du plat, pendant que le dedans demeure plein de rapine et d’impureté . Pharisien aveugle, nettoyez premièrement le dedans de la coupe et du plat, afin que le dehors en soit net aussi ». Jésus-Christ voulant rappeler les pharisiens à la véritable piété qu’ils méprisaient, et les faire passer de ce soin de l’extérieur au soin du dedans de l’âme, leur parle de la « miséricorde», de la «justice » et de la « foi ». Car ce sont là les choses qui renferment toute la vie et toute la sanctification de nos âmes. La « miséricorde » nous rend doux et compatissants envers nos frères. Elle nous porte à leur pardonner aisément leurs fautes, et à ne pas témoigner trop de dureté envers les pécheurs. Nous trouvons en elle ce double avantage, qu’elle attire la miséricorde de Dieu sur nous, et qu’en nous attendrissant le coeur, elle nous rend plus prompts à assister ceux que l’on outrage et à compatir à tout ce qu’ils souffrent. La «justice » et la « foi » nous empêchent d’être hypocrites et trompeurs, et nous rendent purs et sincères.
Mais quand Jésus-Christ dit : « Il fallait faire ces choses et ne pas omettre les autres », il ne prétend pas nous engager à toutes les observances de l’ancienne loi; comme lorsqu’il dit « qu’il faut purifier le dedans du vase afin que le dehors soit aussi pur», il ne veut pas nous ramener à toutes ces purifications légales. Il nous montre au contraire qu’elles sont vaines et inutiles. Car il ne dit pas : « Et purifiez ensuite le dehors », mais, « purifiez le dedans, et le dehors sera pur et net ». Par cette «coupe» et par ce « plat », il marque l’homme. Le «dedans» de la coupe en marque l’âme, et le « dehors » en marque le corps. Si c’est donc un désordre de ne se mettre pas en peine qu’un plat soit net au dedans pour en tenir le dehors propre, combien serait-il plus dangereux de négliger la pureté du dedans de l’âme? Mais vous, ô pharisiens, vous faites tout le contraire. Vous gardez avec soin les petites choses qui ne sont qu’extérieures, pendant que vous négligez les importantes qui regardent le coeur. C’est de cette source que vient ce mal si dangereux, et comme cette plaie mortelle qui vous fait croire que vous avez accompli toute la loi, et qu’il ne vous reste plus rien à faire, et qu’ainsi vous ne devez point penser à corriger et à purifier votre vie.”
Et Saint Ignace d’Antioche martyr au commencement du siècle IIème., disciple de St. Jean l’Apôtre dans son Epître aux Magnésiens, X, écrit :
« C’est une absurdité proclamer Jésus-Christ avec les lèvres et penser judaïquement. Puisque ce n'est pas le Christianisme qui épouse le Judaïsme, mais le Judaïsme le Christianisme ».
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Evangile selon Sain Jean, I,17:
La Loi fut donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.