Deux ou trois choses que l'on ne dit pas sur le Kosovo...
Publié : jeu. 21 févr. 2008 15:44
On est tout de même en droit de se demander pourquoi les États-Unis d'Amérique, en déclin et en recul sur tous les fronts, ont consacré tant d'efforts à transformer une province serbe en un État fantoche à la réalité des plus incertaines.
On se demande pourquoi les États-Unis ont obtenu que leurs satellites (Afghanistan, France sarkozysée ou Allemagne de Merkel) reconnaissent tous cet « État » le même jour, comme une ultime preuve de reniement de soi-même (cas de l'Allemagne ou de l'Italie), comme une incomparable déclaration d'allégeance à l'idéologie des néo-cons (cas du Sarkoland) ou comme une manifestation de solidarité raciale et raciste (cas du Royaume-Uni). Nous rirons bien le jour où la Corse ou l'Écosse proclameront leur indépendance. Nous rions déjà lorsque l'étrange « communiste » Massimo d'Alema, ministre des Affaires étrangères d'un gouvernement renversé en bonne et due forme par le Sénat de la République italienne et qui se contente d'administrer les affaires courantes en attendant des élections législatives qui ont toutes les chances de confirmer sa déconfiture, affirme sans sourciller que l'Italie reconnaît l' « indépendance » du Kosovo, mais que celui-ci ne sera pas un État comme les autres, puisqu'il sera administré par l' « Union européenne » (comprendre des Étasuniens sans le passeport...). Reconnaître l'indépendance d'un État qui sera administré de l'extérieur? Ceci confine à l'indécence.
On notera que la Suisse, malgré ses 200'000 Kossovalbanais (2,8% de sa population totale !) qui ont gratifié dimanche dernier les villes helvétiques de grandioses concerts de klaxons dans leurs voitures où ils brandissaient drapeaux albanais et... étasuniens (démarche révélatrice à la fois de ce que sera la souveraineté de ce nouvel « État » et du mépris dans lequel on tient le pays d'accueil, puisqu'il ne me souvient pas d'avoir vu la bannière rouge à croix blanche dans ces défilés bruyants, ce qui d'ailleurs m'évite une humiliation supplémentaire), a tenu à montrer qu'elle conservait une parcelle de souveraineté (contrairement à la Sarkozie) en n'obtempérant pas (pas encore...) à l'ordre de Washington.
On pourrait donc se demander pourquoi les Anglo-Saxons attachent tant d'importance à un territoire de moins de 11'000 km2, sans potentiel économique et où ils n'ont pas, contrairement aux Serbes, leur cœur historique et le patriarcat de Peć.
Certes, on peut toujours penser que cela correspond à la stratégie de Washington de créer une « dorsale islamique » dans les Balkans, le Kosovo venant s’ajouter à la Bosnie-Herzégovine islamisée par de rudes moyens après 1992 et à une Albanie encore laïque, mais que ses « protecteurs » firent néanmoins adhérer à l’Organisation de la conférence islamique, en attendant de détacher de la Serbie le Sandjak et le seuil de Preševo, et pourquoi pas de créer des petits États islamiques sur des morceaux de territoires de l’ARYM, de la Grèce et de la Bulgarie, pour que les stratèges anglo-saxons puissent contempler un seul territoire islamique de Sarajevo à Edirne, l’ancienne Andrinople vidée de sa population chrétienne en 1924. Certes, mais la fausse indépendance, en réalité soumission totale, accordée dans un petit coin d’Europe centrale à 1'800'000 musulmans tièdes , qui s'enthousiasment pour le moment, mais qui ne savent pas quel sera leur calvaire sous la tutelle de Washington, effacera-t-elle vraiment aux yeux du monde musulman les dizaines de milliers de musulmans plus convaincus massacrés par les armées étasunienne et britannique en Irak depuis 2003 ?
Je trouve une explication peut-être plus convaincante dans une brochure qui m’est parvenue, rédigée en novembre 2004, donc il y a plus de trois ans, par un dénommé Jacques Delacroix qui semble être pour le moins un catholique intégriste : Élections américaines. La victoire de V. Poutine. L’auteur ne porte pas l’Orthodoxie dans son cœur et ses convictions religieuses font qu’il n’a aucune raison particulière de ménager les orthodoxes. Je cite ces quelques lignes qui poussent à la réflexion, pages 57 s. de cet opuscule :
« Les personnages du « bloc de commandement russe » qui composent avec leur représentant, Vladimir Poutine, savent très bien que les « forces étrangères » qui ont décidé de s’en prendre à la Russie pratiquent avant tout une doctrine géostratégique, globalement anti-orthodoxe, fondée sur le « refoulement » (roll back) de la Russie et de ses sphères d’influence.
Il est encore évident que ces « forces étrangères » cherchent par ce biais à mettre au pas la Russie et le bloc orthodoxe, réfractaire à la mondialisation occidentale et donc au projet de Nouvel Ordre Mondial.
Dans le même temps, ces mêmes « forces étrangères » cherchent à opposer l’Occident à la Russie et au bloc orthodoxe. D’ailleurs, la programmation des attentats de Beslan est survenue quasiment au moment où Bush atteignait le pic de son avance sur Kerry (58-60% des votes) !
Commanditer les attentats de Beslan et faire élire Kerry laissaient entrevoir une seule stratégie états-unienne : américaniser l’Europe et l’intégrer dans la doctrine géostratégique, globalement anti-orthodoxe.
N’oublions pas que la Guerre froide livrée par les Etats-Unis au monde russo-soviétique a puissamment favorisé l’intégration des États occidentaux autour de la puissance américaine, et l’américanisation globale du Vieux Continent.
Les nations européennes servent aujourd’hui de force d’appoint, de glacis extérieur et de « tête de pont géostratégique » des Etats-Unis en Eurasie, comme l’écrit noir sur blanc le stratège américain Brzezinski dans Le Grand Échiquier.
« L’Occident » est désormais un véritable piège conceptuel et sémantique, un « leurre civilisationnel ». Il revient à couper l’Europe continentale en deux et à exclure du champ européen l’espace slavo-orthodoxe post-byzantin, considéré comme étranger, « oriental ». »
Certes, à la lecture de ces quelques lignes, écrites je le rappelle il y a plus de trois ans, il est facile de crier à la théorie du complot et à l’anti-américanisme primaire. Après tout, si dans la plupart des pays d’Europe occidentale, l’amour de son propre pays est en passe d’être considéré comme une maladie mentale, rien n’est en revanche plus obligatoire que l’amour des États-Unis. On se demande d’ailleurs pourquoi la France et le Royaume-Uni conservent encore leur siège permanent et leur droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU au lieu de le céder au Kentucky ou au Wisconsin. Ce qui serait tout de même plus en phase avec la situation diplomatique réelle. Il y a quelques décennies, un écrivain alors fort en vue et aujourd'hui justement oublié, Romain Gary, ciselait une de ces formules creuses et fausses comme les affectionnent nos contemporains: « Le patriotisme, c'est l'amour des siens; le nationalisme, c'est la haine des autres.» Il aurait pu ajouter que l'américanisme des Européens, c'est surtout la haine de soi.
Et pourtant, il faudrait être aveugle pour ne pas voir que les événements se déroulent exactement selon le projet géostratégique décrit plus haut. Car il est vrai que les États-Unis, contrairement à la France de M. Sarkőzy de Nagy-Bocsa et à l’Allemagne de Mme Merkel, ont une politique étrangère, eux.
Alors, regardons les choses en face. Succès sur toute la ligne.
« L’Occident » est bien un « leurre civilisationnel » : c’est au nom de la solidarité « occidentale » que le contribuable européen devra payer les frais colossaux d’une indépendance du Kosmet voulue par Washington. C’est au nom de la « solidarité occidentale » qu’un ministre du gouvernement qu siège (encore ?) à Paris (M. Xavier Darcos) annonçait voici sept mois sa volonté de faire de la France « un pays bilingue ». On se doute qu’il ne s’agit pas de bilinguisme avec l’occitan, ni même avec l’allemand, et qu’il s’agit bien de faire de l’anglais la langue co-officielle, en attendant je suppose l’admission comme 51e État et l’adoption du système English only ? (Il est clair que faire de la France un pays bilingue est prioritaire par rapport à la lutte contre l’illettrisme ou au renforcement des mathématiques, alors que toutes les enquêtes PISA montrent l’effondrement du niveau des jeunes Français en mathématiques et dans la maîtrise de leur langue maternelle – encore qu’il est possible que, dans ce dernier cas, ce soit le but recherché, l’insécurité linguistique précédant l’adoption de la langue du maître).
« L’Europe » disparaît de plus en plus dans les limbes, puisque le but de créer une fracture artificielle en Europe continentale entre pays de tradition orthodoxe et pays de tradition catholique ou protestante est plus que jamais atteint . Sur les six États membres de l’Union européenne qui refusent de reconnaître l’étrange « indépendance » de la province autonome serbe de Kosovo-et-Métochie, quatre sont de tradition orthodoxe (Grèce, Chypre, Bulgarie et Roumanie), un est situé en Europe centrale (Slovaquie) et un seul en Europe occidentale (Espagne). L’objectif est magistralement atteint.
Le peu de prestige qui restait à l’Allemagne, à la France et à l’Italie, ou que ces pays étaient susceptibles de recouvrer par le biais de leur puissance économique – encore que, depuis 2001, le déclin industriel de la France et de l’Italie, sur fond de déclarations triomphales sans cesse renouvelées des Jospin, Berlusconi, Sarkőzy et autres Prodi, soit proprement terrifiant – est définitivement évanoui, ces trois pays ayant dans cette affaire rivalisé dans la soumission à leur maître, aux dépens de leurs propres intérêts. Il faut en particulier souligner que la France dilapide ainsi le capital de sympathie qui lui restait dans le seul pays d’Europe centrale et orientale à avoir une tradition francophile et francophone – la Grèce.
Toutefois, cum grano salis, je souhaiterais apporter trois compléments aux analyses de M. Jacques Delacroix.
En premier lieu, la politique étrangère anglo-saxonne, depuis bientôt trois siècles, et pour des raisons évidentes d’affiliation idéologique des élites anglo-saxonnes, n’est pas seulement anti-orthodoxe, elle est globalement anti-chrétienne. La politique de Londres et Washington dans les Balkans reste dans la ligne du soutien apporté par Londres aux druzes du Liban pour y massacrer les chrétiens - catholiques maronites en l'occurrence - en 1840. Au moins ces gouvernements-là ont-ils le mérite d’être cohérents. Ce qui n’est pas le cas de Berlin, Paris et Rome.
Ensuite, le concept d’ « espace slavo-orthodoxe » qu’utilise M. Delacroix est des plus flous. Dans cette affaire, il n’y a à ma connaissance que trois pays slaves qui soutiennent la Serbie : il s’agit de la Russie, de la Bulgarie et de la Slovaquie. Deux d’entre eux sont de tradition orthodoxe, un de tradition catholique avec minorités protestantes significatives. On remarquera que les autres pays slaves ne semblent guère se solidariser avec Belgrade, y compris la « slavo-orthodoxe » ARYM de Skoplje. En revanche, des pays de tradition orthodoxe qui ne sont pas de langue slave se solidarisent avec la Serbie – et avec le droit international - : il s’agit de deux États helléniques et d’un État latin. À la place de M. Delacroix, je parlerais plutôt d’ « espace post-byzantin » que d’ « espace slavo-orthodoxe » ou même d’ « espace orthodoxe » la proportion réelle de baptisés orthodoxes étant très faible dans la plupart de ces pays. Et oui, après des décennies de persécution communiste fanatiquement anti-orthodoxe, il ne faut pas se faire trop d'illusion sur ce qui reste de vie religieuse dans bien des régions qui abondèrent autrefois en églises, en monastères... et en martyrs.
Enfin, il est piquant de constater que le discours géostratégique de Washington recoupe le discours tenu par le clergé orthodoxe œcuméniste – sauf dans le cadre des quatre patriarcats anciens et apostoliques où même les œcuménistes ne marchent pas entièrement dans la combine. En effet, le discours œcuméniste, avec son insistance sur les « deux poumons » « occidental » et « oriental », avec ces deux mondes présentés comme si irréductibles l’un à l’autre que les œcuménistes en viennent parfois à interdire à des Européens de l’Ouest d’entrer dans l’Église orthodoxe et que le culte des saints orthodoxes de l’Europe occidentale du premier millénaire est découragé, avec cette curieuse notion de « territoires canoniques » qui correspondent en fait à des religions différentes dans une étrange transposition ecclésiastique du système de Yalta, ce discours orthodoxe œcuméniste, si mielleux en paroles et si totalitaire dans sa transposition dans les faits, correspond furieusement à une version « spiritualiste » ou pseudo-spirituelle de la doctrine géostratégique du roll back. Encore que les naïfs qu tiennent ce discours croient que leurs maîtres s'en tiendront à la stratégie du containment. Comparez les écrits de Brzezinski et les discours de tel ou tel prélat œcuméniste orthodoxe. C’est édifiant. Cela peut encore se comprendre de tel ou tel patriarche dont les affiliations sont exactement les mêmes que celles qui dominent dans l’élite politique anglo-saxonne depuis 1717. Mais il est curieux de voir des hommes qui se présentent par ailleurs comme des parangon du phylétisme et des serviteurs de la grandeur de leur nation se rallier à une vision géostratégique conçue par des gens qui ne leur veulent que du mal.
Et, puis, la dernière chose, celle que l'on ne rappelle pas, mais qui en dit long sur la cohérence d'hommes politiques qui sont par ailleurs si prompts à donner au reste du monde des leçons de démocratie, de droit, etc.
J'ai sous les yeux, dans le livre remarquable du communiste belge Michel Collon Monopoly. L'Otan à la conquête du monde, EPO, Bruxelles 2000, p. 203, le texte du Diktat imposé par l'OTAN (comprendre les Anglo-Saxons) à la République fédérale de Yougoslavie le 3 juin 1999 après 72 jours de bombardements terroristes contre les populations civiles. Je reproduis ici le début de l'article 8 de ce prétendu accord:
«Prenant pleinement en considération les accords de Rambouillet et les principes de souveraineté et d'intégrité territoriale de la République Fédérale de Yougoslavie...»
Ainsi, on proclame avec une hypocrisie consommée son respect du droit international (respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale) pour mieux le bafouer - et avec quelle outrecuidance ! - 9 ans plus tard. Ainsi, on accorde au Kosovo ce que l'on refusera demain à la Republika srpska en Bosnie-Herzégovine. Le chanoine deux fois divorcé de Saint-Jean-de-Latran, qui fut l'un des plus fanatiques à promouvoir l'indépendance du Kosovo, ne cesse de faire arrêter par sa gendarmerie et sa police des séparatistes basques dont la seule différence avec les hommes de l'UÇK (Ushtria Çlirimtare e Kosovës ) est d'avoir moins de sang sur les mains. Je me demande pourtant au nom de quoi il prétend refuser à la Corse, à la Bretagne ou aux trois provinces d'Iparralde - Labourd, Basse-Navarre et Soule - , et demain à la Seine-Saint-Denis tant qu'on y est, ce qu'il vient d'accorder au Kosovo et à la Métochie. Il me prend l'envie de lancer au chanoine honoraire l'apostrophe qui fut lancée à un théologien autrement plus authentique, le docteur Martin Luther, lors de la diète de Worms: Mönchlein, Mönchlein, du gehst einen schweren Gang...
Nous pouvons désormais jeter au feu des bibliothèques entières de droit international public. Adieu François de Vitoria, bonjour Bernard Kouchner qui se vantait en 1999 d'avoir «remplacé le droit par le droit du cœur».
Naturellement, nous savons aussi que tout se paye. Aujourd'hui, c'est le peuple serbe qui souffre. Demain, c'est nous qui souffrirons.
On se demande pourquoi les États-Unis ont obtenu que leurs satellites (Afghanistan, France sarkozysée ou Allemagne de Merkel) reconnaissent tous cet « État » le même jour, comme une ultime preuve de reniement de soi-même (cas de l'Allemagne ou de l'Italie), comme une incomparable déclaration d'allégeance à l'idéologie des néo-cons (cas du Sarkoland) ou comme une manifestation de solidarité raciale et raciste (cas du Royaume-Uni). Nous rirons bien le jour où la Corse ou l'Écosse proclameront leur indépendance. Nous rions déjà lorsque l'étrange « communiste » Massimo d'Alema, ministre des Affaires étrangères d'un gouvernement renversé en bonne et due forme par le Sénat de la République italienne et qui se contente d'administrer les affaires courantes en attendant des élections législatives qui ont toutes les chances de confirmer sa déconfiture, affirme sans sourciller que l'Italie reconnaît l' « indépendance » du Kosovo, mais que celui-ci ne sera pas un État comme les autres, puisqu'il sera administré par l' « Union européenne » (comprendre des Étasuniens sans le passeport...). Reconnaître l'indépendance d'un État qui sera administré de l'extérieur? Ceci confine à l'indécence.
On notera que la Suisse, malgré ses 200'000 Kossovalbanais (2,8% de sa population totale !) qui ont gratifié dimanche dernier les villes helvétiques de grandioses concerts de klaxons dans leurs voitures où ils brandissaient drapeaux albanais et... étasuniens (démarche révélatrice à la fois de ce que sera la souveraineté de ce nouvel « État » et du mépris dans lequel on tient le pays d'accueil, puisqu'il ne me souvient pas d'avoir vu la bannière rouge à croix blanche dans ces défilés bruyants, ce qui d'ailleurs m'évite une humiliation supplémentaire), a tenu à montrer qu'elle conservait une parcelle de souveraineté (contrairement à la Sarkozie) en n'obtempérant pas (pas encore...) à l'ordre de Washington.
On pourrait donc se demander pourquoi les Anglo-Saxons attachent tant d'importance à un territoire de moins de 11'000 km2, sans potentiel économique et où ils n'ont pas, contrairement aux Serbes, leur cœur historique et le patriarcat de Peć.
Certes, on peut toujours penser que cela correspond à la stratégie de Washington de créer une « dorsale islamique » dans les Balkans, le Kosovo venant s’ajouter à la Bosnie-Herzégovine islamisée par de rudes moyens après 1992 et à une Albanie encore laïque, mais que ses « protecteurs » firent néanmoins adhérer à l’Organisation de la conférence islamique, en attendant de détacher de la Serbie le Sandjak et le seuil de Preševo, et pourquoi pas de créer des petits États islamiques sur des morceaux de territoires de l’ARYM, de la Grèce et de la Bulgarie, pour que les stratèges anglo-saxons puissent contempler un seul territoire islamique de Sarajevo à Edirne, l’ancienne Andrinople vidée de sa population chrétienne en 1924. Certes, mais la fausse indépendance, en réalité soumission totale, accordée dans un petit coin d’Europe centrale à 1'800'000 musulmans tièdes , qui s'enthousiasment pour le moment, mais qui ne savent pas quel sera leur calvaire sous la tutelle de Washington, effacera-t-elle vraiment aux yeux du monde musulman les dizaines de milliers de musulmans plus convaincus massacrés par les armées étasunienne et britannique en Irak depuis 2003 ?
Je trouve une explication peut-être plus convaincante dans une brochure qui m’est parvenue, rédigée en novembre 2004, donc il y a plus de trois ans, par un dénommé Jacques Delacroix qui semble être pour le moins un catholique intégriste : Élections américaines. La victoire de V. Poutine. L’auteur ne porte pas l’Orthodoxie dans son cœur et ses convictions religieuses font qu’il n’a aucune raison particulière de ménager les orthodoxes. Je cite ces quelques lignes qui poussent à la réflexion, pages 57 s. de cet opuscule :
« Les personnages du « bloc de commandement russe » qui composent avec leur représentant, Vladimir Poutine, savent très bien que les « forces étrangères » qui ont décidé de s’en prendre à la Russie pratiquent avant tout une doctrine géostratégique, globalement anti-orthodoxe, fondée sur le « refoulement » (roll back) de la Russie et de ses sphères d’influence.
Il est encore évident que ces « forces étrangères » cherchent par ce biais à mettre au pas la Russie et le bloc orthodoxe, réfractaire à la mondialisation occidentale et donc au projet de Nouvel Ordre Mondial.
Dans le même temps, ces mêmes « forces étrangères » cherchent à opposer l’Occident à la Russie et au bloc orthodoxe. D’ailleurs, la programmation des attentats de Beslan est survenue quasiment au moment où Bush atteignait le pic de son avance sur Kerry (58-60% des votes) !
Commanditer les attentats de Beslan et faire élire Kerry laissaient entrevoir une seule stratégie états-unienne : américaniser l’Europe et l’intégrer dans la doctrine géostratégique, globalement anti-orthodoxe.
N’oublions pas que la Guerre froide livrée par les Etats-Unis au monde russo-soviétique a puissamment favorisé l’intégration des États occidentaux autour de la puissance américaine, et l’américanisation globale du Vieux Continent.
Les nations européennes servent aujourd’hui de force d’appoint, de glacis extérieur et de « tête de pont géostratégique » des Etats-Unis en Eurasie, comme l’écrit noir sur blanc le stratège américain Brzezinski dans Le Grand Échiquier.
« L’Occident » est désormais un véritable piège conceptuel et sémantique, un « leurre civilisationnel ». Il revient à couper l’Europe continentale en deux et à exclure du champ européen l’espace slavo-orthodoxe post-byzantin, considéré comme étranger, « oriental ». »
Certes, à la lecture de ces quelques lignes, écrites je le rappelle il y a plus de trois ans, il est facile de crier à la théorie du complot et à l’anti-américanisme primaire. Après tout, si dans la plupart des pays d’Europe occidentale, l’amour de son propre pays est en passe d’être considéré comme une maladie mentale, rien n’est en revanche plus obligatoire que l’amour des États-Unis. On se demande d’ailleurs pourquoi la France et le Royaume-Uni conservent encore leur siège permanent et leur droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU au lieu de le céder au Kentucky ou au Wisconsin. Ce qui serait tout de même plus en phase avec la situation diplomatique réelle. Il y a quelques décennies, un écrivain alors fort en vue et aujourd'hui justement oublié, Romain Gary, ciselait une de ces formules creuses et fausses comme les affectionnent nos contemporains: « Le patriotisme, c'est l'amour des siens; le nationalisme, c'est la haine des autres.» Il aurait pu ajouter que l'américanisme des Européens, c'est surtout la haine de soi.
Et pourtant, il faudrait être aveugle pour ne pas voir que les événements se déroulent exactement selon le projet géostratégique décrit plus haut. Car il est vrai que les États-Unis, contrairement à la France de M. Sarkőzy de Nagy-Bocsa et à l’Allemagne de Mme Merkel, ont une politique étrangère, eux.
Alors, regardons les choses en face. Succès sur toute la ligne.
« L’Occident » est bien un « leurre civilisationnel » : c’est au nom de la solidarité « occidentale » que le contribuable européen devra payer les frais colossaux d’une indépendance du Kosmet voulue par Washington. C’est au nom de la « solidarité occidentale » qu’un ministre du gouvernement qu siège (encore ?) à Paris (M. Xavier Darcos) annonçait voici sept mois sa volonté de faire de la France « un pays bilingue ». On se doute qu’il ne s’agit pas de bilinguisme avec l’occitan, ni même avec l’allemand, et qu’il s’agit bien de faire de l’anglais la langue co-officielle, en attendant je suppose l’admission comme 51e État et l’adoption du système English only ? (Il est clair que faire de la France un pays bilingue est prioritaire par rapport à la lutte contre l’illettrisme ou au renforcement des mathématiques, alors que toutes les enquêtes PISA montrent l’effondrement du niveau des jeunes Français en mathématiques et dans la maîtrise de leur langue maternelle – encore qu’il est possible que, dans ce dernier cas, ce soit le but recherché, l’insécurité linguistique précédant l’adoption de la langue du maître).
« L’Europe » disparaît de plus en plus dans les limbes, puisque le but de créer une fracture artificielle en Europe continentale entre pays de tradition orthodoxe et pays de tradition catholique ou protestante est plus que jamais atteint . Sur les six États membres de l’Union européenne qui refusent de reconnaître l’étrange « indépendance » de la province autonome serbe de Kosovo-et-Métochie, quatre sont de tradition orthodoxe (Grèce, Chypre, Bulgarie et Roumanie), un est situé en Europe centrale (Slovaquie) et un seul en Europe occidentale (Espagne). L’objectif est magistralement atteint.
Le peu de prestige qui restait à l’Allemagne, à la France et à l’Italie, ou que ces pays étaient susceptibles de recouvrer par le biais de leur puissance économique – encore que, depuis 2001, le déclin industriel de la France et de l’Italie, sur fond de déclarations triomphales sans cesse renouvelées des Jospin, Berlusconi, Sarkőzy et autres Prodi, soit proprement terrifiant – est définitivement évanoui, ces trois pays ayant dans cette affaire rivalisé dans la soumission à leur maître, aux dépens de leurs propres intérêts. Il faut en particulier souligner que la France dilapide ainsi le capital de sympathie qui lui restait dans le seul pays d’Europe centrale et orientale à avoir une tradition francophile et francophone – la Grèce.
Toutefois, cum grano salis, je souhaiterais apporter trois compléments aux analyses de M. Jacques Delacroix.
En premier lieu, la politique étrangère anglo-saxonne, depuis bientôt trois siècles, et pour des raisons évidentes d’affiliation idéologique des élites anglo-saxonnes, n’est pas seulement anti-orthodoxe, elle est globalement anti-chrétienne. La politique de Londres et Washington dans les Balkans reste dans la ligne du soutien apporté par Londres aux druzes du Liban pour y massacrer les chrétiens - catholiques maronites en l'occurrence - en 1840. Au moins ces gouvernements-là ont-ils le mérite d’être cohérents. Ce qui n’est pas le cas de Berlin, Paris et Rome.
Ensuite, le concept d’ « espace slavo-orthodoxe » qu’utilise M. Delacroix est des plus flous. Dans cette affaire, il n’y a à ma connaissance que trois pays slaves qui soutiennent la Serbie : il s’agit de la Russie, de la Bulgarie et de la Slovaquie. Deux d’entre eux sont de tradition orthodoxe, un de tradition catholique avec minorités protestantes significatives. On remarquera que les autres pays slaves ne semblent guère se solidariser avec Belgrade, y compris la « slavo-orthodoxe » ARYM de Skoplje. En revanche, des pays de tradition orthodoxe qui ne sont pas de langue slave se solidarisent avec la Serbie – et avec le droit international - : il s’agit de deux États helléniques et d’un État latin. À la place de M. Delacroix, je parlerais plutôt d’ « espace post-byzantin » que d’ « espace slavo-orthodoxe » ou même d’ « espace orthodoxe » la proportion réelle de baptisés orthodoxes étant très faible dans la plupart de ces pays. Et oui, après des décennies de persécution communiste fanatiquement anti-orthodoxe, il ne faut pas se faire trop d'illusion sur ce qui reste de vie religieuse dans bien des régions qui abondèrent autrefois en églises, en monastères... et en martyrs.
Enfin, il est piquant de constater que le discours géostratégique de Washington recoupe le discours tenu par le clergé orthodoxe œcuméniste – sauf dans le cadre des quatre patriarcats anciens et apostoliques où même les œcuménistes ne marchent pas entièrement dans la combine. En effet, le discours œcuméniste, avec son insistance sur les « deux poumons » « occidental » et « oriental », avec ces deux mondes présentés comme si irréductibles l’un à l’autre que les œcuménistes en viennent parfois à interdire à des Européens de l’Ouest d’entrer dans l’Église orthodoxe et que le culte des saints orthodoxes de l’Europe occidentale du premier millénaire est découragé, avec cette curieuse notion de « territoires canoniques » qui correspondent en fait à des religions différentes dans une étrange transposition ecclésiastique du système de Yalta, ce discours orthodoxe œcuméniste, si mielleux en paroles et si totalitaire dans sa transposition dans les faits, correspond furieusement à une version « spiritualiste » ou pseudo-spirituelle de la doctrine géostratégique du roll back. Encore que les naïfs qu tiennent ce discours croient que leurs maîtres s'en tiendront à la stratégie du containment. Comparez les écrits de Brzezinski et les discours de tel ou tel prélat œcuméniste orthodoxe. C’est édifiant. Cela peut encore se comprendre de tel ou tel patriarche dont les affiliations sont exactement les mêmes que celles qui dominent dans l’élite politique anglo-saxonne depuis 1717. Mais il est curieux de voir des hommes qui se présentent par ailleurs comme des parangon du phylétisme et des serviteurs de la grandeur de leur nation se rallier à une vision géostratégique conçue par des gens qui ne leur veulent que du mal.
Et, puis, la dernière chose, celle que l'on ne rappelle pas, mais qui en dit long sur la cohérence d'hommes politiques qui sont par ailleurs si prompts à donner au reste du monde des leçons de démocratie, de droit, etc.
J'ai sous les yeux, dans le livre remarquable du communiste belge Michel Collon Monopoly. L'Otan à la conquête du monde, EPO, Bruxelles 2000, p. 203, le texte du Diktat imposé par l'OTAN (comprendre les Anglo-Saxons) à la République fédérale de Yougoslavie le 3 juin 1999 après 72 jours de bombardements terroristes contre les populations civiles. Je reproduis ici le début de l'article 8 de ce prétendu accord:
«Prenant pleinement en considération les accords de Rambouillet et les principes de souveraineté et d'intégrité territoriale de la République Fédérale de Yougoslavie...»
Ainsi, on proclame avec une hypocrisie consommée son respect du droit international (respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale) pour mieux le bafouer - et avec quelle outrecuidance ! - 9 ans plus tard. Ainsi, on accorde au Kosovo ce que l'on refusera demain à la Republika srpska en Bosnie-Herzégovine. Le chanoine deux fois divorcé de Saint-Jean-de-Latran, qui fut l'un des plus fanatiques à promouvoir l'indépendance du Kosovo, ne cesse de faire arrêter par sa gendarmerie et sa police des séparatistes basques dont la seule différence avec les hommes de l'UÇK (Ushtria Çlirimtare e Kosovës ) est d'avoir moins de sang sur les mains. Je me demande pourtant au nom de quoi il prétend refuser à la Corse, à la Bretagne ou aux trois provinces d'Iparralde - Labourd, Basse-Navarre et Soule - , et demain à la Seine-Saint-Denis tant qu'on y est, ce qu'il vient d'accorder au Kosovo et à la Métochie. Il me prend l'envie de lancer au chanoine honoraire l'apostrophe qui fut lancée à un théologien autrement plus authentique, le docteur Martin Luther, lors de la diète de Worms: Mönchlein, Mönchlein, du gehst einen schweren Gang...
Nous pouvons désormais jeter au feu des bibliothèques entières de droit international public. Adieu François de Vitoria, bonjour Bernard Kouchner qui se vantait en 1999 d'avoir «remplacé le droit par le droit du cœur».
Naturellement, nous savons aussi que tout se paye. Aujourd'hui, c'est le peuple serbe qui souffre. Demain, c'est nous qui souffrirons.