CORPS & ESPRIT
Publié : ven. 01 sept. 2006 23:20
Comme mon propos va s’éloigner un peu du « sort des juridictions russes en Occident » je pense plus judicieux de créer un nouveau fil bien que mon texte fasse écho aux propos eux-mêmes suscités en partie par mon envoi précédent.
Libre au modérateur de le placer où il lui semble préférable de le faire.
Merci Cher Jean-Louis pour vos savantes et indispensables lumières.
Chère Anne Geneviève, je suis vraiment désolé de vous avoir blessé d’une quelconque manière et je vous prie de m’en excuser mais personnellement c’est ce que je vois trop souvent qui me fait mal et c’est surtout de nous et de notre devenir avant tout que je me préoccupe et m’inquiète, cher Lecteur Claude.
Nous parlons toujours de tradition soit au sens fort de transmission soit au sens secondaire de coutume. Mais nous avons oublié ce qu’est vraiment la Tradition chez nous et pas seulement les mots et les rites mais la matière et la chair mêmes de la tradition. Evidemment je ne veux parler en aucun cas d’ésotérisme. Je vais donner un exemple concret et qui concerne un domaine qui m’est particulièrement cher : la musique sacrée.
La musique traditionnelle (dégénérée quelquefois en « folklorique ») a cette particularité première d’être, partout où elle a existé et où elle existe encore, construite sur les résonances naturelles des corps en vibration ; c'est-à-dire que les intervalles des modes utilisés par les musiques authentiquement traditionnelles du monde entier qu’elles soient sacrées ou profanes, sont non tempérés, c'est-à-dire qu’ils échappent pour une part suffisante (et nécessaire je vais expliquer pourquoi) à la construction culturelle de chaque peuple et correspondent à une réalité première, sensoriellement reconnaissable par tous (quand elle n’a pas été reléguée depuis trop longtemps) non construite.
A quoi bon me direz-vous ?
Eh bien je rappellerais d’abord que la musique dite byzantine (prototype de la musique orthodoxe) conserve toujours ces caractéristiques et que même s’il est bien difficile pour nous « occidentaux », particulièrement si l’on est musicien, de retrouver ces intervalles naturels pour pouvoir chanter cette musique et encore plus d’y adapter nos langues, cela reste possible, c’est une question de promotion de nos hiérarques et de travail de la communauté. Cela a été commencé en France même si c’est si peu soutenu par la hiérarchie hellène paradoxalement. Mais il faut écouter ce qui se fait en Amérique, particulièrement à la suite du travail inspiré et colossal du Père Ephraïm qui a créé 17 monastères depuis son monastère de St Antoine Le Grand en Arizona.
Voir http://www.stanthonysmonastery.org/index.html .
Ensuite il faut parler de la musique russe qui, bien qu’ayant perdu avec la polyphonie et son tempérament son caractère naturel et donc réellement traditionnel, a conservé malgré tout souvent, particulièrement dans les lignes d’alto (qu’on entend trop peu par rapport aux sopranes), le rappel des mélodies traditionnelles et puis de manière évidemment occidentalisée, une autre caractéristique de la musique sacrée orthodoxe : c’est le support d’une ligne de basse qui conserve avec l’isson traditionnel un rapport évident.
Quel point commun entre ces deux caractéristiques ?
Le rapport du corps, de la matière, de l’âme et de l’esprit. L’équilibre, l’harmonie, l’interpénétration, la continuité.
Pas de construction vers le haut au mépris du bas mais plutôt une transfiguration de la matière et du corps. Ce n’est pas de la théorie, c’est de l’expérimentation concrète. Les sons graves sont des sons de la terre, du bas du corps : les tambours africains, les basses de la musique de danse, la grosse caisse des musiques de marche. Trop développées, ou seules, elles peuvent nous mener au péché bien sûr, exacerbation du désir sexuel ou entreprise guerrière. Mais les basses quels que soient les instruments qui les produisent nous relient à la terre, à la marche et à la danse, elles nous conservent les pieds sur terre ; ainsi pas d’erreur spirituelle, pas d’élucubration faussement angélique. Le corps étant présent, enraciné, les mélodies et leurs mélismes se chargent du mouvement ascendant ou spirant comme l’on voudra, en tout cas celui de la demande et de la réception de l’esprit saint transfigurant.
Il faut s’occuper du corps, toujours revenir à cela pour ne pas redevenir ce que nous étions devenus, rester orthodoxes et non rester seulement des chrétiens occidentaux. Peu importe sinon que l’Occident ait été orthodoxe !
A quoi servent la sollicitation des sens dans nos chef-d’œuvres d’art total que sont nos liturgies ? Notre odorat doit être pris par les encens, notre vue par la chorégraphie du rite et les icônes de Notre Dieu de sa Toute Sainte Mère et de tous nos Saints, notre ouïe par les carillons, les grelots des encensoirs (que méprisent si fort les modernistes) et bien sûr toutes les cantilations et tous les chants, quant à la part kinesthésique elle n’est pas oubliée dans notre vénération des icônes comme dans nos prosternations et nos postures sans oublier tous nos contacts avec l’eau et l’huile de tous les mystères.
Tous nos sens sont constamment sollicités et tout cela dans un seul but « oublier tous les soucis du monde » afin que nous puissions également goûter les saintes espèces, pain et vin, c’est à dire physiquement goûter notre Dieu condescendant descendu en notre chair glébeuse pour la transfigurer.
Plus nous nous ancrons dans ce que ressent notre corps, plus nous faisons silence, nous faisons taire cet esprit toujours occupé de toutes les préoccupations du monde, plus nous touchons la terre et plus nous sommes humbles évidemment et plus nous nous rendons présents et réceptifs à la Parole et à la Présence de Dieu.
Tout cela vous le savez, mais il faut le rappeler et l’appliquer à tout ce que nous faisons. Nous sommes régulièrement appelés à l’attention, à la vigilance, à la réceptivité et le plus sûr moyen est de s’ancrer dans notre corps, pas dans ce qui nous en éloigne, comme les chants pseudo angéliques, pas dans notre intelligence, pas dans notre imagination, pas dans nos interprétations. Tout ce qui nous éloigne de cela risque bien de nous fourvoyer. La meilleure façon d’entendre ce qui nous concerne dans les textes que nous entendons n’est pas dans la tension qui ne produit pas de réelle attention ni l’analyse qui finit par produire le jugement et l’orgueil et qui nous éloignent, elle est dans la présence réelle de notre être là, corps et âme. Tout ce qui peut contribuer et nous aider à nous faire demeurer là nous rend disponible à l’Esprit de Dieu et à la communion réelle en Dieu avec nos frères et sœurs présents et de toute la terre et du Ciel.
Peut-être trouverez-vous que tout cela ne ressemble pas beaucoup à de la théologie ou bien que j’enfonce des portes ouvertes ou bien que j’extrapole un peu, mais je sens que tout est lié, tout est cohérent et que nous ne pouvons réitérer les mêmes erreurs que nos pères depuis des siècles, nous ne pouvons nous fourvoyer à nouveau dans les mêmes ornières. C’est une perception directe et une réaction qui me fait me sentir proche du peuple orthodoxe qui tout au long de l’histoire sans connaissance théologique profonde a senti que des hiérarques et/ou diplomates mal intentionnés le menaient à la perdition et a ainsi maintenu l’orthodoxie de la foi sans écrits mais avec son corps.
Libre au modérateur de le placer où il lui semble préférable de le faire.
Merci Cher Jean-Louis pour vos savantes et indispensables lumières.
Chère Anne Geneviève, je suis vraiment désolé de vous avoir blessé d’une quelconque manière et je vous prie de m’en excuser mais personnellement c’est ce que je vois trop souvent qui me fait mal et c’est surtout de nous et de notre devenir avant tout que je me préoccupe et m’inquiète, cher Lecteur Claude.
Nous parlons toujours de tradition soit au sens fort de transmission soit au sens secondaire de coutume. Mais nous avons oublié ce qu’est vraiment la Tradition chez nous et pas seulement les mots et les rites mais la matière et la chair mêmes de la tradition. Evidemment je ne veux parler en aucun cas d’ésotérisme. Je vais donner un exemple concret et qui concerne un domaine qui m’est particulièrement cher : la musique sacrée.
La musique traditionnelle (dégénérée quelquefois en « folklorique ») a cette particularité première d’être, partout où elle a existé et où elle existe encore, construite sur les résonances naturelles des corps en vibration ; c'est-à-dire que les intervalles des modes utilisés par les musiques authentiquement traditionnelles du monde entier qu’elles soient sacrées ou profanes, sont non tempérés, c'est-à-dire qu’ils échappent pour une part suffisante (et nécessaire je vais expliquer pourquoi) à la construction culturelle de chaque peuple et correspondent à une réalité première, sensoriellement reconnaissable par tous (quand elle n’a pas été reléguée depuis trop longtemps) non construite.
A quoi bon me direz-vous ?
Eh bien je rappellerais d’abord que la musique dite byzantine (prototype de la musique orthodoxe) conserve toujours ces caractéristiques et que même s’il est bien difficile pour nous « occidentaux », particulièrement si l’on est musicien, de retrouver ces intervalles naturels pour pouvoir chanter cette musique et encore plus d’y adapter nos langues, cela reste possible, c’est une question de promotion de nos hiérarques et de travail de la communauté. Cela a été commencé en France même si c’est si peu soutenu par la hiérarchie hellène paradoxalement. Mais il faut écouter ce qui se fait en Amérique, particulièrement à la suite du travail inspiré et colossal du Père Ephraïm qui a créé 17 monastères depuis son monastère de St Antoine Le Grand en Arizona.
Voir http://www.stanthonysmonastery.org/index.html .
Ensuite il faut parler de la musique russe qui, bien qu’ayant perdu avec la polyphonie et son tempérament son caractère naturel et donc réellement traditionnel, a conservé malgré tout souvent, particulièrement dans les lignes d’alto (qu’on entend trop peu par rapport aux sopranes), le rappel des mélodies traditionnelles et puis de manière évidemment occidentalisée, une autre caractéristique de la musique sacrée orthodoxe : c’est le support d’une ligne de basse qui conserve avec l’isson traditionnel un rapport évident.
Quel point commun entre ces deux caractéristiques ?
Le rapport du corps, de la matière, de l’âme et de l’esprit. L’équilibre, l’harmonie, l’interpénétration, la continuité.
Pas de construction vers le haut au mépris du bas mais plutôt une transfiguration de la matière et du corps. Ce n’est pas de la théorie, c’est de l’expérimentation concrète. Les sons graves sont des sons de la terre, du bas du corps : les tambours africains, les basses de la musique de danse, la grosse caisse des musiques de marche. Trop développées, ou seules, elles peuvent nous mener au péché bien sûr, exacerbation du désir sexuel ou entreprise guerrière. Mais les basses quels que soient les instruments qui les produisent nous relient à la terre, à la marche et à la danse, elles nous conservent les pieds sur terre ; ainsi pas d’erreur spirituelle, pas d’élucubration faussement angélique. Le corps étant présent, enraciné, les mélodies et leurs mélismes se chargent du mouvement ascendant ou spirant comme l’on voudra, en tout cas celui de la demande et de la réception de l’esprit saint transfigurant.
Il faut s’occuper du corps, toujours revenir à cela pour ne pas redevenir ce que nous étions devenus, rester orthodoxes et non rester seulement des chrétiens occidentaux. Peu importe sinon que l’Occident ait été orthodoxe !
A quoi servent la sollicitation des sens dans nos chef-d’œuvres d’art total que sont nos liturgies ? Notre odorat doit être pris par les encens, notre vue par la chorégraphie du rite et les icônes de Notre Dieu de sa Toute Sainte Mère et de tous nos Saints, notre ouïe par les carillons, les grelots des encensoirs (que méprisent si fort les modernistes) et bien sûr toutes les cantilations et tous les chants, quant à la part kinesthésique elle n’est pas oubliée dans notre vénération des icônes comme dans nos prosternations et nos postures sans oublier tous nos contacts avec l’eau et l’huile de tous les mystères.
Tous nos sens sont constamment sollicités et tout cela dans un seul but « oublier tous les soucis du monde » afin que nous puissions également goûter les saintes espèces, pain et vin, c’est à dire physiquement goûter notre Dieu condescendant descendu en notre chair glébeuse pour la transfigurer.
Plus nous nous ancrons dans ce que ressent notre corps, plus nous faisons silence, nous faisons taire cet esprit toujours occupé de toutes les préoccupations du monde, plus nous touchons la terre et plus nous sommes humbles évidemment et plus nous nous rendons présents et réceptifs à la Parole et à la Présence de Dieu.
Tout cela vous le savez, mais il faut le rappeler et l’appliquer à tout ce que nous faisons. Nous sommes régulièrement appelés à l’attention, à la vigilance, à la réceptivité et le plus sûr moyen est de s’ancrer dans notre corps, pas dans ce qui nous en éloigne, comme les chants pseudo angéliques, pas dans notre intelligence, pas dans notre imagination, pas dans nos interprétations. Tout ce qui nous éloigne de cela risque bien de nous fourvoyer. La meilleure façon d’entendre ce qui nous concerne dans les textes que nous entendons n’est pas dans la tension qui ne produit pas de réelle attention ni l’analyse qui finit par produire le jugement et l’orgueil et qui nous éloignent, elle est dans la présence réelle de notre être là, corps et âme. Tout ce qui peut contribuer et nous aider à nous faire demeurer là nous rend disponible à l’Esprit de Dieu et à la communion réelle en Dieu avec nos frères et sœurs présents et de toute la terre et du Ciel.
Peut-être trouverez-vous que tout cela ne ressemble pas beaucoup à de la théologie ou bien que j’enfonce des portes ouvertes ou bien que j’extrapole un peu, mais je sens que tout est lié, tout est cohérent et que nous ne pouvons réitérer les mêmes erreurs que nos pères depuis des siècles, nous ne pouvons nous fourvoyer à nouveau dans les mêmes ornières. C’est une perception directe et une réaction qui me fait me sentir proche du peuple orthodoxe qui tout au long de l’histoire sans connaissance théologique profonde a senti que des hiérarques et/ou diplomates mal intentionnés le menaient à la perdition et a ainsi maintenu l’orthodoxie de la foi sans écrits mais avec son corps.